Mia Madre

MIA MADRE

Présenté par : Claude Sabatier

 

 

Intimisme, chronique socio-politique, réflexion spéculaire sur le cinéma avec le tournage d’un film dans le film – Mia Madre, le dernier opus de Nanni Moretti, unit et marie harmonieusement les trois veines chères au cinéaste italien de La Chambre du fils ou Palombella rossa. Ces trois postulations semblent trouver ici un point − et un contrepoint – d’équilibre permanent, à la fois fluide et complexe.

En s’inventant un alter ego féminin en la personne de Margherita, jouée par Margherita Buy, l’acteur-réalisateur évite l’écueil, qui lui fut parfois reproché, de léger cabotinage, voire de nombrilisme sous couvert d’authenticité autobiographique. Et comme si ce transfert ne suffisait pas, voilà que le cinéaste s’inflige − par coquetterie peut-être − un double trop parfait, auto-parodique, en la personne du frère modèle et s’invente un exorcisme en la personne de Barry Huggins, acteur insupportable, égocentrique, ne maîtrisant ni l’italien ni son texte et plus généralement son rôle entrepreneurial, incarné par l’inénarrable John Turturro ! Le comique des situations et l’outrance du personnage dans ce tournage catastrophique d’une chronique sociale − la reprise par un industriel américain au prix d’inévitables licenciements d’une usine menacée de fermeture – tempèrent paradoxalement le tragique d’une femme en perdition, confrontée à différentes formes de deuil ou de renoncement : cinéaste perfectionniste, donc surmenée, mère dépassée par les doutes de son adolescente latiniste, fille assistant impuissante à la maladie et au lent dépérissement de sa mère.

Si La Nuit américaine de François Truffaut proclamait, malgré les difficultés et impondérables d’un tournage, la prééminence de l’art sur la vie, le film courant vers sa réalisation « comme un train dans la nuit », Mia madre dit une certaine vanité du cinéma par rapport au réel : comment parler du chômage, de la crise sans tomber dans le misérabilisme ou le froid constat, sans point de vue clairement adopté ? À quoi bon s’adonner à l’art quand votre mère se meurt ? Il l’évoque toutefois subtilement, en réconciliant les contraires : « vous ne saurez jamais à quel point le travail est important pour nous » − lance un ouvrier à son patron, phrase qui résonne étrangement dans l’âme de Margherita, laquelle vient d’apprendre la mort d’Ada et continue pourtant à tourner… Oui, le travail nous structure et nous porte. Et tout est une question de juste distance aux êtres et aux choses, de « cadrage » dans la vie comme au cinéma …

La beauté du film vient sans doute de sa fluidité, et de l’étrange harmonie avec laquelle, en toute pudeur, sans jamais appuyer aucun effet, la narration de Nanni Moretti mêle souvenirs de jeunesse et anticipations (on pense aux cartons dans l’appartement préfigurant la mort d’Ada pourtant toujours vivante), scènes bien réelles et séquences oniriques : Ada s’évadant en chemise de nuit de l’hôpital ou persistant à vouloir encore conduire malgré la colère (rêvée ?) de sa fille, ses proches (frère, mère et fille) rejoignant Margherita dans la file d’attente des Ailes du désir de Wim Wenders.

Tout semble suggestion, tel ce regard accablé, entre jalousie informulée et conscience de soi douloureuse, de la cinéaste qui n’a su concocter comme le frère modèle des pastas au parmesan pour sa mère hospitalisée, mais s’est contentée d’acheter un plat préparé. Tout est dans le non-dit, dans l’écho assourdi d’une vie qui n’est déjà plus, d’une mort qui jette son ombre portée sur le retour à la maison en phase terminale de maladie, d’une disparition réfractée par le mur d’une chambre adolescente et perçue comme un lointain et pourtant pressant murmure téléphonique. Tout est dit mais aussi pardonné et comme dépassé par la force de la culture, les livres caressés dans une bibliothèque, le regard apaisé et serein d’une vieille dame qui s’excuse presque de partir et nous susurre simplement comme une politesse du désespoir : « À demain » !

 

Claude S.

le fils de saul

LE FILS DE SAUL
Grand Prix au Festival de Cannes en 2015 (+)
Soirée-débat vendredi 15 janvier à 20h30
Présenté par Annette Wieviorka
Film hongrois (vo, septembre 2015, 1h47) de László Nemes avec Géza Röhrig, Levente Molnár et Urs Rechn

Lumineusement présenté et discuté par Annette Wieviorka, Le fils de Saul, est tout sauf un film intellectuel, c’est un film émotionnel, un film d’immersion, sonore et visuelle. Un film saisissant.

 

Le fils de Saul nous invite à suivre Saul équipier d’un sonderkommando et parfois à être Saul…à voir entendre, sentir ce que Saul voit entend et sent. Nous sommes dans une unité de mise à mort des juifs à Auschwitz Birkenau. Autrement dit, à suivre un homme contraint à travailler comme un forçat pour faire fonctionner ce qu’il est convenu d’appeler un peu trop vite, la machine de mort. Un peu trop vite, car le but ultime du système n’est pas seulement de tuer hommes, femmes et enfants en masse. C’est aussi de produire autant que possible, compte tenu des « impératifs de production », de la mise en poudre. C’est à dire en même temps qu’on tue, à faire disparaître les corps (pièces !) innombrables…et donc l’assassinat lui même. Qu’il n’en reste rien.

Il y a une histoire dans le film, il en fallait une. Ce n’est pas une histoire mineure, l’homme Saul, tel Don Quichotte tente d’éviter la mise en poudre d’un enfant. Il tente de créer un espace, un temps de dignité humaine en donnant un sacrement et en enterrant un enfant dont il allègue pour couper court, que c’est le sien. Le mouvement de résistance individuelle de l’homme Saul en intercepte un autre, une révolte collective.

En 1998, Imre Kertész dit : « pour que l’holocauste entre réellement dans la conscience collective européenne, -du moins celle de la conscience occidentale- il a fallu payer le prix exigé par le public. La stylisation de l’holocauste, qui a commencé pratiquement tout de suite, atteint aujourd’hui des proportions insupportables. Rien que le mot holocauste est une stylisation, une abstraction euphémique pour des mots à résonnance plus brutale, comme « camp d’extermination », ou solution finale.

Sommes nous dans ce cas de stylisation ?… oui, il y a une esthétique, un style. Lazlo Nemes est un artiste, l’art est là pour nous faire ressentir. Mais pas au prix de n’importe quel moyen. Il y a une éthique chez Lazlo Nemes. Regardons les images, observons l’usage esthétique, subtil et nécessaire du flou.
Sommes nous devant une représentation euphémique, une abstraction, une production intellectuelle ? Non. Le film de Nemes bien documenté, produit une forme émotionnelle de la connaissance, il participe, d’où il se tient, à la conscience occidentale, tout comme certains témoignages, ceux de Primo Levi, et de bien d’autres. Mais, plus particulièrement, je pense ici à « Je suis le dernier Juif », de Chil Rajchman, ex membre d’un sonderkommando, évadé à l’occasion d’une révolte en 1943 préfacé par la même Annette Wieviorka.

Pour ce Fils de Saul, grand premier film de Lazlo Nemes, comme une fenêtre sur le néant, la présence d’ Annette Wieviorka est une chance pour les spectateurs. Nous avons pu voir et discuter un film dur et infiniment discutable. Sa présence humble, calme, disponible, son propos à bonne distance, rigoureusement précis  étaient en quelque sorte nécessaires.

Georges

« This is not a love story » Ceci n’est pas une pipe !

Eh  bien voilà c’est parti, voici notre premier commentaire sur « this is not a love story », un film de Alfonso Gomez-Rejon projeté et discuté le 05.01.2016.

Ceci n’est pas une pipe !

Hier soir,   “This is not a love story”…..présenté par Delphine, son commentaire allait bien au film –syntone- Delphine, a réalisé en quelque sorte une fausse anti-présentation. Avec une pointe d’humour elle nous dit « c’est un film du genre bien connu Teen movie, le sujet n’est pas nouveau, il y a beaucoup de clichés, le scénario n’est pas original, mais il se dégage quelque chose de ce film  plein de clins d’œil cinématographiques»… Ça marche, autant de messages paradoxaux mettent en attente, je n’ai pas été déçu.

Comme sa présentation, le film est lui-même tissé de paradoxes. Il est drôle et grave, très grave, pourtant drôle tout de même. Nous avons assisté sous une forme de comédie à quelque chose qui serait en même temps un drame absolu. Sarah, une adolescente risque de mourir…et elle ne va pas mourir …Greg son ami nous en assure, il a peut-être raison.

Tout comme le titre du film pour la distribution française qui sonne comme une dénégation paradoxale, le premier dialogue « tension-détente » entre Sarah et Greg nous empoigne :

Sarah : « Je te connais à peine, et si tu viens par pitié, parce que j’ai une leucémie, tu peux repartir d’où tu viens »

Greg interdit : …« Non je viens parce que c’est ma mère qui me l’a demandé !… S’il te plait restons ensemble aujourd’hui afin que ma mère (que je déçois tant) ne soit pas déçue… »

Après cette réponse digne de l’école de communication de Palo-Alto (consternante et déconcertante, drôle et humble) Sarah peut baisser la garde et une amitié peut se nouer…Une relation lourde-légère. Une relation où avec tendresse, l’on ne se touche pas, comme dans l’amour courtois. Ineffable.

Le tableau de la jeune Sarah, avec sa joie et son courage, sa force de décision si typique des adolescents bouleverse, souvenons-nous de son immense et fabuleux regard noir jusqu’au dernier instant…Et puis, en mode mineur, il y a l’abnégation délicate et sincère du jeune Greg, il nous montre l’humanité dans ce qu’elle a de beau.

Bravo Delphine, ce film de « deuxième choix » comme tu dis, ne nous fera pas regretter le premier. Tu as raison, ce n’est pas un chef d’œuvre, mais c’est un bon choix, vous êtes de cet avis, ou au contraire vous avez été déçu(e) par ce film, pourquoi pas le dire à la suite ? Welcome !

Georges

 

Message de Delphine : Si tu veux rajouter une critique très pertinente du film, voici le lien suivant vers un autre blog

http://camdansunfilm.com/2015/11/15/tomber-amoureux-de-this-is-not-a-love-story/

Voilà qui est fait…

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Vous aimez le cinéma, les cramés de la bobine, vous aimez son site, nous espérons que vous aimerez son Blog… Mais un blog, pourquoi faire ?

Pour prolonger les débats du mardi et tous les autres débats sur la sélection des Cramés de la Bobine. Pour continuer la discussion. Les débats c’est une manière de croiser nos regards, d’échanger sur les films, c’est le lieu ou chacun dit ce qu’il veut, ce qu’il pense, et ou on peut se dire « bon sang, mais c’est bien sûr !» ou encore « je ne suis pas en accord avec cette manière de voir… »

Aucun débat ne peut épuiser un film, il donne toujours à voir  plus que nos commentaires… et nous avons souvent hélas, l’esprit de l’escalier, c’est quelquefois après le film qu’on a le plus à dire. Et certains d’entre nous n’aiment pas trop parler en public. Alors pourquoi ne pas continuer la conversation ici ?
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