Dalton Trumbo

 

DALTON TRUMBO
Semaine du 8 au 14 juin 2016
Soirée-débat mardi 14 juin à 20h30
Présenté par Françoise Fouillé

Film américain (vo, avril 2016,2h04) de Jay Roach avec Bryan Cranston, Diane Lane et Helen Mirren

 

« Dalton Trumbo » de Jay Roach est une remarquable dénonciation de l’injustice et de la bêtise incarnées par le maccarthysme et la chasse aux sorcières contre plus de 320 personnes – journalistes, acteurs, réalisateurs, fonctionnaires – qu’a systématiquement pratiqués le sénateur du Wisconsin dans les années 50 dans le cadre de la HUAC ( la commission des activités anti-américaines) et de son émanation cinématographique, la  Motion Picture Association of Cinema.

 

La force de ce film tient à deux aspects : le parcours familial que nous offre ce biopic autour de la personnalité à la fois attachante et mégalomaniaque du scénariste Dalton Trumbo, auteur des bouleversants récit et film « Johnny got his gun », pamphlet antimilitariste à travers le monologue intérieur de Joe, être défiguré, amputé, homme-tronc réduit à une conscience que le lecteur seul semble pouvoir entendre tant l’armée et le personnel soignant semblent sourds à sa souffrance, à son existence même ; la lutte (avec toute la palette des attitudes possibles) pour la liberté d’expression, contre l’intolérance et l’injustice symbolisées en cette période de guerre froide et de guerre de Corée par l’anticommunisme primaire, hydre aux cent têtes qui se nourrit de l’ignorance, du soupçon, de la délation contre une idéologie initialement généreuse, vouée au partage et à la défense de la classe ouvrière – quand bien même elle eût été dévoyée dans le stalinisme.

On reste admiratif devant le courage, fût-il un peu égoïste, de Dalton Trumbo engageant sa famille dans son combat pour la liberté, non sans risquer de la mettre en danger : il faut toute la puissance créatrice d’un écrivain, produisant à la demande, en 3 jours, parfois en une nuit, de nombreux et parfois mauvais scénarii et une formidable confiance en soi et dans l’amour, le sens du sacrifice de son entourage ! On peut effectivement s’étonner avec Marie-Noëlle, que le scénariste, certes privé de sa belle propriété, se replie sur une maison encore dotée d’une piscine, bientôt infestée d’immondices par ses voisins haineux, que ses sources de revenus, malgré la prison et l’ostracisme vécu chaque jour pendant 13 ans, ne semblent jamais se tarir… Il n’en reste pas moins vrai que sa femme Cléo (jouée par Diane Lane), ancienne comédienne et serveuse qui sut faire vivre sa mère et sa sœur, témoigne d’une abnégation exceptionnelle, dont le film, sans donner peut-être assez d’éléments explicatifs, se fait l’écho assourdi dans les regards, le gestes d’une présence diffuse et d’une discrétion active. La scène la plus belle à cet égard est peut-être la mise en garde amoureuse de Cléo, un soir, dans la chambre conjugale, sous la forme indirecte, pédagogique ? – d’un rappel de son passé : elle a quitté son premier mari parce qu’il ne l’écoutait plus et ne pensait plus qu’à lui et à sa carrière ; elle ne veut plus vivre avec un tyran et craint que l’homme qu’elle aime profondément ne devienne tel au fil des jours si elle ne le prévient pas (au double sens du terme) tendrement et fermement. Appel à la lucidité qui vaut mieux que d’amers reproches : ses enfants aussi tapent ou reprennent ses scenarii, quand bien même ils auraient leurs devoirs à faire pour l’école, et vivent cruellement le rejet de leur père du gotha artistique, devant cacher son métier à leurs camarades à un âge où l’on est fier de ses parents…

Nikola – ou Niki, sa fille aînée, dont les mémoires « Une Enfance différente » ont largement inspiré Jay Roach et son scénariste John McNamara, est avec Cléo l’autre grande figure familiale du film : à la fois admirative et critique pour son père, ulcérée par son despotisme domestique et délicieusement agacée de se sentir elle-même si entière, si proche de sa révolte, quitte un soir le foyer familial et ne rentre pas. Dans l’une des plus belles scènes du film, la plus surprenante et la plus bouleversante peut-être, son père va la chercher au cabaret où elle a rejoint son petit ami : là où on s’attendrait à de rudes remontrances du père, à une leçon de morale peut-être, c’est lui qui, l’attirant dehors, évoque leur souffrance commune, reconnaît le sacrifice de sa famille, s’excuse en somme de la vie infernale qu’il leur impose. Le sourire d’abord crispé puis lumineux de Niki, entre colère et adoration, en dit plus long qu’un discours sur l’amour filial.

 

L’autre mérite du film, le principal sans doute, est de nous donner à voir et à vivre un large éventail de réactions contre le maccarthysme. On peut regretter que l’engagement communiste de Dalton Trumbo, par ailleurs riche propriétaire d’un ranch avec chevaux et poneys, ne soit pas davantage montré, ni les griefs de la HAC contre lui vraiment formulés. Loin d’y voir une faiblesse scénaristique, il faut sans doute invoquer le choix habile du point de vue maccarthyste et le contexte hystérique de cette chasse aux sorcières qui ne s’embarrassaient ni d’analyse des situations ni de débat contradictoire : peu importait à la commission des activités anti-américaines que le « communisme » de Trumbo fût moins allégeance politique à Moscou que participation épisodique à de simples réunions, sensibilité sociale aux ouvriers et sociétale aux droits des Noirs, le scénariste, qui ne devait répondre que par oui ou par non, position pour lui intenable à moins d’être un « esclave » ou un « imbécile », était pour elle forcément et naturellement coupable…

Là où John Wayne et Ronald Reagan campent la bonne conscience maccarthyste, Edgar G. Robinson une soumission et une délation soi-disant inévitables, mais amèrement regrettées toute une vie, là où Arlen Hird, condensé fictionnel de plusieurs cinéastes réfractaires des Dix d’Hollywood, choisit la proclamation intransigeante de sa révolte et s’enferme dans une solitude amère, exacerbée par la maladie – au prix d’une superbe scène d’explication violente entre les deux amis – Dalton Trumbo choisit la souplesse créative après la témérité revendicative devant la Commission en octobre 1947, alliant pragmatisme et conviction au prix de contorsions certes parfois douteuses, à l’image des scenarii assez pitoyables mais lucratifs que lui proposent les frères King : l’intrigue du film « Le Martien et la fermière » peut faire sourire ; il n’empêche que le mercantilisme et la clairvoyance de ces médiocres cinéastes protègeront paradoxalement le scénariste maudit, au point de lui obtenir, après la participation à « Vacances romaines », un Oscar pour « Les Clameurs se sont tues », sous le pseudonyme de Robert Rich ! (En des circonstances mille fois plus tragiques, Schindler avait compris la force de la ruse et du compromis, voire de la compromission – fût-ce au départ par pur mercantilisme – pour sauver un millier de Juifs… Jouer avec le Mal plutôt que l’affronter pour faire triompher le Bien !) Comment affirmer son identité menacée dans le jeu de multiples prête-noms quand l’affirmation pure et simple de soi est devenue trop dangereuse, voire impossible ? Tel est le pari de Dalton Trumbo et l’un des enjeux passionnants de ce film, du cache-cache aux confidences mesurées ou coquettes distillées dans la presse, et enfin, en 1960, à la révélation tonitruante à la une du vrai nom de l’artiste, grâce il est vrai à deux soutiens de poids : Kirk Douglas, le facétieux protagoniste et producteur de « Spartacus » de Stanley Kubrick, et Otto Preminger, réalisateur d' »Exodus », colosse imperturbable et ironique.

Est-ce le temps, l’acharnement créateur de Dalton Trumbo ou la puissance plus intéressée que généreuse de ses parrains qui aura eu raison de l’injustice et de la bêtise, si bien représentée par Hedda Hopper, jouée par Helen Mirren ? L’échotière mondaine, colporteuse de ragots plus biographiques que cinématographiques, apparaît comme une femme sans âme ni épaisseur personnelle, arrogante et venimeuse, enfermée dans ses convictions réactionnaires et moralisatrices, à la fois proche des artistes avec qui elle semble esquisser un semblant d’amitié et prête à les déchirer à pleines dents dans son torchon ? Incapable de tendresse et de remise en question, elle s’acharne et complote, pour la faire échouer, contre la projection de « Spartacus » dont elle vit le triomphe comme un camouflet personnel. Rarement le cinéma aura su produire une telle figure de méchanceté fanatique et de bêtise frivole et dangereuse…

Force des oppositions – le discours final de Dalton Trumbo lors de la remise de l’Oscar du meilleur scénario pour « Spartacus » face à la Writers Guild of America Award fait pâlir la parole creuse de l’odieuse commère : exaltant la liberté d’expression, il déplore avec émotion plus qu’il ne les condamne le dévoiement haineux de l’âme américaine et le cortège de carrières ruinées ou de vies brisées. Dans la salle chacun retient son souffle : admiration pour un être libre ou mauvaise conscience d’une élite veule et aveugle ?

Claude

 

 

 

Rocco et ses frères

 

ROCCO ET SES FRÈRES
Semaine du 26 au 30 mai 2016
Soirée-débat dimanche 29 à 20h30

Présenté par Claude Sabatier
Film italien (vo, mars 1960, 2h57) de Luchino Visconti avec Alain Delon, Annie Girardot, Renato Salvatori et Paolo Stoppa
Titre original : Rocco e i suoi fratelli
Synopsis : Fuyant la misère, Rosaria et ses quatre fils quittent l’Italie du Sud pour Milan où vit déjà l’aîné Vincenzo. Chacun tente de s’en sortir à sa façon. Mais l’harmonie familiale est rapidement brisée : Rocco et Simone sont tous les deux amoureux d’une jeune prostituée, Nadia.

« Rocco et ses frères » est l’un des films en noir et blanc les plus somptueux que j’aie jamais vus : la photo, par le grand Giuseppe Rotunno, est nacrée, élégante et brillante – comme une continuation et un développement du néo-réalisme. Grâce à Gucci, à la Film Foundation et à nos amis de la Cinecitta de Bologne, le chef d’oeuvre de Visconti peut être vu à nouveau dans toute l’intensité de sa beauté et de sa puissance » – écrivait Martin Scorcese, qui « emprunta » à Visconti son compositeur Nino Rota et lui doit tant pour « Raging Bull » et le motif de la boxe, métaphore de la violence sociale et de l’individualisme triomphant. Freddy Buache, dans son essai sur « Le Cinéma italien (1945-1979) », parlera de « sommet de l’expression cinématographique de ce dernier quart de siècle, le plus haut sans doute depuis « Citizen Kane » et « Ivan le Terrible » » : cette histoire familiale des quatre fils Simone, Rocco, Ciro et Luca Parondi montant avec leur mère Rosaria, après la mort du père, de leur Lucanie de misère en quête d’un improbable Eldorado milanais auprès du fils Vincenzo, dans une Italie du Nord industrialisée méprisant le Mezzogiorno, et se déchirant pour une prostituée au grand coeur, Nadia, est aussi une chronique sociale, le combat pour la réussite ou la reconnaissance, par les études, le travail en usine, la boxe ou la…délinquance. C’est surtout, autour de la figure d’une mamma autoritaire et sacrificielle, remarquablement jouée par l’actrice grecque Katina Paxinou, une véritable tragédie antique ou chrétienne, avec sa lutte fratricide – on pense à Abel et Caïn, à Etéocle et Polynice, ses mères de douleur, Andromaque ou Marie – et intemporelle, dostovieskienne, sur la communauté et la solitude, les moyens plus ou moins moraux de la réussite, la trahison et la vengeance, l’honneur et la rédemption, la transition surtout entre deux mondes ou le déclin d’un univers, version ici misérable et hystérique des bouleversements du « Guépard » ou de « Ludwig, le crépuscule des dieux »…
Le 7ème des 13 films de Luchino Visconti, dernière production néo-réaliste après « La Terre tremble » et oeuvre-matrice pour la Nouvelle Vague (par ses ellipses et son hors-champ) apparaît donc comme une oeuvre mythique tant par l’interprétation initiatique et fondatrice qu’elle offrit à ses jeunes acteurs-fétiche – Alain Delon (24 ans alors), Renato Salvatori (27), Annie Girardot (29) et Claudia Cardinale (22) – que pour son parfum de scandale : cet opus, qui se vit préférer « Passage du Rhin » d’André Cayatte à la Mostra de Venise et dut se contenter du Lion d’argent en raison des pressions exercées sur le jury, connut en effet bien des déboires tant lors de sa conception en 1958 que pendant le tournage en 1959 et longtemps après sa sortie en 1960. Alain Delon lui-même, qui tourne alors « Plein soleil » de René Clément, rechignait à travailler avec le sulfureux cinéaste, craignant pour la suite de sa carrière, avant de voir à Londres sa mise en scène de « Don Carlo » de Verdi. Le producteur souhaitait imposer Brigitte Bardot et Paul Newman au lieu d’Annie Girardot et Renato Salvatori ; par ailleurs, les autorités locales s’opposant au tournage de la longue scène de viol de Nadia par Simone au bord d’un lac près de Milan, le réalisateur dut se replier sur un lac romain. Sa première projection publique en octobre 1959 suscita des mesures policières et les projectionnistes se virent enjoindre de cacher l’objectif pour couvrir plusieurs scènes – celles du viol et du meurtre de Nadia par Simone – mesure aussi absurde qu’heureusement inapplicable. En France même, « Le Figaro » parlera de « théâtre hurlé et de mélodrame délirant, ersatz de tragédie prétendue grecque », moralisant avec pudibonderie sur des « scènes dont un peuple sain ne pourra qu’avoir le cœur levé. » Ajoutons qu’en Italie, le film, objet de nombreuses batailles juridiques, restera jusqu’en 1969 interdit aux moins de 18 ans, qu’en 1979, une version TV, écourtée et donc expurgée, sera proposée : il aura donc fallu attendre l’actuelle restauration pour (re)voir enfin le vrai film originel !!
Ce film m’a autant impressionné que lorsqu’étudiant je l’avais découvert au cinéma de minuit dans les années 70 – par-delà l’expressionnisme parfois outré, mélodramatique de certaines scènes, celle ainsi où la mère, apprenant que son fils Simone est un meurtrier, manifeste son désespoir avec des cris et une gestuelle de pleureuse antique. Le traitement de la lumière n’en reste pas moins magnifique, comme dans cette scène où s’affrontent autour d’une lampe et de la lueur blafarde d’un poste de télévision Salvatori et Roger Hanin, le boxeur paresseux et déchu et son exigeant entraîneur aux troubles pulsions homosexuelles… La beauté solaire de Delon, étendu sur un lit de fortune, bloc d’acceptation souriante du malheur et de disponibilité étonnée à la vie, ange rédempteur quoiqu’un peu veule, ne lasse pas de me ravir : pourtant, ce qui ne m’était pas apparu à la première vision, on a un peu de mal à croire en ce personnage sacrificiel, reprenant sans l’aimer le flambeau de la boxe délaissée par Simone – dur et doué paresseux – prêt à tout pardonner à son frère, refusant le combat puis la dénonciation de l’ange déchu après le meurtre de Nadia, tuée comme Carmen par José – devoir ingrat auquel se résout pourtant le bon et lucide Ciro comme au seul salut social, familial et existentiel pour les Parondi. Vision chrétienne et christique de Visconti qui me gêne un peu, comme un être de papier, une idée incarnée, si remarquablement le soit-elle : car après tout, si Rocco aimait vraiment Nadia, laisserait-il ainsi son frère la reprendre ? Ne l’abandonne-t-il pas finalement à la fureur jalouse et meurtrière de Simone ? On sera aussi assez fasciné par l’âpreté farouche de Renato Salvatori, dont la violence effraya Annie Girardot et la fascina aussi  puisqu’elle l’épousera en 1962, restant avec lui jusqu’en 1988 malgré une séparation de corps pour violences conjugales. Etrange osmose entre l’art et la vie dont témoigna aussi le tournage même du film : Visconti, pour mieux incarner et exaspérer la rivalité fratricide entre Rocco et Simone, ne cessa de jouer un acteur contre l’autre, flattant Delon et bousculant Salavatori !
Si la fin peut paraître un peu convenue avec le falot Ciro se hâtant vers les usines d’Alfa Roméo en écho au préambule ouvrier du film, indice de l’engagement communiste du cinéaste pourtant issu de l’aristocratie milanaise, on retiendra l’interprétation bouleversante d’Annie Girardot, tant dans la légèreté aguicheuse de la prostituée chassée par son père et se réfugiant dans un local où elle embrasse Simone, que dans la mélancolie d’une funambule de la vie rêvant sur l’arête d’un pont d’une autre vie entrevue avec Rocco et surtout la détresse sacrificielle d’une femme de toutes les douleurs rattrapée par la vie, s’abandonnant à son meurtrier en une ultime étreinte, les bras en croix comme pour mieux épouser son cruel destin d’amour et de mort. On ne fait pas, décidément, de grande oeuvre avec de bons sentiments.

DALTON TRUMBO

DALTON TRUMBO
Semaine du 8 au 14 juin 2016
Soirée-débat mardi 14 juin à 20h30
Présenté par Françoise FouilléFilm américain (vo, avril 2016,2h04) de Jay Roach avec Bryan Cranston, Diane Lane et Helen Mirren 
Synopsis : Hollywood, la guerre froide bat son plein.
Alors qu’il est au sommet de son art, le scénariste Dalton Trumbo est accusé d’être communiste.
Avec d’autres artistes, il devient très vite infréquentable, puis est emprisonné et placé sur la liste noire : il lui est désormais impossible de travailler.
Grâce à son talent et au soutien inconditionnel de sa famille, Il va contourner cette interdiction.
En menant dans l’ombre un long combat vers sa réhabilitation, il forgera sa légende.

Une aussi longue absence d’Henri Colpi

AUSSI LONGUE ABSENCEPrix Louis Delluc 1960 – Palme d’or au Festival de Cannes 1961Semaine du 8 au 14 juin 2016Soirée-débat Dimanche 12 juin 20h30Présenté par Henri FabreFilm français (vo, 1961,1h38) de Henri Colpi avec Georges Wilson, Alida Valli, Paul Faivre, Charles Blavette et Pierre Parel 
Scénario de Marguerite Duras.
Les paroles de la chanson « Trois petites notes de musique » interprétée dans le film par Cora Vaucaire sont de Henri Colpi, le compositeur est Georges Delerue.

 

Quel film ! J’en suis sortie bouleversée et je vais y penser longtemps.

Penser longtemps à Thérèse d’abord, débordante d’amour et torride de sensualité contenue. Retenue à jamais par l’homme adoré disparu de sa vue mais vivant pour toujours dans son coeur. Alida Valli magnifique si totalement Thérèse qu’on ne pourrait imaginer personne d’autre dans ce rôle. Et quel rôle !

Jamais elle ne quittera leur « navire »,  où son homme peut la trouver depuis son arrestation 16 ans en arrière et où il pourra la trouver pour le restant de ses jours. L’amour pour toujours. Qu’elle recherche passionnément, auquel elle s’accroche désespérément. Elle veut le retrouver. C’est la quête de sa vie . Elle veut le reconnaître dans ce clochard qui est arrivé dans les parages.  Tous autour d’elles la soutiennent, l’accompagnent. Les moins proches dans une vision à court terme et les plus proches dans une perspective à plus long terme. Georges Wilson est brillant de retenue et de finesse. Le prix d’interprétation reçu pour ce rôle lui est venu du Japon. Pas étonnant. Le personnage de l’amant est captivant aussi. Il est si doux, si tendre. Il accepte la mélancolie de Thérèse avec résignation. Il veille sur elle, de plus ou moins loin, dans sa chambre ou depuis son camion devant sa fenêtre éclairée. Il ne reprend la route que lorsque, enfin, elle s’endort. Un rêve cet homme ! Fort, solide, prévenant, protecteur. Et elle renonce à celui-ci pour celui-là qui restera fantôme à tout jamais… Elle ne peut pas faire autrement. Elle passera le restant de ses jours emmurée vivante dans son café à Puteaux. à l’attendre Car si elle n’a pas réussi à se faire reconnaître, c’est aussi à cause de l’été mais quand l’hiver viendra, il reviendra (« L’inverno ti farà tornare »). Et elle fera de la froidure son alliée.

Quel bonheur de pouvoir apprécier la beauté d’Alida Valli, dans l’age du personnage, avec les marques du temps sur son visage et sa silhouette. Belle à couper le souffle.

Et il y a la musique, la musique des mots.

Et l’opéra . La scène du café où elle fait observer le clochard par sa mère et son cousin pour qu’ils le reconnaissent, sur fond de « una furtiva lagrima » air de l’Elixir d’amour de Donizetti ! Une merveille.

Et bien sûr les « Trois petites notes de musique » et la voix de Cora Vaucaire, chanson connue de tous, moins jeunes et jeunes . Une « tuerie »

Merci les Cramés !

PS : en 1961 je n’étais pas bien grande mais assez pour retrouver avec ce film le souvenir de cette époque, l’odeur de la rue, reconnaître les gens, leurs vêtements, l’atmosphère … (et le goût du Vittel délice !!! qui me faisait pleurer tellement ça piquait)

Elle de Verhoeven

Il y a des films qu’on a envie d’aimer dès qu’on en entend parler
Alors on est déçu.
Au bout de 20 mn, je commençais à m’auto-motiver « quand même c’est Isabelle Huppert ! Et Laurent Laffitte, je peux peut-être réussir à  le supporter cette fois-ci, la photo est superbe, la mise en scène impeccable , tout est réuni pour faire un bon film etc… » (sauf les décors et les costumes)
Sans resultat… Juste envie de dire à Isabelle Hupert d’enlever son masque et à Laurent Laffitte que, lui, ce n’est pas la peine qu’il enlève le sien . On nous annonce un thriller. Ah, bon ?

Ça nous dit qu’a notre époque on vit plus d’émotions dans les jeux vidéo qu’en vrai et que Michele est d’autant mieux placée  pour « gérer » son agression qu’elle gere une societe de creation de jeux video, qu’elle veut toujours plus violents, toujours plus agressifs.
Et il y a son histoire de petite fille avec son père psychopathe , sa relation avec sa mère, son fils qui rêve tout éveillé ce qui lui semble a la fois saugrenu et révoltant. Un détail qui m’a interpellée : elle regarde une photo d’elle, petite fille, et commente « le regard vide que j’avais !!! » Elle a les yeux bleus, enfant, et marrons, adulte . Pour nous dire qu’elle ne se rend pas compte que son regard est resté vide et que son ciel intérieur s’est définitivement assombri ?

Elle a mis une telle distance avec elle-même que rien ne la touche, elle n’aime personne, elle est malveillante. Si, elle semble aimer son chat mais ne comprend pas qu’il ne l’ait pas défendue et le regarde lui aussi alors différemment . Personne ne pourra jamais veiller sur elle.

Verrouillée, seule dans sa bulle.

Ses rapports avec son associée sont bizarres. Elle « utilise » son mec et le jette. Sans vergogne. Puis l’associée trahie jette elle aussi ce même mec et revient vers Michele jusqu’a lui proposer d’aller vivre avec elle . Bon courage !

Mais à vrai dire on s’en moque. L’ensemble semble limite grotesque. Finalement je suis restée jusqu’à la fin en passant à côté de « Elle ». Dommage.

 

 

Les ogres

 

Film français (mars 2016,2h24) de Léa Fehner avec Adèle Haenel, Marc Barbé et François Fehner

Présenté par Marie-Annick Laperle

Article de Georges

Voyant ce film, on peut penser un instant à Enivrez-vous de Baudelaire :

« Il faut être toujours ivre, tout est là, c’est l’unique question. Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.

Mais de quoi? De vin, de poésie, ou de vertu à votre guise, mais enivrez-vous! ».

…Mais ça ne va pas tout à fait, tant ce film est foisonnant.

Nous étions prévenus, ce film s’appelle les ogres, et si les ogres s’enivrent, ils ont aussi toujours faim nous rappelle Marie-Annick dès sa présentation.

…Et on pourrait dire que les ogres sont d’abord Léa Fehner et son équipe, tous ceux qui ont contribué à créer ce film, avec son rythme, ses couleurs rutilantes, ses mouvements tournoyants, le contraste des plans, les costumes, les accessoires, la musique …

Cependant et presque paradoxalement, ce film est très équilibré et maitrisé dans la répartition des modes majeurs et mineurs, dans la distribution des rôles, dans le contraste de plans. Pour les rôles, on remarque aussi cet équilibre féminin, masculin, jeunes, vieux.

La réalisatrice et son équipe ont réalisé un film de l’excès et de la déraison, hors norme et superbe.

Quant aux scènes, elles sont un tissu de passages à l’acte débridés. C’est un film dont on pourrait dire qu’il relève d’un état maniaque collectif au sens clinique du terme, où prédominent l’excitation, l’euphorie, l’irritabilité et la colère, la perte de la pudeur, la fuite du temps. Cette troupe nous montre qu’elle n’hésite pas à se battre, à injurier, à mimer la vente d’une femme aux enchères, à passer d’un partenaire sexuel à l’autre, à donner des « cours de sodomie » aux enfants…

Et tout autant, il y a l’état d’âme profond de cette troupe, qu’on voit traversée de mille sentiments contradictoires, ou dominent la précarité, le doute, la tristesse, l’inquiétude, l’angoisse de ces gens qui vivent chaque jour au jour le jour et sont contraints à l’action et au mouvement.

Mais c’est Marc Barbé, Monsieur Deloyal qui apparaît le plus emblématique de l’expérience maniaco-dépressive de cette troupe. Personnage erratique, il porte le deuil de son enfant mort à 13 ans d’une Leucémie aigue lymphoblastique et la culpabilité qui va avec, il en accuse le « chef » qui est aussi probablement son meilleur et son seul ami et il n’arrive pas à être père de nouveau alors que sa compagne enceinte va mettre au monde un petit garçon. Il se bourre d’antidépresseurs et de tranquillisants. Il n’est jamais vraiment là où il est, va d’abattement en passage à l’acte, jusqu’à cette scène touchante de retrouvailles avec son ex-épouse, tous deux broyés par l’événement, comme une demande d’autorisation de reconstruire quelque chose, d’être père de nouveau, avec une autre femme.

Au total, ce film nous montre un groupe d’artistes, où le groupe est le réceptacle de tout, où l’intime et « l’extime » (comme disait Michel Tournier) se confondent. Où des personnages solidaires et pourtant solitaires, portent le masque de la comédie lorsqu’ils vivent une tragédie et inversement.

Ce film  est aussi une sorte un pied de nez à la dépression, à la précarité des choses, aux amours qui fichent le camp, au temps qui passe, aux drôles de gueules qu’ont peut avoir parfois, et à la mort qui rode, mais pas n’importe comment, comme dans un poème saturnien.

Georges

Les ogres

LES OGRES

Présenté par Marie-Annick Laperle
Film français (mars 2016,2h24) de Léa Fehner avec Adèle Haenel, Marc Barbé et François Fehner

Article de Marie-Noël

Les Ogres Léa Fehner

Ce qui est bien au cinéma, c’est qu’on voyage.

Moi, je suis immédiatement partie avec cette troupe, ces ogres cabossés, emmenée dans leur tourbillon .
On ne sait pas qui ils sont, comment ils sont arrivés là, quels sont leurs projets, après .
On ne sait rien de l’ailleurs. Ce qu’on sait de leurs blessures s’est passé ici, entre ogres.
Dans leur vie commune.
Car il n’y a pas de relation à 2 ou en famille, pas de relation stabilisée. Ils sont tous sur le fil.
François, le chef et Marion, son épouse s’aiment et se détestent. La violence verbale tout au long du film et en particulier lors de la scène de la mise aux enchères, est choquante, insupportable, révoltante. C’est ce qu’il cherche, François : que Mona se révolte, enfin . Il ne veut pas de son amour absolu. Surtout, il ne supporte pas sa jalousie. Bref, son comportement et sentiments « bourgeois » ne cadrent pas dans la vie qu’ils se sont choisie.
On imagine qu’il y a eu d’autres situations comme celle-là. Mais vieillir n’est pas simple (« je ne fais pas envie, c’est ça ? ») . Il la maltraite et les autres qui se joignent à lui ! Comme s’ils jouaient une pièce ! Dans une situation concernant un autre membre de la troupe, aurait-elle, elle aussi, hurlé avec les loups ? C’est d’une violence vertigineuse mais cela la propulse dans les bras d’un homme tombé du ciel .
Cet intermède va lui apporter l’apaisement qui lui fera « capter » son mari à nouveau . Son regard a changé. Le sien aussi.
Leur relation avec leur fille Inès est dramatique. C’est une écorchée vive, pleine de reproches et de rancoeur envers ses deux parents. Elle attrape ses trois petits et s’échappe (momentanément ?). Ils ne lui courent pas après, ni l’un, ni l’autre, comme amarrés au chapiteau.
La relation Mona et Mr Déloyal semble mal partie . Thomas, le fils décédé à 5 ans, est omniprésent dans l’esprit et le coeur du futur père qui culpabilise « à mort » de le remplacer . On en est tellement imprégné que la scène à l’extérieur semble superflue. On aurait pu vivre son absence, la naissance sans lui sans savoir concrètement où il était. Et puis tous les autres sont là, alors, est-ce grave que le père ne soit pas présent lors de la naissance de son enfant ?
Chez nous, oui très. Chez les ogres, pas vraiment.
Quand il réapparait, la jeune mère le salue d’un doigt d’honneur et d’un sourire radieux (le sourire d’Adele Haenel, c’est quelque chose !)
On sait que leur relation ne sera jamais classique, conforme aux critères usuels.
Leur enfant rejoindra probablement la ribambelle joyeuse d’enfants élevés autrement, en communauté .
Petits ogres groupés et forts qui vivent pleinement (outre les extases des fiancées du beau gosse, les bagarres des « adultes » etc …) la force créatrice de leur(s) parent(s) et de tous les autres, leur vitalité et leur énergie à croquer à pleines dents cette vie qu’ils ont choisie.

On aimerait bien être un ogre.

Marie-Noëlle

L’EAU A LA BOUCHE

Film du Patrimone
L’EAU A LA BOUCHE
Semaine du 12 au 17 mai 2016
Soirée débat dimanche15 mai
Présenté par Delphine Kunkler
Film français (Janvier 1960,1h24) de Jacques Doniol-Valcroze avec Françoise Brion, Bernadette Lafont, Alexandra Stewart, Michel Galabru
Musique et chansons de/et par Serge Gainsbourg

Notes  de Delphine

Autant l’avouer, en tant que spectatrice, je viens plus pour la musique que pour le film. En effet, la BO composée par Serge Gainsbourg. Le Gainsbourg, fin années 50 jeune auteur-compositeur, période jazz : L’anthracite, Les amours perdues, Baudelaire, arrangements de Alain Goraguer. L’eau à la bouche fait partie de cette excellente cuvée.

Dans ma présentation plutôt sommaire, il y a une bonne et une mauvaise nouvelle. Commençons par la mauvaise : le réalisateur n’est pas très bon. La positive maintenant : L’eau à la bouche serait son seul bon film.

Le réalisateur : Jacques Doniot-Valcroze, né 1920, décédé en 1989

« Eminence grise des Cahiers du Cinéma, il n’a pas réussi à imposer une œuvre avec ses apports théoriques. L’eau à la bouche avait suscité des espoirs malheureusement démentis par les films suivants. (…) Il faut le dire avec regret, les réalisations de Doniol-Valcroze n’ont été que rarement à la hauteur des intentions d’un homme par ailleurs très cultivé » Jean Tulard, critique de cinéma.

Synopsis : à la mort de lady Henriette, le notaire réunit dans son château les 3 jeunes héritiers : Miléna, Séraphine et Jean-Paul. Arrive Robert, un ami de Jean-Paul séduit par la beauté de Miléna. Alors que César, le majordome, poursuit de ses assiduités Prudence, la petite bonne, Séraphine ne reste pas insensible aux charmes du beau notaire. Un marivaudage dans les règles de l’art !

Les acteurs les plus connus : Michel Galabru en majordome lubrique (il en fait des tonnes, ça peut rendre allergique si on ne l’est pas déjà !), Bernadette Lafont en fausse ingénue, digne héritière des soubrettes de Marivaux.

Les atouts du film selon Jean Tulard :

Le magnifique décor d’un château du Roussillon (Château d’Aubiry à Céret dans les Pyrénées-Orientales) ; la célèbre musique de Serge Gainsbourg ; une mise en scène brillante et virevoltante.

Un très agréable divertissement sentimental et libertin.

Anecdote : On m’a raconté que ce film était interdit aux moins de 18 ans en avait décidé. Pourtant pas de quoi fouetter un chat : à l’image de belles filles effectivement un peu déshabillées, un soutien-gorge volant, un Galabru complètement lubrique, des couples qui se font et se défont.

Un film léger et amusant, à voir pour le côté vintage (les belles robes sixties !), les mouvements de caméras aériens dans les escaliers et sur les passerelles du fabuleux château) à voir donc et surtout… à écouter.

Delphine

 

Quand on a 17 ans

7 nominations à la Berlinale 2016Semaine du 12 au 17 mai 2016Soirée-débat mardi 17 à 20h30
Présenté par Claude Sabatier
Film français (mars 2016,1h54) de André Téchiné avec Sandrine Kiberlain, Kacey Mottet Klein, Corentin Fila et Alexis Loret

 

« On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans » – écrivait Rimbaud dans son poème malicieusement intitulé « Roman » pour évoquer amours et légèreté adolescentes auxquelles  André Téchiné, dans « Quand on a 17 ans », co-écrit avec Céline Sciamma, confère une tout autre gravité : ce film relève en effet du drame, tant il évoque une passion amoureuse, au-delà de la simple homosexualité, en cet âge disponible et inquiet, « le seul où nous ayons vraiment appris quelques chose », selon la formule de Marcel Proust mise en exergue sur l’affiche. Le regard sur l’adolescence est ici d’autant plus profond que, refusant les facilités romantiques du décrochage scolaire, de la marginalité sociale, de la révolte contre les adultes ou le pittoresque moderne du jeune geek, Téchiné va à l’essentiel, à l’universel – la peur de se connaître, l’exaspération de se découvrir, la rage d’aimer.

Ce triptyque décliné en trois trimestres d’une année scolaire, autour de deux saisons – hiver et été – remarquablement synthétisées dans la première séquence d’une route estivale débouchant sur un paysage d’hiver, nous offre le « roman » douloureux d’une passion moins spécifiquement homosexuelle qu’amoureuse en général – chacun pouvant s’y reconnaître ou s’y identifier : Damien, fils de médecin (Sandrine Kiberlain) et de militaire parti en Afghanistan, garçon un peu gracile et fragile, inquiet sur sa virilité qu’il entretient par des leçons de lutte, habitant la vallée, choyé par ses parents et sa mère plutôt aisés, va tomber amoureux de Tom, bel éphèbe sombre et taciturne, enfant métis et adopté, en quête de père, qui lui manifeste d’emblée, selon les mots de Nathan, une « antipathie trop violente et irrationnelle » pour ne pas cacher autre chose… Tom est bientôt accueilli par Marianne, malgré les réticences apparentes de Damien, pour lui éviter les 3 heures de trajet journalier vers l’école à pied dans la neige et par bus, et lui permettre de préparer son bac dans les meilleures conditions tandis que sa mère, malade, doit bientôt se reposer et accoucher à l’hôpital.

La force de ce « film d’action » psychologique, selon le vœu du cinéaste, tient à une subtile alliance de tension dramatique, du refoulement à l’accomplissement en passant par la prise de conscience et l’aveu d’une passion véhémente et douloureuse, et de lenteur calculée, selon les intermittences du cœur, les raidissements brusques, ou les violents retours en arrière qu’imposent, surtout chez Tom, la révélation à soi-même d’une irrésistible attirance longtemps niée ou rejetée alors même qu’elle a été dite, reconnue dans un regard ou un silence, voire scellée par un baiser.

Servie par l’écriture concise et nerveuse de Céline Sciamma, la mise en scène de Téchiné, à cet égard, loin de nous imposer un découpage artificiel ou des atermoiements faciles, destinés à soutenir un suspense amoureux, nous plonge au cœur d’une intimité torturée et d’une relation tumultueuse dont les méandres insufflent son rythme à cette histoire d’un désir : ce n’est pas la moindre réussite de ce film que d’avoir refusé l’étude sociologique ou l’œuvre militante sur l’homosexualité pour montrer, en Marivaux tragique, une marche cruelle à l’aveu et à l’amour où les deux adolescents n’affrontent jamais que leurs propres doutes et démons – peur d’aimer, complexe social, préjugé de normalité violemment chevillé au corps et quête identitaire pour Tom ; quant à Damien, virilité inquiète, interrogation sur son orientation sexuelle (aimé-je ce garçon ou les garçons ?), difficile acceptation de soi et manque de confiance en la vie et dans les autres, comme le regrette sa mère… Ce sont autant de questions où l’on reconnaît la réflexion de la scénariste sur l’identité sexuelle et sa trouble affirmation – ou dénégation : Damien au punching-ball criant comme une fille selon Paulo ou naviguant sur des sites homosexuels n’est pas sans rappeler dans « Tomboy » Laure se faisant passer pour Mickaël – débardeur, torses nus et parties de foot aidant.

Et les trois temps de cette histoire scandent moins les étapes linéaires d’une passion que les vicissitudes d’une laborieuse réconciliation avec soi-même, à la fois autorisée et paradoxalement retardée par l’accueil de Tom chez Damien, permise enfin, voire libérée par l’annonce de la mort du père tué à la guerre. Troisième trimestre où, après le combat rituel dans la montagne, et le joint partagé dans la grotte, la violence semble toujours présente, mais comme jouée, acceptée, dépassée ?, Tom devenant le grand frère, et le père disparu de Damien, et celui qu’il n’a pas, pour veiller sur Marianne et apaiser la souffrance de son ami.

Sandrine Kiberlain joue une mère idéale, trop idéale peut-être, qui, pas plus que les voisins ou le village, ne juge l’homosexualité latente de son fils ou ne semble s’en inquiéter : peut-être les parents de Tom, d’un autre milieu, seraient-ils moins ouverts, le garçon craignant un peu qu’ils ne le voient s’embrasser avec Damien… Médiatrice plus ou moins volontaire de leur relation – Marianne accueille Tom sous son toit, lui dit l’affection de Damien et gagne un bras de fer contre son fragile garçon, non, significativement, contre son hôte – elle assiste, dans un acquiescement serein à la vie, à l’éclosion d’un amour : lorsque Damien lui explique qu’il a reçu un coup de boule pour avoir embrassé Tom et s’étonne de son silence, elle lui répond qu’il n’y a rien à dire, que c’est sa vie. Elle incarne une présence à la fois pleine et diffuse, pour reprendre la formule d’un critique, trait d’union qui s’efface pour laisser advenir un amour, point sur les i lorsqu’il faut bien confronter les torses nus des ados à leurs bleus absurdes ou renvoyer Tom pour avoir failli briser la mâchoire de Damien. Kacey Mottet Klein en Damien et Corentin Fila crèvent aussi l’écran : le premier impose sa moue et son apparente mollesse pour dire la construction malaisée de l’ado surprotégé ; le second, Headcliff montagnard, ce mélange de rudesse sauvage et butée au contact de la nature et d’enfance aux abois dans un regard chaviré ou un silence entêté. La fraîcheur explosive de cet accouchement amoureux, si réaliste que soit la scène d’amour physique, élude l’âpreté de « L’Homme blessé » ou de « Querelle », l’esthétisme de « Maurice », ou encore l’humour élégant de « Tootsie » ou « Victor Victoria » – pour dépasser le film inverti en histoire d’amour.

Et quelle n’est pas notre émotion lorsque fouetté par le vent pyrénéen et les hautes herbes d’une clôture, bercé par « Yakéfé », la musique de Victor Démé, qui accompagnait déjà la marche parallèle des ados ennemis, Tom rejoint Damien en une course folle, vertigineuse, enfant tourbillonnant, luciole fantastique au clair de lune, dans le déséquilibre enfin conjuré du désir !

Claude

 

QUAND ON A 17 ANS

7 nominations à la Berlinale 2016
Semaine du 12 au 17 mai 2016
Soirée-débat mardi 17 à 20h30
 

Article de Marie-Noëlle

Présenté par Claude Sabatier
Film français (mars 2016,1h54) de André Téchiné avec Sandrine Kiberlain, Kacey Mottet Klein, Corentin Fila et Alexis Loret

Quand on a 17 ans »
Un film qui m’a laissée perplexe .
Tout est tellement lisse .
A commencer par le personnage de la mère qui est tellement parfaite. Elle comprend tout, est bienveillante avec tous …
Elle accepte, ne juge pas, y compris les sentiments de son fils pour Thomas, sans sourciller.
C’est ça qui m’a déroutée : qu’elle ne sourcille pas. Tout intellectualiser, d’accord . Mais il manque une réaction physique à la situation .
Je n’ai pas cru au couple qu’elle forme avec Nathan . Vingt ans après : deux tourtereaux . Ou bien le l’amour fusionnel dure plus longtemps sur skype .
Même son chagrin est parfait. Elle s’affole de son malheur un soir devant le cimetière comme pour y rejoindre son mari tant aimé (joué par un acteur que j’ai trouvé assez fade mais c’est finalement parfait : il doit rester en filigrane)
Elle rayonne vite à nouveau. Elle dit vite d’ailleurs qu’elle préfère soigner qu’être malade. Tout ça en un trimestre.
Avec son fils Damien, la relation est, elle aussi, déconcertante. Ils s’adorent. Mais comment un ado garçon de 17 ans, peut-il être aussi docile ? Il lui cache bien un peu de sa vie (sites internet masculins) mais sinon on dirait qu’il a dix ans. Aucune tension, aucune rébellion. Elle lui enlève son bonnet, lui ébouriffe les cheveux, devant la grille du lycée, donc devant tous les autres ados, il ne dit rien .
(à noter aussi la scène chez le CPE qui lui parle comme à un enfant « on est dans ce bureau tous les trois, toi, Maman (!), et moi »)
Je me suis demandé quel age avait A.Téchiné . Céline Sciamma, elle, est jeune pourtant.
Les jeunes de son age ne sont pas dans sa bulle. Dans sa bulle, il y a sa mère et lui . Il voudrait y faire entrer Thomas. Sa mère va l’y aider. Elle est sensible au charme de Thomas et on ressent une certaine attirance de Thomas pour elle.
La relation de Damien et son père est, me semble-t-il, aussi, improbable. Quel ado laisserait le champ libre à ses parents, sur skype certes, pour un échange intime : « tu veux que je te laisse ?  » demande-t-il à sa mère avant de s’éclipser discrètement …

On ne ressent pas le bouillonnement de l’adolescence chez Damien .
C’est dommage
Ce personnage ne m’a pas émue

Thomas c’est autre chose.
Il semble vivre cette relation avec Damien sans grande conviction. Pour voir.
Par sa situation sociale, familiale, ses conditions de vie, il est au-delà, déjà adulte.

Ce que j’ai aimé dans ce film, c’est Thomas et la montagne. Magnifiques !
Deux puissances physiques fascinantes .

Marie-Noëlle