Film japonais (vo, 2018, 1h43) de Hirokazu Kore-eda avec Masaharu Fukuyama, Koji Yakusho et Suzu Hirose
Titre original : Sandome no Satsujin
Distributeur : Le Pacte
Présenté par Georges Joniaux
Synopsis : Le grand avocat Shigemori est chargé de défendre Misumi, accusé de vol et d’assassinat. Ce dernier a déjà purgé une peine de prison pour meurtre 30 ans auparavant. Les chances pour Shigemori de gagner ce procès semblent minces, d’autant que Misumi a avoué son crime, malgré la peine de mort qui l’attend s’il est condamné. Pourtant, au fil de l’enquête et des témoignages, Shigemori commence à douter de la culpabilité de son client.
Le film commence par un assassinat, Misumi tue un homme en lui assénant un coup de clé à molette sur la nuque et brûle son corps avec de l’essence. Sa culpabilité ne fait aucun doute, d’ailleurs il a tout avoué. Son récit est conforme aux images que nous avons vues. Misumi a déjà fait 30 ans de prison pour deux assassinats. Cette fois il est accusé de vol et d’assassinat. Il risque la peine de mort.
C’est une vérité simple, il a tué pour voler. La peine de mort existe au Japon, il devrait être pendu, c’est plié. Or, Shigémori, l’avocat de la défense, un homme à la fois cynique et sagace, observe des faits plutôt contradictoires avec la version officielle et se met à douter des faits.
Nos convictions de spectateurs avancent un peu en même temps que les découvertes de l’avocat Shigémori… nous les remanierons constamment car ce film est aussi un thriller. Du coup nous nous demandons quel est le statut de ces premières images ? Nous montrent-elles le crime ou une version plausible du crime, telle que de Misumi l’a avoué, et telle qu’elle convient à la procureur ?
Il nous sera suggéré différents mobilesdu crime dont deux qui excluent le supposé coupable.
-Misumi a tué pour voler car il était endetté, dettes de jeu. C’est la version admise (extorquée ?). L’avocat découvre qu’il a 50 000 yens sur son compte et pas l’ombre d’une dette. Nous y reviendrons.
– Il a tué son patron par vengeance. 2 mobiles, il venait d’être licencié ou son patron commettait des actes délictueux.
– Il a tué son patron sur commande de l’épouse qui voulait toucher l’assurance vie.
– Il a tué son patron parce qu’il était incestueux, qu’il aimait cet enfant un peu comme sa propre fille (qu’il n’a plus revu depuis qu’elle avait 8 ans)
(Si on ne sait pas qui a tué, une certitude, tous les plans de Misumi consistent à protéger cette enfant, y compris contre elle-même)
-Le patron a été tué par n’importe qui
-Il a été tué par sa propre fille et le Misumi endosse ce meurtre.
Koré-Eda a pris soin de rendre la culpabilité ou l’innocence de Misumi indécidable, il s’est arrangé pour que nous ne soyons sûrs de rien.
La défense du coupable ( ?) Est l’occasion de voir le fonctionnement de la justice et de la défense et les attitudes des protagonistes. Si l’on se rappelle bien le jeu cynique de Shigemori l’avocat de la défense, on doit se rappeler que la procureure ne l’est pas moins, qui veut refuser l’enregistrement d’un argument parce qu’il contredit sa version. De même elle a retenu l’endettement au jeu comme cause de meurtre alors que Misumi a un compte créditeur récent, confortable, de source obscure. Bref de part et d’autre la vérité ne sort de son puits. Du côté du représentant du juge, ce n’est pas mieux : « On ne recommencera pas un procès, ça coûte cher et ça entacherait sa réputation ».
Du côté de l’investigation, l’avocat bouge lui aussi et faute de percer les mystères de l’affaire, il découvre des choses intéressantes sur la femme de la victime et sur sa fille. L’une, la mère affecte une attitude peinée, que viennent contredire ses magouilles et son silence coupable lors des rapports incestueux de son époux avec leur fille. La fille plus authentique et sensible, est proche de Misumi, « l’assassin » de son père. L’avocat mesure le mystère de cet assassinat et surtout, le mystère Misumi. Ce dont témoigne la gradation des plans de rencontre de ces deux hommes, chacun d’un côté derrière la vitre du parloir.
Remarquable cheminement de l’avocat. Comment marquer les mouvements de son âme, lui qui prétend justement ne pas avoir d’état d’âme, « l’empathie est inutile pour défendre un accusé, dit-il au début du film ».Pour être plus juste, il faudrait dire : remarquable la manière de Koré-Eda pour montrer l’évolution de l’avocat. Tout se passe dans la relation duelle du parloir. À chaque fois il cadre d’une manière nouvelle, et toutes les variantes de prise de vue sont utilisées, du simple champ contrechamp en passant face à face, un face-à-face avec effacement de la cloison, jusqu’à la fusion, superposition des images de l’un et de l’autre. Il y a même un dialogue, ou le reflet de Misumi le fait paraître tel un spectre. Mais revenons à l’avocat, il ne sortira pas indemne de ces confrontations. Il y a entre lui est Misumi un mouvement progressif qui rappelle la philosophie de Lévinas, une relation de visage à visage, une relation à autrui, chaque fois plus authentique et qui oblige.
Misumi « La coquille vide » ? Un prêt à penser.
Le policier qui avait arrêté Misumi il y a 30 ans témoigne à l’avocat : « cet homme changeait de version à chaque fois, c’était une coquille vide ».C’est une réflexion qui a de l’allure, même si on ne sait pas trop ce que cela signifie. Dans le dernier dialogue, Shigémori reprend, « Êtes-vous une coquille vide !? ». L’attitude de Misumi montre l’inanité de la formule, la coquille vide est ce qui reste d’un être qui a été vivant, il n’y a pas de génération spontanée de coquille. Une coquille vide est aussi un réceptacle, et Misumi a été le réceptacle de tout ce qu’on a échafaudé à sa place. Il est le meurtrier par toutes les versions à la fois, même les plus contradictoires. Il en arrive même à plaider coupable pour être sûr d’être condamné.
Shigémori découvre progressivement que cet homme avait préparé sa mort. Payé son loyer, tué ses oiseaux (sauf un, qu’il a laissé s’envoler) avant d’aller se constituer prisonnier et d’avouer tout ce qu’on veut. Il découvre aussi que ce n’est pas le hasard qui l’a conduit à le défendre. Lui qui pensait avoir choisi son client en vient à penser qu’il a été choisi par lui.
Misumi a joué avec les avocats et la justice comme un joueur de go, en stratège, quelquefois en tacticien ( changer de stratégie de défense et plaider non coupable est un coup tactique). Shigémori qui était dans les pas de son père, le Juge qui 30 ans plus tôt, avait gracié Misumi retrouve et adopte salutairement une démarche qui fut celle de son père par Misumi interposé. L’effort de Shigémori pour comprendre son client est quelque chose de nouveau chez lui. La rencontre entre ces deux hommes dans la prison cette fois, après la condamnation à mort laisse penser qu’il a compris quelque chose de Misumi. Cette tentative de compréhension tout intellectuelle, assez dépourvue d’affects, vaut pour de la compassion. Et, après cette affaire, on suppose que Shigémori ne sera plus exactement le même homme.
Le rapport des enfants avec les pères est abordé d’une manière récurente dans les films de Kore-Eda. Ici deux exemples, celui d’un père violeur, et de son côté, le père de l’avocat en vieillissant qui a perdu de son humanité, ses présupposés sur les criminels se résument ainsi : « Il y aurait des natures criminelles ». Avec la rencontre de Misumi, le balancier semble aller dans l’autre sens pour le fils.
Misumi est condamné à mort. Quittons le film un instant pour dire que la peine de mort a l’assentiment de 80 % de la population japonaise. Nous avons vu que la justice produit un système qui veut juger en dehors de la vérité (sincérité) et choisi, au Japon comme ailleurs, de mettre en place un jeu où les faits ne valent pas pour leur valeur « vraie ou fausse », mais pour leur « tarif », c’est-à-dire la sanction encourue par le prévenu. Kore-Eda, montre que ce jeu a ses valeurs propres et n’inclut nécessairement la vérité mais l’usage (l’instrumentalisation) qu’on en fait. L’approximation, le caractère douteux du jugement peut aboutir à la peine de mort qui elle, n’est pas une approximation.
Avec Misumi, Koré-Eda nous présente un personnage qui est un assassin idéal qui arrive à point nommé en tant que coupable, et peu importe qu’il le soit ou non. D’ailleurs il n’est peut-être « qu’un simple candidat au suicide judiciairement assisté ». En France par exemple, en son temps, l’affaire Buffet/Bontemps avait révélé un homme (Buffet) qui a utilisé la justice pour mettre fin à ses jours et plus encore. … Il existe d’autres exemples similaires aux USA.(1)
Avec ce film, Koré-Eda va à contresens de l’opinion dominante Japonaise sur la justice et la peine de mort. Il réalise une fois de plus un très bel fiction et en même temps un bon documentaire.
PS : En revanche les prisons au Japon, si elles sont bien reproduites dans le film, semblent moins ignobles qu’en France, il est vrai que ce n’est pas très difficile.
(1) Je crois me souvenir que cet usage de la peine de mort comme moyen de suicide a été décrite et documentée dans « la compulsion d’avouer » de Théodor Reik. (psychanalyste 1888/1969)
(1 bis) Se souvenir de la fascination pour la mort de Gary Gilmore dans « le chant du Bourreau » de Norman Mailer ou encore de « l’instinct de mort » de Mesrine.