La Belle et la Belle- Sophie Filière

Du 12 au 17 avril 2018Soirée débat mardi 17 avril à 20h30
Film français (mars 2018, 1h35) de Sophie Fillières avec Sandrine Kiberlain, Agathe Bonitzer, Melvil Poupaud, Lucie Desclozeaux, Laurent Bateau, Théo Cholbi, Florence Muller et Brigitte RoüanDistributeur : Memento Films 

Présenté par Claude Sabatier

Synopsis : Margaux, 20 ans, fait la connaissance de Margaux, 45 ans : tout les unit, il s’avère qu’elles ne forment qu’une seule et même personne, à deux âges différents de leur vie…

 

« On ne sait jamais ce qu’il faut vouloir car on n’a qu’une vie et on ne peut ni la comparer à des vies antérieures ni la rectifier dans des vies ultérieures. Vaut-il mieux être avec Tereza ou rester seul ? Il n’existe aucun moyen de vérifier quelle décision est la bonne car il n’existe aucune comparaison. Tout est vécu tout de suite pour la première fois et sans préparation. Comme si un acteur entrait en scène sans avoir jamais répété. Mais que peut valoir la vie, si la première répétition de la vie est déjà la vie même ? C’est ce qui fait que la vie ressemble toujours à une esquisse. Mais même « esquisse » n’est pas le mot juste, car une esquisse est toujours l’ébauche de quelque chose, la préparation d’un tableau, tandis que l’esquisse qu’est notre vie n’est l’esquisse de rien, une ébauche sans tableau. Tomas se répète le proverbe allemand : « einmal ist keinmal », une fois ne compte pas, une fois, c’est jamais. Ne pouvoir vivre qu’une vie, c’est comme ne pas vivre du tout. »

Qui d’entre nous n’a jamais partagé l’angoisse existentielle de Tomas, le héros de « L’Insoutenable légèreté de l’être » de Milan Kundera, n’a jamais eu le sentiment d’une improvisation permanente dans sa vie, esquisse permanente d’un tableau inachevé, voire illusoire ? Si, jeunes, vous vous interrogez avec un mélange de crainte et d’espoir sur votre avenir, si, moins jeunes, vous vous retournez avec regret, voire amertume sur un passé que vous aimeriez tant réécrire, alors, dédoublez-vous en 2 hommes, ou plutôt 2 femmes, une jeune femme de 20 ans, Margaux (qui sera jouée par Agathe Bonitzer), une femme mûre de 45 ans (par Sandrine Kiberlain)…C’est à cette curieuse proposition de cinéma que nous invite Sophie Fillières dans son dernier film, de 2017, sorti en mars 2018, au titre tautologique : « La Belle et la Belle », une comédie sentimentale, une histoire de double burlesque, un postulat de départ fantastique pour une histoire finalement très réaliste, avec deux actrices à la fois différentes et assez comparables physiquement comme dans leur jeu : visage effilé, longue chevelure, rousse ou blonde, grâce indolente mâtinée de vivacité pince-sans-rire, même abandon au petit matin après l’amour, à moins que, mais si, tu te souviens, tu ne restais jamais au lit, mais non Marc, enfin…Analogies subtiles et indicibles grâce à ce dédoublement d’une même personne en 2 actrices, servies par des dialogues un peu décalés, des situations absurdes, mode Ionesco ou Pinter, des contretemps burlesques, une ironie légère sur le langage jeune ou sms comme sur le marivaudage de Marc où se dessine et s’égare le sentiment amoureux…

Le pari semble réussi, le film évitant le double écueil de l’invraisemblance fantastique ou d’un réalisme démonstratif : la rencontre de ces deux femmes, lors d’une fête, devant le miroir d’une salle de bains, leur chassé-croisé permanent, leurs amours communes – et pour cause ! – avec Marc interrogent les mystères de la destinée, nos doutes sur nos choix passés ou l’angoisse d’un avenir déjà marqué, ou refusé par la jeune Margaux dans l’image qu’en offre son aînée. Le parallèle entre le futur espéré (conjuré ?) et le passé regretté (réécrit ?) donne lieu à des scènes cocasses, comme celles où Agathe Bonitzer refuse un futur déjà écrit dans notre inertie ou nos tentations – coucher avec son directeur de recherche, abandonner son master à Lyon comme elle le…fera pourtant – où Sandrine Kiberlain ne s’émeut pas outre mesure de voir son jeune double saignant du nez après sa chute de ski ou a la prescience d’un vol de carte bleue ou de scooter du petit copain…Comme si chaque destin n’était pas profondément individuel, lié à des choix circonstanciels (le hasard de nos rencontres, le tropisme de notre caractère alors, le poids de nos convictions) qu’il ne faut pas regretter, car enfin, la Margaux mûre ne se sentait à l’époque pas prête à garder son enfant, par manque d’amour ou d’instinct maternel peut-être… Or, la vie ne nous donne pas forcément une seconde chance et n’empêchera pas la mort d’Esther, à la suite d’une maladie : belle idée que ce télescopage temporel où l’amie de Margaux-Bonitzer est bien présente dans une soirée jeunes ou dans un improbable skype, et pourtant déjà morte quand Margaux-Kiberlain se rend à son enterrement, pour ne pas y rester longuement, tant les hommages et le recueillement convenus lui pèsent. Margaux n’a pas changé finalement : rebelle et rétive. Et elle a beau mettre en garde sa cadette, comment celle-ci pourrait-elle éviter à son amie de disparaître tragiquement, sauf à anticiper maladroitement sa mort par un émouvant « Je t’aime » prémonitoire et un peu trop appuyé ?

Le thème amoureux, servi par une belle interprétation de Melvil Poupaud, charmeur mélancolique et faussement désabusé, vient servir cette variation sur l’identité et le temps vécu – dans ses promesses et dérobades. Les émois et embarras sentimentaux des deux femmes oscillent entre le triangle amoureux ici revu et corrigé en quadrature d’une vie unique et le questionnement sur un désir toujours nouveau, une expérience déjà jouée. De la jeune Margaux qui couche à tout va mais ne croit pas à l’amour – jusqu’au jour où il surgira, lu prédit Marc – à la quadragénaire un peu blasée, qui veut encore croire que sa passion renaîtra de ses cendres encore chaudes, se déploie une histoire d’amour dédoublée, comme allégée, détachée mais aussi redoublée avec l’élan timide de la jeune femme qui se donne, et la chance nouvelle que s’offre la femme mûre… Comme si, malgré Kundera, malgré toutes ses redites ou bégaiements (le même train, la même dédicace d’Aurélie Dupont dans le TGV, la 3ème image, le double âgé au même bonnet rouge croisé à la gare), la vie nous donnait une seconde chance, détissait l’imparfait et rouvrait un passé recomposé : au retour du ski, c’est bien la Margaux plus âgée que choisit Marc, tandis que l’effacement de la jeune, qui va vivre sa vie, libère en somme son aînée de son passé, qui nous tire si souvent en arrière et projette son ombre portée – peur obsédante de l’échec, sentiment d’inachèvement ou d’incomplétude – sur nos joies présentes, notre spontanéité et notre disponibilité à la vie. La plus jeune s’affirme, durement quand elle rompt d’un laconique sms avec deux garçons d’un coup, mais avec plus d’authenticité dans sa relation avec Marc ; la plus âgée se déleste et se libère.

Amusante pirouette finale, où le petit traumatisme crânien de la jeune Margaux introduit un aiguillage narratif inattendu dans ce ballet un peu répétitif, et symbolise l’acceptation par une femme de sa singularité, l’assomption de sa liberté : une esquisse belle et vraie, maladroite et fiévreuse peut-être, mais sans souci du tableau final, de toute façon toujours recommencé…

Claude

Une réflexion sur « La Belle et la Belle- Sophie Filière »

  1. Pas pu voir le film et ton article me fait le regretter.
    En te lisant, il me revient en mémoire le souvenir d’un vieux monsieur sage qui avait employé un jour devant moi cette expression « einmal ist keinmal ». J’étais très jeune alors mais elle m’avait marquée parce que ça ouvrait sur l’excuse, le pardon, l’oubli et laissait le champ libre pour une deuxième chance, ça encourageait à effacer et recommencer.
    Dommage que le film ne soit plus à l’affiche ici.
    Je vais essayer d’aller le voir ailleurs (ça mérite combien de kms ?)

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