Quand on a 17 ans

7 nominations à la Berlinale 2016Semaine du 12 au 17 mai 2016Soirée-débat mardi 17 à 20h30
Présenté par Claude Sabatier
Film français (mars 2016,1h54) de André Téchiné avec Sandrine Kiberlain, Kacey Mottet Klein, Corentin Fila et Alexis Loret

 

« On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans » – écrivait Rimbaud dans son poème malicieusement intitulé « Roman » pour évoquer amours et légèreté adolescentes auxquelles  André Téchiné, dans « Quand on a 17 ans », co-écrit avec Céline Sciamma, confère une tout autre gravité : ce film relève en effet du drame, tant il évoque une passion amoureuse, au-delà de la simple homosexualité, en cet âge disponible et inquiet, « le seul où nous ayons vraiment appris quelques chose », selon la formule de Marcel Proust mise en exergue sur l’affiche. Le regard sur l’adolescence est ici d’autant plus profond que, refusant les facilités romantiques du décrochage scolaire, de la marginalité sociale, de la révolte contre les adultes ou le pittoresque moderne du jeune geek, Téchiné va à l’essentiel, à l’universel – la peur de se connaître, l’exaspération de se découvrir, la rage d’aimer.

Ce triptyque décliné en trois trimestres d’une année scolaire, autour de deux saisons – hiver et été – remarquablement synthétisées dans la première séquence d’une route estivale débouchant sur un paysage d’hiver, nous offre le « roman » douloureux d’une passion moins spécifiquement homosexuelle qu’amoureuse en général – chacun pouvant s’y reconnaître ou s’y identifier : Damien, fils de médecin (Sandrine Kiberlain) et de militaire parti en Afghanistan, garçon un peu gracile et fragile, inquiet sur sa virilité qu’il entretient par des leçons de lutte, habitant la vallée, choyé par ses parents et sa mère plutôt aisés, va tomber amoureux de Tom, bel éphèbe sombre et taciturne, enfant métis et adopté, en quête de père, qui lui manifeste d’emblée, selon les mots de Nathan, une « antipathie trop violente et irrationnelle » pour ne pas cacher autre chose… Tom est bientôt accueilli par Marianne, malgré les réticences apparentes de Damien, pour lui éviter les 3 heures de trajet journalier vers l’école à pied dans la neige et par bus, et lui permettre de préparer son bac dans les meilleures conditions tandis que sa mère, malade, doit bientôt se reposer et accoucher à l’hôpital.

La force de ce « film d’action » psychologique, selon le vœu du cinéaste, tient à une subtile alliance de tension dramatique, du refoulement à l’accomplissement en passant par la prise de conscience et l’aveu d’une passion véhémente et douloureuse, et de lenteur calculée, selon les intermittences du cœur, les raidissements brusques, ou les violents retours en arrière qu’imposent, surtout chez Tom, la révélation à soi-même d’une irrésistible attirance longtemps niée ou rejetée alors même qu’elle a été dite, reconnue dans un regard ou un silence, voire scellée par un baiser.

Servie par l’écriture concise et nerveuse de Céline Sciamma, la mise en scène de Téchiné, à cet égard, loin de nous imposer un découpage artificiel ou des atermoiements faciles, destinés à soutenir un suspense amoureux, nous plonge au cœur d’une intimité torturée et d’une relation tumultueuse dont les méandres insufflent son rythme à cette histoire d’un désir : ce n’est pas la moindre réussite de ce film que d’avoir refusé l’étude sociologique ou l’œuvre militante sur l’homosexualité pour montrer, en Marivaux tragique, une marche cruelle à l’aveu et à l’amour où les deux adolescents n’affrontent jamais que leurs propres doutes et démons – peur d’aimer, complexe social, préjugé de normalité violemment chevillé au corps et quête identitaire pour Tom ; quant à Damien, virilité inquiète, interrogation sur son orientation sexuelle (aimé-je ce garçon ou les garçons ?), difficile acceptation de soi et manque de confiance en la vie et dans les autres, comme le regrette sa mère… Ce sont autant de questions où l’on reconnaît la réflexion de la scénariste sur l’identité sexuelle et sa trouble affirmation – ou dénégation : Damien au punching-ball criant comme une fille selon Paulo ou naviguant sur des sites homosexuels n’est pas sans rappeler dans « Tomboy » Laure se faisant passer pour Mickaël – débardeur, torses nus et parties de foot aidant.

Et les trois temps de cette histoire scandent moins les étapes linéaires d’une passion que les vicissitudes d’une laborieuse réconciliation avec soi-même, à la fois autorisée et paradoxalement retardée par l’accueil de Tom chez Damien, permise enfin, voire libérée par l’annonce de la mort du père tué à la guerre. Troisième trimestre où, après le combat rituel dans la montagne, et le joint partagé dans la grotte, la violence semble toujours présente, mais comme jouée, acceptée, dépassée ?, Tom devenant le grand frère, et le père disparu de Damien, et celui qu’il n’a pas, pour veiller sur Marianne et apaiser la souffrance de son ami.

Sandrine Kiberlain joue une mère idéale, trop idéale peut-être, qui, pas plus que les voisins ou le village, ne juge l’homosexualité latente de son fils ou ne semble s’en inquiéter : peut-être les parents de Tom, d’un autre milieu, seraient-ils moins ouverts, le garçon craignant un peu qu’ils ne le voient s’embrasser avec Damien… Médiatrice plus ou moins volontaire de leur relation – Marianne accueille Tom sous son toit, lui dit l’affection de Damien et gagne un bras de fer contre son fragile garçon, non, significativement, contre son hôte – elle assiste, dans un acquiescement serein à la vie, à l’éclosion d’un amour : lorsque Damien lui explique qu’il a reçu un coup de boule pour avoir embrassé Tom et s’étonne de son silence, elle lui répond qu’il n’y a rien à dire, que c’est sa vie. Elle incarne une présence à la fois pleine et diffuse, pour reprendre la formule d’un critique, trait d’union qui s’efface pour laisser advenir un amour, point sur les i lorsqu’il faut bien confronter les torses nus des ados à leurs bleus absurdes ou renvoyer Tom pour avoir failli briser la mâchoire de Damien. Kacey Mottet Klein en Damien et Corentin Fila crèvent aussi l’écran : le premier impose sa moue et son apparente mollesse pour dire la construction malaisée de l’ado surprotégé ; le second, Headcliff montagnard, ce mélange de rudesse sauvage et butée au contact de la nature et d’enfance aux abois dans un regard chaviré ou un silence entêté. La fraîcheur explosive de cet accouchement amoureux, si réaliste que soit la scène d’amour physique, élude l’âpreté de « L’Homme blessé » ou de « Querelle », l’esthétisme de « Maurice », ou encore l’humour élégant de « Tootsie » ou « Victor Victoria » – pour dépasser le film inverti en histoire d’amour.

Et quelle n’est pas notre émotion lorsque fouetté par le vent pyrénéen et les hautes herbes d’une clôture, bercé par « Yakéfé », la musique de Victor Démé, qui accompagnait déjà la marche parallèle des ados ennemis, Tom rejoint Damien en une course folle, vertigineuse, enfant tourbillonnant, luciole fantastique au clair de lune, dans le déséquilibre enfin conjuré du désir !

Claude

 

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