« Certaines femmes » de Kelly Reichardt

Soirée-débat mardi 25 à 20h30
Présenté par Eliane Bideau

Film américain (vostf, février 2017, 1h47) de Kelly Reichardt avec Kristen Stewart, Michelle Williams et Laura Dern

Synopsis :Quatre femmes font face aux circonstances et aux challenges de leurs vies respectives dans une petite ville du Montana, chacune s’efforçant à sa façon de s’accomplir.

 

Cette Amérique-là, on la suppose mais on ne la voit quasi jamais comme ça, de si près. C’est très intéressant.

On y est à Livington et à Belfry, Montana, dans le « far north west »où les Chrysler et les pick up Ford ont remplacé les chevaux, où des indiens, vêtus de copies flashy de leurs costumes traditionnels, se donnent en spectacle dans une galerie marchande et ça ne choque plus personne depuis longtemps, où la junk food a envahi les restaurants.
Les vastes étendues et les montagnes alentour n’y changent rien : la vie, ici, est d’une tristesse poissante. Certaines femmes et les autres y vivent pourtant, sillonnant cette contrée en long, en large et en travers, sans issues, bloquées.
Laura est avocate de routine sans passion, sans compassion, désabusée. Laura a un amant Ryan, avocat aussi. La belle scène de la chambre éclairée de la lumière de la mi-journée, par un jeu de portes, de cloisons et de miroirs, nous dit la situation : ils ont deux visages et sont dissociés. L’homme, qui se rhabille, est son amant et il est marié. De retour de son « lunch meeting », elle doit se coltiner William Fuller, son client, qui fait le siège dans son bureau, revient toujours pour tenter d’entendre ce qu’il veut qu’elle lui dise. Elle lui redit alors toujours ce qu’elle peut lui dire : non, il n’obtiendra pas gain de cause. La loi c’est la loi. Il n’a aucun recours. Devoir le lui faire confirmer par un collègue, homme, l’humilie.
Après bien des péripéties, des situations plus ou moins crédibles, William, en prison, quitté par sa femme pour un « correspondant » écroué comme lui (dans le Wyoming en plus !) , tentera d’établir avec Laura une relation, épistolaire. Pour commencer.
Ryan, l’amant, qui a quitté Laura, par téléphone (encore un courageux), est marié à Gina, petite personne pas très sympathique, vaillant petit soldat, hyperactive, déterminée. Elle l’aura sa maison construite avec les pierres de l’ancienne école, qu’elle a enfin réussies à obtenir d’Albert, vieil homme solitaire dans son temps arrêté.
1976, c’est l’année restée dans la tête d’Albert ou bien c’est l’année où se passe le film ? Alors là ? Quelqu’un le sait ?  Pas de repères. La musique : de la country depuis des décennies et pour des décennies, les vêtements : informes, du pêche (du taupe !), les coiffures : quelles coiffures ?, les maisons, les routes … ? Guthrie, la fille de Gina et Ryan a les écouteurs de son walkman vissés aux oreilles. En 76, il y avait déjà des walkman(s) ?
Si ça se passait maintenant, elle jouerait en plus du sms.
Jamie est indienne. Son monde, son espace et son temps ont été balayés, depuis longtemps, les chevaux ne sont plus libres. On voit cet enfermement intérieur et extérieur par la scène répétée où les chevaux passent cette barrière pour rentrer à l’écurie le soir et pour sortir dans l’enclos le matin. On voit leur captivité aussi par la scène répétée de la distribution du foin par Jamie fonçant sur son quad poursuivi par la chienne, lucy.
Dans cette vie solitaire, monotone, survient LA rencontre de sa vie, Beth. On assiste à son coup de foudre. Ses jours s’en trouvent illuminés, les mardi et jeudi où elle la voit, l’écoute faire son cours, la regarde manger, toujours en retrait, s’empêchant d’accepter de partager son repas, les autres jours à attendre que ces deux jours là arrivent. Jamie est amoureuse . On est ému, lorsqu’on la voit, rayonnante, honorée de se voir distribuer par Beth, comme à tous les auditeurs, la feuille de cours, qu’elle ne pourra, pourtant, peut-être, pas lire. Et on imagine que le trajet du centre de formation jusqu’au restaurant, à cheval avec Beth en croupe, collée dans son dos, restera dans ses souvenirs un des plus beaux moments de sa vie.
Beth ne la conforte ni ne la décourage. Elle ne la voit pas vraiment. Elle aime bien cette jeune femme qui l’écoute à Belfry, si loin de Livingston et où elle souhaite ne plus venir, s’étonne à peine du long trajet qu’elle a effectué, Belfry-Livingston, quatre heures de route, pour, seulement, la revoir, ne s’étonne pas qu’elle l’ait trouvée dans la ville.
Beth trace sa route vers l’ascenseur social. Inaccessible au reste.

Un beau film qui s’étire, comme le temps dans le Montana.
Un beau film qui nous donne le temps de regarder certaines femmes.

Et puis un film avec Kirsten Stewart, pour moi la meilleure actrice de sa génération. Magnétique.

Marie-Noël

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