« Paris la blanche » de Lidia Terki

 

Présenté par Françoise Fouillé
Film français (mars 2017, 1h26) de Lidia Terki avec Tassadit Mandi, Zahir Bouzerar, Karole Rocher, Sébastien Houbani, Dan Herzberg et Marie Denarnaud
Titre original : Toivon tuolla puolen
Distributeur : ARP Sélection
Synopsis : Sans nouvelles de son mari, Rekia, soixante-dix ans, quitte pour la première fois l’Algérie pour ramener Nour au village. Mais l’homme qu’elle finit par retrouver est devenu un étranger.

Ce film fait ouvrir les yeux et regarder en face la misère de ces hommes qui ont passé leur vie, loin de chez eux à travailler ici sur les chantiers, à construire des barres d’immeubles pour loger les autres. Le bilan est déplorable . Ils y ont passé leur vie tout en étant, dans leur tête, au moins les premières années, persuadés du retour prochain et définitif au pays, au bled où « pour l’instant » ils vont presque chaque été construire la famille, concevoir les enfants Qui, l’un après l’autre, naîtront en leur absence. Quelle destin que celui de ces femmes qui auront passé leurs vies à attendre leurs maris, seuls soutiens financiers de la famille, donc interdites d’exigence de changement.

Lidia Terki peint délicatement le portrait de cet homme rendu sans attache, s’interdisant de s’imposer à des enfants dont les semaines, les années ont fini par l’éloigner à jamais. Ses séjours au bled se sont espacés et puis il n’y est plus allé. Il ne connaît pas le dernier de ces enfants, tous en photo épinglés sur son mur. Retraité, il n’a même plus le « refuge » abrutissant du travail et est condamné à passer désormais tout son temps dans ce logement exigu, dans cet environnement dévasté, seul. C’est là chez lui. Nour/Zahir Bouzerar est bouleversant.
On passe par Pigalle et sa vie de quartier où Tara/Karole Rocher, fait figure d’ange. D’elle et des personnages autour d’elle, aux vies difficiles, émane une force vitale, une énergie qui irradie et se propage. Ils sont concernés par cette femme âgée qui s’écroule. Cette solidarité est réconfortante car toute cette misère humaine, ces vies abîmées, saccagées font vraiment « mal aux tripes ».
L’irréparable continue d’être commis.

Ce film m’a beaucoup intéressée. Mais je mets un gros bémol sur le choix de l’actrice principale, Tassadit Mandi. Autant je l’avais trouvée très bien dans « Asphalte » de S.Benchetrit, autant je trouve qu’ici, c’est vraiment une erreur de casting. Pour moi, elle n’est pas du tout le personnage de Rekia. Et je la trouve, pour tout dire, par moments à la limite du cabotinage. Dommage.

Marie-Noel

 

Une vie ailleurs – Olivier Peyon (2)

                                                       

                                                        Présenté par Laurence Guyon
Film français (mars 2017, 1h36) de Olivier Peyon avec Isabelle Carré, Ramzy Bedia et Maria Dupláa
Distributeur : Haut et Court

Soirée tonique et sympathique hier soir, n’est-ce pas Laurence ?  Je retiens ce bel échange entre ceux qui aimaient et ceux qui n’aimaient pas, on se serait cru un instant au « Masque et la plume ». L’un des spectateurs  exposant tout ce qu’il n’aimait pas dans le film, soit presque tout, sauf l’idée de départ, hélas si mal traitée. L’autre spectateur demandant si pour être estimé des cramés de la bobine, un film devait nécessairement  être incompréhensible…Et moi de regretter que ces beaux échanges ne se prolongent  pas de quelques lignes dans le blog.

Je fais partie de ceux qui ont aimé ce film. Sans doute  pouvait-on faire meilleur scénario, mais telle quelle « Une vie ailleurs » dit déjà beaucoup, d’une manière simple, d’une situation affective complexe et quant à la fin du film, elle me séduit, je dirai pourquoi tout à l’heure.

Ce que j’ai aimé dans ce film, c’est d’abord le jeu d’acteurs.  Isabelle Carré incarne une Sylvie impétueuse, avec son impatience irascible, sa bougeotte, avec sa revendication maternelle impérieuse,  ses exigences colériques, son activisme maladroit qui la rendent à la fois pathétique et insupportable. Ce premier rôle remplit pleinement sa fonction,  celui à partir de quoi se déploient et se distribuent ceux des autres, la compassion et l’empathie  de Mehdi l’assistant social , la grand mère que le deuil de son fils conduit à des arrangements avec les faits, la tante cette sacrifiée mère de substitution, Felipe, l’enfant heureux et inconsolable seront  autant de contrepoints remarquables.

Notons pour l’anecdote que la mère s’appelle Sylvie, tous ceux qui autrefois ont écouté Françoise Dolto à la radio se souviennent peut-être du sens qu’elle accordait à ce prénom. Elle y entendait conjointement « S’il vit? » soit une interrogation des parents sur l’identité sexuelle de l’enfant à naître. Or Sylvie à mis au monde le petit garçon, Felipe. Je vous laisse le soin d’interpréter, si le cœur vous en dit.

C’est un choix, les thèmes sont frôlés, suggérés plus qu’approfondis, il n’y a aucune volonté didactique dans ce film, mais au contraire une sorte de petite musique, un peu comme celle du film d’ailleurs. Jolie et sans pesanteur.  On y parle deuil, secret, mensonge, amour filial, attachement. Et pour ce thème majeur de l’attachement, le scénario est impeccable parce qu’il laisse libre chaque spectateur de faire son propre chemin.

Avec une clé toutefois, le final, qu’une spectatrice comparait au jugement du Roi Salomon. Rappelons nous :   » Partagez l’enfant vivant en deux et donnez une moitié à la première et l’autre moitié à la seconde. L’une des femmes déclara qu’elle préférait renoncer à l’enfant plutôt que de le voir mourir. En elle, Salomon reconnut la mère. Il lui fit remettre le nourrisson et sauva donc la vie à l’enfant. »

Dans ce film, la mère adoptive et la mère génitrice décident de s’allier pour elles mêmes, l’une pour l’autre, et pour l’enfant.  C’est une qualité de ce film de montrer une femme sûre de son amour exclusif et de ses droits, s’ouvrir à l’altérité. Sylvie comprend qu’il n’y a pas de vraies et de fausses mères ;  que sont mères celles qui se chargent intimement de l’être.

…Et le plan final un peu appuyé et symbolique montre mieux qu’en mille mots, que Sylvie a appris à comprendre que l’autre, Felipe n’est pas une chose ; qu’il faut s’apprivoiser l’un l’autre autant que soi même, qu’élever, c’est aussi s’élever.

 

 

 

 

 

 

 

 

« Une vie ailleurs » d’Olivier Peyon

Du 3 au 9 mai 2017Soirée-débat mardi 9 à 20h30
Présenté par Laurence Guyon
Film français (mars 2017, 1h36) de Olivier Peyon avec Isabelle Carré, Ramzy Bedia et Maria Dupláa
Distributeur : Haut et Court

Synopsis  :  C’est en Uruguay que Sylvie retrouve enfin la trace de son fils, enlevé il y a quatre ans par son ex mari. Avec l’aide précieuse de Mehdi, elle part le récupérer mais arrivés là-bas, rien ne se passe comme prévu : l’enfant, élevé par sa grand-mère et sa tante, semble heureux et épanoui. Sylvie réalise alors que Felipe a grandi sans elle et que sa vie est désormais ailleurs.

 

C’est un sujet si grave que j’aurais aimé être touchée en plein coeur.

Le début du film est régalant avec l’arrivée à l’aéroport puis le transfert en car vers Montevideo, lumineuse, moderne, que je découvre, pour ma part, avec ces images. Dans le car, Sylvie sort la liasse de billets retirés au bureau de change à l’aéroport. Elle fait des enveloppes, là, et on se dit que c’est super « secure » en Uruguay. On apprend en même temps que Medhi qui l’accompagne, est un assistant social ! De son propre chef, il est parti avec elle chercher le fils de Sylvie, Felipe, 9 ans ou plutôt l’enlever à l’autre bout du monde. Un petit aller et retour, t’inquiète. On ne nous explique pas les liens qui l’unissent à Sylvie, ce qui a bien pu le pousser à s’embarquer dans cette folie. Sa détresse de mère ? Un conseil, Mehdi, change de métier. On reste un peu étonné et énervé par cette couleuvre. Mais, bon, admettons.
Le début du séjour est assez captivant, Sylvie continue à se battre pour mener à bien son projet. Elle marche, marche, marche, martèle des talons de ses boots nubuck camel, tous les sols . Clic, clic, clic … Ses pas scandent le film, sans relâche. Sylvie, petit soldat dérouté, combatif. Elle trouve une solution, un bateau, gratuit, ça tombe bien, il n’y avait plus d’enveloppe, pour quitter, le moment venu, le pays. Dès qu’elle aura récupéré son fils Felipe. Felipe que Mehdi est justement parti capturé à Florida …
Alors, à Florida, on hallucine. C’est le paradis sur terre, Florida ! On nous présente un loueur de voiture folklorique, sans vergogne et son véhicule d’un autre temps, rafistolé avec des bouts de ficelle et autres sangles ! Du coup on regarde les autos qui circulent dans Florida : toutes nickel. Un simple pick up pour mettre les vélos des gosses, ça aurait été plus sérieux, plus crédible. Mais, bon, admettons. Alors, oui, à Florida, tout est simple. Les gamins courent, jouent au foot, font du vélo, c’est le paradis. Et il n’y a pas de filles, sauf à l’église. Mais dans les rues, aucune. Elles sont où ?
A Florida, un individu inconnu dans son véhicule pourri peut approcher un stade où des gamins s’entraînent, les photographier et aussitôt les apprivoiser. On n’est pas méfiant à Florida. On peut charger des gamins de 9 ans et leurs vélos dans sa camionnette, improviser une sorte de ramassage scolaire, sans aucun problème.
Felipe est choyé par sa tante Maria, idéal féminin, pleine de grâce, un « canon », super sympa, enjouée, rieuse. Elle ne se dévoue pas, elle est heureuse avec cet enfant qui est devenu son enfant. Il sera bien temps de penser à faire sa vie, à elle, quand le petit sera grand. Magnifique ! Un peu surjoué, peut-être … Bon, admettons. Elle est très sympa, nature avec le touriste. Des liens vont se tisser entre Maria et Medhi et entre Mehdi et Felipe. On sait très vite qu’il va tomber amoureux de Maria, que Maria le fera rester à Florida. Avec elle et Sylvie. C’est déjà l’homme de la situation : quand on ne trouve plus Felipe, le jour de sa communion, c’est à Mehdi que Maria demande de le chercher. Mehdi, le seul qui ne connaisse pas la ville. Bon, admettons.
La grand-mère pourra souffler un peu, enfin délivrée de son secret. Cette grand-mère qui a menti si longtemps. Quand la police a retrouvé la trace de Felipe, à ce moment-là, son fils n’était pas mort. Elle a délibérément menti comme le souhaitait son fils et elle les a accompagnés dans leur fuite. Ensuite, quand son fils est mort, elle n’a rien changé, juste passé le relais à sa fille pour s’occuper de l’enfant. Sa fille, innocente, qui découvre ce mensonge et s’insurge « comment as-tu pu me faire ça ? » La vraie question serait « comment as-tu pu lui faire ça à lui, Felipe ? » Maria est prête à tout pour entériner la situation, pour que rien ne change. A fuir, avec Felipe. Continuer.
On nous persuade depuis le début qu’il vaut mieux pour l’enfant que rien ne change. Sylvie est une femme nerveuse, au bout du rouleau, pour qui la maternité n’a jamais été évidente. Comparée à Maria, légère, sereine, lumineuse … Et si on n’a pas compris il y a les photos Ricoré. Alors là, elle comprend, Sylvie. On lui fera une place sur les clichés. Sur la cage aux écureuils, pour commencer.
Il n’y a pas de solution. Partir, rester, partir avec lui.
Felipe aura tant de reproches à faire, plus tard. A tout le monde.

Un bon (télé)film.
Je lui reproche de ne pas m’avoir émue.
Isabelle Carré est très bien comme d’habitude, Ramzy Bedia très bien, le jeune Dylan Cortes, formidable. Je me suis trop focalisée sur les faiblesses du scénario et la linéarité de la mise en scène.

Marie-Noel

 

 

 

L’AUTRE COTE DE L’ESPOIR Aki Kaurismäki (2)

Berlinale 2017 : Ours d’Argent du Meilleur réalisateur
Du 27 avril au 2 mai 2017
Soirée-débat mardi 2 à 20h30

Présenté par Marie-Annick Laperle

Film finlandais (mars 2017, 1h38) de Aki Kaurismäki avec Sherwan Haji, Sakari Kuosmanen et Ilkka Koivula .
Titre original : Toivon tuolla puolen

«  Le Havre », leprécédent film d’Aki Kaurismäki se terminait sur l’embarquement possible d’un jeune clandestin africain vers l’Angleterre. « L’Autre Côté de L’Espoir « s’ouvre avec un jeune émigré syrien qui débarque noir de charbon, d’un cargo accostant dans le port d’Helsinski.. Il s’avance dans la nuit émaillée de belles lumières, métaphore de sa sombre errance illuminée de belles rencontres..

Quel bonheur de retrouver Aki Kaurismäki six ans après « Le Havre » ! Bonheur de retrouver la trogne et la dégaine de ses personnages atypiques, la nostalgie de sa musique rock folk, le design d’objets démodés qui se rappellent à notre bon souvenir:un réveil des années soixante, un téléphone à cadran, un juke box sorti des oubliettes ou une limousine russe collector.

Comme c’est savoureux de déguster ses dialogues minimalistes, ciselés au burin de l’humour caustique où chaque mot est pesé à l’aune de son efficacité !

Mais si la forme est légère, le propos social reste toujours aussi fort chez Kaurismäki qui fait se rejoindre dans ce film, le monde des migrants et celui des perdants. Pour exprimer son propos, le cinéaste ne s’embarrasse pas de fioriture, de psychologie, de finasserie.Il n’y a pas de superflu chez lui . Il dégraisse la mise en scène jusqu’à l’os pour aller droit au but.

Emergé de son tas de charbon, Khaled, le jeune réfugié syrien demande une douche. La caméra montre seulement une eau noire qui dégouline sur ses pieds et s’évacue dans les égouts.La crasse réelle et symbolique accumulée par Khaled au cours de ses longs mois d’errance à travers les pays d’Europe, retourne là d’où elle n’aurait jamais du sortir : les égouts de la » déshumanité «  qui avilit autant celui qui rejette que celui qui est rejeté.

Le cinéaste n’hésite pas non plus à recourir à l’ellipse qui permet d’aller à l’essentiel..Avec lui, on ne tergiverse pas pour échanger quelques coups de poing mais encore moins pour se réconcilier, pour venir en aide ou pour montrer sa solidarité.Une porte qui s’ouvre pour Khaled, au bon moment grâce à une employée compatissante ; un camionneur qui prend des risques en cachant  Miriam sa sœur. Tout est dans la générosité spontanée.

Pas de temps à perdre non plus avec l’émotionnel, avec l’apitoiement sur soi. Khaled débite aux autorités finlandaises son histoire effroyable comme s’il s’agissait d’un compte-rendu clinique , précis et froid. En face, pas le moindre signe d’empathie. Personnellement, j’attribuerai la palme de l’économie de mot, de geste et d’émotion, à la scène de rupture entre Wikhstrom et sa femme.. Un trousseau de clés et une alliance posés sur la table par le mari. Deux regards qui se croisent. La femme qui entérine la situation en écrasant avec sa cigarette, l’anneau au fond du cendrier puis se sert un verre de vodka. Scène muette qui dit tout.

« J’agis sinon je meurs. Je joue. », dit la chanson du vieux rocker de rue. Les deux personnages principaux agissent et jouent. Wikhstrom joue au poker pour réaliser son rêve de restaurant. Khaled arpente l’Europe pour trouver un futur meilleur. Tous les deux jouent leur avenir. Et comme l’a fait remarquer un spectateur, « ça passe ou ça casse ».

Comme c’est réjouissant de retrouver ces personnages kaurismakiens qui restent debout face aux défis de la vie et gardent l’élégance des résistants impassibles et silencieux.

Comme c’est réjouissant cette dignité humaine qui émerge comme un phare , pour lancer le message d’Aki Kaurismäki : « C’est de la solidarité du peuple que viendra notre salut. »

Tchin tchin Aki ! Santé

Marie-Annick

« De l’autre côté de l’espoir » d’Aki Kaurismäki

Meilleur réalisateurDu 27 avril au 2 mai 2017Soirée-débat mardi 2 à 20h30
Présenté par Marie-Annick Laperle

Film finlandais (mars 2017, 1h38) de Aki Kaurismäki avec Sherwan Haji, Sakari Kuosmanen et Ilkka Koivula .
Titre original : Toivon tuolla puolen

Synopsis : Helsinki. Deux destins qui se croisent. Wikhström, la cinquantaine, décide de changer de vie en quittant sa femme alcoolique et son travail de représentant de commerce pour ouvrir un restaurant. Khaled est quant à lui un jeune réfugié syrien, échoué dans la capitale par accident. Il voit sa demande d’asile rejetée mais décide de rester malgré tout. Un soir, Wikhström le trouve dans la cour de son restaurant. Touché par le jeune homme, il décide de le prendre sous son aile.

Poignardé, avant de lâcher prise, de franchir cette dernière porte qui ouvre sur l’autre côté, Khaled espère encore : sa blessure n’est pas grave, d’ailleurs le pansement n’est pas souillé, il est « le meilleur des frères » et se rend au rendez-vous avec sa sœur Miriam
Puis il va se reposer, s’adosser à un arbre et il contemple ce paysage d’usines, de cheminées d’usine, de travail, de salut, d’espoir, là, juste là, sur la rive, de l’autre côté de cette eau, en compagnie  de la petite chienne, indésirable comme lui, qui devait se planquer comme lui.

Pourtant, la-bas, avant, de l’autre côté, il avait fait aussi de belles rencontres.
Dont Mazdak, le réfugié irakien qui espère depuis plus d’un an qu’on débloque sa vie, qui partage tout avec lui, les peurs aussi, qui l’aide à retrouver sa soeur et à s’arranger pour les papiers en 2 clics et quelques billets. Mazdak le conseille aussi sur le comportement à adopter pour être un « bon » demandeur d’asile : sourire, toujours, mais pas n’importe quand, n’importe comment. Surtout pas dans la rue, le métro ! pas devant tout le monde ! on le prendrait pour un fou ! Sourire quand alors ?
A Mazdak, Khaled, bon élève, se dira tombé amoureux de la Finlande … et pressé d’en partir !

On apprécie les dialogues bien écrits, on rit aux répliques caustiques semées  tout au long du film, on rit plutôt intérieurement, vite fait car, juste après, on est replongé dans le quotidien et ses tourments.
L’absence totale de sourires est frappante. C’est, paradoxalement,  dans les yeux de Khaled, qui vient de l’enfer d’Alep, qu’on voit poindre parfois une amorce de joie et qu’on voit sourire quand il tient sa soeur dans ses bras.
Les personnages finlandais, pourtant, jusqu’ici, de fait, du bon côté de l’espoir, ne sourient pas du tout.

Il n’y a aucun enfant.

De nombreux personnages, travaillés, étonnants, captivants, certains loufoques, peuplent ce film :

La femme en bigoudis attablée devant un beau gros cactus tout rond auquel elle a fini par ressembler, fumant devant le cendrier plein de mégots , la bouteille de Koskenkorva à portée de main, quittée par son mari, ailleurs

Calamnius, le portier, toujours resté célibataire mais, attention, par choix ! Vrai ? On en doute.

Mirja, la serveuse, droite comme un I, impeccable, en kimono aussi

Nyrhinen, le cuisinier de formation basique tendance conserves, sachant néanmoins s’adapter et élaborer des mets cosmopolites « revisités » avec beaucoup de fantaisie, qui a cette faculté rare, de dormir debout avec la clope au bec (tout le monde fume beaucoup dans le film) et ne rate aucune occasion de poser une louche sur son épaule gauche comme pour en écouter la douce musique ou bien pour la protéger des salissures …

les musiciens d’un autre temps

les joueurs de poker

l’infirmière qui, pour avoir su ouvrir une porte, au bon moment, devient salvatrice.

Et puis il y a Wikhstrom, Waldemar de son prénom, qui a voulu changer, qui a bazardé ses chemises, qui a quitté sa femme pour mieux la retrouver, qui a cru en sa bonne étoile et a tout misé sur l’avenir. Il gagne parce qu’il est lui, qu’il est généreux et qu’il a tout à perdre. Personnage magnifique, désemparé et bienveillant, main tendue à Khaled à qui il donne l’essentiel : la dignité en lui ouvrant son restaurant pour manger, y travailler, en lui donnant un toit, son local de stockage devenu donc un « palais ».

Mais, voilà, la peur de l’étranger, du « chamelier » est là, dehors, qui guette et qui terrasse.

La vie de Khaled, plein d’espoirs, s’ouvrait pourtant en grand angle sur le port noir d’Helsinki illuminé …

Ari Kaurismäki est entré dans le cercle pas fermé de mes Hommes préférés.

Marie-Noël

« L’Histoire officielle » de Luis Puenzo

HISTOIRE OFFICIELLE
Primé au Festival de Cannes en 1985, Oscar et Golden Globes du Meilleur film étranger en 1986Du 27 avril au 2 maiSoirée-débat dimanche 30  à 20h30
Présenté par Claude SabatierFilm argentin (vo, 1985, 1h52) de Luis Puenzo avec Norma Aleandro, Héctor Alterio et Hugo Arana

Alicia, professeur d’histoire dans un lycée de Buenos Aires, mène une vie tranquille et bourgeoise avec son mari et la petite Gaby qu’ils ont adoptée. Dans sa vie professionnelle comme dans sa vie privée, elle a toujours accepté « la version officielle » jusqu’au jour où le régime s’effondre. L’énorme mensonge se fissure, et Alicia se met à suspecter que Gaby pourrait être la fille d’un « disparu ». Débute alors un inexorable voyage à la recherche de la vérité, une quête dans laquelle Alicia pourrait bien tout perdre.

 

Si la vérité historique n’émerge que lentement dans la mesure où, selon un étudiant d’Alicia, dans une dictature, « l’Histoire est écrite par les assassins », que dire de la vérité intime, dès lors qu’elle nous oblige à ouvrir les yeux sur nous-mêmes, à penser et tout repenser autrement, à remettre en cause l’équilibre de notre famille et jusqu’à notre fragile bonheur ? C’est le pari cinéphilique, le dilemme moral que soulève « L’Histoire officielle » de Luis Puenzo, film historique et drame psychologique, tourné en 1984, sorti en 1985, qui, alors peu prophète en son pays, connaîtra une consécration mondiale en 1985 avec le prix d’interprétation féminine pour Norma Aleandro et l’Oscar du meilleur film étranger en 1986 (10 ans après le coup d’Etat du 24 mars 1976) pour une vraie reconnaissance nationale, enfin, la même année.

Cette oeuvre de conscience et de mémoire, restaurée en octobre 2016, dont la diffusion par Ciné-Culte et les Cramés intervient opportunément face à la présence de l’extrême droite au second tour des présidentielles, évoque la fin de la dictature argentine (1976-1983) en mars 1983, alors que les manifestations en faveur des 30 000 disparus, 15 000 fusillés, 9000 prisonniers, 1,5 millions d’exilés du régime, les marches hebdomadaires place de Mai des grands-mères d’enfants arrachés à leur mère et « adoptés » par les séides de Videla et le traumatisme de la désastreuse invasion des Malouines en 1982 avec ses 650 morts argentins soufflent un vent de contestation qui emportera le régime en octobre 83, date des premières élections démocratiques depuis 7 ans. Quand on sait l’angoisse de Norma Aleandro à l’idée de jouer dans ce film, les menaces physiques de la dictature sur la mère d’Amelia Castro qui joue la petite Gaby, on mesure les risques pris par le cinéaste de « La Peste », que le coup d’Etat avait détourné du cinéma vers le film publicitaire, et qui n’hésitera pas à utiliser des images réelles des manifestations réprimées des « Folles de mai » (selon la phraséologie totalitaire) ou un album authentique de photos d’enfants enlevés à leur famille recueillies ou affichées dans le local des courageuses « abuelos ». La mise en scène en retire une authenticité accrue, et une étonnante fluidité – la dimension documentaire nourrissant l’invention, la fiction, en retour, paraissant d’autant plus proche du réel que la perspective familiale parle à notre intimité et autorise l’empathie pour Alicia, conquérante et martyre de la vérité : le cinéaste dit s’être inspiré de l’un de ses films-fétiches, « Kramer contre Kramer », de Robert Benton, sur le divorce, avec Mery Streep et Dustin Hoffman, pour dépeindre le délitement du couple Alicia-Roberto. Si l’on ajoute que Luis Puenzo a dû rester prudent et simultanément ruser, non sans audace, avec le pouvoir en déclarant son tournage terminé en 1983 pour pouvoir le poursuivre clandestinement à son domicile jusqu’en 1985, on ne peut qu’admirer davantage le combat pour la liberté de cinéastes jouant au chat et à la souris avec la censure, tel Jafar Panahi envoyant à Cannes son « Ceci n’est pas un film » sur une clé USB.

Mêlant habilement l’arrière-plan historique et le drame familial sans souligner ni sacrifier jamais ces deux dimensions, autour des trois strates de « l’Histoire officielle », de l’Histoire enseignée par Alicia avec une certitude de plus en plus chancelante et de l’histoire intime, ce film nous montre donc une enseignante d’histoire de Buenos Aires dans un lycée de garçons chahuteurs et contestataires – premier coup de boutoir contre ses certitudes – mariée à un homme d’affaires semble-t-il fort proche du pouvoir : le contexte politique et surtout le retour inopiné d’une amie d’enfance qui lui fait le récit glaçant des tortures endurées pour son ami dissident et disparu, dessillent une éducatrice plutôt naïve – ou volontairement aveugle ? Pire, l’allusion, involontaire ou calculée ? – d’Ana aux bébé volés et vendus provoque en elle un choc sans retour en fissurant sa bonne conscience : d’où vient au juste Gaby, son adorable fille de 5 ans ? Et si le bébé que son mari lui avait ramené sans explication, supposément adopté à une mère défaillante, était finalement l’un de ces enfants de la dictature arrachés à leur famille dans un souci de « purification idéologique », d’ « eugénisme éducatif », si l’on peut dire ?

Dès lors, rien n’arrêtera la quête à la fois intimement nécessaire et familialement destructrice d’Alicia : le tragique est en marche en ce que le dévoilement d’une vérité inéluctable sera un douloureux arrachement au mensonge pour une réappropriation de soi-même. Arrachement au mensonge d’autant plus nécessaire qu’Alicia a vécu toute son enfance dans l’ignorance et l’affabulation : on lui a laissé croire que ses parents, morts dans un accident de voiture, étaient partis pour un long voyage, qu’ils reviendraient, jusqu’au jour où elle a découvert leur tombe. Arrachement au discours lénifiant et spécieux de l’Eglise, dont la hiérarchie a soutenu une « Révolution nationale et catholique », à l’ordre moral triomphant, aux relents nazis et antisémites, aux références inquisitoriales et exterminatrices, à la haine irrémissible dans sa « guerre sale » contre le étudiants, journalistes et syndicalistes, allant jusqu’à faire tuer ses opposants à l’étranger dans le cadre de « l’opération Condor » : faut-il rappeler que la dictature de Videla, outre les escadrons de la mort qui raflaient et pillaient, pratiquait « les vols de la mort » consistant à jeter du haut d’un avion des opposants vivant et drogués pour leur assurer une mort « très chrétienne » ? Comment s’étonner dès lors que le prêtre en son confessionnal noie vite la soif de vérité d’Alicia dans l’eau froide de la volonté divine et de « l’absolution » des péchés (de doute ? d’humanité ?) contre une vérité humaine par trop dérangeante ? Arrachement aussi au bonheur factice de cette union mal assortie avec un homme qui flirte avec les généraux au pouvoir, laisse accuser et « disparaître » un collègue de travail, traite Ana, torturée, d’ « ordure » communiste, dans un sombre parking où se révèle son vrai visage, qui se trahit en fustigeant la « dissidence » du compagnon d’Ana sans préciser d’où il tient cette information, et frappe enfin son épouse pour avoir déposé Gaby chez sa mère et voulu le sensibiliser ainsi à la douleur parentale de l’enfant disparu : la façon dont Roberto cogne la tête d’Alicia contre le mur et le geste sûr, concerté, par lequel il lui écrase la main dans l’entrebâillement de la porte, ne laissent aucun doute sur la nature tortionnaire du personnage, bien au-delà de violences conjugales exacerbées.

On conçoit mieux l’intérêt pour le réalisateur d’avoir finalement choisi le point de vue de la mère adoptive plutôt que celui de la grand-mère, initialement prévu : le film eût été sans doute plus didactique, voire démonstratif ; l’identification à la grand-mère recherchant sa petite-fille aurait pu conduire à un propos larmoyant tandis que la démarche d’Alicia, plus aléatoire et dramatique, plus authentiquement tragique car source de déchirement entre le confort intellectuel et l’exigence de vérité, s’offre à l’identification romanesque comme à une réflexion éthique : si quelques critiques vétilleux regrettent un certain manichéisme des personnages (mais l’odieux Roberto pleure, aime sa femme et adore sa fille !) que souligneraient des gros plans insistants et une musique plus illustrative que suggestive, l’ignorance et la naïveté, parfois peu vraisemblables, d’Alicia nous interpellent moins sur le Bien ou le Mal que sur la « zone grise » où évoluaient alors, selon Puenzo, 95 % de la population : que savait la population argentine des disparus et de ces enfants volés dont 120 ont été retrouvés en 1983, dont 380, devenus quadragénaires, vivent aujourd’hui en Europe ou recherchent encore leurs origines ? (Il y aurait encore en 2017 des manifestations contre les disparitions, comme celles de la place de Mai…) Comment Alicia, professeur d’histoire, témoin de la mémoire, célébrant avec ses élèves Mariano Moreno, journaliste, révolutionnaire de Mai 1810 et héraut des Lumières, a-t-elle pu ne pas s’interroger plus tôt sur les circonstances mystérieuses de l’adoption de sa petite Gaby ? Pourrait-il y avoir un déni de vérité ou, à tout le moins, un refus du doute, comme il y a un déni de grossesse, pour préserver son bonheur et asseoir un socle de certitudes vitales ? Comme dans la France de 39-44, où commençait la collaboration avec la junte militaire ? Et jusqu’à quel point la résistance était-elle possible ?

Oui, entre le Bien et le Mal, la zone grise déploie la tremblante palette des compromis, prudents moyens termes ou compromissions, voire trahisons ? Le repas de famille, scène classique au cinéma, en l’occurrence chez les parents de Roberto, va, par-delà le plaisir crispé de retrouvailles tant attendues, recréer – définitivement ? – la fracture entre Roberto et son père qui, comme son frère, lui reproche sa fortune suspecte, sa réussite sans âme en lui opposant leur vertueuse pauvreté, leur humanisme vigilant. Très vite, à partir d’une boutade (ou d’une provocation ?) du père sur les « dollars » que ferait « pleuvoir » Roberto, la discussion tourne  à l’affrontement : dans un plan très pictural, sous le regard du père en pleurs au bout de la table, les deux frères, de part et d’autre, règlent leurs comptes, tandis que les femmes se sont écartées, par prudence instinctive ou soumission ancestrale, de cette discussion politique. Le propos pourrait paraître manichéen mais, dans une dictature, peut-on vraiment réussir sans se compromettre ?

Si le film à mon sens évite le manichéisme, sinon un certain didactisme bien compréhensible, il sait aussi refuser la complaisance du pathétique. Le sujet s’y prêtait pourtant ! La rencontre entre Alicia et la grand-mère qui lui montre les photos dont elle dispose a beau bouleverser la mère adoptive de Gaby, l’émotion est comme tenue à distance par l’ambiance détendue du café et la présence de jeunes jouant au flipper. Déjà, la longue scène du récit par Ana de ses tortures nous avait surpris par le mélange des registres, l’horreur arrivant sans prévenir, dans le naturel d’une conversation anodine, mieux, du fou rire de deux amies d’enfance passablement éméchées : par un curieux décalage entre les paroles et la réaction suscitée, Alicia avait continué à rire, à sourire alors que, depuis plusieurs minutes déjà, Ana avait entamé la relation terrifiante des persécutions subies…Et il avait bien fallu  quelques instants de plus pour que la physionomie d’Alicia se mît enfin en accord avec les circonstances, que sa pensée embrumée s’ouvre à la vérité, son cœur anesthésié à la compassion, ses bras à l’étreinte fraternelle.

Il avait fallu, comme dans la vie, le temps de la prise de conscience dans  l’afflux des pensées immaîtrisées, dans la discordance d’images contradictoires de vie et de mort. Comme au cinéma : un raccord laborieux et douloureux pour épouser la souffrance indicible de l’autre et entrouvrir ses propres gouffres pour la joie amère et lucide du spectateur.

Claude

 

P.S : Pour tous ceux que l’histoire des 500 enfants volés intéresse, sur France Inter,  vous trouverez  ici le lien pour accéder à LA MARCHE DE L’HISTOIRE, émission de Jean Lebrun , consacrée, le lendemain de notre soirée-débat, aux grands-mères de la place de Mai :

http://direct-radio.fr/france-inter/podcast/Jean-Lebrun/La-marche-de-l-histoire

A la télé vous trouverez :  Argentine, les 500 bébés volés de la dictature  diffusé sur France 5   MARDI 2 MAI20h50

https://www.youtube.com/watch?v=KTQyoF5xFEo

DocumentaireDurée : 1h35min

 

 

 

« Certaines femmes » de Kelly Reichardt

Soirée-débat mardi 25 à 20h30
Présenté par Eliane Bideau

Film américain (vostf, février 2017, 1h47) de Kelly Reichardt avec Kristen Stewart, Michelle Williams et Laura Dern

Synopsis :Quatre femmes font face aux circonstances et aux challenges de leurs vies respectives dans une petite ville du Montana, chacune s’efforçant à sa façon de s’accomplir.

 

Cette Amérique-là, on la suppose mais on ne la voit quasi jamais comme ça, de si près. C’est très intéressant.

On y est à Livington et à Belfry, Montana, dans le « far north west »où les Chrysler et les pick up Ford ont remplacé les chevaux, où des indiens, vêtus de copies flashy de leurs costumes traditionnels, se donnent en spectacle dans une galerie marchande et ça ne choque plus personne depuis longtemps, où la junk food a envahi les restaurants.
Les vastes étendues et les montagnes alentour n’y changent rien : la vie, ici, est d’une tristesse poissante. Certaines femmes et les autres y vivent pourtant, sillonnant cette contrée en long, en large et en travers, sans issues, bloquées.
Laura est avocate de routine sans passion, sans compassion, désabusée. Laura a un amant Ryan, avocat aussi. La belle scène de la chambre éclairée de la lumière de la mi-journée, par un jeu de portes, de cloisons et de miroirs, nous dit la situation : ils ont deux visages et sont dissociés. L’homme, qui se rhabille, est son amant et il est marié. De retour de son « lunch meeting », elle doit se coltiner William Fuller, son client, qui fait le siège dans son bureau, revient toujours pour tenter d’entendre ce qu’il veut qu’elle lui dise. Elle lui redit alors toujours ce qu’elle peut lui dire : non, il n’obtiendra pas gain de cause. La loi c’est la loi. Il n’a aucun recours. Devoir le lui faire confirmer par un collègue, homme, l’humilie.
Après bien des péripéties, des situations plus ou moins crédibles, William, en prison, quitté par sa femme pour un « correspondant » écroué comme lui (dans le Wyoming en plus !) , tentera d’établir avec Laura une relation, épistolaire. Pour commencer.
Ryan, l’amant, qui a quitté Laura, par téléphone (encore un courageux), est marié à Gina, petite personne pas très sympathique, vaillant petit soldat, hyperactive, déterminée. Elle l’aura sa maison construite avec les pierres de l’ancienne école, qu’elle a enfin réussies à obtenir d’Albert, vieil homme solitaire dans son temps arrêté.
1976, c’est l’année restée dans la tête d’Albert ou bien c’est l’année où se passe le film ? Alors là ? Quelqu’un le sait ?  Pas de repères. La musique : de la country depuis des décennies et pour des décennies, les vêtements : informes, du pêche (du taupe !), les coiffures : quelles coiffures ?, les maisons, les routes … ? Guthrie, la fille de Gina et Ryan a les écouteurs de son walkman vissés aux oreilles. En 76, il y avait déjà des walkman(s) ?
Si ça se passait maintenant, elle jouerait en plus du sms.
Jamie est indienne. Son monde, son espace et son temps ont été balayés, depuis longtemps, les chevaux ne sont plus libres. On voit cet enfermement intérieur et extérieur par la scène répétée où les chevaux passent cette barrière pour rentrer à l’écurie le soir et pour sortir dans l’enclos le matin. On voit leur captivité aussi par la scène répétée de la distribution du foin par Jamie fonçant sur son quad poursuivi par la chienne, lucy.
Dans cette vie solitaire, monotone, survient LA rencontre de sa vie, Beth. On assiste à son coup de foudre. Ses jours s’en trouvent illuminés, les mardi et jeudi où elle la voit, l’écoute faire son cours, la regarde manger, toujours en retrait, s’empêchant d’accepter de partager son repas, les autres jours à attendre que ces deux jours là arrivent. Jamie est amoureuse . On est ému, lorsqu’on la voit, rayonnante, honorée de se voir distribuer par Beth, comme à tous les auditeurs, la feuille de cours, qu’elle ne pourra, pourtant, peut-être, pas lire. Et on imagine que le trajet du centre de formation jusqu’au restaurant, à cheval avec Beth en croupe, collée dans son dos, restera dans ses souvenirs un des plus beaux moments de sa vie.
Beth ne la conforte ni ne la décourage. Elle ne la voit pas vraiment. Elle aime bien cette jeune femme qui l’écoute à Belfry, si loin de Livingston et où elle souhaite ne plus venir, s’étonne à peine du long trajet qu’elle a effectué, Belfry-Livingston, quatre heures de route, pour, seulement, la revoir, ne s’étonne pas qu’elle l’ait trouvée dans la ville.
Beth trace sa route vers l’ascenseur social. Inaccessible au reste.

Un beau film qui s’étire, comme le temps dans le Montana.
Un beau film qui nous donne le temps de regarder certaines femmes.

Et puis un film avec Kirsten Stewart, pour moi la meilleure actrice de sa génération. Magnétique.

Marie-Noël

« Moonlight » de Barry Jenkins (2)

Oscar du Meilleur film, du Meilleur acteur dans un second rôle, du Meilleur scénario adapté (1)Du 13 au 18 avril 2017Soirée-débat mardi 18 à 20h30
Présenté par Laurence Guyon

Film américain (vostf, février 2017, 1h51) de Barry Jenkins avec Alex R. Hibbert, Ashton Sanders et Trevante Rhodes.

Je suis vraiment heureuse que Moonlight ait plu au public des Cramés hier soir. J’avais une crainte, la même que celle de Barry Jenkins : que les spectateurs n’acceptent pas certains partis pris esthétiques du film, radicaux, quasi agressifs, engagés à certains moments pour s’approcher au plus près du héros. A la première vision, j’ai moi-même été gênée par l’usage excessif du flou, certains effets « chichiteux » mais, hier soir, je ne l’ai pas vu ainsi, j’ai lâché prise et j’ai trouvé ma première réaction injuste. Barry Jenkins ne voulait surtout pas faire un film terne et misérabiliste. Au contraire. C’est volontairement qu’il a filmé ainsi, il souhaitait que l’on voit la beauté des lieux, les couleurs, l’architecture, la végétation luxuriante, ce bleu symbole du rêve. Un magnifique écrin pour mettre en valeur ses personnages si fragiles et si forts.

C’est vrai, Marie-No, c’est injuste que ces moments de reconnaissance aient été volés à Barry Jenkins et Tarrel Alvin Mc Craney à la cérémonie des Oscars. Comme tu le disais dans un précédent article : « Quel bazar aux states » !

Barry Jenkins a confié au magazine américain Entertainment Weekly le discours qu’il avait préparé, au cas où :

« Tarell Alvin McCraney  et moi sommes ce gamin. Nous sommes Chiron. Et ce gamin ne sera jamais nommé à huit Oscars. Ce n’est pas un rêve qu’il a le droit d’avoir. Je ressens toujours la même chose. Je ne pensais pas que c’était possible. Mais je regarde maintenant les autres gens qui m’observent, et si je pensais que ce n’était pas possible, comment pourraient-ils le croire eux-mêmes ? Mais c’est arrivé. Donc laissons de côté ce que je pense. Cette chose est arrivée ».

 

« Moonlight » de Barry Jenkins

Oscar du Meilleur film, du Meilleur acteur dans un second rôle, du Meilleur scénario adapté (1)Du 13 au 18 avril 2017Soirée-débat mardi 18 à 20h30
Présenté par Laurence Guyon

Film américain (vostf, février 2017, 1h51) de Barry Jenkins avec Alex R. Hibbert, Ashton Sanders et Trevante Rhodes.

Synopsis : Après avoir grandi dans un quartier difficile de Miami, Chiron, un jeune homme tente de trouver sa place dans le monde. Moonlight évoque son parcours, de l’enfance à l’âge adulte.

Ce drame social nous montre autant de personnages, autant d’individus qui ne se confondent pas, qui sont uniques.

Barry Jenkins, avec Tarell Alvin McCraney nous racontent cette histoire, de l’intérieur .
La violence est partout.
L’humanité aussi.

On est entré  dans ce ghetto de Miami avec Little, on y reste avec Chiron. On en sortira avec Black. Pour entrer dans un ghetto d’Atlanta etc ..
Une seule et même personne à trois âges de sa vie,dans un lieu universel avec la particularité de ne regrouper que des noirs.

Little est innocent, né dans cet enfer dont il apprend les codes. Mutique et fragile. Ça fait mal de le voir vivre ce calvaire. Après une incursion dans une zone de danger, lié au monde de sa mère, c’est Juan, le dealer en chef, baraque de 2m , 100 kgs de muscles, qui le prend sous son aile, le nourrit. Avec Teresa, sa compagne, qui exhibe ses charmes généreux, très moulés, vitrine du produit qu’elle vend. Ils vont lui vouloir du bien. Généreux et tolérants. C’est à eux que Little, différent, posera la question brutale avec ce mot employé par les autres, et par sa mère aussi. « C’est quoi, une tapette ? Comment je saurai ? » « Tu sauras ».
Juan lui apprend à nager, très belle scène à fleur d’eau.  On est dans l’eau, dans le bain avec eux.
Juan lui apprend aussi à ne jamais tourner le dos à une porte, pour toujours voir ce qui va arriver, qui va arriver. L’avenir de Chiron est donc écrit. Juan disparaîtra brutalement, sans surprise. Ca aussi c’était écrit. Il a vu venir un certain temps, mais n’a pas pu sauver sa peau. Juan, de Cuba, « blue in the moonlight ». »Alors, tu t’appelles Blue ? » « Non » et il sourit.
Ca nous reste en tête.

La lune bleue clignotante a ouvert l’épisode « Chiron ».
Little devient Chiron, dont le calvaire à l’adolescence empire encore, encerclé qu’il est par cette meute de « camarades » violents et homophobes dont Tarell, effrayant. Tarell, même prénom que le co-scénariste, dont l’histoire personnelle est proche de celle-ci.
Ce Tarell là aurait pu devenir ce Tarell ci. Et inversement.

Un cercle rouge, clignotant, ouvre l’épisode « Black ».
Dans le jardin du centre carcéral de désintox, Paula, sa mère, gémit sa peine d’avoir tout raté. Bien sûr, elle l’aimait, son baby comme elle l’appelle, ultime tentative de tout effacer, de  tout recommencer,  mais son amour était enfoui dans le gouffre abyssal de son addiction au crack. Paula, clean, semble consciente du désastre produit et pourtant lui reproche ses activités de dealer !
« Ne pars pas », implore-a-t-elle. « Je n’ai que toi, tu n’as que moi »
Il la prend dans ses bras, forcé.
La souffrance est vive et  la plaie, béante. Pour tous les deux.

On revoit une scène « rembobinée   » et sonorisée, vingt ans plus tard : Paula ressort de la chambre à reculons et on entend maintenant les mots hurlés à Little : « NE ME REGARDE PAS ! »
On comprend que, de ce moment là, il baisse la tête et les yeux, toujours. Sa détresse est immense à tous les âges de la vie.

Dans une des dernières scènes, au restaurant, en face de Kevin, il a encore les yeux baissés et on attend, on guette le moment où il va relever la tête et ouvrir les yeux. Alors, à ce moment là, exactement, on est en face du petit garçon qu’il est resté, dans l’innocence intacte de ses yeux.

Quel soulagement de voir Black redevenu Little et s’autorisant à être Chiron, fragile et tendre, la tête posée sur l’épaule de Kevin.
La scène suivante sera torride et on s’en réjouit.

Les acteurs sont magnifiques, mention spéciale à Trevante Rhodes,
et aussi à Mahershala Ali, Naomie Harris, Axel R.Hibbert, Ashton Sanders, Janelle Monae, Andre Holland  …

Très beau film sur le chemin tracé à la naissance, comment on devient ce qu’on n’est pas, ou comment on réussit à devenir, malgré tout, ce qu’on est.

On regrette que Barry Jenkins, avec Tarell Alvin McCraney et toute l’équipe aient été privés du bonheur de monter sur scène, applaudis comme il se doit, pour recevoir l’Oscar du Meilleur film 2017.
Laurence nous a lu hier soir le discours préparé par Barry Jenkins et qu’il n’a pas pu prononcer.

On voudrait bien le lire dans ce blog, Laurence, si tu veux bien. Merci

Marie-Noel

« Citoyen d’honneur » de Mariano Cohn et Gaston Duprat (2)

 

CITOYEN D’HONNEUR

 Goya du Meilleur film étranger en langue espagnole et Coupe Volpi de la meilleure interprétation masculineSoirée-débat mardi 11 avril à 20h30

 Présenté par Georges Joniaux

Film argentin (mars 2017, 1h57) de Mariano Cohn et Gastón Duprat avec Oscar Martinez, Dady Brieva et Andrea Frigerio . 
Titre original : El ciudadano ilustre

 

Je ne sais pas si Citoyen d’Honneur va réaliser beaucoup d’entrées en France, mais une chose est sûre, il le mérite, ce film a suscité une multitude d’articles de critiques et cinéphiles. C’est avec une belle unanimité qu’ils le décrivent :

1) Citoyen d’honneur et le cinéma :

« Une comédie inconfortable. Une comédie qui n’en est pas une. Une Evocation grinçante, ironique, cynique, généreuse et tendre. Une réalité cauchemardesque, hilarante et tourmentée…Mais tout de même une comédie fine et mordante.

Un petit bijoux drolatique, décapant voire cruel, tendre et mélancolique

Une comédie caustique, maline, subtile mais aussi déboussolante et inclassable…

Elle n’en manque pas moins de tendresse envers ses personnages. -Personnages complexes, fouillés et parfois contradictoires-

Une mise en scène élégante ».

Derrière les mots pour le décrire, Citoyen d’Honneur, produit chez les auteurs, des associations, des liens les plus variés avec d’autres œuvres. Je me propose ici de présenter quelques références citées, et d’en suggerer d’autres.

Commençons par deux références de Grégory Valens dans Positif :

Providence d’Alain Resnais, le héros fait en une nuit un voyage au bout de lui –même, entre imaginaire et réalité.

-L’antre de la folie de John Carpenter, voici le synopsis : John Trent est enquêteur pour les assurances. Il est chargé, de retrouver Sutter Cane, un écrivain à succès qui a disparu. Durant ses investigations, John se rend compte que le monde d’épouvante apparemment fictif créé par Sutter Cane serait en fait bien réel.

Deux références qui interrogent le rapport entre la réalité et la fiction. Notons que les facétieux Cohn et Duprat, jouent avec leurs spectateurs, je crois  me souvenir qu’on entend quelque chose comme « la réalité dépasse la fiction »… Mais c’est une fiction qui nous dit cela à nous, les spectateurs ! Et d’ailleurs Mantovani, leur génial écrivain, ne dit-il pas, « les faits n’existent pas, ils ne sont que des interprétations » !

D’autres commentaires sont plus sensibles à l’atmosphère :

L_Huitre  :« David Lynch, avec des personnages bizarres qui défilent dans des scènes irréelles, et vont donner à notre écrivain une série croissante d’émotions »

Où encore à la tonalité et à la forme du film font un rapprochement avec le mouvement DOGME 95 (Lars Van Trier et Thomas Vinterberg) soit « le rapport entre l’ironie et le sérieux, l’engagement et l’opportunisme etc ».

Plus convaincantes que ces deux dernières, la référence au cinéma italien, celui des Dino Risi, Luigi Comencini, Etore Scola, et c’est à juste titre que nombre de critiques ont rapproché ce film de l’autre argentin Damian Szifron « les nouveaux sauvages » qui est lui aussi digne successeur de ce fameux cinéma italien. Pour ce qui me concerne, à propos de Citoyen d’Honneur,  j’ai souvenir de « les monstres » et « l’argent de la vieille ».

Il  semble aussi que Cohn et Duprat ne renieraient pas l’influence Roumaine, témoin, ce clin d’œil de Mantovani : « vous verriez ma chambre d’hôtel, on se croirait dans un film roumain », mais tous le décor de Salas pourrait être d’un film Roumain. Et avec leur manière de tourner, et les personnages, tout est roumain, c’est à dire minimaliste, pauvre.

Mais au total, le cinéma de ces deux là, s’il est bien tout cela,  est assurément argentin et personnel, aucun système de référence ne les enferme. Ils jouent avec les références comme un chat avec une pelote de ficelle.

2) Citoyen d’Honneur et la littérature :

Une blogueuse, Cosette 2010  observe que cette histoire ressemble beaucoup au Livre de Joe de Jonathan Tropper, « un écrivain, lors de la mort de son père va retourner dans son village, après avoir quelque peu honni et dénigré cette bourgade et ses habitants dans son roman à succès intitulé Bush Falls, il est quasi certain qu’on ne va pas l’accueillir à bras ouverts »…Troublant ! mais pas tant que ça…  Les réalisateurs le citent d’un clin d’oeil lorsque l’intrusif Florencio jette au public de Mantovani : « Il n’est même pas venu à l’enterrement de son père !».

A la sortie du film, Michel Grob, un cramé de la bobine, observe justement, avec Thomas Sotinel (in le Monde du 06.03.2017),  que Salas fait penser à Amacata dans un Roman de Garcia Marquez. La liste des lieux imaginaires est immense, se référer au prodigieux écrivain argentin Alberto Manguel.

En ce qui me concerne pour ce personnage, je suggère des ressemblances entre Mantovani et Thomas Bernhard qui n’a jamais été prix Nobel, mais qui a écrit en 1980,  « Mes prix littéraires » qui sont « comme un précis du talent sarcastique, mordant, irrévérencieux et furieusement drôle…   de leur auteur ».

Mais n’oublions pas que nous sommes au pays des Borges, Cortazar, Sabato, et de nos jours d’Alberto Manguel, et de bien d’autres remarquables par leur imaginaire, tous pétris de culture Espagnole, Argentine, Universelle. Tous ces écrivains qui ne sont pas devenus « Nobel » mais qui comptent tout de même de grands classiques de la littérature mondiale. (Alors qu’à brûle pourpoint,  qui pourrait citer de mémoire dix prix Nobel de littérature ?)

Et ce film rend hommage au premier d’entre eux, Jorge Luis  Borges, en témoigne cette bibliothèque de Babel de Mantovani… mais surtout,  laissons parler Encyclopédia Universalis : « Pour Borges, le fantastique est consubstantiel à la notion de littérature, conçue avant tout comme une fabulation, un artifice fait de chimères et de cauchemars, gouverné par l’algèbre prodigieuse du songe, mais un songe dirigé et délibéré »

Ce qui est sûr, c’est que ce mardi aux Cramés de la bobine, nous avons joyeusement aimé un film malicieux et… complexe .