CITOYEN D’HONNEUR
Goya du Meilleur film étranger en langue espagnole et Coupe Volpi de la meilleure interprétation masculineSoirée-débat mardi 11 avril à 20h30
Présenté par Georges Joniaux
Film argentin (mars 2017, 1h57) de Mariano Cohn et Gastón Duprat avec Oscar Martinez, Dady Brieva et Andrea Frigerio . Titre original : El ciudadano ilustre
Synopsis : L’Argentin Daniel Mantovani, lauréat du Prix Nobel de littérature, vit en Europe depuis plus de trente ans. Alors qu’il refuse systématiquement les multiples sollicitations dont il est l’objet, il décide d’accepter l’invitation reçue de sa petite ville natale qui souhaite le faire citoyen d’honneur. Mais est-ce vraiment une bonne idée de revenir à Salas dont les habitants sont devenus à leur insu les personnages de ses romans ?
Envie de me repasser le film … Ca commence comment déjà ? Oui, à Barcelone dans la ville et très vite on est chez Daniel Mantovani , dans son « bunker cosy » de verre, d’acier et de béton, froid mais lumineux, ouvert sur les arbres et plongeant dans une bibliothèque étourdissante, incurvée comme un ventre rempli de milliers d’ouvrages. Ce lieu reflète ce qu’il dit devoir être, selon lui, la culture : simple, claire.
Mais non ! … Le film ne commence pas à Barcelone mais à Stockholm. Il est assis près d’une vestale immaculée, coiffée d’un couvre-chef militaire. On l’appelle, c’est à lui : il fait son entrée dans cette immense salle accompagné de la jeune fille pour recevoir le prix Nobel de littérature. Il « vomira » dans son discours toute la vanité qui l’a amené jusque là et mettra l’assemblée face à sa responsabilité sur cette mascarade. Ce préambule nous présente bien Daniel : vaniteux au point de trouver ses propres livres dérisoires et de mépriser les flagorneurs qui s’égarent à le décorer, à l’encenser, à l’applaudir. En échange de quoi on le prie de bien vouloir jouer le jeu, de sourire , de saluer, de s’incliner devant un roi et une reine ! au XXIème siècle !!! Non mais sans blague ? Quelle bouffonnerie !
Lui, il a décidé d’être cash, de prendre sur lui et d’être honnête et droit même si cela lui tord les boyaux parfois, qu’il faiblit et se contredit, comme pour le fauteuil roulant. D’être honnête et que les autres le soit avec lui, c’est ça qu’il veut.
La vérité n’existe pas, il le dit et la vérité des autres est, souvent, insupportable.
Quand arrive l’invitation du maire de Salas, sa ville natale qu’il a quittée à vingt ans, à la mort de sa mère, et où il n’est jamais retourné même (surtout ? ) pas pour enterrer son père, 10 ans plus tard, il la refuse d’abord puis, debout devant l’immense baie vitrée, il y pense, l’envisage et dans son regard on voit qu’il va y aller.
On vit avec lui ces quatre jours, intensément. Séjour imaginaire ? L’invitation aurait alors servi de déclic pour reprendre l’écriture …
L’histoire se passe à Salas. On y voit des voitures de plusieurs époques dont la première qui pourrait bien dater de l’époque de son départ. Au « chauffeur de taxi » sans licence, devant cette vieille guimbarde en panne, sans portables bien sûr, la nuit, devant un feu allumé grâce à des pages d’un de ses livres, un comble mais pas grave, il en a d’autres, il raconte l’histoire captivante des Jumeaux, histoire de jalousie, de rivalité, d’amour sublimé, de vanité, de mensonges et de malentendus. Est-ce la première histoire qu’il a inventée et qui resurgit de sa mémoire ?
Il y a beaucoup de gros véhicules rutilants dans cette toute petite ville où on peut se rendre partout à pied mais les deux véhicules indispensables, pour venir et repartir de Salas, sont, eux, « hors d’âge » .
La voiture rouge d’Irène tombe toujours en panne quand il y pénètre ! Décidément, il était écrit qu’ils n’avanceraient pas ensemble tous les deux. Il a abandonné Irène, son éternelle fiancée, douce et généreuse, à la beauté immuable et c’est Antonio qui l’a récupérée. Ce « gentil mari » s’avère être un ignoble personnage, un être abject. Ne pas se fier aux apparences.
Comment réparer ça ? Comment retrouver Irène ? Il cherche à remonter le temps, cherche son double. Rencontre sa fille, petite personne arrogante et calculatrice, libérée …
Le baiser chaste s’est transformé en coup d’un soir.
Les autres véhicules dans le film appartiennent au présent, presque au futur, les autres personnages, eux sont tels que par le passé et Daniel jette l’éponge, semble s’y résigner et finalement les enjoint à rester dans leur bêtise et leur ignorance crasses. Il les accepte tels qu’ils sont et accepte de s’en nourrir. Lui ne changera pas non plus et exprime tout ce qu’il ressent. Sans ménagement, s’octroie le droit de se révolter brutalement contre les profiteurs et la violence de leur intrusion dans sa vie, contre l’intimité forcée avec des lecteurs, anonymes, étrangers qui veulent se l’approprier et projettent leur vie dans ses livres. Il revendique le droit de puiser dans ses souvenirs avec tous ceux qui y figurent, sans devoir se justifier, sans devoir rendre de compte.
J’ai été très touchée par la scène du cimetière : Daniel n’y apporte pas de fleurs mais, au contraire, en emporte une, simple fleur de pissenlit cueillie sur la tombe de sa mère. Précieux trésor couché délicatement dans son petit carnet.
Antonio et Roque feront avec Daniel une chasse au sanglier sur le modèle de celles organisées pour les gringos. Ce cochon de Roque n’a jamais raté une cible : Daniel sera touché en plein coeur. Et survivra.
Il a sur le côté gauche une cicatrice incurvée.
On voudrait bien la revoir. De plus près.
A part Daniel entier et tendre, seul et digne, qui m’a séduite, tous les personnages du film sont épatants. De vrais portraits, pas des esquisses comme on en voit souvent dans les films où seuls les contours sont proposés, à nous de remplir les blancs. Non, ici les personnages existent, sont détaillés tels des personnages de roman. Et c’est formidable. C’est formidable d’être traités avec cette considération par ces deux réalisateurs qui nous proposent un film que je trouve abouti tant sur le plan du scénario, que des dialogues, de la photo, du son. Ça fait du bien.
Un film superbe, très dense qui m’a surprise et que j’aime beaucoup.
Marie-Noel