« Diamond Island » de Davy Chou (1)

Prix SACD à la Semaine Internationale de la Critique 2016 et Grand Prix au Festival du Film de Cabourg 2016Soirée-débat mardi 28 à 20h30

 

Présenté par Françoise Fouillé
Film cambodgien (vo, décembre 2016, 1h43) de Davy Chou avec Sobon Nuon, Cheanick Nov et Madeza Chhem

Synopsis : Diamond Island est une île sur les rives de Phnom Penh transformée par des promoteurs immobiliers pour en faire le symbole du Cambodge du futur, un paradis ultra-moderne pour les riches.

Bora a 18 ans et, comme de nombreux jeunes originaires des campagnes, il quitte son village natal pour travailler sur ce vaste chantier. C’est là qu’il se lie d’amitié avec d’autres ouvriers de son âge, jusqu’à ce qu’il retrouve son frère aîné, le charismatique Solei, disparu cinq ans plus tôt. Solei lui ouvre alors les portes d’un monde excitant, celui d’une jeunesse urbaine et favorisée, ses filles, ses nuits et ses illusions.

 

Je suis un peu restée sur ma faim.
A la fin du film, j’avais vraiment envie qu’il finisse, ce qui n’est pas super.
Pourtant, en y repensant …

Davy Chou a un style c’est indéniable, ses images et l’atmosphère qu’elles créent sont vraiment signées.
Mais ça ne fait pas un film (encore que quand on pense à « the Assassin »de Hou Hsiao-hsien …)

En plus des images en plans larges, ce qui m’a plu c’est de découvrir cette île et d’entendre le cambodgien, cette langue étrange : monocorde, faite de sons brefs qui collent évidemment aux attitudes, aux postures des personnages. Les visages aux traits immobiles filmés en longs plans fixes sont magnifiques. Dans ces yeux sombres qui nous regardent, en regardant bien on perçoit les émotions. Mais il faut bien regarder .

Le film commence par le départ de Bora de sa campagne si verte mais si pauvre. Les adieux à sa mère sont « en mode cambodgien » et même si on sait bien qu’en Asie, les effusions de peine ou de joie sont indécentes, ça fait quand même un drôle d’effet …
Il arrive avec son ami Dy à Diamond Island et, ce qui est pour ces travailleurs de chantier un enfer, commence.
Mais on ne voit pas cet enfer. Il n’est que vaguement évoqué et ça m’a gênée. La rudesse des conditions de travail des personnes arrachées à leur campagne, muées par leur pauvreté, pour construire des « fucking » palaces et autres gratte-ciels, est connue et il ne faudrait manquer aucune occasion de la montrer, sans forcément la souligner en gras, de la reconnaître. Ces jeunes sont pleins de vie et d’énergie mais tellement exploités, pressés comme des citrons, à Diamond Island ou à Palm Islands, qu’aucun d’entre eux ne se préoccupe longtemps d’être stylé ou pas stylé.
Ce n’est pas le sujet du film, soit.

Bora arrive à Diamond Island et son chemin croise celui de son frère Solei parti cinq ans plus tôt du village, sans laisser d’adresse, sans donner de nouvelles depuis et pour cause : il ne soutiendrait pas le regard de sa mère ni celui de son frère aîné sur ce qu’il est devenu. Bora croise donc par hasard le chemin de Solei, enfin, son chemin, non, pas son chemin car les personnages ne cheminent pas : pour simplement bouger il faut avoir une moto. Le chemin de Solei passe par la position de Bora. Pour bouger, il faut une moto, pour séduire une fille il faut une moto, pour chanter il faut un karaoké (les paroles des chansons populaires, c’est quelque chose !). Ils s’engluent dans « le progrès ». Solei a basculé de l’autre côté du pont. Bora choisira d’y basculer aussi après la mort de sa mère qui était sa référente. Pour se sortir de sa misère, il suivra Solei, il sacrifiera son amour pour Aza. Il roulera sans fin sur une moto phosphorescente avec une fille stylée derrière lui. A quoi bon ? Ca le mènera où ?  Bora, comme Solei, a choisi et entérine, comme Solei avant lui, le fait que ceux des campements de Diamond Island, sauf rare exception dont Aza ne fera pas partie, sont condamnés à y rester.
Aza, qui n’a jamais, de sa vie, passé le pont, l’accepte. A-t-elle jamais vraiment cru à l’Amérique ? Elle reste à la place qui semble lui avoir été attribuée à vie et joue le jeu de l’épanouissement. En chantant avec Virak, son sourire très large est démoralisant.

Reste cet environnement monstrueux bâti au prix de tant de misère, de malheur, de déracinements, de solitudes.
Désespérant. Autant qu’ailleurs.

Marie-Noel

 

OSCARS 2017

Vu en direct la remise de l’Oscar du meilleur film

Qu’on se le dise :
« Moonlight » de Barry Jenkins a remporté l’Oscar du meilleur film
« Moonlight » de Barry Jenkins a remporté l’Oscar du meilleur film
« Moonlight » de Barry Jenkins a remporté l’Oscar du meilleur film
« Moonlight » de Barry Jenkins a remporté l’Oscar du meilleur film
« Moonlight » de Barry Jenkins a remporté l’Oscar du meilleur film 

Comment réparer la bourde de Warren Beatty et Faye Dunaway (tous les deux sans lunettes) ???
Malheureusement, on ne peut pas rembobiner et le fait est que l’instant magique de l’ouverture de « son » enveloppe, de l’annonce dans le silence total de l’immense théâtre Dolby de la victoire de son film Moonlight a été volé à Barry Jenkins et à son équipe !!!
C’est irréparable, révoltant !

Warren Beatty aurait eu en main l’enveloppe du prix de la meilleure actrice décerné juste avant à Emma Stone …
A cette cérémonie où tout semble tellement huilé, organisé, orchestré, minuté, convenu.
Incroyable ! Impossible !
Et pourtant …

Décidément, quel bazar aux States

Minable

Marie-Noel

 

« L’effet aquatique » César 2017

L’Académie des César a décerné hier le Prix du meilleur scénario original à Solveig Anspach et Jean-Luc Gaget pour « L’effet aquatique ».
Nous avions rencontré Solveig Anspach aux Cramés, accompagnée de son actrice Florence Loiret-Caille, lors de la sortie de son film précédent « Queen of Montreuil ».
À Prades, l’été dernier, nous avons vu « L’effet aquatique » une première fois, présenté par Patrick Sobelman, son producteur.
Il nous avait raconté le lien fort qui unissait Solveig Anspach et Jean-Luc Gaget, comme ils travaillaient bien ensemble, comment ils s’étaient trouvés ces deux-là  pour tricoter leurs beaux scénarios !
Il s’inquiétait de la suite pour Jean-Luc Gaget tant il lui savait Solveig essentielle, irremplaçable .

Hier, lors de la cérémonie, Jean-Luc Gaget a reçu le prix seul.
Il a rendu à Solveig, bien au chaud dans son coeur, un très bel hommage venu des étoiles.
Le bruit de ses aiguilles à tricoter lui manque, nous manque aussi.
Leur tricot à quatre mains manquera au cinéma.

Merci pour ces beaux films

Marie-Noel

La chanson de Solveig
(Peer Gynt, Edvard Grieg)

 

« Corniche Kennedy » de Dominique Cabrera

Prix Claude Chabrol au Festival du film du Croisic 2016Du 16 au 21 février 2017Soirée-débat mardi 21 à 20h30
Présenté par Laurence Guyon

Film français (janvier 2017, 1h34) de Dominique Cabrera avec Lola Creton, Aïssa Maïga et Moussa Maaskri.
d’après le roman de Maylis de Kerangal

 

Alors, après avoir dormi dessus, j’ai quand même envie de mettre quelques mots dans le blog sur ce film, somme toute, assez déconcertant, car les personnages/acteurs m’ont intéressée.

En tout premier, Medhi/Alain Demaria (un Alain de 16 ans) m’a touchée avec son coeur gros comme ça et sa bouille de poupon. Il va évidemment s’endurcir. ll va bien falloir qu’il mette ses pas dans les pas de son frère dont il garde déjà le temple. C’est révoltant mais comment faire autrement. Il le dit : pour eux, ceux de la corniche, il n’y a pas d’autre choix : sauter, dealer. C’est un monde effrayant et on a mal de savoir que, malgré tout l’amour qu’il porte à son petit frère, à sa mère, si petite elle aussi, il va probablement rencontrer tant d’embûches qu’il basculera, lui aussi. Personne pour l’aider ? Le père s’est tiré depuis belle lurette ! c’est lui, le minot, qui est devenu l’homme de la famille. Sans avoir eu le temps de grandir. Abandonné par son père.
C’est un énorme problème de société ça : courage, fuyons ! les pères s’en vont.
Alors Medhi, il brave sa peur, il rassemble son courage et il saute du haut de la corniche. Il s’entraîne à sauter toujours de plus haut, en prenant toujours plus de risques.
J’ai aimé son regard . Un Medhi amoureux c’est très touchant. Quand il respire les cheveux de Suzanne, on sait leur parfum.

En écrivant, je m’aperçois, qu’en fait, seul Medhi m’a vraiment intéressée … et aussi le trio Medhi/Suzanne/Marco parce que les dés sont jetés depuis la naissance. Marco c’est le charme à l’état pur. Ce qu’il dégage est inné et Suzanne est prise dans ses filets. Medhi ne pourra pas lutter. Il le sait et on le sait aussi depuis le début. Les images de Suzanne avec Marco sont magnifiques. Ils sont très beaux et leurs beautés s’accordent parfaitement.

Suzanne/Lola Creton et son intégration dans la bande semble vraiment super easy. Trop. A part la première rencontre où elle est un peu malmenée sinon, après, elle « pique » les deux beaux gosses et les filles laissent faire ! L’une lui dit qu’il va falloir qu’elle choisisse, une autre que tout ça va mal finir. C’est presque une conversation de salon. Mais dans l’eau . C’est vrai que c’est un film et on n’a pas le temps de dessiner un mouton mais justement c’est un film alors à la réalisatrice de nous faire percevoir le rapprochement forcément lent de ces deux mondes. Ici on ne le perçoit pas.

Marco/Kamel Kadri patauge avec les requins. Il est magnifique mais pas très convaincant. Cette histoire policière n’a pas beaucoup d’intérêt et le pire c’est que Awa/Aïssa Maïga ne semble pas s’y intéresser non plus !
Au tout début du film elle est déjà là ! Elle passe, ni vue ni connue, en jogging, dit aux plongeurs que c’est dangereux;  fait des photos ! Par hasard, elle est tombée sur eux. Son collègue lui dit d’ailleurs qu’elle a eu du nez car il a une photo du chauffeur d’Abdel le terrible et justement c’est un des plongeurs de la corniche ! Tu parles !

On aurait bien voulu faire connaissance avec les plongeurs avant, tranquillement, entre nous. La place donnée à cette histoire policière est disproportionnée. On aurait aimé que les personnages secondaires soient plus travaillés. Ils sont sûrement très intéressants. On passe à côté.

C’est pour moi, comment dire, un film inabouti, un film de débutant.

Que tous ces jeunes s’éloignent de la corniche et du reste.
Avant d’y laisser leur peau

Marie-Noel

 

« Fais de beaux rêves » de Marco Bellochio (2)

 


Film italien (vo, décembre 2016, 2h10) de Marco Bellocchio avec Valerio Mastandrea, Bérénice Bejo, Guido Caprino et Emmanuelle Devos
Titre original Fai Bei Sogni

Belphégor est, je pense, ma plus grande peur « en images ». En 65, j’avais à peu près l’âge de Massimo au début du film et j’ai pris de plein fouet cette série qui m’a marquée durablement. Je confirme que c’était absolument terrifiant pour un enfant d’une dizaine d’années ! Je me cachais les yeux de ma main . Il fallait se cacher les yeux et c’est ce que la mère de Massimo fait. Elle lui cache les yeux de sa main dans un geste tendre mais ferme et il n’a sans doute pas vu Juliette Gréco sauter dans le vide …  Mais il a vu cette femme double : une douce jeune femme toute de clair vêtue qui se transforme en Belphégor fantôme du Louvre, visage recouvert d’un masque de cuir noir, regard fixe, tout de noir vêtu.

Sa mère aussi semble avoir eu deux visages. Elle riait puis aussitôt pleurait puis aussitôt riait. Elle le « mangeait des yeux » et l’instant d’après le fixait sans le voir. Elle oubliait momentanément sa présence, son existence. Comme lorsque, cachée dans un carton,  il la cherche « pour rire » et qu’il ne la trouve pas et ne la trouve toujours pas et la cherche alors « pour de vrai »au bord de la panique, zigzaguant dans l’appartement de part et d’autre de ce couloir, lieu central de sa vie. Elle se montre enfin et alors il peut se blottir contre elle dans le carton refermé sur eux deux. C’est comme ça qu’il est bien. Mais pas rassuré. Sa mère n’est pas rassurante.
On ne voit pas son père dans cette période de fusion mère/fils . Sauf juste avant et juste après le drame.
Juste avant le drame,  il observe sa femme par la porte entrouverte de la chambre de leur enfant : elle se penche sur lui et lui murmure « fais de beaux rêves », elle enlève sa robe de chambre et la laisse sur le lit de son fils. (pour laisser son odeur ? ) .
Juste après le drame, au milieu du chaos il est emmené entre deux carabinieri. Il sort de l’appartement en jetant un regard à son fils terrorisé, sans un mot. On ne reviendra pas là-dessus. Mais on peut se demander s’il n’a pas poussé sa femme du 5ème étage.
On ne voit jamais ses deux parents ensemble à part sur les photos dans le salon. Quand Massimo voit deux amoureux s’embrasser dans un bus, il s’en inquiète auprès de sa mère : « ils sont fiancés ? » fiancés ! Sa mère ne lui cache pas les yeux mais  lui dit de ne pas regarder .
Elle ne semble pas pressée de rentrer à la maison préférant refaire un tour « un giro »,  le circuit complet de la ligne de bus.
A qui pense-t-elle quand elle jette le bouquet dans le fleuve ?
Sa mère est mystérieuse, inquiétante mais elle est surtout irremplaçable et immortelle comme toutes les mères de tous les petits garçons du monde.
Quand elle disparaît, sa peine normale sera immense mais le problème est qu’il restera inconsolable car sa mort restera résolument inexpliquée. Cette absence transformée par les adultes en amputation sera le début de son calvaire.
Pourtant ce n’est pas tant de savoir comment elle est morte qui l’aurait libéré, c’est de la voir morte. C’est ce qu’il réclame : qu’on ouvre le cercueil. Avec tout son bon sens d’enfant il sait déjà que son deuil ne peut se faire que comme ça.
Toutes les femmes ne sont pas maternelles le pire exemple étant sa nounou qui ne veut pas remplacer sa maman. Pourquoi son père a-t-il choisi cette personne glaciale pour s’occuper de son fils orphelin ??? Quelle cruauté !
Comment sont les mères dans ce film ?
Celle de Simone. Il écrit son désarroi et sa crainte de devoir supprimer sa mère tant elle est exécrable . Et le fait est que sa mère l’est (devenue), exécrable !
Celle d’Enrico particulièrement envahissante (on frôle le comportement incestueux) et que son fils repousse « hors des murs » mais qui revient, s’immisce et se vautre sur le lit attirant tout contre elle son adolescent .Et qui reprend l’instant d’après une attitude de normalité maternelle chantant « Colchiques dans les prés, fleurissent, fleurissent » !  Les enfants sont enfermés, bloqués, dans ses bras, de chaque côté. Immobilisés.
Celle de Sarajevo qui est assassinée et laisse son petit garçon plongé dans le déni, qui continue son jeu comme si de rien n’était, limitant son champ de vision au petit écran de sa game boy, faisant momentanément abstraction de tout ce qui l’entoure.
A la piscine, celles alignées au balcon surplombant le bassin où les élèves et Massimo s’entraînent et qu’on voit défiler une par une devant nos yeux. Quelles sortes de mères sont-elles, toutes ces femmes penchées sur eux ? Sur nous ? Au moins, elles, sont là, vivantes.

Puisse Elisa être celle qui le fera passer à autre chose après qu’il a eu LA réponse qu’il semblait chercher depuis si longtemps.
Puisse Elisa être aussi celle qui lui indiquera l’adresse d’un bon psy pour qu’il puisse poser LES questions qui continueront inévitablement à le hanter .

Très beau film, dérangeant. Mise en scène magistrale. Un puzzle dont chaque pièce se transforme en « poupées russes ».

Marie-Noël

 

 

 

 

« Manchester by the sea » de Kenneth Lonergan

Prix du meilleur acteur dans un drame au Golden Globes 2017 pour Casey Affleckdu 2 au 7 février 2017Soirée-débat mardi 7 à 20h30
Présenté par Marie-Annick Laperle
Film américain (vo, décembre 2016, 2h18) de Kenneth Lonergan avec Casey Affleck, Michelle Williams et Kyle Chandler

Synopsis : Manchester by the Sea nous raconte l’histoire des Chandler, une famille de la classe ouvrière, du Massachusetts. Après le décès soudain de son frère Joe (Kyle Chandler), Lee (Casey Affleck) est désigné comme le tuteur de son neveu Patrick (Lucas Hedges). Il se retrouve confronté à un passé tragique qui l’a séparé de sa femme Randi (Michelle Williams) et de la communauté où il est né et a grandi
J’ai bien pleuré, bouleversée par toute cette histoire racontée par touches, par flash-back. Tous les éléments s’ajoutent au fur et à mesure, se placent, s’ordonnent, se stabilisent. Et devant nous s’étale l’irréparable, immensément.
Tout le récit est d’une grande pudeur. Sans violon. Sans trop de violons.
A priori les personnages sont sans histoire. Lee est un jeune père de famille comblé, très amoureux de Randi, la mère de ses 3 enfants. Il vit « by the sea » et la pêche a une grande importance dans sa vie. Les sorties en mer avec son frère Joe sur le bateau, qui porte le prénom de leur mère Claudia Marie, sont des moments de pur bonheur. Son jeune neveu Patrick, Patty, est souvent de la partie et parle avec cet uncle Lee qu’il adore et vice versa. Sur le bateau, Joe et Patty sont déconnectés de leur gros problème : Elise, leur épouse et mère est « grave » alcoolique. La scène du retour de pêche est sordide mais la caméra est face aux père et fils qui entrent. Le réalisme du tableau, d’une grande brutalité pour Joe et encore plus pour Patty , nous est épargné, à nous. C’est pire. On voudrait que l’enfant soit épargné.
Mais l’irréparable n’est pas là, non, il est dans la tragédie que va provoquer involontairement Lee par son comportement pourtant « normal ». La suite d’une « fête » entre potes, bien arrosée, bien enfumée, comme d’habitude sauf que là … Il en sera anéanti, mutique à jamais, envahi par la tragédie, incapable de penser à autre chose, mort. Coupable mais déclaré innocent, il cherchera à se faire « démolir » pour payer encore et encore pour cette faute, faisant tout  pour, si possible, rester par terre, ne jamais se relever. Pour que son  corps aussi cesse de vivre.
On ne peut pas s’en relever. Il ne cherchera pas à s’en relever, ne se laissera pas distraire de sa peine, n’acceptera aucune main tendue. Quand, paradoxalement, la disparition de son frère lui ouvrira une porte sur la vie, il refusera cette renaissance et retournera à son purgatoire qu’il aménagera toutefois et entrouvrira pour Patty, au seul Patty.
Randi, elle, ne s’en remettra jamais non plus mais elle aura un enfant.

C’est un film sur l’irréparable, l’irrémédiable, l’irréversible, l’accablement, le sentiment de culpabilité . Et sur les dommages collatéraux provoqués par l’alcool((isme).

Et aussi sur la famille, l’amour fraternel, sur l’amour .
Lee et Randi s’aimaient, s’aiment et s’aimeront toujours.

Un beau mélo

(souligné d’Albinoni, de cet adagio beaucoup, beaucoup entendu ici dans les années 70 … qui enfonce inutilement le clou. Un peu dérangeant)

Marie-Noël

 

 

« Baccalauréat » de Cristian Mungiu (3)

Prix de la mise en scène au Festival de Cannes 2016

Présenté par Georges Joniaux
Film roumain (décembre 2016, 2h08) de Cristian Mungiu avec Adrian Titieni, Maria Drăguș et Lia Bugnar

Jusque là, il a tenu bon, Roméo. Il est resté fidèle aux règles morales qu’ils s’étaient fixées lui et son épouse Magda quand ils sont revenus en Roumanie après Ceausescu, avec, alors, la volonté, la certitude de reconstruire, de faire coller la réalité avec ce qu’ils avaient espéré. Mais le terrain était resté miné et il fallait juste apprendre les nouveaux codes . Faire avec . Fonctionner quand même tout en restant intègres par fidélité à une éthique devenue dérisoire, décidés à ne pas marcher dans les combines.
Roméo est médecin, il travaille dans un hôpital. Il est intéressé par ce qu’il fait, rencontre les patients, fait aussi des rencontres. Il a équilibré sa vie, tant bien que mal.
Magda, elle, est bibliothécaire. Il y a bibliothécaire et bibliothécaire. Pour elle c’est la version isolée avec des vieux livres dans le sens livres usagés, tous plus moches les uns que les autres, rangés sur des étagères minables dans un local minable, en sous-sol, avec éclairage artificiel, sans ouverture sur l’extérieur. Sans combines alors sans espoir de trouver mieux. De quoi devenir neurasthénique et c’est bien ce que Magda semble être devenue au fil des jours et des années.
Son Roméo va voir ailleurs. Pas sûr que ça lui fasse du mal. Ses rêves se sont envolés.
Leur amour s’est délité.
Reste leur fille, Eliza.
Eliza qui a sur le dos toutes les frustrations de ses parents, prise en sandwich entre leurs deux adorations. Elle doit et va réussir tout ce qu’ils ont raté. A commencer par partir de ce pays pourri. Elle est depuis l’enfance « condamnée » par eux, à vivre, après le baccalauréat, ailleurs et sans eux. Elle est comme téléguidée. Quand il y a LE bug, elle déraille et son père mettra alors tout en oeuvre pour la remettre sur les rails. Il fera fi de tous ses principes, prêt à tout, prêt à rentrer dans toutes les combines (sauf les enveloppes), rendre des « services » . On le comprend 5/5.
Eliza devra savoir et rentrer dans la combine pour qu’elle fonctionne. Son regard sur son père changera alors définitivement et un grand doute l’envahira : « Il y en a eu d’autres des combines comme ça ? Mes résultats brillants c’était mes résultats ou le résultat des combines de mon père ? Je suis qui, en fait ? » De quoi flipper à vie …
Mais Eliza est grande, elle a déjà vécu des situations violentes, perturbantes . Et elle est roumaine.
Lors de la dernière scène, elle raconte à son père qu’elle a pleuré à dessein, pour que l’examinateur lui laisse plus de temps, à cause de son bras cassé . Et elle lui dit  » je me suis bien débrouillée, hein ? » pour lui signifier qu’elle a compris comment ça marche.
Eliza croit qu’elle a tiré les ficelles.

Très beau film qui ne laisse pas entrevoir de changement à court terme en Roumanie …

« Une chambre en ville » de Jacques Demy

Ce film, magnifique, fût un échec cinglant à sa sortie en 1982. C’est tellement injuste.
Encore que. En y réfléchissant … Il y a un problème.

Dès les premières images, en noir et blanc nous rappelant l’époque (1955), nous sommes envoûtés. Les CRS sont en ligne, armés.
En face il y a les ouvriers, en ligne aussi, des femmes, des enfants. Le peuple, nous. Nous sommes happés et la couleur apparaît . Pour vivre cette tragédie, Jacques Demy nous offre des couleurs comme jamais !
Film magnifique mais qui pourtant ne pouvait pas, tel quel,  rencontrer le succès .
Pourquoi ? Bon Dieu, mais c’est bien sûr (1958, à la télé )  à cause de François !
Il fallait évidement Gérard Depardieu, comme le souhaitait Jacques Demy, dans le rôle de François Guilbaud ! Lui il « respire » le peuple et il en a le souffle . C’est un ouvrier métallurgiste. Pas Richard Berry. Et, sinon, tout garder pareil.
G. Depardieu aurait mis toute sa puissance et sa tendresse dans « Une chambre en ville ». Les manifs, les étreintes avec Edith/Dominique Sanda, ça aurait été autre chose !
Et on aurait pleuré, on pleurerait encore sa mort . Faute d’être attiré par Jacques Demy, un autre public aurait, pour Gérard Depardieu, poussé  la porte du cinéma et en serait ressorti 1h32 après , conquis.

Dommage, vraiment dommage.
Là on ne dit pas merci Catherine (voir article sur le site)

Adieu Emmanuelle Riva

https://youtu.be/_pGvcDwQsqg

La grande classe
Et, plus que jamais, dans « Paris, pieds nus ». Bientôt.

« CINÉMA – C’est l’une des plus grandes comédiennes françaises qui s’éteint. Emmanuelle Riva, connue pour son rôle bouleversant dans « Hiroshima mon amour » d’Alain Resnais, et reconnue pour « Amour » de Michael Haneke, est morte vendredi 27 janvier de suites d’un cancer, selon Le Monde et Paris Match.

Sans doute alors méconnue par le grand public, elle avait obtenu le César de la meilleure actrice et une nomination aux Oscars en 2013 dans le film du cinéaste allemand. Elle y jouait – aux côtés de Jean-Louis Trintignant – le rôle de Anne, une professeure de piano, en partie paralysée par une attaque cérébrale ». in le Huffington-Post du 28.01.2017

 

« Paterson » de Jim Jarmush (1)

C’est la deuxième fois que je vois le film et pareil.
Alors, il est où, mon problème ?

Bien sûr, j’ai encore pris ma douche en imperméable (en VF, pire, j’aurais eu l’impression d’avoir gardé ma doudoune, mon bonnet, mon écharpe, mes mouffles etc …)
Un poème ne doit pas nécessairement être en vers ni rimer. Il faut qu’il touche par les mots choisis et leur mise en musique. Qu’il transporte et émeuve. Alors oui, peut-être que je suis hermétique à Ron Padgett . Et les prunes dans le frigo de Williams Carlos Williams ! c’est une blague ?
Voilà le problème : je pense à Monsieur Jourdain …

Le film « sinon » me plait pourtant assez. Les images des réveils blottis sont très belles, Les obsessions graphiques et les cupcakes de Laura nous attendrissent et nous amusent . Autant que ses remarques enamourées sur l’odeur de bière quand il rentre du pub et toujours là le lendemain matin et qu’elle hume avec délice (!)
Ces deux amoureux veulent faire de leur vie un poème.

Un peu raplapla, le poème
Réveil à 6h10.
6h30 c’est déjà un événement
Il prend son linge bien plié au carré sur sa chaise, mange ses céréales en forme d’anneaux, prend sa lunchbox et part conduire son car après avoir écrit quelques lignes bien fines, bien droites sur son petit carnet avec son petit crayon et après avoir écouté Donny chez qui la simple question « ça va ? » déclenche une énumération de tous les problèmes auxquels tout habitant « non poète » de Paterson ou d’ailleurs est, un jour, tristement confronté.
Les journées de Paterson à Paterson, New Jersey, sont bien monotones .

Quelques autres événements à signaler cependant :
la panne de car (oh, honey was it dangerous ?)
la maîtrise du « forcené » dans le bar (oh, honey you’re an heroe !)
le carnet déchiqueté (I don’t like you, Marwin)

Et, dimanche, le japonais poète (hon, hon) qui lui offre un carnet, comme une bouée de sauvetage pour continuer à garder la tête bien en dehors des réalités . Le format du carnet me pose problème : il ne va pas rentrer dans la poche de sa cote de travail, ni dans sa lunchbox .

Et quand revient Monday … Stop ! Je t’aime bien Paterson à Paterson, New Jersey mais je n’en reprends pas pour une semaine .

Marie-Noel