ADIEU MANDALAY de Midi Z

Grand Prix au Festival International du Film d’Amiens
Du 7 au 13 juin 2017
Soirée-débat mardi 13 à 20h30

Présenté par Laurence Guyon

Film birman (vo, mai 2017, 1h43) de Midi Z avec Kai Ko, Wu Ke-Xi, Wang Shin-Hong
Distributeur : Les Acacias

Synopsis : Avertissement : des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs
Liangqing et Guo, deux jeunes birmans, émigrent clandestinement en Thaïlande. Tandis que Liangqing trouve un emploi de plonge dans un restaurant de Bangkok, Guo est embauché dans une usine textile. Sans papiers, leur quotidien est plus que précaire et le jeune couple ne partage pas les mêmes ambitions : si Guo veut gagner assez d’argent pour retourner en Birmanie, Liangqing est prête à tout pour obtenir un visa de travail et échapper à sa condition.

« Aux objets répugnants nous trouvons des appas/Chaque jour vers l’Enfer nous descendons d’un pas ».  Charles Baudelaire.

C’est un truisme de dire que les cinéastes comme tous les auteurs ne sont que partiellement maîtres des significations qu’ils donnent à leur film. Il y a un film par spectateur et encore c’est un minimum ! En d’autres termes, chaque film est interprétable à l’infini. Ce préambule pour dire que si je prends le risque d’être pesant, d’exagérer, ma lecture sauvage « d’Adieu Mandalay », toute contradiction sera bienvenue.

Commençons par la fin, comme chacun je suppose, j’éprouve ce sentiment de répulsion pour les dernières images. De répulsion mais j’y repense, disons alors d’attraction /répulsion. Le jeune Guo armé d’un couteau pénètre dans la chambre de la jeune et belle Liangqing endormie, allongée sur son lit. Il s’agenouille, un genou de chaque côté du frêle corps de Liang, il la domine, la regarde, il aime cette femme-là, il pleure. Elle est sans défense mais se réveille, comprend, se débat, c’est inutile, du sang rougit déjà sa chemise, elle s’agite encore un peu, mais son corps lâche, sa vie l’abandonne. Guo s’allonge par terre, cette image rappelle  un peu une autre en début du film : il dort par terre, elle est dans son lit, il approche sa main pour frôler celle de Liang dormante. Tendresse furtive, une promesse qu’il se fait. Mais pour cette dernière scène, cette même main de Guo qui naguère rêvait de caresser, cette fois est armée du couteau, celui du meurtre et du suicide… Avec sa lame, Guo s’allonge au sol en dessous d’elle,  trouve en même temps que le courage, sa carotide – geyser d’hémoglobine- Un couteau comme une lame de fond     – Drôle d’hymen – Fin.

Cette image en évoque  aussi une autre, la sexualité violente, telle celle qu’à son corps défendant elle a choisie, figurée par la scène du gros et répugnant  lézard.

Leur vie à tous les deux ? Celle des pauvres, de misérables serfs, bêtes de somme, celle d’innombrables individus de par le monde, maintenant. La Thaïlande où ils arrivent, la Birmanie d’où ils viennent, c’est corruption et rançonnage, malheur aux pauvres ! De ce point de vue, le film nous montre des choses banales, nous les avons vu dans de nombreux films*nous sommes sans mauvais jeu de mot, des spectateurs repus.

Alors considérons la violence sociale, le parasitage des pauvres, comme une toile de fond habituelle, de règle, l’ordinaire. Regardons ces deux-là, dans le décor.

Elle et lui viennent du même village, ensemble ils seront voyageurs clandestins. Guo, secrètement amoureux, sera un peu l’ange gardien de Liang, son chevalier servant. Selon Lacan, la condition de l’amour c’est la pauvreté, le manque, celui qui aime offre son manque. Bref aimer c’est offrir ce qu’on n’a pas… Offrir ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui ne demande rien ! Et Liang ne demande rien. Il y a dans ce film mille attitudes de Liang qui nous la montre indifférente. Un instant pourtant, elle sera souriante, comme heureuse, lorsque Guo lui offrira un faux bijou en attendant le vrai. Une promesse. De Guo,  elle concède qu’il est son petit ami, tout cela est chaste. Au fond, Liang ne peut pas s’offrir une histoire d’amour, les histoires d’amour, c’est un truc de riches. D’abord ne plus être pauvre.

Quand Guo considère qu’ils vont faire route ensemble, Liang imagine certainement, être à une croisée de chemins. Il veut gagner assez pour retourner en Birmanie avec elle et elle de son côté, veut aller vivre à Bangkok, avec ou sans lui.

Pour avoir des papiers, de faux papiers, une fausse identité, elle travaille dur. A 18 000 bath soit environs 450 euros par mois, avec ça, quand on a envoyé de l’argent à ses parents, là-bas, on économise, juste assez pour se faire escroquer.

Liang est vierge, cela a son importance. Après ce fiasco, elle conçoit de mettre en vente sa virginité dans un hôtel de luxe. Cette pratique n’est pas spécialement locale, en Allemagne il y a quelques mois nous dit Libération, avec la participation d’une société d’escorte, Alexandra, une jeune femme mannequin roumaine, qui venait de passer 18 ans a mis aux enchères sa virginité et obtenu 2,3 millions d’Euros**. Dans Adieu Mandalay, ce sera 150 000 Baht soit environ 4 000 euros, pour cette virginité. Elle réussit à avoir 300 000 baht pour payer ses faux papiers… Alors, combien, le prix d’un rapport avec une femme non vierge ? Sachant qu’il lui faut 300 000 bath soit 150 000 de plus, que la virginité ne sert qu’une fois, quelle est l’inconnue ? Liang est-elle en voie de professionnalisation ? Ce métier est celui de 2 millions de femmes et 800 000 hommes en Thaïlande (en 2004 selon Wikipédia). Alors, mille fois un Varan sur le corps ou une fois ? Au fond quelle importance dans cette vie-là ? Bangkok, c’est tout.

Mais dis donc Georges, t’en fais un peu trop avec cette histoire, c’est délirant et sordide ces élucubrations. Garde tes fantasmes pour toi. On te présente un film où une pauvre jeune femme exploitée, broyée se fait poignarder durant son sommeil par un amoureux jaloux alors qu’elle allait peut-être s’en sortir avec sa fausse identité, et t’en fais une prostituée ?

 Ce n’est pas un film sur la prostitution, c’est un film sur la misère. L’usage du corps dans cette misère, celui de Guo, celui de Liang. J’objecte que ce n’est pas parce que Liang a fait des études, qu’elle est intelligente qu’elle ne peut pas être prostituée, ce n’est pas un sacrilège, c’est un malheur ordinaire, une condition. Une condition quand la précédente était déjà un numéro, le 369. Alors, ce que tuerait atrocement Guo serait le projet atroce de Liang.

Maintenant, il faudrait revoir la chambre de la scène ou Liang est assassinée, où dort-elle ? Revoir le décor, revoir la cheminée, peut être celle de l’usine ou Guo s’emploie comme bête humaine (lui aussi). Parfois, à  moins de 3 fois, on n’a pas vu un film!

Adieu Mandalay est un film qui vise à donner au spectateur faute d’un sentiment de révolte, dégoût et répulsion. Et je trouve qu’en cela, ce film ressemble à « on achève bien les chevaux », ou encore à « des souris et des hommes » soit la fatalité, le poids des choses, le drame. Quels que soient les mobiles de ces deux pauvres hères, au fond quelle importance ? Si l’on peut ressentir du dégoût, on peut, on doit aussi ressentir de la compassion, et les desseins de ces deux personnages sont sans importance devant leur malheur. Tu nous as présenté un film formidable Laurence.

*Les étudiants en cinéma qui voudraient faire leur thèse sur le thème de la bête humaine sur celui de la corruption  (le léviahtan actuel) où les deux réunis, dans le cinéma contemporain, auraient avantage à savoir classer leurs piles

** et « la petite » de Louis Malle 1978

Le gouffre aux chimères de Billy Wilder (2)

du 25 au 30 mai
Soirée-débat dimanche 28 à 20h30

Présenté par Henri Fabre
américain (vo, avril 1952, 1h51) de Billy Wilder avec Kirk Douglas, Jan Sterling et Porter Hall
Version restaurée sortie en février 2017
Titre original : Ace in the Hole

Synopsis : Charles Tatum, journaliste sans scrupules, va exploiter un scoop. Au Nouveau-Mexique, Léo Minosa, un Indien, est coincé au fond d’une galerie effondrée. S’arrangeant pour être le seul journaliste sur le coup, il va persuader le shérif de choisir la formule de sauvetage la plus lente. Tatum va devenir l’amant de la femme de la victime et poussera l’hypocrisie jusqu’à devenir l’ami de Léo.

Le gouffre aux chimères – 1952, de Billy Wilder

C’est assurément un film de moraliste qui représente avec une énergie mortifère l’obscénité d’un journaliste – Kirk Douglas – à la recherche du plus grand scoop …  La cupidité de Tatum, son vampirisme le pousse à créer l’événement populaire dont il sera finalement la victime. Les mass media – quel nom ! – nous manipulent plus qu’ils ne nous informent. Toutes les semaines, combien de polémiques stériles, de rumeurs illusoires épuisent vainement notre attention ?

Autour du drame de Minosa, mineur indien agonisant, un village se construit, comme par magie, avec des attractions diverses, toujours monnayées. Les “villageois”, nouveaux venus, ne voient jamais Minosa, traité comme un objet, une pure abstraction. Réifier. Jusqu’à un cirque, métaphorique de l’ambiance générale ! Jusqu’à la mort, the show must go on !

Du passage de la ruée vers l’or journalistique, de la nuée des vautours, au vide du désert montagnard rendu à lui-même : s’est-il vraiment passé quelque chose ? Errant, accablé de tant de violences, le père de Minosa se retrouve seul, privé de descendance.

Est-ce une volonté plus ou moins consciente d’évoquer le “génocide des Indiens” et, ici , la légende oubliée de “la colline des sept vautours” ? C’est le retour d’un refoulé impossible, un condensé de la Conquête de l’Ouest sauvage, par un metteur en scène nommé Wilder, le sauvage.

Est-ce aller trop loin, dans une élaboration plus profonde, que de parler d’une “foule de villageois pogromistes”, Wilder étant issu d’une famille judéo-polonaise ?
Emigré aux Etats-Unis alors que l’Europe démocratique chancelle sous la pression des nationalistes violents, Wilder deviendra un réalisateur important dont l’humour iconoclaste sera la signature permanente.

Guy Debord : la société médiatique du spectacle permanent s’est développée, exponentielle et illimitée ! Crash permanent de la réalité et de la vérité qui ne sont plus recherchées…
Des images spéculaires nous assignent en voyeurs impénitents et insatisfaits… Insatiables ?

 

Michel Grob, juin 2017

 

 

« Félicité » d’Alain Gomis

Ours d’argent à la Berlinale 2017Du 1er au 6 juin 2017Soirée-débat mardi 6 à 20h30
Présenté par Jean-Pierre RobertFilm Sénégalais (mars 2017, 1h38) de Alain Gomis
Avec Véronique Beya Mputu, Papi Mpaka et Gaetan Claudia
Distributeur : Jour2fête

Synopsis : Félicité, libre et fière, est chanteuse le soir dans un bar de Kinshasa. Sa vie bascule quand son fils de 14 ans est victime d’un accident de moto. Pour le sauver, elle se lance dans une course effrénée à travers les rues d’une Kinshasa électrique, un monde de musique et de rêves. Ses chemins croisent ceux de Tabu.

Félicité, d’abord, ne s’appelait pas Félicité. Enfant, elle est morte et on l’a placée dans un cercueil avant qu’elle ne revienne « finalement » à la vie et on l’a rebaptisée Félicité. C’est pour moi, ce double traumatisme de mort et de changement d’identité qu’elle revit encore et encore dans ses errances nocturnes, revêtue d’une robe blanche comme un linceul, au milieu des arbres, qui la mènent au fleuve où elle se laisse couler et d’où elle resurgît toujours. Ce monde parallèle est son refuge où elle fait entrer, selon besoin, les trop plein de sa vie, son fils Samo accidenté, le regard fixe mais debout, Tabu, son amoureux, colosse aux pieds d’argile, entre autres.

Félicité est une femme forte qui lutte et qui travaille, affranchie des hommes. Sa voix envoûtante les tient à sa merci. Mais c’est une course de fond. « Cent fois sur le métier remettre votre ouvrage ».
L’APPEL, redouté de toutes, la déracine et malgré sa ténacité, son énergie, les bassesses qu’elle s’inflige pour rassembler l’argent nécessaire à l’opération, malgré l’entraide et le soutien de ses voisins, tous plus pauvres les uns que les autres … scènes ubuesques, elle ne parviendra pas à sauver la jambe de son fils.
Le sentiment de culpabilité, d’échec, alors, ne la quittera plus. Elle ne peut plus chanter, elle sombre. La main tendue de Tabu est tentante. Il est émouvant Tabu, corpulent, imposant, quand il lui dit ses beaux poèmes, si délicats.
Et il est rassurant même s’il n’arrivera sans doute jamais à percer le mystère du frigo en panne. Et sans frigo à Kinshasa … Qu’est ce qu’on mange ? Les préparations culinaires ici ne sont pas très alléchantes …
Tabu gagne son coeur quand il fait bouger, sourire, revivre son fils.
Après avoir dégager ses conquêtes, Félicité va, peut-être, enfin, se laisser approcher, se mettre nue devant lui, se laisser apprivoiser, poser ses fardeaux. Dans cet ordre-là, sans doute.
Et après … Elle retrouvera sa voix, l’envie de chanter. La musique est salvatrice. Et elle pourra revivre. Samo amputé. Autrement.
Je suis restée à l’entrée de Kinshasa, à l’entrée du bar, à l’entrée de l’hôpital, au-dessus du marché. Je ne suis pas entrée de plain pied dans Kinshasa. Une première approche de cette ville qui m’a parue « épouvantable ». Misère, corruption, machisme, brutalité. La scène du marché est, par exemple, épouvantable. Un couple est massacré et personne ne bouge. Tabu regarde, On attend qu’il s’interpose. Il ne bouge pas. On a le sentiment que l’individu doit faire abstraction de la foule pour pouvoir avancer . Comme dans la scène en plan large (mais oui !) où la foule se fige et où seul Tabu avance.
Epouvantable, le médecin qui veut ses sous avant d’opérer. Et comment on fait si on ne peut même pas payer les médicaments ? Rien. On hurle de douleur. C’est comme ça à Kinshasa.

Film particulier, étourdissant. Intéressant.

J’ai aimé le personnage de Félicité, sa force travaillée, sa maîtrise d’elle-même, sa dignité, son beau visage, première et dernière image du film.
Et Tabu, ex petit Bandit, vrai gentil dans un grand corps puissant.

Marie-Noël

«Après la tempête» (海よりもまだ深く) de Hirokazu Kore-eda

nominations au Festival de Cannes 2016Du 25 au 30 mai 2017Soirée-débat mardi 30 à 20h30


Présenté par Marie-Annick Laperle

Film japonais (vo, avril 2017, 1h58) de Hirokazu Kore-eda avec Hiroshi Abe, Yoko Maki et Yoshizawa Taiyo
Distributeur : Le Pacte

Synopsis : Malgré un début de carrière d’écrivain prometteur, Ryota accumule les désillusions. Divorcé de Kyoko, il gaspille le peu d’argent que lui rapporte son travail de détective privé en jouant aux courses, jusqu’à ne plus pouvoir payer la pension alimentaire de son fils de 11 ans, Shingo. A présent, Ryota tente de regagner la confiance des siens et de se faire une place dans la vie de son fils. Cela semble bien mal parti jusqu’au jour où un typhon contraint toute la famille à passer une nuit ensemble…

Qu’est ce que tu voulais faire de ta vie ? Est-elle telle que tu l’imaginais, enfant, celle dont tu avais rêvé ?

La réponse est …

Pour Ryôta, le père, personnage principal, à l’instant, la réponse est, de toute évidence, « non ». Mais l’amour à jamais intact de sa mère lui permettra d’ajouter un « pas encore », salvateur, peut-être. Doué pour la littérature, admirateur de Jean-Henri Fabre (1823-1915) célèbre humaniste, écrivain et poète français très connu au Japon (pour moi un inconnu, ou un oublié, jusqu’à mardi dernier …) dont il parle à son fils Shingo. Ryôta, piètre calligraphe, faiblesse sans cesse soulignée par sa mère, transmise par elle, a écrit un premier roman «La table déserte» pour lequel il a reçu un prix. Un bon début. Il est célèbre mais, semble-t-il, juste dans le quartier où il a grandi et qui est resté le quartier de ses parents. Un petit prix qui lui est monté à la tête alors qu’il y a des « table déserte », des invendus plein ses étagères et que son père, joueur invétéré, a distribué, gratuitement, aux habitants du quartier, pariant sur la renommée future de son fils et leur disant de garder précieusement leur exemplaire qui, un jour, vaudra très cher ! Mais quand ?
Pour un écrivain, le deuxième livre est le plus difficile à écrire mais Ryôta n’a pas de page blanche. Sa vie lui échappe. Il a pris ce boulot de détective, à temps partiel, soit disant pour trouver de la matière pour son second livre. Mais il n’utilise pas son temps libre devant son ordinateur (plus besoin de l’encrier et des pinceaux pour écrire, la calligraphie ne sert plus qu’à l’envoi de faire-parts), ordinateur sûrement mis au clou, d’ailleurs, avec tout le reste. Ryôta est occupé à jouer. Il s’est englué dans ses combines, ses arnaques pour toujours pouvoir parier sur tout et n’importe quoi. Son père jouait, il joue et son fils jouera. La vie de Ryôta est en désordre, à l’image de l’endroit où il vit.
La prochaine étape est l’expulsion, la rue. Sa mère.

Sa mère, Yoshiko qui est là. Dans cet HLM où l’addiction au jeu de son mari les a fait migrer il y a tant d’années, provisoirement, pour toujours. Sa mort l’a libérée, elle revit et de lui, elle dit à son fils s’être débarrassée de tout. On verra qu’elle en a gardé pourtant l’habit, la chemise dont elle revêtira leur fils, une nuit de tempête. Elle porte en elle le deuil de ce mari défaillant, qui vient la visiter, l’accompagne la nuit déguisé en papillon. Leurs deux enfants, adultes, attardés, à charge, la pillent, jouent avec sa corde sensible pour lui extirper, qui des leçons de violon, qui des cours de patinage « arctistique ». Elle voudrait vivre un peu enfin pour elle-même et s’octroie pour commencer le plaisir d’assister avec six autres habitantes de la cité aux « cours de Beethoven » prodigués par un voisin retraité, lui aussi et qui héberge « sa fille », son fardeau. Provisoirement, peut-être.
Yoshiko cuisine « à l’ancienne », le secret semble être de laisser refroidir, infuser pour que les arômes se libèrent, se mélangent, se diffusent. Une recette aussi pour faire (re)fleurir le talent. Et trouver le bonheur. Il s’agit de bien choisir les ingrédients, de renoncer à certains pour goûter les autres, de mêler les bonnes saveurs, les faire s’accorder. Yoshiko donne cette recette à son fils puis, émue, ironise : tu pourras mettre ça dans ton prochain roman. J’ai pensé à la scène, plus acide, dans « Juste la fin du monde »de Xavier Dolan entre la mère Martine (Nathalie Baye) et son fils Louis (Gaspard Ulliel). Pareil. Ailleurs.

Grâce au typhon, la famille se retrouve dans l’appartement de Yoshiko qui est petit mais l’espace est resté le même alors qu’eux ont grandi. Ils ont le réflexe, à table, de se pencher en avant pour qu’on puisse ouvrir le frigo, dorment dans le salon sur des futons alignés côte à côte provisoirement étalés. Ils partagent naturellement le rituel du bain. Dans la pièce dédiée faite pour les ruissellement et les débordements, on se lave d’abord, on se douche et une fois bien propre, on se plonge chacun son tour dans la même eau du bain familial.

Transmission volontaire et involontaire, modèle à suivre, amour perdu, préoccupations d’adulte infligées aux enfants, difficulté à trouver son chemin, embûches, mensonges, précarité …
Autant de sujets délicats traités en cascade, de façon subtilement réaliste dans ce très beau film mettant en scène des personnages à la fois résistants au « chaud et froid » et fragiles.
Comme de la porcelaine. Japonaise, par exemple.

Marie-Noël

 

« Le gouffre aux chimères » de Billy Wilder

 

Soirée-débat dimanche 28 à 20h30Présenté par Henri Fabre
Film américain (vo, avril 1952, 1h51) de Billy Wilder avec Kirk Douglas, Jan Sterling et Porter Hall

synopsis : Charles Tatum, journaliste sans scrupules, va exploiter un scoop. Au Nouveau- Mexique, Léo Minosa, un Indien, est coincé au fond d’une galerie effondrée. S’arrangeant pour être le seul journaliste sur le coup, il va persuader le shérif de choisir la formule de sauvetage la plus lente. Tatum va devenir l’amant de la femme de la victime et poussera l’hypocrisie jusqu’à devenir l’ami de Léo.

 

Oublions le Gouffre et les Chimères et autre Big Carnival.
« Ace in the hole »(Un atout dans la manche), le premier titre choisi par Billy Wilder, était vraiment le bon car il s’agit bien ici d’un jeu. Sordide.
Chuck Tatum distribue les cartes, 1 atout pour lui, les autres pour ses partenaires Lorraine Minosa et Guz Kretzer, le shérif, qui savent jouer, connaissent les règles, et 1 aussi pour le jeune Herbie Cook qui veut entrer dans la partie et comprend vite.
Les autres devront jouer avec les cartes qui restent et qui ne sont pas gagnantes, a priori.
Dans cette partie, Chuck Tatum joue son va-tout.
Il a 35 ans (à peu près), ses démons l’ont fait virer de son poste de journaliste à New York et il a dégringolé, il a roulé, atterrissant à Albuquerque, dans le journal local dirigé par Mr Boot, modèle de patron juste, de journaliste intègre.
Chuck est incongru dans ce petit bureau avec Miss Deverich et ses cols en dentelle.
Un pauvre type coincé dans une galerie de la montagne des Sept Vautours va lui « tendre la main ». Mais pourquoi est-il coincé là, ce type ? Parce qu’il pille les sépultures des indiens pour en vendre les trésors. Pas joli, joli … Il jouait cet atout et a perdu.
Les indiens, en tribu, sont plantés, groupés, les bras ballants, devant la montagne, savourant, mais alors très intérieurement, la colère des Esprits qui protègent leurs ancêtres et ont enfin châtié un des profanateurs. Ils aideront un peu, beaucoup, passionnément, les Esprits dans d’autres films.
Lorraine, la femme de Leo joue son deuxième atout. Le premier elle l’a joué en suivant ce latino péquenot qui l’a sortie du saloon où elle exerçait ses talents. Et a perdu car le commerce mirobolant qu’il lui avait fait miroiter n’est qu’un bar minable, servant aussi d’habitation, à Albuquerque à proximité de la montagne des Sept Vautours, où elle dort depuis cinq ans. Avec le couple, vivent Mama et Papa, les parents de Leo. On soupçonne Papa de se joindre, en temps normal, à son fils, pour piller. Mama est anéantie, à genoux devant sont autel domestique, récitant ses litanies.
Chuck plait à Lorraine et on imagine qu’il n’a pas pour habitude de négliger une « belle plante ». Le côté sexuel de leur relation est illustré par les détails donnés par Lorraine sur sa pilosité.  Elle est châtain sur sa photo de mariage. Avant, au saloon, elle était rousse. Elle s’est décoloré les cheveux et est devenue platine à Albuquerque. Et à Chuck, elle parle de son châtain d’origine …
C’est l’arrière de sa tête platine qu’il saisit avec brutalité pour l’attirer à lui et la « posséder ». Billy Wilder ne montre rien, la censure n’a pas de grain à moudre.
Lorraine pilotée par Chuck va saisir son deuxième atout pour faire de l’argent et s’en sortir. Et, elle, va gagner.
Arrivé au point de non retour, constatant qu’il a perdu, Chuck, qui ne prend pas d’anti-coagulant, va super bien « gérer » sa sortie.
Il embarque le curé, toujours prêt à partir donner les saints sacrements et l’absolution à des kilomètres à la ronde et il a encore le temps de raccompagner le jeune Herbie, pour qu’il reprenne sa place, dans le bureau du journal local, grâce au bon Mr Boot.
Chuck Tatum s’est racheté et peut (enfin) s’écrouler.

Chez Billy Wilder, je m’accommode très mal des dialogues ininterrompus et du rythme « endiablé » (qui n’empêche pas les longueurs). C’est trop pour moi. Stop ! Besoin d’un peu de silence, un peu de gros plans, sans paroles, ni musique, ici sur les visages et la Montagne des Sept Vautours ».
Plus je vieillis, moins j’aime regarder ou revoir des vieux films.

Mais plus j’aime aller au cinéma.

Marie-Noel

Après Glory, considérations sur trois femmes managers de nos derniers films.

 

 « Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s’annonce comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation ». Guy Debord

 Ces derniers temps, on peut voir apparaître au ciné une nouvelle sorte de femmes, les managers cyniques. Cyniques et sans scrupule ?

Dans Glory, Margita Grosheva incarne Julia Staykova, la communicante du ministre des transports, dont le travail consiste à produire des écrans de fumée, c’est-à-dire de faire du spectacle autour de pas grand-chose pour cacher l’essentiel, en l’occurrence, la corruption.

Dans Toni Erdmann, c’est Sandra Hüller qui est à l’œuvre sous les traits d’Ines Conradi, une jeune et peu sympathique spécialiste de restructuration d’entreprise en mission à Bucarest à qui son père tente de rendre une certaine joie de vivre et humanité. C’est du boulot !

Dans Corporate, Céline Sallette devient Emilie Tesson-Hansen une cost killer, (et les coûts sont humains) persécutrice, qui utilise toutes formes de violences symboliques, dévalorisation, chantage, mensonge et autres manipulations.

Trois belles dames, bien adaptées au monde où elles vivent, à l’ambition illimitée et à l’éthique très limitée. C’est le mérite de notre temps de reconnaître aux femmes, les mêmes désirs narcissiques de puissance, les mêmes possibilités de nuisance que celles dévolues aux hommes. D’autant que ces femmes existent, de plus en plus et de mieux en mieux, c’est un mérite de ces films de leur rendre justice.

Pourtant à chaque fois, à la fin, il y a une petite lumière qui clignote, quelque chose qui leur dit qu’elles sont embarquées sur une drôle de voie.

Constatons qu’au cinéma le pas n’est pas franchi pour nous montrer des femmes absolument cyniques, jusqu’ici, dans chacun de ces films, l’héroïne s’ouvre à autre chose.

– Julia semble avoir un élan de remords et de sollicitude pour Tzanko, il est vrai, brutalement interrompu.

– Ines, retrouve un peu d’humour et de liberté dans ce monde-là, qui est ce qu’il est.

– Émilie reconsidère toute une vie sans vie et sans scrupule pour se mettre au service de la vérité et de la justice. À chacune son rachat.

Avec ces films, on ne peut pas reprocher aux cinéastes d’ignorer ces formes violentes du management. Comme on le voit, s’agissant de femmes managers, les cinéastes ont encore quelques timidités à nous en présenter d’absolument cyniques et sans scrupule. Encore un domaine où le cinéma marche vers la parité.

« GLORY » Slava (Слава) de Kristina Grozeva et Petar Valchavov


Film bulgare (vo, avril 2017, 1h41) de Kristina Grozeva et Petar Valchanov avec Margita Gosheva, Stefan Denolyubov et Kitodar Todorov

Titre original : Slava
Distributeur : Urban Distribution

Synopsis : Tsanko, un cantonnier d’une cinquantaine d’années, trouve des billets de banque sur la voie ferrée qu’il est chargé d’entretenir. Plutôt que de les garder, l’honnête homme préfère les rendre à l’Etat qui en signe de reconnaissance organise une cérémonie en son honneur et lui offre une montre… qui ne fonctionne pas. Tsanko n’a qu’une envie : récupérer la vieille montre de famille qu’on ne lui a pas rendue. Commence alors une lutte absurde avec le Ministère des Transports et son service de relations publiques mené par la redoutable Julia Staikova pour retrouver l’objet.

Affreux, « bête » et, à la fin, méchant.

Glory m’a plu. Beaucoup.

Tsanko est sale, même le jour des félicitations et récompense du ministre. Il s’était « mis propre » mais ne l’est pas resté longtemps … Il est affreusement sale, son logis est misérable. Sa saleté et ses odeurs pourraient être un formidable bouclier,  repoussant ses semblables (auxquels il ne ressemble pas) et les tenant à l’écart. Mais non. Tous le côtoient, l’approchent, lui font endosser leurs vêtements, car ils sont tous plus « crasseux » les uns que les autres. Eux, c’est à l’intérieur.
La vie de Tsanko est réglée sur les minutes, les secondes de sa Slava hors d’âge, et il suit la voie ferrée muni de sa lourde clé à resserrer les tirefonds. Il fait chaud. On a chaud et cette eau ruisselant sur sa tête aussitôt recouverte de la casquette, fait du bien, mouille un peu tous ces cheveux longs hirsutes et poils de barbe. Une barbe qui ne sera jamais rasée, il en a fait le serment.
Les chemins de traverse ne sont pas de son ressort mais pourtant il y aurait tant à faire … Il l’a signalé à son chef puis au ministre en lui précisant bien que son chef, au courant des sorties de route, n’entreprend rien.
Quand on le voit devant tous ces billets qui lui volent dans les mains, on se réjouit de sa chance. Mais Tsanko est honnête jusqu’au bout de ses ongles salis, et il remet le pactole à la police. Mais faut-il être bête !!!
Pourtant, jusque-là, tout va encore bien. Ca se gâte quand, à Sofia, on va toucher à sa seule richesse : sa montre Slava, une vraie, offerte par son père, et qu’on va mettre la vie de ses lapins en danger. Ses gros lapins gris qu’il caresse dans le sens du poil avant de les passer, chacun leur tour, à la casserole pour améliorer son bouillon clair à l’oeuf.
A Sofia, on lui offre, en guise de récompense pour son civisme, une montre Slava, une neuve, made in China, qui ne marche pas, ce qui, pour son travail, est très handicapant.
Et surtout on lui a pris la sienne qu’il va tout faire pour tenter de récupérer dans un dialogue de sourds (Tsanko bégaie sévèrement) avec tous ces fonctionnaires agités qui se moquent bien de savoir où se trouve l’objet en question devenu le symbole du gouffre entre les nantis et les nécessiteux.
Une montre, Julia Staykhova,  40 ans, la responsable des relations publiques au ministère, en a une dans le corps. Mais, toute à sa fuite en avant, à sa course éperdue vers la réussite sociale, malgré les avertissements de son mari, elle défie le Temps. L’inversion des rôles établis, l’homme voulant « materner » et la femme « réussir », est symbolisé par la scène où on voit, chez eux, le mari en peignoir douillet à gros pois face à sa femme au corps toujours contenu, sanglé.
Le journaliste qu’on espérait être le salut du cheminot, s’avère être une planche pourrie. Il fait le buzz à la télé et passe à autre chose.
Comment Tsanko peut-il être aussi naïf et balancer ses collègues dans le Pab ?
Ils le battent à mort et quand Staykhova, dans un sursaut d’humanité, vient, en personne, lui rapporter la montre retrouvée, Tsanko, filmé en contre plongée, se dresse devant elle, tondu, rasé, balafré, sanguinolent, effrayant et on entend le tintement de son lourd outil de serrage.
S’il n’est pas mort, il a fini par devenir méchant.
Et cette dernière image est réjouissante.
Merci (on aura appris par ce film que merci se dit mersi en bulgare)

Marie-Noël

 

GLORY de Kristina Grozeva et Petar Valchavov


Présenté par Georges Joniaux

Film bulgare (vo, avril 2017, 1h41) de Kristina Grozeva et Petar Valchanov avec Margita Gosheva, Stefan Denolyubov et Kitodar Todorov

 

 

Glory, digression sur la Slava

 « Give me back the Berlin wall

Give me Stalin and Saint Paul »

-Léonard Cohen-

Glory est l’histoire d’un cantonnier qui trouve un tas de billets sur les rails et les remet à la police, et il reçoit en récompense une montre « Glory » qui ne fonctionne plus au bout de quelques jours. Pour cette remise de montre, Julia la responsable de communication, ôte celle qu’il possédait et la garde « provisoirement ».

Tsanko possédait pour plus grand bien, une bonne vieille montre Slava (Glory), offerte par son père. C’est un objet à la fois précieux et précis, elle provenait de son père et elle ne bougeait pas d’une minute. Si on ne sait rien en effet des relations de Tsanko à son père, qu’on devine aimantes, on sait que les montres Slava telles qu’elles étaient fabriquées avant 1990 en Russie étaient robustes et précises, dotées d’une technologie particulière, le double barillet. (Nous pouvons facilement en apercevoir dans google sur différents sites). Après 1990, Slava est vendue à une société de Hong Kong, et c’est une autre histoire qui commence, comme commence alors, une autre histoire de la Bulgarie.

Cette Slava versus la montre « technologique et moderne » offerte par le ministre, nous parle assez bien de la situation des gens modestes du peuple bulgare. Depuis qu’il n’y a plus d’union soviétique, pour ces gens-là, les gens pauvres et modestes, les Tsanko je veux dire, à l’image de la montre « technologique » et contrefaite, ce qui marchait bien ne marche plus et ce qui prétendument devrait mieux marcher, ne marche pas.

Mais du coup, cette montre nous parle aussi de la culture et du cinéma en Bulgarie. Depuis 1990, l’industrie du cinéma est pauvre, en Bulgarie où réaliser une fiction long-métrage est un exploit… Elle ne possède plus de réseau de distribution, la production s’est effondrée. Par exemple, The Lesson le précédent film de Grozeva et Valchanov a été réalisé sans un sou. Si le financement d’état n’existe guère, le financement privé, guère davantage. On devine que ce cinéma qui dénonce les turpitudes actuelles des pouvoirs n’est pas exactement l’image qu’aimeraient renvoyer les puissances financières et politiques actuelles.

De fait, la production cinématographique Bulgare se présente sous la forme de deux où trois longs-métrages de fiction chaque année, mieux qu’en 1999 où elle n’en avait produit aucun. Glory nous raconte donc trois histoires en une, celle d’un humble cheminot, celle d’une société particulièrement inégalitaire et corrompue, et celle du cinéma et de la culture bulgares dépourvues de tout.

Et c’est une « gloire » des réalisateurs de montrer la corruption, de dénoncer cette violence envers les humbles, et sur un autre plan, de résister par leurs œuvres à cet appauvrissement culturel institué.

G.

PS : digression pour digression, on aurait pu aussi commenter Julia et sa FIV qui fait en quelque sorte le pendant de la montre de Tsanko. Les montres « technologiques » ne fonctionnent pas, la maternité non plus. (taux de fécondité 1,46). On s’épargnera d’autres données de santé publique.

« Les fantômes d’Ismaël » d’Arnaud Desplechin

 

 

Avec Mathieu Amalric, Marion Cotillard, Charlotte Gainsbourg plus

 Synopsis : À la veille du tournage de son nouveau film, la vie d’un cinéaste est chamboulée par la réapparition d’un amour disparu…
Ismaël Vuillard réalise le portrait d’Ivan, un diplomate atypique inspiré de son frère. Avec Bloom, son maître et beau-père, Ismaël ne se remet pas de la mort de Carlotta, disparue il y a vingt ans. Aux côtés de Sylvia, Ismaël est heureux. Mais un jour, Carlotta, déclarée officiellement morte, revient. Sylvia s’enfuit. Ismaël refuse de que Carlotta revienne dans sa vie. Il a peur de devenir fou et quitte le tournage pour retrouver sa maison familiale à Roubaix. Là, il s’enferme, assailli par ses fantômes…

Ce film est présenté en ouverture hors compétition au Festival de Cannes 2017

Le monde de Desplechin est inconfortable et les deux heures passées avec ses fantômes m’ont laissée tourmentée, fascinée aussi, assez mal à l’aise, heureuse d’en sortir mais sûre d’y retourner. Et consciente de n’en saisir qu’une petite partie. Pas frustrée pourtant : trop grand pour moi.

Mon sentiment, en sortant de la projection, était que je n’avais pas libre accès au monde de Desplechin, que ce film était, sans doute, avant tout, fait pour lui-même et quelques très proches. Aux autres, à moi, le privilège d’entrevoir son monde et les démons qui l’habitent, son monde de création sauvage et puissante, son monde de vacarme des sentiments, d’amours mortes, de regrets, de remords.
Après avoir été bloquée, j’ai très envie de revoir son film avec les clés, les codes que ce premier passage m’a laissés, pour tenter d’approcher davantage ses fantômes, de m’en laisser approcher.
Et pour voir encore ses images, ses acteurs, ses actrices que j’ai trouvé si beaux.

Marie-Noël

Paris la blanche, une histoire d’exil et d’amour.

Prix France Bleu au Festival International du Film de Saint-Jean-de-Luz
Du 11 au 16 mai 2017
Soirée-débat mardi 16 à 20h30

Présenté par Françoise Fouillé
Film français (mars 2017, 1h26) de Lidia Terki avec Tassadit Mandi, Zahir Bouzerar, Karole Rocher, Sébastien Houbani, Dan Herzberg et Marie Denarnaud
Titre original : Toivon tuolla puolen
Distributeur : ARP Sélection
PREMIER LONG MÉTRAGE

Synopsis : Sans nouvelles de son mari, Rekia, soixante-dix ans, quitte pour la première fois l’Algérie pour ramener Nour au village. Mais l’homme qu’elle finit par retrouver est devenu un étranger.

Voici un modeste film, rare et profond, qui n’occupera pas les salles longtemps, n’affiche aucun nom connu, de réalisateur, acteur ou autre star du cinéma. Et pourtant, avec de petits moyens, la réalisatrice, Lidia Leber Terki, franco-algérienne, nous livre une belle histoire, dramatique et sentimentale, qui raconte un peu celle de ses propres parents, une histoire d’exil, de trajet au-delà des mers, de la découverte d’une terre inconnue et de cette nouvelle vie, non choisie mais imposée par les circonstances de l’Histoire.
Nous avons donc Rekia, une femme kabyle âgée de 70 ans, qui n’a visiblement jamais quitté son Algérie natale, et qui se lance dans improbable voyage qui la mène d’Alger à Marseille en bateau ( ce qui nous vaut de très jolis plans larges sur cette belle mer bleue) et une furtive rencontre avec une dame qui dit que  » les Français n’ont pas été très propres » sous-entendu pendant la guerre d’Algérie, à quoi ReKia répond que pendant les guerres personne n’est propre..).
Arrivée à Marseille, où Rekia est filmée de façon incongrue, vue d’en haut perdue dans ce nouvel espace, ou dans un plan traversé par une passerelle. Ensuite traversée de la France en TGV et arrivée dans la capitale, dans un de ces quartiers de l’est qui abritent encore des immigrés.
C’est lorsque Rekia quitte l’hôtel où elle cherche son mari, que j’ai remarqué pour la première fois le bruit. Celui des roulettes de sa valise, sans aucun autre son ajouté, qui revient dans la bande-son, lancinant, dans le couloir du foyer par exemple, le bruit de la valise, le bruit de l’exil.
Paradoxalement c’est à Paris que Rekia fait ses plus belles rencontres, avec des immigrés qui vont l’aider, un Syrien, une jeune française aussi, Tara, qui montre que la solidarité existe, que le monde mondialisé n’est pas aussi noir que les médias nous le disent. A Paris beaucoup d’associations, de riverains apportent spontanément leur aide à ces réfugiés en détresse . ( J’ai la voix de François Ruffin qui parle à France-inter ! ).
Donc après ces beaux portraits de gens ordinaires, Rekia arrive enfin dans une banlieue industrielle à retrouver Nour son cher et bien aimé mari, dont elle est séparée pour cause de travail depuis 48 ans (chiffre que les nouveaux exilés n’arrivent pas à croire). Et comme Rekia nous découvrons, l’environnement industriel et chaotique, la chambre minuscule, avec vue sur le béton qu’habite Nour depuis sa retraite ( 3 -4 ans). Et comme elle, nous observons les objets, la petite plaque de cuisson, le lit, le lavabo qui sert aussi d’évier, la minuscule penderie, et là nous pensons comme Rekia que Nour vivrait bien mieux dans sa maison, perdue dans les montagnes et la verdure de Kabylie.
Mais voilà trop de temps a passé, Nour ne connaît pas ses propres enfants, aperçus au cours des vacances au bled, il ne connaît plus ce pays dont il parle la langue, qui était le sien, la Kabylie mais relégué dans ces foyers perdus, il ne connaît pas non plus son pays  » d’accueil » la France et Paris dont il n’a même pas visité le monument le plus emblématique et mondialisé la Tour Eiffel.
Le film peu à peu monte en puissance émotionnelle, à partir du voyage en bus, qui fait symboliquement le tour, la boucle et emporte deux êtres qui s’aiment, mais qui savent en s’étreignant sur un quai de la gare de Lyon, qu’ils ne se reverront jamais, de toute éternité.
Oui c’était un beau film, simple et ténu qui parle de nous-mêmes.