« Lola » de Jacques Demy

CYCLE JACQUES DEMY Lola – Une chambre en ville – Peau d’âne
Présenté par Marie-Noël Vilain
Film français (1961, 1h30) de Jacques Demy avec Anouk Aimée, Marc Michel, Jacques Harden, Alan Scott et Corinne Marchand

Scénario et dialogues de Jacques Demy, musique de Michel Legrand, photo de Raoul Coutard et paroles de la chanson « C’est moi Lola » d’Agnès Varda

Synopsis : Lola, danseuse de cabaret, élève un garçon dont le père, Michel, est parti depuis sept ans. Elle l’attend, elle chante, danse, et aime éventuellement les marins qui passent. Roland Cassard, un ami d’enfance retrouvé par hasard, devient très amoureux d’elle. Mais elle attend Michel…

Un des plus beaux films au monde.

Lola nous transporte d’un coup dans le pays si singulier de Jacques Demy. Si on se laisse emporter, la magie opère .

Quand je pense à ce film, j’ai toujours une hésitation : les textes sont chantés ? Non. Je sais bien que non.
Pourtant Lola est pour moi une comédie musicale .

Et, à chaque fois, je suis enchantée.

Marie-Noel

« Une vie » de Stéphane Brizé

 

Nominé à la Mostra de Venise 2016Soirée-débat mardi 17 à 20h30

Présenté par Marie-Noël Vilain
Film français (novembre 2016, 1h59) de Stéphane Brizé avec Judith Chemla, Jean-Pierre Darroussin, Yolande Moreau, Swann Arlaud,Nina Meurisse, Olivier Perrier et Clotilde Hesme
Scénario Stéphane Brizé et Florence Vignon
D’après l’oeuvre de Guy de Maupassant
Synopsis : Normandie, 1819. A peine sortie du couvent où elle a fait ses études, Jeanne Le Perthuis des Vauds, jeune femme trop protégée et encore pleine des rêves de l’enfance, se marie avec Julien de Lamare. Très vite, il se révèle pingre, brutal et volage. Les illusions de Jeanne commencent alors peu à peu à s’envoler.

 

« Je t’aime comme un pauvre enfant
Soumis au ciel quand le ciel change ;
Je veux ce que tu veux, mon ange,
Je rends les fleurs qu’on me défend. »
Extrait du poème « J’avais froid » de Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859)

« Car souvent, quand un jour se lève triste et gris
Quand on ne voit partout que de sombres images,
Un rayon de soleil glisse entre deux nuages
Qui nous montre là-bas un petit coin d’azur »
Extrait du poème « Le Dieu créateur » de Guy de Maupassant (1850-1893)

dits par Jeanne Le Perthuis des Vauds, merveilleusement dits par Judith Chemla, choisi(e)s par Stéphane Brizé

L’histoire est triste, bien sûr.
Un tel désenchantement, tant de désillusions …

Mais ce n’est pas tant l’histoire qui m’a captivée que le film lui-même, comment Stéphane Brizé raconte cette histoire.
Les acteurs, le montage en flash back, flash forward, les ellipses , les images sur plusieurs saisons, les sons des voix mêlées de vent, de pluie, de bruissement des feuilles, le format, la musique, les costumes. Tout.
Chapeau bas !
pour savoir, en deux heures, nous faire vivre ces 27 ans .
Avec une telle délicatesse, une telle virtuosité.

Marie-Noël

NB : J’aime les personnages purs auxquels Stéphane Brizé s’intéresse pour ses films. Ses choix me rassurent.

 

 

« Le Disciple » de K. Serebrennikov

 

Présenté par Sylvie Braibant
Film russe (novembre 2016, 1h58) de Kirill Serebrennikov avec Petr Skvortsov, Viktoriya Isakova et Svetlana Bragarnik
Titre original :Uchenik
Synopsis : Veniamin, un adolescent pris d’une crise mystique, bouleverse sa mère, ses camarades et son lycée tout entier, par ses questions.
- Les filles peuvent-elles aller en bikini au cours de natation ?
- Les cours d’éducation sexuelle ont-ils leur place dans un établissement scolaire ?
- La théorie de l’évolution doit-elle être enseignée dans les cours de sciences naturelles ?
Les adultes sont vite dépassés par les certitudes d’un jeune homme qui ne jure que par les Écritures. Seule Elena, son professeur de biologie, tentera de le provoquer sur son propre terrain.

Ouille, ouille, ouille ! Comment dire le trouble que procure ce film ? Eprouvant de vivre le mal-être de Veniamin en premier lieu et celui des autres personnages, en cascade !

Veniamin sous emprise, drogué de religion, sa mère, si seule, épuisée par ses 3 boulots, dépassée par ce fils qu’elle est la seule à aimer.
Son disciple Grichka, infirme, maltraité par ses camarades et qui cherche refuge voire plus auprès de Veni. Il ne verra pas rallonger sa jambe et, pire, y laissera sa vie. Car jugé « anormal » au nom de Dieu !

L’équipe de direction de l’établissement scolaire, équipe féminine (!), se laisse très facilement convaincre d’imposer les maillots une pièce d’antan pour les filles à la piscine (ailleurs il pourra être permis de porter un monokini string mais pas une tenue trop couvrante).
Le corps des femmes est, décidément, un problème.

Seule la prof de biologie résiste au mysticisme ambiant, affronte l’antisémitisme toujours en veille rallumé à la première étincelle et s’affichant sans vergogne . Elle finit par « se clouer » sur place pour être là, debout, contre vents et marées, sans vaciller, parce que c’est sa place. C’est sa place d’aider ces « enfants », de faire de la prévention même avec les moyens du bord pour essayer de leur éviter au moins les dangers connus et contournables.
Quel courage ! On a envie de lui dire de se sauver, de sauver sa peau.
Mais, au contraire, il faut rester : si tout le monde se sauve, c’est fini.

On rit, un peu, au début, déroutés (cf la scène du mot d’excuse pour cause d’érections incontrôlables)
Mais on ne rit qu’à moitié, en alerte quant à la suite qu’on devine triste à pleurer. Même pas à pleurer, car on passe tout de suite à la stupeur devant l’étendue du problème. Comment se sortir de ce bourbier ?

La mère à qui le pope pose cette question incongrue : « Etes-vous heureuse ? » répond simplement : « Bien sûr que non ». Comme une évidence. On n’est pas là pour être heureux.

J’ai été frappée par le physique des personnages : le visage de madone de la mère, la dureté du visage tourmenté de Veniamin faisant contraste avec la douceur de celui de son disciple, le corps de liane de Lidiya surmonté d’un visage aux traits aigus et au regard si dur.
Et la sérénité sur le visage d’Elena.

Ce film nous imprègne, nous subjugue, nous inquiète
Il est, pour moi, très russe sur la forme, universel sur le fond

A voir absolument.
Le réalisateur Kirill Serebrennikov, déjà reconnu, donne ici une belle leçon de cinéma.

Marie-Noel

« La mort de Louis XIV » d’Albert Serra

Le film est sublime, Jean-Pierre Léaud fascinant !
L’idée de lui confier ce rôle est géniale (comment se fait-il qu’on ne connaisse pas cet Albert Serra ?)
On sort de la projection en état de grâce et, pour un peu, on croirait en l’au-delà …

Bref, revenons sur cette terre gangrenée.
Louis XIV va mourir mais avant, on passe deux heures avec lui dans sa souffrance et sa lucidité.
D’abord, il a des affaires d’état à régler, des projets à valider. Une étincelle s’allume encore dans ses yeux quand il fait dire à Fagon, son médecin, les nudités comparées de telle et telle, quand il déguste ses biscotins trempés dans du vin d’Espagne. Diminué, dépendant mais encore dans la vie.
Puis, tout au long des journées qui s’écoulent, on le voit peu à peu devenir inerte, (presque) toujours emperruqué*, dans ce grand lit, dans les bruits familiers de la chambre : le bruissement des étoffes, des soieries, le tombé lourd des velours, la vaisselle fine qui tinte sur les plateaux d’argent, la nature qui s’immisce par la fenêtre ouverte sur les jardins d’août . On entend la musique plus loin et on imagine les courtisans et les courtisanes continuant à savourer la vie, à danser.
Le roi se meurt et on est avec lui dans cette chambre cramoisie, goûtant les clairs-obscurs, regardant les mets raffinés présentés inlassablement, obstinément au roi soleil pourtant définitivement rassasié. Les chuchotements s’installent au diapason avec ceux du roi qui finissent, eux, par s’éteindre. La vie s’en va.
Le roi n’a pas peur : l’existence de Dieu est certaine.
La jambe noircit, les mouches sont là. On voit la mort envahir ce corps devenu impotent, inutile et tellement douloureux.

Le regard fixe et pénétrant de Louis XIV nous envahit.

Jusqu’au souffle ultime, le passage de vie à trépas, instant crucial que Jean-Pierre Léaud réussit à jouer et qu’Albert Serra réussit à filmer.
21 grammes s’échappent sous nos yeux.
Prodigieux.

 

Marie-Noël

 

*emperruquer : verbe transitif qui semble ne pas exister.
créé alors pour l’occasion

 

« Dogs » de Bogdan Mirica

 

 

 

Prix Fipresci  (1) – Un Certain Regard Cannes 2016Du 8 au13 décembre 2016Soirée-débat mardi 13 à 20h30Présenté par Eliane Bideau

Film roumain (vo, septembre 2016, 1h44) de Bogdan Mirică avec Dragos Bucur, Gheorghe Visu et Vlad Ivanov

Article de Marie-Noël

D’abord l’herbe balayée à ras du sol et le plan s’élargit sur l’étang qui « glougloute » … Les lentilles d’eau s’écartent par endroits et là devant nos yeux surgit un objet non identifiable mais qu’on sait pourtant immédiatement être terrifiant.

Avec peu de moyens, voilà un début de film très réussi : on est inquiet et notre voyeurisme naturel est sollicité.
Bingo, on a mordu !
Et on va faire la connaissance des « dogs » dont Polizia la seule légitime .
Roman est petit-fils de « dog ». Il a assisté, enfant, à une scène d’une violence inouïe : son grand-père massacrant un homme à coup de hache !
Il en parle à Hogas le chef policier qui savait mais ignorait que l’enfant avait vu.
Hogas est malade au sens propre comme au sens figuré et il va utiliser ses dernières forces à essayer de sauver Roman qui tente de se sauver lui-même mais tout se passe comme si son atavisme le rattrapait.
Il veut partir une première fois mais reste.
Il démarre le 4×4 une seconde fois pour partir en laissant sa belle « fiancée » Ilinca dans ce lieu perdu au milieu de nulle part et entouré de bêtes enragées (le sanglier a été brûlé mais la rage est ailleurs). Roman rebroussera chemin non pas pour la sauver car son sort ne semble pas le concerner mais pour rentrer dans le jeu et prendre la place du chef laissée par son grand-père.
Trop tard car Samir croira les terres vendues et le massacrera.
C’est un film fort avec de bons acteurs et des scènes originales voire inédite par exemple la scène du pied coupé sorti du godillot puis de la chaussette par Hogas puis déposé (avec des gants de vaisselle) sur son assiette vaguement essuyée et observé de près, le nez dessus !
Ce pied nous accompagnera car Hogas ne s’en sépare plus, emballé dans un sac plastique, dans la glacière, avec les bières.
Quand le jeune policier, à la fin, s’apprêtant à croquer la pomme laissée par Roman dans la voiture demande naïvement à son chef s’il peut ou bien si c’est une pièce à conviction, on se marre !
On ne voit pas le sort que Samir a réservé à Ilanca et on peut tout imaginer (quand on arrive sur place avec Hogas, je m’attendais à la voir pendue à un arbre là à gauche de Samir assis sur les marches et de Roman étendu dans un bain de sang à côté du 4×4).
Les femmes n’ont pas droit de cité dans ce monde là.
Ni la police, ni Polizia
Hogas fera la peau à Samir qui mourra en riant
Le problème reste entier

Très bon film

« Aquarius » de Kléber Mendonca Filho

nominé au Festival de Cannes 2016Du 1er au 6 décembre 2016Soirée-débat mardi 6 à 20h30
En présence de Alberto Da Silva, maître de conférence à la Sorbonne, spécialiste du cinéma brésilien et présenté par Nancy Berthier
Film brésilien (vo, septembre 2016,2h25) de Kleber Mendonça Filho avec Sonia Braga, Maeve Jinkings et Irandhir Santos

 

Article de Marie Noël

D’entrée, on est scotché par la beauté et le charme de  Clara en 1980 (Barbara Colen, lumineuse) . La scène de voiture sur la plage sur fond de Queen est magnifique. De Clara émane une sérénité presque palpable. C’est pourtant pendant la dictature et elle sort d’un grave problème de santé. Mais sa nature a pris le dessus. Elle vivra sa vie individuellement. L’amour fusionnel c’est son mari qui le vivra. Pas elle. Ses enfants seront son entourage mais elle les tiendra à une distance raisonnable pour qu’ils n’entrent pas dans sa bulle, elle saura par exemple les  laisser deux ans pour aller vers d’autres horizons. Elle écrira des excuses mais ne les prononcera pas et sa fille lui en gardera rancoeur .

Clara passera toute sa vie en solo. Elle traverse les épreuves de sa vie avec un calme olympien. Impressionnant ! Comme si rien ne pouvait la faire vaciller. Elle a des recettes pour garder cet équilibre . D’abord « soigner » sa fidèle Ladjane. C’est essentiel . Elle est là pour la servir, elle, la déesse dans son hamac au milieu de sa musique, sa vie, bien rangée, serrée sur les étagères. Donc jouer la bienveillance avec Ladjane. Mais chacune à sa place quand même . Ladjane vouvoie Clara qui la tutoie. La peau de Ladjane est plus foncée que celle de Clara qui est plus foncee que celle de Diego . On verra que Clara prendra de plein fouet les réflexions d’un vulgaire Diego sur sa couleur de peau . Au Brésil et ailleurs il y a toujours un plus clair que l’autre. Et par conséquent un plus foncé. Le problème de couleur de peau sévira sans doute jusqu’à la fin des temps.
L’immeuble Aquarius m’a laissée un peu sur ma faim. J’aurais voulu m’y attacher davantage. On voit un peu que c’est un bel endroit mais pas assez à mon goût. J’aurais voulu l’aimer plus. Quant à la peur ambiante du quartier de Recife, je ne l’ai pas ressentie dans la peau de Clara. Les autres ont peur pour elle. Le lifeguard craint pour sa survie dans les vagues de l’atlantique. Ses enfants craignent pour sa sécurité dans ce quartier, encore que sa fille n’hésite pas à lui laisser son petit Pedro dans cet appartement, dans l’immeuble déserté. Les autres ont peur. Pas Clara qui semble avoir décidé depuis longtemps, ca 1980, que la peur ne passerait plus par elle. Jamais. Elle active ses pions autour d’elle : Ladjane, tout le temps, le sauveteur, comme joker, le journaliste, dans un but précis etc …
Et, elle, avance hiératique, superbe, magnétique et foncièrement égoïste.

J’ai en tête les 2 photos du fils de Ladjane, mortellement blessé dans un accident.
A son anniversaire chez elle de l’autre côté du « ruisseau » le grand portrait en 1,50×1,50 m déroulé à côté d’elle et qu’elle embrasse.
Et la photo qu’elle montre, aux enfants de Clara réunis : une toute petite photo format identité. Elle les oblige à regarder son fils. Ladjane si docile, invisible fait ici acte de rébellion. Et retourne en cuisine où personne ne la suit. On n’a pas la même taille des deux côtés du « ruisseau ».

Que dire des promoteurs ? Les mêmes méthodes sont employées partout. cf par exemple les rats propagés dans un immeuble convoité par des promoteurs véreux dans le film de J. Audiard « De battre mon cœur s’est arrêté » .

Le film est très fluide mais difficile de passer presque trois heures sans ressentir de l’empathie pour aucun des personnages. Sans aimer personne.

Tout est glauque. Ca pue trop la corruption dans cet immeuble, dans le quartier. Plus d’espoir. Clara devra partir et l’Aquarius sera détruit.

PS : « en vrai » on n’aurait pas laissé Clara arriver avec une valise jusque dans les bureaux des promoteurs… Et de toutes façons, ils n’ont rien à craindre : contre l’acier et le verre, les termites ne peuvent rien.

 

 

Retrospective B.Tavernier : Laissez Passer

Article de Marie-Noël
Hier soir avec ce film mon admiration pour B.Tavernier s’est trouvée encore renforcée. Je n’avais aucune idée ni sur ce qu’était la Continental, ni sur la fabrication des films pendant l’Occupation. Je connaissais Jean Aurenche depuis 2 jours mais Jean-Devaivre, Suzanne Raymond, Jean-Paul Le Chanois, Richard Pottier, Roland Manuel … pas du tout.
Quelle histoire ! Quel film ! 115 rôles parlants
Tous ces personnages dans des histoires dans l’Histoire. Plein d’histoires .
Dans le film, on ne perd jamais de vue que ce qui est essentiel c’est manger.
Pour vivre et écrire des scénarios, construire les décors, régler les projecteurs, coudre les costumes …. Pour jouer et filmer les acteurs jouant des histoires.
Mais aussi pour vivre et lutter, résister.
Dans ce film, B.Tavernier nous propose, entre autres, deux scènes de résistance.
Le sabotage du train : tout est minutieusement orchestré: le rdv , la route sans encombre en camionnette jusqu’au lieu de sabotage, l’approche du train en roulé boulé façon ballet, la pose des grenades, l’explosion à l’endroit voulu et à l’heure dite. Tout est millimétré, parfaitement minuté. Maîtrisé. Ca aurait pu être dans un film de la Continental, Baumeister aurait validé.
Ensuite Jean retrouve son vélo

Et puis « la grand scène du 12 » : La clé qui ouvre plusieurs portes « ennemies », le vol des documents sans préméditation, comme téléguidé, le rdv hasardeux, le contact inquiétant, les personnages inconnus, comme rajoutés, le départ imprévu par le train, avec changement de destination de dernière minute, le vol impromptu vers l’Angleterre, l’interrogatoire dans une langue inconnue, dialogue de sourds. Et le retour époustouflant avec parachutage précis à l’endroit exact où tombe aussi la pompe à vélo ! Pour un film de la Continental tout ça n’aurait pas du tout convenu à Baumeister !
Mais Jean retrouve son vélo car même avec 40° de fièvre, Jean roule à vive allure sur son vélo. (Moulins-Paris : 328 km !) Il est invincible sur son engin. Libre.

Le cinéma et la vraie vie . La vraie vie et le cinéma.

On dit parfois : « il m’est arrivé une drôle d’histoire ! personne ne va me croire ! »
B.Tavernier nous la raconte magistralement l’histoire incroyable et on y croit .
Et je lui suis très reconnaissante de m’y faire croire.

Les films de B.Tavernier racontent des histoires incroyables, souvent vraies.
Les film de B.Tavernier sont savoureux.
Et surement encore plus savoureux quand on les décortique.
Quelle belle perspective : en décortiquer un
80 fois

« La fille inconnue » Jean-Pierre et Luc Dardenne

   Nominé au Festival de Cannes

Du 24 au 29 novembre 2016

Soirée-débat mardi 29 à 20h30
Présenté par Marie-Annick
Film belge (octobre 2016,1h46) de Luc Dardenne et Jean-Pierre Dardenne avec Adèle Haenel, Olivier Bonnaud, Jérémie Renier et olivier Gourmet

Article de Marie-Noelle

Jenny Davin est, à ce moment là de sa vie, quelqu’un d’extraordinaire, au sens littéral .

Cette jeune médecin généraliste est au début de sa carrière. Elle vient de faire un remplacement de trois mois dans un cabinet après avoir fini brillamment son internat.
Si brillamment que son professeur la fait aussitôt recruter, lui faisant dire par son chef de service qu’elle a été la meilleure interne qu’il n’ait jamais eue. Sa carrière commence. Oui, mais … 

Au cours de son remplacement elle a eu comme assistant Julien à peine plus âgé qu’elle et, pour qui, le parcours des études de médecine a été et est toujours très compliqué. Jenny s’est donné pour mission de lui apprendre à poser le bon diagnostic . Rien que ça ! On pense tout d’abord qu’elle est hyperconsciencieuse et pour tout dire, au vu de son jeune âge, un peu prétentieuse. Elle fait ausculter par Julien le malade jusqu’à ce qu’il donne le bon diagnostic. Le sien. Elle ne semble jamais douter . Elle le réprimande fortement quand il n’est pas assez réactif. Elle impose son savoir et son statut. Et lui indique les limites du métier. Ne pas laisser les malades les épuiser pour rester en mesure de les soigner. Elle lui indique clairement les règles théoriques qu’il faut suivre .

Et qu’elle-même est totalement incapable de suivre car on va comprendre que la médecine est pour elle, jusqu’à présent, un sacerdoce. Elle s’est jusque là raisonnée, contenue mais, comme un épisode climatique peut faire sortir une rivière de son lit, l’épisode dramatique qui va suivre va la faire sortir de son cadre. En parvenant toujours à contenir la violence qui est en elle et que certains de ses regards nous laissent entrevoir, elle va donner libre cours à ses émotions, à ses pulsions et se mettre corps et âme au service de cette jeune fille morte pour lui donner un nom et au service de ses patients en s’installant physiquement dans le seul lieu où elle peut vivre pleinement son métier qui est sa seule raison d’être.

Ne plus commettre de faute, faire revenir Julien dans le droit chemin, trouver le coupable de la mort de Félicie non pour le dénoncer mais pour le libérer. Elle se donne des missions et son comportement est mystique dans sa façon d’aborder les événements.

Elle renonce à la facilité de la carrière toute tracée pour s’occuper des démunis et expier la faute qu’elle s’attribue. Tout en vivant sa passion.
La médecine ne serait-elle pas, pour elle, le moyen de fuir dans la vie des autres ? Pour faire taire ses démons ?

Ce personnage de Jenny, excessif et complexe,  m’a beaucoup intéressée et j’ai aimé l’interprétation d’Adèle Haenel.

J’ai aussi aimé ce film car il s’attache à montrer le quotidien, la réalité de la vie à Seraing : difficile, souvent misérable, parfois dangereuse, sous un ciel désespérément gris et dans le vacarme des voitures.

Jenny pourra en sortir quand sa mesure personnelle sera comble. Les autres resteront.

Alors, même si les raisons qui les y poussent ne sont pas toujours claires, j’ai envie de croire que des Jenny existent pour aider à  porter, même épisodiquement, un peu de la misère du monde.

Marie-Noelle

« Poesia sin fin » d’ Alejandro Jodorowsky

 

Revoir le film. Tout de suite.
(une pensée pour le temps du cinéma permanent. On entrait pour 1, 2, 3 séances …)

En attendant laisser déjà infuser toutes les émotions qui sont restées avant de rattraper, en deuxième séance, toutes celles qui se sont envolées avec les papillons.

On pourrait distinguer chaque personnage de chair et de sang.
Quel foisonnement d’impressions, d’émotions !
Avec Alejandro, d’abord ! Passionnant et follement attachant à tous les âges.
Avec tous ceux qui se sont libérés des conventions, pour longtemps, comme les deux soeurs, momentanément, comme Stella qui contre toute attente et en dépit des apparences se préserve pour  son « prince venu des montagnes » qui va finir par arriver et la transformer . Elle qui tenait Alejandro par les « partidas intimas » est depuis lors blafarde tout de blanc vêtue, ses longs cheveux rouges coupés au carré . Attention risque de corset ! Ou bien elle laissera repousser ses cheveux.
Avec ceux qui n’ont rien choisi comme Pequenita, ceux qui n’ont pas eu la force de choisir comme Enrique et aussi probablement tous les morts vivants qui dorment et vieillissent pendant qu’ils dorment.

En plus des personnages, chaque élément du film est un personnage.
Le corset justement de la mère : intact après l’incendie de la maison , juste un peu sali . Cette mère qui chante et aurait dû chanter davantage et qui s’est laissée entraver dans ce corset dont son fils la libère en le faisant s’envoler, accroché à un bouquet de ballons !
Le tricycle aussi est intact et le restera toujours même si Alejandro crie « adieu ! » à son enfance. Ni lui, ni personne ne se sépare jamais de l’enfant qu’il a été.

La fin du film est d’une infinie tristesse avec la scène imaginée de la réconciliation d’Alejandro avec son père. Scène qui commence par un affrontement : Alejandro  est devenu plus fort que son père, il n’a plus peur, il le frappe, à terre, à grands coups de pied, comme son père l’avait autrefois obligé, lui, à frapper un pauvre « voleur ». Puis quand il lui tend la main pour le relever et faire la paix d’une poignée de main virile et convenable, l’Alejandro de 87 ans intervient pour que son père et lui se serrent dans les bras et s’embrassent. Enfin . Mais même pour imaginer cette réconciliation, qui n’a jamais eu lieu, Alejandro doit d’abord changer son père, lui mettre la tête et le visage à nu et lui ôter sa blouse de boutiquier. Impossible réconciliation . Et pourtant « Gracias padre ».

Ne pas avoir vu, comme c’est mon cas, « La danza de la realidad » permet peut-être de mieux goûter « Poesia sin fin » et de faire une entrée fracassante dans le monde de Jodorowsky. Comme en transe dans un tourbillon qui transporte et déracine. Et constater que des chaussures de clown sont restées en bas.

Marie-Noël