Prix Fipresci au Festival de CannesDistributeur : Diaphana
Présenté par Georges J
L’instant final de Burning, cet enlacement mortel, le regard ineffable de Ben, une lame dans le ventre, la main sur l’épaule de Jongsoo, comme affectueuse, amicale.
Après…Il n’y a plus d’après pour l’un, et pour l’autre, tout devient machinal, « Burning » dont il a été question tout le film, inaugure dans la dernière minute, la première image d’incendie que nous voyons. Avant cela, Burning n’est que métaphore.
Qu’est-ce qu’une métaphore demandait Haemi à Ben, demande à Jongsoo, (il est écrivain)lui répondit Ben. Jongsoo ne fait pas dans la métaphore, à moins que ce meurtre ne soit que la réalisation métaphorique d’autre chose. D’un désir brûlant.
On peut tenter de reconstituer l’histoire avec des clés de lecture, sachant que rien n’épuisera jamais le film vertigineux de Lee Chang Dong. On peut toutefois commencer par repérer quelques métaphores de « Burning » chez Jongsoo
Sa situation familiale ? D’abord il y a la situation familiale de Jongsoo : Son père, un homme en colère et entêté, qui pour ces raisons est en prison et va être jugé et mal jugé. Quant à sa mère, elle l’a abandonné et elle saura le retrouver après de longues années pour lui demander une aide financière, et en même temps lui signifier qu’il ne pourra jamais l’aider. Jongsoo a peut-être la honte, peut-être est-il dans une froide colère.
Sa situation sociale ? C’est un pauvre, il va en ville avec une camionnette de pauvre paysan, qui n’est même pas la sienne, elle est celle de son père, celle de la ferme, une pauvre ferme. Mais il y a quelque chose chez cet être emprunté, qui déambule la bouche toujours entrouverte, qui le fait nager au-dessus de sa condition matérielle, il est écrivain, du moins le dit-il, Faulkner est son modèle. On ne le voit jamais écrire, mais après tout, son créateur Lee Chang Dong qui a les mêmes goûts littéraires a lui même séché longtemps avant d’écrire « Burning ».
Ses amours ? Il avait connu Heami enfant. Aujourd’hui elle le séduit, ça n’est pas difficile, elle est belle, pétillante, inventive.(Quelle actrice !). Le jour même de leurs retrouvailles, ils vont faire l’amour. C’est une illumination ! Non pas celle de l’acte, mais une petite lumière dans la chambrette de Heami, reflet fugace de N Séoul Tower. Elle le fascine. A ce moment, Jong Soo ne sait pas encore qu’il est amoureux de Heami. Il y a juste cette petite lumière.
Bref, Jongsoo est pauvre, riche d’un instant. Avec l’arrivée de Ben, on vérifiera que l’amour fait mal dans la modernité, au temps du capitalisme (1). Ben roule en Porsche Carrera, lui, une vieille camionnette dont pas un spectateur n’a cherché à reconnaître la marque. Jongsoo aime Heami, d’autant plus qu’il ne peut rivaliser avec Ben. Ben vit l’instant.
Un père violent, une mère futile et ingrate, un amour empêché par l’autre plus riche, l’opposition de classes. Tout cela devrait avoir du sens non ? Lee Chang Dong dit dans tous les entretiens qu’il a accordé, son inquiétude pour la jeunesse, la dureté actuelle de leur vie, la précarité. Mais il faut quitter cela car tout bascule lorsque Heami disparaît.
Nous changeons de registre pour celui de sentiments et passions, si comme Jongsoo, on se forge la conviction qu’Heami a été tuée par Ben, les indices ne manquent pas. D’ailleurs les spectateurs que nous sommes n’ont pas de difficultés, tout est indice, tout est troublant. Quelques exemples :
Ben, avec son sourire, son flegme, sa richesse injuste venue de nulle part, ou pire encore, d’un quelque part qui n’est surtout pas le travail. « C’est un sybarite ».
Bien curieux personnage ce Ben : Premièrement, on sait qu’il brûle des serres. Comment le sait-on ? Par ouï-dire, il l’a avoué à Jongsoo, devant nous !
Et puis, il y a la chambre de Haemi disparue, elle est dans un ordre parfait, qui ne lui ressemble pas.
Après Heami disparue, il a tôt fait de retrouver une girlfriend de même profil.
Dans les toilettes de Ben, il a une trousse à maquillage.
D’ailleurs, il maquille sa nouvelle petite amie d’une manière particulièrement érotique ? Non perverse ! En fait, il les prépare peut-être pour le grand saut. Sérial Killer ?
Revenons dans les toilettes de Ben. La première fois que Jongsoo s’y est rendu, il y a vu une boîte avec des bijoux fantaisie. La seconde fois parmi ces bijoux, la montre rose qu’il avait offerte à Haemi. Plus de Heami, mais sa montre dans cet endroit-là. Et toutes ces babioles dans cette boîte, autant d’aveux. (Comme dans les affreux contes de fées)
Et puis, il y a le chat Choffo qui est et qui n’est pas, qui comme tous les chats, c’est bien connu, vient quand on l’appelle.
Le cadavre ? Jong Soo a vu Ben contempler un lac. Combien de cadavres dans ce lac ? Le meurtre, puis le lac. Heami, assassinée non loin de l’endroit où elle a vécu son enfance ? Aussi bien que Jongsoo, Ben connaît les métaphores. Bruler une serre tous les deux mois = tuer une jeune femme pauvre, isolée tous les deux mois.
L’assassinat de Ben, vengeance, acte de salubrité. Jong Soo a commis le meurtre qui prévient tous les autres. C’est un justicier. C’est dur certes, mais quel confort pour le spectateur ! Enfin les choses ont du sens.
Mais peut-être l’esprit de Jongsoo s’est-il échauffé ? Le récit qu’il se forge est plausible mais plein de trous. Il ne vaut que par ses prémisses : Si l’on pense que Ben est un assassin, alors, tout fait signe. (Et l’humain est de nature à donner du sens à tout!)
A Cannes, pour la 7èmeObsession, Thomas Aïdan et Xavier Leherpeur questionne Lee Chang Dong :
-« Le film s’amuse avec cette idée de mystère, de cette ambiguïté, avec de passionnants trous dans le récit ; un peu à l’image de nos propres vies, nous n’avons pas toutes les informations ».
LCD : – Dès le début c’est l’intention du film, c’est pour cela qu’il fallait que je le fasse.
Le scénario du film, nous place devant une énigme. Clément Rosset (1939-2018) philosophe, commence ainsi son ouvrage le réel et son double : « Rien n’est plus fragile que la faculté de l’homme d’admettre la réalité, d’accepter sans réserve l’impérieuse prérogative du réel. Réel qui est perçu d’une manière tolérante et provisoire, tolérance que chacun peut suspendre à son gré, sitôt que les circonstances l’exigent. Réel que je peux donc percevoir mais que je peux ignorer comme une connaissance inutile. La forme la plus courante de mise à l’écart du réel c’est l’illusion. Ou la mise à l’écart des conséquences que devrait impliquer la chose vue ».
En nous invitant à voir son film d’une manière passionnelle, à la manière de Jongsoo, Lee Cheng Dong atteint plusieurs objectifs, montrer les dérives du regard passionnel, le sien, le nôtre, nous ferions d’une fiction, une autre fiction. Bref, nous nous serions un peu chauffé l’esprit.
Et ce serait un comble, si toute cette histoire n’était née que d’une petite lumière comme celle de la chambrette de Heami, une illumination créatrice soudaine de Jongsoo, écrivain qui composerait à mesure cette histoire pour nous.
Revenons à Lee Chang Dong, Jean Christophe Ferrari dit de lui dans la revue Transfuge : « Lee Chang Dong est un cinéaste conteur déroutant, chantre de l’idiotie et poète cosmique » « Sa poésie s’oppose au conformisme, à la violence sociale » Peut-être aurions-nous dû commencer par là.
1)Eva Ilouz pourquoi l’amour fait mal et les sentiments du capitalisme.
On ne voit pas souvent des films allemands. Et mardi dernier, j’ai revu pour la seconde fois « une Valse dans les allées », je l’avais vu en août à Fontainebleau. J’en avais dit quelques mots dans le blog :
Marion(Sandra Hüller) : Une modeste employée, elle n’est pas bien grande, elle est droite comme un i. Sa chevelure se termine par un petit bout de queue-de-cheval, tenue par un anneau élastique argenté. Elle a un beau sourire, elle est directe, taquine, vive, elle a un franc regard. D’elle on sait peu de choses. Sa manière d’être est selon Klaus S, un cramé de la bobine qui connait ces choses-là, est typiquement allemande de l’est. Marion est généralement estimée. Bruno a quelque chose de paternel et protecteur envers cette femme, il met en garde Christian, une autre employée fera de même, d’une manière plus explicite, « ne fais pas de mal à Marion » lui dit-elle.
Christian,(Franz Ragowski) un regard intense, un beau visage avec une lèvre supérieure qui porte les séquelles d’une légère fente palatine. (Pour qui a vu le superbe film, Victoria de S. Schipper, 2015, il incarnait Boxer). Il est tatoué, sur les bras, dans le dos. Ses gestes sont timides, empruntés, il rentre ses épaules, marche la tête en avant, ses bras ne balancent pas. Il évite de parler, on sent qu’il n’aime pas ça. Avec ses stigmates, tout en lui indique la soumission, tout indique aussi une résistance, une tension, un projet. Il est présent aux autres. Il devient l’apprenti de Bruno, manutentionnaire et peut-être futur cariste. C’est un élève obéissant, respectueux et appliqué. C’est vrai qu’il regarde Marion qu’il fait attention à elle. Peut-être depuis leur première rencontre en est-il secrètement amoureux. Peut-être aussi qu’il l’est devenu progressivement ? En notre époque Me Too, l’amour courtois existe encore, vous savez cet amour chevaleresque, absolu et interdit des chevaliers servants pour leurs belles. Christian, vise aussi à accomplir une nouvelle destinée : travailler sérieusement, aujourd’hui et toujours- pas de vagues- En somme, tendu vers le plus difficile, ne pas avoir d’accident de la vie.
Bruno (Peter Kurt), c’est l’ancien. Le vieux de la vieille, respecté qui connaît son affaire. L’arrivée de Christian par laquelle nous faisons sa connaissance nous montre un homme bourru. Et c’est Christian qui nous fait découvrir le caractère de Bruno. Bruno, méfiant, acceptera Christian qui est une sorte de menace. Ne chercherai-ton pas à le remplacer ? Parce que Christian ne pose pas de question, ne cherche pas à sympathiser, fait montre de bonne volonté et d’application, ils vont s’entendre.
Ce film il faut le voir pour Lucia et sa musique, et aussi pour voir la vie en oeuvre. Autrement dit, voici cette autre image, la chanson de Pierre Barouh dans son disque « Pollen » : « nous sommes qui nous sommes, et tout ça c’est la somme du pollen dont on s’est nourri ». Lucia une Femme Monde.
Les films de ce Week-End ont réuni de nombreux spectateurs, particulièrement une famille Italienne de Gabriéle Muccino. Vous vous souvenez, « une famille se réunit sur une île, pour célébrer les cinquante ans de mariage de leur aîné, un orage inattendu les surprend et ils sont contraints de cohabiter pendant deux jours et deux nuits ». Un film choral, drôle, rythmé. Le personnage principal c’est la famille. Un magma, une chose qui tient ensemble et qui bouillonne avec ses petites et grandes rivalités internes, entre époux, entre frère et sœur etc… Bref rien de plus naturel en somme. Tous ces personnages sont magnifiques avec toutefois mon meilleur souvenir pour le couple Ginevra/Carlo. Ce film comme le signalait J.C Mirabella, la distribution montre la vague montante, la fine fleur des jeunes et moins jeunes acteurs italiens.
Mais revenons au début, Fortunata de Sergio Castelitto, J.C Mirabella disait qu’il commençait comme un très grand film qui, c’est dommage, devenait trop profus vers la fin. N’empêche, nous pouvons voir et revoir des films de ce tonneau-là. J.C Mirabella disait que le cadre des films italiens, était un protagoniste. Et en effet ce Rome des faubourgs et sa banlieue nous sortent de nos clichés habituels. Sans oublier de signaler l’actrice principale, Jasmine Trinca, belle comme de grandes artistes italiennes à l’image de Sofia Loren par exemple, elle incarne l’optimisme, la résolution, le courage. Soulignons que les hommes ne sont pas franchement à leur avantage dans ce film.
Suit Bienvenue en Sicile de Pierfrancesco Diliberto (Pif).Pif, donc est un réalisateur sympathique, que nous avons eu l’occasion de voir à Tours, j’avais alors noté ceci : « Ça a l’allure d’une comédie, il y a des passages drôles et jamais vus, et ça gagne en gravité sans jamais perdre l’humour. On imagine que le réalisateur a été séduit par « la Vie est belle ». Le sujet qu’il traite est sérieux : Comment les États-Unis ont installé durablement la mafia en Sicile. Un film drôle et intelligent qui n’est pas sans rappeler une histoire actuelle ».Le personnage principal (PIF lui-même), sans me l’expliquer, j’ai sur la fin, une vague réminiscence de Forrest Gump. Un film qui arrive à parler d’une histoire grave et méconnue : la renaissance de la mafia à cause de décisions douteuses de Washington et qui en même temps est drôle, ce n’est pas si fréquent.
Et le soir Dogman de Matteo Garonne, un réalisateur important de ce jeune cinéma italien pour ce film primé à Cannes. Ici encore le cadre est protagoniste, on est saisi par ce quartier en déshérence, à la fois misérable et vivant, où vivent pauvres, exclus et dealers. Idéal pour faire évoluer une brute épaisse, cocaïnomane, barbare, incapable de concevoir qu’on lui résiste, ne reculant devant aucun affront, tel est Simoncino (Edouardo Pesce). Son « ami » c’est Marcello (Marcello Fonte), un toiletteur de chien, un peu chétif, sensible, fragile, souffre-douleur, dealer occasionnel qui finit par se venger. Mattéo Garonne une palette, une touche et l’humour.
Il Padre d’Italia de Fabio Molloavec qui commence les projections du dimanche, demeure mon préféré, non qu’il soit le meilleur mais c’est celui que je trouve le plus touchant. Une sorte de film entre road movie et picaresque, deux individus dissemblables, faits pour se rencontrer, pour cheminer ensemble d’un rateau à l’autre. Mia, une jeune femme borderline, Isabella Ragonese, prodigieuse, et Paolo, Luca Marinelli, l’acteur séduisant et caméléon que les habitués des cramés de la bobine ont pu voir dans una questionne privata. Ce film aborde les thèmes de la fuite en avant, de l’attachement et l’abandon. La fuite en avant, c’est le film. L’abandon est constitutif de la vie de Mia et de Paolo. L’attachement, c’est la magie très provisoire de la rencontre. Et rien que les dernières images du film sont émouvantes. On peut imaginer qu’Italia la nouvelle née de la fin du film va permettre à Paolo de s’élever en l’élevant. Après tout, Jean Valjean a commencé de même avec Causette.
Le Week-End se termine par Cœurs Purs de Roberto de Paolis,qui par ses décors dessine tout comme Dogman et Fortunata,une Italie en souffrance. Et par son thème, sa vitalité, l’amour, si évanescent qu’il soit, donne la note d’espoir dans un monde ou le pire semble toujours à venir. Les Italiens n’ont pas peur d’être drôles quand ils sont sérieux, et inversement. Curieusement, ce film en forme de conte moderne, est le seul des six retenus qui ne comporte pas la moindre note d’humour. L’humour, cette forme de recul, cette touche, qu’on retrouve plus rarement dans le cinéma français. Alors de Paolis cinéaste à la française ? A suivre…
Soirée débat mardi 25 à 20h30
Du 6 au 11 septembre 2018
Vu à l’Ermitage de Fontainebleau :
Amis Cramés de la Bobine Bonjour,
Du 5 au 10 juillet 2018