Le ciné de Marie

Marie a déjà publié dans le blog, dans la rubrique cinéma d’ailleurs, ici de brefs articles sur quelques films qu’elle a vu au ciné « les 400 coups » . Peut-être seront-ils proposés sur nos étranges lucarnes…Et donc je vous livre ses commentaires (l’administrateur)

NOTRE-DAME DU NIL de Atiq Rahimi

Le 3 février. Cette fois, c’est une exhortation avant sortie de film que je vous transmets : à partir du 05/02, Notre-dame du Nil se donnera aux «  400 coups », réalisé à partir du roman de Scolastique Mukasonga sur les prémices  du drame rwandais. Il s’inscrit dans une suite de récits qui sont autant d’hommages vibrants de S. Mukasonga à ses parents, tous disparus lors des massacres. Notons : Inyenzi ou les cafards ; La femme aux pieds nus ; L’Ignifou. L’écriture fluide et sincère de S.M. nous aide à mieux comprendre ce terrible drame. 

Samedi 8 février : je sors de la salle avec l’émotion dans la gorge. Le film est très fidèle au roman mais les événements étant concentrés sur 1h45 au lieu de 240 pages, on est plus facilement submergé par les sentiments.

Les interprètes sont magnifiques ; la voix off a quelque chose de magnétique.

L’ADIEU de Lulu Wang

La dernière image disparue, il m’a fallu quelque temps et des échanges avec mon accompagnatrice pour goûter toute la saveur de ce film car je m’attendais à un tout autre propos. Le dénouement, à l’opposé de ce que laisse supposer le titre, inattendu et surprenant, lui confère une véritable dimension humoristique.

Le fil rouge en est une question : « Faut-il annoncer à la grand-mère qu’elle est en phase terminale ? » C’est alors que cette famille chinoise, éparpillée de par le monde (USA et Japon) se rassemble autour de l’aïeule au prétexte du mariage d’un cousin. Tous se rallient à la coutume chinoise de ne rien dire, sauf Billi, la petite-fille empreinte de culture américaine…

Rassemblement familial, manifestations de tendresse et d’égards pour Naï- Naï, retour aux traditions, tout cela n’aurait pas lieu sans l’échéance annoncée, tout en nous offrant une plongée dans des traditions chinoises bien différentes des nôtres.

THE LIGHTHOUSE de Robert Eggers

Á ne pas manquer, sauf pour les âmes trop tendres et les amateurs d’eau de rose !

C’est un film d’exception, d’une rare intensité dramatique. Toutefois, il captive autant par ce qu’il relate que par la place exceptionnelle donnée aux images.

Le format carré en resserrant le cadrage, le noir et blanc confèrent toute l’intimité nécessaire à ce huis-clos. Sue le généreux dégradé de gris alternent l’ombre te la lumière, au gré du mouvement de la lanterne, creusant les traits des visages, nourrissant l’inquiétude voir l’effroi induit par certaines scènes.

Deux visages pour deux personnages qui s’épient, se mesurent, se défient, s’affrontent et se déchirent, oubliés en pleine mer, attendant la relève qui ne viendra pas.

Le gardien de phare en titre s’est arrogé le rôle de possesseur exclusif de « la lumière » traitant en esclave le novice qui le seconde auquel il interdit tout accès à la lanterne. Dans cet isolement des plus hostiles chacun, pour échapper à ses démons, s’adonne à son phantasme : la lanterne pour l’un, le charme de la sirène pour l’autre.

Entre beuveries, confidences, bagarres, rapprochements, ce temps hors du monde laisse émerger délire, folie, violence jusqu’à l’ultime paroxysme car, le charme de la sirène rompu, ce sera, entre les deux hommes, la lutte sans merci pour « la lumière » … et le mythe de Prométhée n’est pas loin, se révélant pleinement dans la dernière image.

Á COUTEAUX TIRES de Rian Johnson

C’est distrayant au possible ! La critique de la haute société anglaise se fond dans une énigme policière digne des meilleures d’Agatha Christie. Le rythme est effréné, les fausses pistes nombreuses, les personnages hauts en couleur, les traquenards complexes et insoupçonnables. Ici, pas de Hercule Poirot mais un Benoît Blanc pour démêler les subterfuges et faire triompher les bons sentiments. On rit beaucoup car rien n’est bien tragique dans cet imbroglio où l’humour l’emporte.

HORS NORMES de Eric Tolédano et Olivier Nakache

Poignant, émouvant, captivant, magnifique ! 

Aucun misérabilisme, aucune sensiblerie dans ce film au ton juste pour traiter des jeunes autistes, enfermés dans un monde auquel nul n’a accès. Le film met en évidence combien, devant ces cas hors normes, les familles, les structures sont démunies. Ce sont des êtres hors normes aussi qui essaient d’apporter des solutions. Vincent Cassel et Reda Kaleb leur donnent vie avec brio, au travers de dialogues puissants, parfois « coup de poing ».

Á voir !

UNE VIE CACHEE de Terrence Malick

Après l’Anschluss, un paysan autrichien, fervent catholique, refuse de prêter serment au IIIème Reich et restera fidèle à sa conscience jusqu’à la mort. Emprisonné, il subit la cruauté de ses geôliers ; au village, son épouse subit celle des autres villageois mais chacun d’eux se réconforte dans l’amour de l’autre ; chacun puisant dans sa foi le courage de résister en dépit du doute qu’engendre le mutisme divin.

Ce film, bouleversant et magnifique, d’une superbe esthétique (soutenue par une superbe musique) oppose la poésie et la beauté de la nature à l’horreur de la haine humaine, tout en posant des questions graves et fondamentales. La fidélité à la conscience est-elle justifiée quand naît la certitude que les événements n’en seront pas changés ? Sauver sa peau justifie-t-il de se renier ? Orgueil ou héroïsme ?

Peut-être peut-on trouver une réponse dans l’ineffable regard de Frantz.

Amis Cramés de la Bobine, Bonjour!

Durant cette pandémie, nous souhaiter bonne chance serait indécent, car nous savons que si toutefois nous en avions, d’autres en auront moins que nous. Et puis ce blog est conçu pour parler de cinéma. Pour en parler comme des amateurs, pour partager,  c’est ce qui compte.  Le blog sert habituellement à commenter des films que nous avons vus, le plus souvent ensemble,  lors des séances des Cramés de la Bobine et parfois ailleurs. 

Savez-vous qu’il y a environ 350 lecteurs par mois pour ce blog ? Si l’on en croit le module d’analyse, il y a même des lecteurs dans une dizaine de pays. (J’en profite pour saluer et transmettre mes amitiés à Don, USA.). Je me dis que pendant cette crise sanitaire majeure, si ça va bien pour vous, peut-être vous sera-t-il loisible de parler de ce que vous avez vu à la télé, sur un DVD, peu importe.

Vous avez vu un film, il vous a plu,  parlez-nous en. 

Si le cœur vous en dit, vous postez votre commentaire sur le site, vous pouvez aussi l’envoyer à georges.joniaux45@orange.fr Le cinéma selon chacun en somme !

Pour commencer  cette série… vous trouverez ci après « le Ciné de Marie ». Nous vous en souhaitons bonne lecture. Prenez soin de vous, au plaisir de vous lire !   Amicalement

Vivarium de Lorcan Finnegan

Vivarium : Affiche

Film irlandais (11 mars 2020 1h38mn) de Lorcan Finnegan avec Imogen Poots, Jesse Eisenberg, Jonathan Aris, Senan Jenning

Avertissement à l’attention des optimistes : SPOILER

Pour une fois, spoiler
après tout, je l’ai déjà vu, on ne le passera pas en avril et peut-être jamais, alors …

Synopsis : À la recherche de leur 1ère maison, un jeune couple effectue une visite en compagnie d’un mystérieux agent immobilier et se retrouve pris au piège dans un étrange lotissement…

vivarium \vi.va.ʁjɔm\ nom commun masculin, du latin vivarium, nom commun neutre (« vivier »)
Endroit où l’on garde et élève des petits animaux vivants en tentant de reconstituer leur biotope
(le premier vivarium public ou maison pour reptiles a été créé en 1849 au Zoo de Londres)
Un vivarium c’est donc un leurre, ils se croient à la maison mais en fait de home, sweet home, les petites bestioles sont piégées et, ils pourront longtemps chercher : il n’y a pas d’échappatoire !

Gemma et Tom, la trentaine, un gentil petit couple hétéro de la classe moyenne ont le mode de vie de leurs pairs en société de consommation et les idéaux qui vont avec, ceux qui leur ont été vendus avec les injonctions sociales dont ils ont été abreuvés.
Avoir un travail, une âme sœur : faits
Être propriétaires, avoir des enfants, un chien : en cours.
Dire tout de suite que Imogen Poots et Jesse Eisenberg, sont parfaits ! Imogen Poots n’est pas Cramée, Jesse Eisenberg guère plus cramé qu’elle mais lui on le connaît depuis The social Network et surtout Café Society.
Ils ont la taille qu’il faut pour se perdre dans les méandres du scénario de Vivarium, nous entraînant avec Gemma et Tom dans le labyrinthe du lotissement où toutes les maisons sont rigoureusement identiques, identiques jusqu’au vertige, jusqu’à la folie et où, par inadvertance, ils ont mis les pieds pour y vivre une petite vie, une vie trop petite où les jours, les semaines, les mois, les années vont se répéter, toujours pareils, sans fin. Livrés à eux-mêmes, seuls dans ce microcosme bien loin de leurs rêves, le jeune couple, confiné dans le décor, va se débattre et apprendre à ses dépens que le paysage se prolonge loin, loin là-bas, très loin, jusqu’à l’horizon, en fait et qu’il n’y a pas de voie de sortie.
Leur avenir est bouclé et dans ce « clé en mains » figure même l’enfant, bien emballé comme venu d’ailleurs et qu’ils ne reconnaissent pas pour le leur, bel et bien livré pourtant dans cette maison de ce lotissement-ci, chez eux donc. Modernité oblige, le travail est mâché, la nourriture livrée à domicile, comme par magie : il faut juste élever cette chose et s’ils s’acquittent avec succès de cette mission alors ils seront libres. Libres ? C’est quoi, déjà ?
Dans ce lotissement étrange où toutes les maisons sont peintes en vert serpent, où le ciel est toujours bleu, où même les nuages sont sans surprise, toujours de la même forme et exactement au même endroit, l’inquiétude est palpable, notre curiosité attisée, en alerte des révélations dispensées au goutte à goutte.
Drame conjugal version thriller surnaturel, Vivarium ne ressemble à rien d’autre, Vivarium est étonnant dans sa forme et pose une question bien embarrassante : être comme tout le monde, se retrouver tous les jours, à la même place, face à l’autre, chercher quelque chose à se dire, se nourrir de ce qui nous a été réservé, ne plus rien choisir et si c’était cela le vrai enfer ?
Vivarium égratigne la société de consommation et les chimères de perfection auxquelles elle veut faire croire.

« C’est un conte à la fois surréaliste et tordu, à la fois sombre, ironiquement drôle, triste et effrayant » déclare le réalisateur Lorcan Finnegan.

Un conte grinçant, glaçant.
Tout ça finira mal.

Marie-No

VIVA IL CINEMA 2020 à Tours!

Tours prend des airs italiens pour son 7ème et très attendu festival Viva il Cinéma.  Nous ne coupons pas le mercredi soir aux discours de bienvenue. Ils sont chaleureux, les intervenants furent brefs,  l’une des personnalités affirmait que son discours serait aussi restreint que les subventions…

Bénévoles, Louis D’orasio le Directeur artisitique et le Président du Festival

Parmi  ces personnalités, le Directeur Artistique Louis d’Orazio, a exprimé son regret devant l’absence  des réalisateurs et réalisatrices et acteurs italiens, en quarantaine pour cause de coronavirus. 

L’une d’elles, Laura Chiosonne  lui écrivait :  « à  vouloir protéger la vie contre la mort, on finit par protéger la mort contre la vie ». La culture est l’art,  c’est en effet la vie, le cinéma en est l’une de ses plus belles expressions. 

Suit le premier film, un film de bienvenue, léger, une comédie Bentornato présidente.  Peppino (de son prénom) fut président du conseil sur un malentendu. Et il a vite compris que ce n’était pas sa place. Il se retire à la montagne avec sa jolie femme, et Guevara, sa gentille enfant. Mais sa femme qui s’ennuie est appelée au Quirinal, elle le quitte. Peppino est prêt à tout pour la reconquerir, il devient « l’homme de paille » des populistes au pouvoir, et c’est sans compter sur sa roublardise…bon ! vous savez tout. 

On ne peut pas dire que ce film brille par la finesse de son message. C’est distrayant. 

« Il campione » un film de Leonardo d’Agostini. Je commence à l’envers en vous disant que le jeune acteur Andrea Carpenzano, qui interpète un jeune et richissime prodige du foot est absolument parfait dans son rôle. Il y a beaucoup de films sur le sport et l’argent. Celui-ci est très bien pourquoi ?  Parce qu’on  fait intervenir d’autres choses.  La question de l’enfance, des d’apprentissages. Ce jeune prodige du foot se distingue aussi par des comportements caractériels. On organise un casting de prof. ( le remarquable Stéfano Accorsi)   Avec cette rencontre,  la donne va changer. C’est  vif, touchant, prenant et surprenant. J’en arrive à me demander pourquoi j’ai toujours détesté le foot ! 

Note  4/5

« Bangla » Voici un film de Phaïm Bhuiyan interprété par Phaïm Bhuiyan, un jeune homme 50% Italien, 50% Bangali, mais 100 % Torpignattara (quartier pauvre de Rome). Il est amoureux d’une jeune romaine, et là… Il faut faire un choix. Avec un dilemme pareil que tous les amateurs de cinéma connaissent, peut-on encore faire un film. Oui car Phaïm déguingandé  a du punch,  de l’humour, de l’autodérision, il est imaginatif et tellement drôle. C’est un personnage fabuleux qu’on reverra… Louis d’Orazio nous dit qu’il est incontrôlable, qu’il est trop occupé à faire tout ce qui lui passe par la tête pour faire la promotion de son film !  Je ne dirai qu’une chose, il nous faut Bangla. D’autant que Jean Claude Mirabella que nous avons rencontré durant le Festival, connaît le sujet, les lieux…
Alors pourquoi s’en priver ?

Note  : 5/5

« Effetto Domino » un film de Alessandro Rosseto. Un projet immobilier de luxe pour vieux à qui on  fait croire qu’ils sont immortels qu’ils le seront d’autant qu’on va réaliser le Paradis sur terre. Des hommes d’affaires, entrepreneurs,  banque, un zest de corruption et de jeu d’influence et comme le titre du film l’indique,  tout ce bon monde va méthodiquement, à la queue leu leu,  se rentrer dedans. On peut dérouler le film en phases,  qui vont du champagne à la ruine…C’est ce qu’a fait le réalisateur. Mais franchement est-ce que vous ne finiriez pas par vous ennuyer, même si on place des suicides au milieu ? 

Note 2/5

Sembra Mio Figlio (on dirait mon fils) Un film de Costanza Quatriglio  là il faut reprendre le synopsis, « Ismail et son frère Hassan ont fuit  les persécutions talibans lorsqu’ils étaient enfants. Aujourd’hui en Italie, Ismail n’a pas oublié sa mère … il entrevoit l’espoir de la retrouver ». Ce film tient du documentaire, mais  fait ce qu’aucun documentaire ne peut faire, montrer l’inquiètude, l’angoisse,  la peur, les personnages sont pris comme dans un syphon. Pas encourageant ce commentaire ? Ajoutons que ce cinéma nous apprend  ce qu’est le Pakistan et ce qu’est  l’exil d’un réfugié. 

Note 4/5

« Selfie »  est quelque chose entre fiction et documentaire de Agostino Ferrente : Ce film a obtenu le prix des jeunes et le Prix du Jury du Festival de Tours (SVP). Rien que le nom du film est dissuasif, imaginez-vous l’angle de prise de vue d’un selfie et  presque tout un film comme ça !  En plus les quartiers les plus pauvres  de Naples. Passons sur nos préjugés esthétiques et sociaux, trafic de drogue, violence gratuite, sous culture, camorra etc… et regardons, ces jeunes garçons avec leurs joies et leurs peines, avec leur amitié et leurs occupations. Ecoutons les jeunes filles qui font des « projets » d’avenir. A-t-on besoin d’inventer des histoires glauques et de rapports de force pour parler des quartiers pauvres ?  Voici un film comme une leçon d’amitié et d’humanité.

Note 5/5

Tutto il mio folle amore (mon amour fou)  Gabriele Salvatores  l’adolescent qu’on nous montre a des troubles dont certains s’apparentent à des formes d’autisme. (D’ailleurs, la cheffe de Service de Pédo-psychiatrie de Tours a animé le débat). Mais il faut sortir du jugement clinique, c’est un film sur la tendresse et l’altérité. Ce jeune a une mère épatante,  un père d’adoption qui aime ce jeune comme son propre fils, et un père inconnu qui impromtu apparaît dans sa vie,  et dans leurs folles aventures tous ces personnages sont remarquables  de tolérance mutuelle.  Ce film interroge aussi d’une manière serrée et joyeuse  la question de la paternité. Peut-on faire un bon film avec de bons sentiments ? Oui.

Note 3,5/5

Genitori quasi perfetti (des parents presque parfaits) Laura Chiossonne une mère  seule invite des enfants et leurs parents pour l’anniversaire de son fils unique. Et ce temps est l’occasion de nous montrer une galerie de portraits. C’est drôle, mais  sans surprise. 

Note 2,5/5

Nome di Donna (nom de femme) Marco Tullio Giordana Voici un film Mee too, le harcèlement d’un Directeur d’une Maison de Retraite contre une employée de service, mis a jour par une femme qui rompt la loi du silence. Un film sans surprise.

Note 3/5

Ride (elle rit) Valerio Mastrandea  avec Chiara Martegiani. Nous connaissons très bien ce réalisateur qui est un acteur formidable (Euforia, une famille italienne) . Mais ici , il est réalisateur. Une jeune femme vient de perdre son mari  et elle n’arrive pas à éprouver de chagrin. C’est un film déconcertant, car qui exige beaucoup du spectateur, il est composé comme un puzzle auquel il manquerait des pièces. Et le spectateur doit imaginer quelles sont ces pièces. Qui étaient le défunt, cette veuve, le père et le frère du défunt…De quoi est-il mort ? Ensuite il y a les condoléances, une galerie de portraits de gens peinés, mais de quoi le sont-ils ? Ensuite il y a l’actrice (qui est la femme du réalisateur), elle le fascine et le mot n’est pas trop fort !

Note 4/5

Et le meilleur pour la fin  Nevia un film de Nunzia de Stefano. Ça se passe à Naples. Une jeune fille de 18 ans (Virginia Apicella)  vit  avec sa petite sœur  chez sa grand-mère, dans un parc de containers. On ne peut pas dire que le monde des adultes est très structurant pour cette jeune fille, ni sa vie dépourvue d’adversité. Ce qui nous est montré, c’est une tension vers un but. Etre soi parmi les autres.  Il y a des accents felliniens dans ce film et on pense à Giulietta Masina.  Ce film il faut le voir absolument. Il est simple, comme souvent les plus belles choses et il donne de la joie !

Note 5/5

Nous passerons sur quelques autres splendeurs, moins actuelles. Merci à cette splendide équipe de bénévoles pour ce superbe travail et notre reconnaissance à Louis d’Orazio et de Jean A.Gili éminents spécialistes du cinéma Italien… et à ce propos nous avons aussi eu le plaisir de rencontrer Jean-Claude Mirabella, il nous dit, (je cite à peu près) on pourrait faire le même parallèle entre le cinéma Français et le cinéma Italien que celui qui est fait dans la littérature. Le cinéma français s’interroge sur « comment aimer », l’italien nous dit comment gouverner, c’est à dire « comment vivre ensemble ».

Georges

Sympathie pour le Diable (2)

Sympathie pour le diable : Photo

Sympathie pour le Diable avec la présentation de Georges : une belle soirée Cramés !

Sympathie pour le diable, précis sur une guerre compliquée à laquelle personne (ou presque) n’a jamais rien compris vraiment, n’est pas, pour autant, un film de guerre.

C’est le portrait d’un homme qui fonce la tête la première, se met à la place des autres, ceux dont le sort n’intéresse personne. C’est le portrait d’un souffrant qui, pour tenter de s’oublier, part en guerre contre l’indifférence du monde, brave et provoque le danger, à la recherche du point de rupture, celui qui le fera basculer au-delà. Il le cherchera longtemps sans le trouver. Sauf à mettre un terme lui-même à la vie, pas de délivrance. Trouver la paix, c’était sans doute le but qu’il a recherché toute sa vie, soignant le mal par le mal.
Paul Marchand n’était pas doué pour le bonheur, s’employant à se rendre antipathique de peur de s’enchaîner mais débordant d’admiration dissimulée pour tous ceux qui autour de lui accompagnaient les guerres : les journalistes, photographes, grands reporters, les fixeurs.
Sarajevo, les bombardements, dix morts par jour que Paul Marchand allait pincer chaque matin pour une comptabilisation absurde. Sarajevo c’était le silence et l’amour, aussi.
L’amour entre Paul et Boba, urgent et absolu, forcément éphémère, totalement chavirant.
Niels Schneider et Ella Rumpf, bien vu, un vrai beau couple de cinéma !
Aucun des personnages secondaires n’est enfermé dans le point de vue de Paul. Boba, Vincent, Ken et les autres, existent. Boba, formidable Ella Rumpf, jeune femme libre et courageuse, qui rejoint Paul en première ligne, capte l’attention et capture l’écran. Belle présence. A suivre.
Et puis il y a Niels Schneider ! totalement investi, nervosité palpable, écorché vif. Il personnifie Paul Marchand. On perçoit comme une fêlure enfouie, visible par instants dans son regard et qui trouve ici son expression dans l’interprétation de cet étrange personnage glaçé qui lui colle à la peau et on se dit qu’il n’a pas dû être facile pour lui d’en sortir et de se réchauffer.

Tout concorde et s’accorde dans le film, les interprètes (dont Vincent Rottiers et Arieh Worthalter) la nervosité de la mise en scène, le cadre resserré, le montage provoquant l’anxiété et la tension.
On salue la persévérance de Guillaume de Fontenay qui aura mis plus de dix ans pour que son premier film voit le jour ! on salue le travail exceptionnel du chef opérateur, Pierre Aïm, de Mathilde Van De Moortel, au montage, d’Antoinette Boulat, au casting.

Un film remarquable

Marie-No

Et puis, tiens, comme le titre nous y invite, un p’tit coup de Sympathy for the devil. Ça fait toujours du bien !

Sympathie pour le Diable-Guillaume de Fontenay

4 prix au Festival International des Jeunes Réalisateurs de Saint-Jean-de-Luz 2019, 4 prix au Festival de Waterloo 2019

Film français (novembre 2019, 1h40) de Guillaume de FontenayAvec Niels Schneider, Ella Rumpf, Vincent Rottiers et Clément Métayer

Présenté par Georges Joniaux, le 25.02.2020

Synopsis : Sarajevo, novembre 92, sept mois après le début du siège.Le reporter de guerre Paul Marchand nous plonge dans les entrailles d’un conflit fratricide, sous le regard impassible de la communauté internationale. Entre son objectivité journalistique, le sentiment d’impuissance et un certain sens du devoir face à l’horreur, il devra prendre parti.

31 films sont recensés avec pour toile de fond la guerre en Yougoslavie, et Guillaume de Fontenay en réalise un de plus !  Projeté en 2020, il se déroule sur la période 1992, 1993 ». Chaque film est au service de son présent.

En 1994 on est dans l’évènement,  Marcel Ophuls réalise  « Veillée d’armes » qui  comme son titre l’indique est dedans, on va y aller, et on regarde alors  derrière soi,   la comparaison avec le nazisme et son cortège est au premier plan.

En 2006,  on est juste derrière, avec « Sarajevo mon amour » de Jasmila Zbanic, c’est la traumatologie de guerre qui est traitée, celle directe des adultes et celle indirecte des enfants.

En 2019, avec Guillaume de Fontenay cette guerre agit autant comme un passé refoulé,  que comme une actualité potentielle. Une guerre entre des gens qui s’entendaient bien, savaient vivre ensemble sans se sentir menacés dans leur identité,  où les traditions religieuses se perdaient un peu, où les mariages inter-religieux étaient courants, serait selon son point de vue, une menace présente tant les nationalismes, les replis identitaires de toutes obédiences inquiètent.  Le réalisateur fait donc d’une pierre deux coups, un film souvenir, car Sarajevo n’intéresse plus grand monde,  est actuel,  d’autant que désormais, les revendications identitaires s’accompagnent de beaucoup de bruits de bottes.

Mais ce film vaut autant pour son HISTOIRE  en forme d’avertissement que pour la petite histoire de  son personnage, Paul Marchand. La manière dont le réalisateur a vécu cette guerre de Sarajevo l’a été sous le prisme des éditoriaux et témoignages de Paul, reporter free-lance pour les Radio Francophones du Canada et d’Europe.

Guillaume de Fontenay  écoutait Paul  à la radio, et en 1997, il a lu son livre. Après un temps de dégoût et de rejet, cette lecture a fait son chemin. Il a rencontré Paul. C’était un écorché vif, intelligent et engagé qui écrivait d’une manière fulgurante.  Il y a certainement eu  chez le réalisateur une sorte de fascination pour cet homme et une amitié aussi d’ailleurs. 

Paul Marchand appartient  aux journalistes engagés, à ces témoins qui sont parfois acteurs, n’hésitant pas par exemple à transporter des détonateurs. En cela il n’est pas exceptionnel. John Laurence qui fut journaliste pour CBS au Vietnam entre 1965 et 1970 décrit des faits semblables au Vietnam. Ce qui est moins courant, c’est le rapport  de Paul au danger. « Dans l’odeur du sang et de la poudre, je m’épanouis enfin. Je suis dans la ligne de mire de la mort, c’est un bonheur exceptionnel » écrit-il. Son exposition courante au danger, son refus de porter un casque ou de se déplacer en véhicule blindé, son rodéo en vieille ford  sur la « Sniper alley », ne sont pas seulement des attitudes de bravoure et de provocation, elles sont d’abord un rapport aux mondes, son monde intérieur et le monde tel qu’il est. «Il avait trouvé la paix dans le chaos, la destruction, et le désespoir » estime Jean Hasfeld lui-même reporter à Sarejevo.

Paul Marchand est de ces personnages malades qui justement parce qu’ils sont malades savent mieux que quiconque  voir et exprimer avec force et sagacité les réalités dérangeantes. Ce n’est pas tant par sa bravoure de kamikaze qui révèle un rapport au monde assez distordu que par son courage de dire et d’obliger à entendre des vérités dérangeantes, que ce personnage se distingue.

Guillaume de Fontenay fait un film  juste du point de vue du personnage, et juste sur la situation, on est immergé dans cette histoire dont il a su rendre la violence la douleur et l’angoisse, la mort et la survie, son cadre, son ambiance.

D’autant que ce film est tourné sur place dans un pays qui n’a pas encore fini de panser ses blessures. Ni de les penser au demeurant ! Et c’est par ce talent à immerger le spectateur, à produire des émotions de toutes sortes que le cinéma est un art. (Quand je pense que c’est un premier film !)

Un point me semble constant qui forme un trait d’union entre les films que j’ai vu  sur ce sujet, la dénonciation du nationalisme des Serbes. Oui il fut et continue de l’être.  Mais,  il faudrait vérifier qu’il n’y a pas un biais de perception de milieu artistique et de l’opinion  dans cette manière de décrire la genèse de cette guerre.  Elle n’intervient pas seulement par le réveil d’une génération dormante de nationalistes extrême droitistes, elle intervient dans un contexte historique de déstabilisation globale, on peut nommer 1980, la mort de Tito, 1989, l’implosion de l’URSS, 1992, la préparation de Maastrich.  Il y a aussi une situation économique désastreuse après la mort de Tito, le pays a une lourde dette de près de 20 milliards, et une inflation insensée. La machine à produire de la pauvreté est une machine très inégalitaire. Et le nationalisme est le refuge et le cache-misère de cette situation. Les solutions « bouc émissaire » sont   typiques  des situations anomiques.  En d’autres termes, j’aimerais qu’on me confirme que tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes avant le siège de Sarajevo et que donc les éléments de dissociation et de dislocation n’ont été  que le fait de nationalistes serbes, je crois que ce serait difficile. Sur ce plan, Boba Lizdek, (la fixeuse d’alors) dans une interview donnée à la « revue internationale » en 2012 ne dit rien d’autre.

Pour finir, chapeau bas à Niels Schneider qui une fois de plus, et peut-être davantage encore, grâce à ce film et à ce rôle,  démontre qu’il est un acteur exceptionnel. Je range ce film parmi les films importants de nos projections aux cramés de la bobine. Un film qui compte.

Georges

Bavardage sur les Oscars

2020-Oscars, So White
Le Canard Enchaîné du 12.2.2020

Lundi :

-Allo Marie-No! On vient de voir la cérémonie d’ouverture des Oscars à la Télé, formidable! tu n’aurais pas l’intention d’en parler dans le blog ?

-Merci de penser à moi, mais je n’ai pas bien suivi les Oscars cette année à part de voir des gugusses défiler et prononcer à tour de rôle le mot magique « Parasite »
Parasite, Parasite, Parasite 
Remarque ça peut-être rassurant qu’ils aient choisi ce film … mais pourquoi tout pour le même ?
C’est quand même démesuré. Cet engouement collectif fait flipper…

Extrait du Canard Enchaîné :

« Cérémonie toujours dominée par des réalisateurs blancs, même si le palmarès a couronné l’excellent « Parasite » de Boon Jong-Ho. Avec Queen & Slim, l’Académie avait pourtant l’occasion de distinguer un film puissant et stylé, alliant message politique percutant et romantisme désespéré qui a été imaginé écrit et réalisé par deux femmes noires, Lena Waithe et Melissa Matsoukas ».

Merci à Marie No pour son commentaire sagace, et Queen & Slim, à suivre! .

Georges

Séjour dans les Monts Fuchun-Gu Xiaogang

Prix un certain regard, semaine Internationale de la Critique – Cannes 2019 

Film chinois, premier long métrage 2h30 de Gu Xiaogang avec Qian Youfa, Wang Fengjuan et Sun Zhangjian

Synopsis : Le destin d’une famille s’écoule au rythme de la nature, du cycle des saisons et de la vie d’un fleuve.

Présenté par Marie-Annick Laperle, le 11 février 2020

Le cinéma chinois d’auteur est très apprécié à l’étranger pour sa créativité. Le film «  Séjour dans les Monts Fuchun » qui a retenu de nombreux spectateurs au débat, en témoigne. Gu Xiaogang, jeune cinéaste autodidacte de 31 ans, est parvenu à réaliser un premier long-métrage ( le volet 1 d’une trilogie à venir ) d’une solide maîtrise, d’une parfaite fluidité et d’une grande poésie, sur un sujet qui n’en recèle a priori pas. La nature y impose sa présence bienfaisante et éternelle ; ses montagnes boisées, ses labyrinthes de verdure protègent du soleil ou se transforment en féeries enneigées, au gré des saisons. Le camphrier de 300 ans accueille encore les vœux traditionnels de respect et de fidélité des futurs époux. L’eau de la rivière Fuchun s’écoule inlassablement et accueille bateaux de pêcheurs et baigneurs en quête de fraîcheur. La caméra file en longs travellings, se déploie en plans séquences maîtrisés. Éternité et harmonie.

      Au cœur il y a une famille. Par touches intermittentes, Gu Xiaogang nous plonge dans le quotidien souvent difficile de chacun des membres de cette famille. Et nous sommes touchés par l’authenticité qui en émerge. Nous sommes touchés par la dure vie de pêcheurs sur le fleuve Fuchun, aujourd’hui pollué, et dont l’abondance d’hier assurait un salaire décent. Touchés par le courage du fils aîné, restaurateur chargé de responsabilités et partagé entre l’ambition de sa femme et le bonheur de sa fille. Touchés encore par la vie compliquée du troisième frère, joueur criblé de dettes, qui doit s’occuper seul de son fils trisomique. Touchés toujours par ces mères surchargées de travail, par la peine de cette jeune fille qui doit choisir entre sa famille ou l’homme qu’elle aime, par le chagrin de cette belle grand-mère, consciente de ce qui se joue autour d’elle malgré ses pertes de mémoire. Et que dire de ce quatrième frère, dont l’esprit simple ou tout simplement différent, ne lui permet pas de trouver sa place au sein de la fratrie, ni de femme comme on le lui conseille fortement. Ou encore de cette amie de Guxi qui a magnifiquement réussi sa vie professionnelle, a épousé l’homme de son choix mais ne s’est libéré de l’emprise familiale que pour se rendre prisonnière de la société pour laquelle elle travaille sans compter, sous peine d’être remplacée.

      Tout est montré des difficultés rencontrées par cette frange de population qui, selon le réalisateur, concernent soixante-six pour cent des Chinois. La vie n’est pas toujours facile mais ils gardent leur courage et leur dignité.

      Dans ce contexte, les personnages parlent beaucoup d’argent : argent gagné ou à gagner, perdu, prêté, emprunté, non remboursé. Source de soucis et parfois de conflit, s’il parvient à entamer l’unité de la cellule familiale, il ne parvient jamais à la casser. Quelque chose est plus important. Un sentiment profond de respect et d’amour semble la traverser et garder ses membres solidaires. Le cinéaste pose sur ses personnages, un regard bienveillant et sans jugement. Chacun a ses raisons et chacun les comprend. Les mutations urbaines et sociales bouleversent les traditions et les mentalités. Un mode de vie est en train de s’effondrer, à l’image de ces chantiers de démolition qui déchirent la ville et génèrent la spéculation. Ne restera de ce passé qu’un album photos sauvé par le quatrième frère. Trente ans de vie rasés en trois jours.

      Dans ces conditions, le citoyen chinois aurait un rêve : posséder un appartement neuf dans les quartiers rénovés et une voiture. Les mères chinoises ont une obsession : un bon mariage pour leur enfant unique, sujet et objet de préoccupation. Mais dans cette Chine instable, la jeune génération aura des choix à faire, semble dire Gu Xiaogang. Emboîter le pas de l’ascension sociale, de la modernisation, du consumérisme conduisant au bonheur standardisé, livré clés en main avec l’achat d’un appartement luxueux ? Ou bien décider de son chemin de vie, suivre son désir profond ?

      La question n’est pas chinoise mais universelle. C’est peut-être cette question que s’est posée le cinéaste. Diplômé en stylisme et marketing, sans formation cinématographique classique, il a pris la décision de réaliser ce film avec la seule force de son désir, de son courage et de sa volonté.

       C’est avec impatience que j’attendrai le volet 2 ; impatiente de retrouver cette famille à laquelle je me suis attachée, deux heures et demie durant, sans un seul instant de relâchement d’attention.

Marie-Annick

It Must Be Heaven-Elia Suleiman(2)

Elia Suleiman, merci pour votre si beau regard triste et malicieux mais implacable sur le monde des Hommes .

En introduction au dossier de presse de « It must be heaven » Elia Suleiman a inscrit un vers du poète palestinien Mahmoud Darwich :

« Où s’envolent les oiseaux après le dernier ciel »

Ces mots résument bien la quête qui sous-tend le film, celle qui déchire un réalisateur qui est né en 1960 à Nazareth et qui se revendique palestinien de Palestine, comme l’affirme l’acteur Gael Garcia Bernal, présentant son ami Elia à une productrice américaine. Au fil des années, il a vécu dans sa ville natale Nazareth, à New-York, à Jérusalem et à Paris. Bien que n’ayant réalisé que quatre longs métrages en 23 ans, tous ses films ont été salués par la critique et projetés dans les plus grands festivals.

Son originalité artistique tient au fait que dans tous ses films c’est lui, son corps ( avec ce si beau regard !!) son beau visage, sa ville natale Nazareth et même sa maison avec la terrasse et son jardin planté de citronniers, ses parents, qu’il filme inlassablement comme s’il avait peur que cette réalité s’évanouisse ? D’ailleurs le temps est à l’oeuvre puisque après avoir vu les parents et leur fils Elia en 1996 dans  » Chronique d’une disparition » puis la maladie du père ainsi que son décès on voit dans  » Le temps qu’il reste » 2009 la maladie de la mère et dix ans plus tard nous voyons Elia trier les affaires de sa mère dans sa chambre, avec la Vierge sur la table de nuit, allusion à sa famille chrétienne et non musulmane et finalement se débarrasser du déambulateur et des affaires de la défunte mère.

Une page est donc tournée, il ne reste que la maison familiale qui ouvre et clôt le film, 23 ans ont passé, le cinéaste a bien tenté de résister à l’occupation toujours plus forte d’Israël, par ses images non violentes mais le constat est là, sa ville natale est arabe israélienne et le temps n’a fait apparaître aucune solution.

Reste le ciel, l’espace où l’on peut s’envoler vers un monde qu’il imagine plus paisible et humain loin des violences et de l’armée qui caractérisent le conflit israélo-palestinien. A Paris d’abord où il vit depuis quelques années et New-York où il a vécu plus de dix ans.

C’est ainsi que munit d’une paire d’ailes ( cf l’affiche du film de Floch) une série de saynètes aux images centrées sur la figure de clown-triste E.S nous promène de Paris à New-York. Ce personnage qui est le double de l’auteur et qui s’appelle E.S est interprété par le réalisateur. » Je ne peux pas envisager de ne pas jouer dans mes films. Car j’y mets toutes les facettes de ma personnalité : ma vision de réalisateur bien sûr, mais aussi mon jeu d’acteur, mon aspect tragique, mon côté comique et mon goût pour la rêverie. Je veux tout à la fois réaliser et jouer car je garde un réel espoir sur le pouvoir du cinéma ».

Pourquoi ce personnage est-il muet ? ( il ne prononce que les mots Nazareth et palestinien dans un taxi ce qui permet le jeu de mots sur Karafat/Arafat ). Muet car c’est l’expression d’un refoulement, d’un interdit de la parole, de la difficulté de s’exprimer ancrée dans son enfance ( par exemple l’occupation de la Palestine est un sujet tabou).

…Et dans tout son film les SONS remplacent les MOTS .

E.S est un observateur mutique, un témoin pensif avec son chapeau ( il en a toute une collection ) ses yeux écarquillés, rieurs, réprobateurs , ses sourcils levés etc.. quel visage et quel regard ( comparé souvent à Tati, Keaton) . Ses méthodes de travail et façons de filmer n’ont pas changé. Tout part de l’observation minutieuse du réel qu’il note dans des carnets. Ses films sont construits par une succession de tableaux de la vie quotidienne, le plus souvent en longs plans fixes, garnis de gags répétitifs ( ici les poursuites avec les policiers dans tous les lieux qui évoquent bien sûr l’occupation son pays, la présence récurrente des armes sous toutes ses formes et lieux, du cheval de la garde à Paris au bazooka new-yorkais..les chorégraphies).

Ses films sont caractérisés par l’ABSURDE. Le sens de l’absurde permet d’échapper au tragique, au pessimisme . Il utilise aussi la durée et la fixité des plans ainsi que la discontinuité de la narration. Par exemple, pour la mesure de la terrasse de café à Paris par les policiers la scène est coupée puis reprise. Idem à New-york pour la poursuite de l’ange Femen avec le drapeau peint et l’inscription  » Free Palestine « .

Sur l’HUMOUR qui est une règle mais surtout une ARME. Quant il claque la porte sur le pilote  » bienvenue à Paris » la scène avec le Samu 75 et le SDF  » Alors monsieur pour le déssert panacota ou tiramitsu au chocolat » ?. Et lorsqu’il quitte l’Amérique avant de rejoindre Nazareth, la trop drôle scène ( virtuelle ) du contrôle à l’aéroport où E.S confisque l’appareil de sécurité et nous donne des images de twirling. Mais c’est une référence à  » Intervention divine » où il se moque des checks points israéliens. Souvent il y a un deuxième degré de lisibilité du film ..

Elia Suleiman est vraiment un formidable cinéaste qui nous dit que le monde se palestinise ( mauvaise nouvelle ) que la Palestine n’existera pas de son vivant ( ce pourquoi les palestiniens boivent pour se souvenir) mais il nous dit aussi à la fin de son film, où de jeunes filles et garçons dansent avec énergie et enthousiasme sur le tube  » Arabi ana, Je suis arabe, moi » que l’espoir existe et que la vie continue… ( bonne nouvelle finale ).

Françoise

P.S : et…Merci à Marie-Odile pour son beau texte, ci-dessous, dans le Blog des Cramés de la Bobine.

It Must Be Heaven-Elia Suleiman

Prix Fipresci et Mention spéciale du jury au Festival de Cannes 2019

Soirée débat mardi 4 février 2020

Film palestinien (vostf, décembre 2019, 1h42) de Elia Suleiman avec Elia Suleiman, Gael García Bernal et Tarik Kopty

Présenté par Françoise Fouillé

Synopsis : Elia Suleiman fuit la Palestine à la recherche d’une nouvelle terre d’accueil, avant de réaliser que son pays d’origine le suit toujours comme une ombre. La promesse d’une vie nouvelle se transforme vite en comédie de l’absurde. Aussi loin qu’il voyage, de Paris à New York, quelque chose lui rappelle sa patrie.

Un conte burlesque explorant l’identité, la nationalité et l’appartenance, dans lequel Elia Suleiman pose une question fondamentale : où peut-on se sentir  » chez soi  » 

Ça doit être ça le ciel : Joie rythme lenteur surprises tristesse sourires petites histoires drames et gags, entre une première « non-image » nourrie de gris et de chants religieux venus du fond des âges et une dernière « non-image » nourrie des mêmes gris intenses relevés par des chants arabes aux accents de techno.

Au début et à la fin, l’image est absente, seule la musique nous parle. Et la musique résonne au plus profond de nous. Est-ce l’impossibilité de voir ou le refus de voir, ou encore l’ivresse de l’imagination. La Palestine existe-t-elle ? Où existe-t-elle ? Dans sa tête ? Dans nos têtes ?

La présentation de Françoise, brillante, nous a préparés. Après le film, beaucoup participent, s’expriment. Il est question de Tati, de Buster Keaton…  ah ! Et de l’oiseau, de ce petit oiseau sur la table de Suleiman dans son hôtel de Paris. J’y vois la métaphore de l’écrivain, un double de Suleiman, lui-même, qui regarde et observe, et toujours est attiré par la machine à écrire, l’outil de création. 

–Non ! C’est celui qui gêne le créateur, celui dont il faut à tout prix se débarrasser !

– Est-ce que cet oiseau chassé d’un geste de la main ne vous fait pas penser au chariot de l’ancienne machine à écrire qu’il faut chaque fois ramener au début de la phrase?

– Oui ! Le mouvement du chariot de la machine, c’est ce rythme poétique d’un temps où les machines à écrire avaient besoin pour fonctionner d’un ruban et de petits marteaux et non d’une image de pomme entamée bien en évidence sur le couvercle de l’ordinateur portable. 

-Mais cet oiseau, Suleiman le chasse et l’oblige à sortir par la fenêtre. Est-ce une libération ? Une expulsion ?

– Pourquoi pas les deux à la fois ? L’oiseau s’envole, et avec lui notre clown triste, en avion. Les lignes qui barrent le ciel menacent de l’enfermer.

Françoise nous a prévenus. Ici règne l’absurde ! Chaque situation sans issue devient pirouette et libération : La célébration de la Passion en grande pompe se heurte à une porte fermée et devient farce. Le balcon d’où Elia Suleiman observe son voisin en train de cueillir les citrons de son jardin devient castelet de guignol. Le voisin, ici chez lui semble-t-il, se sert. Il taille le citronnier, va garantir une récolte formidable pour l’an prochain. Instinctivement, j’y vois l’Israélien, le colon. Mais ce même voisin prend aussi soin du jeune citronnier. Est-ce un rêve de cohabitation pacifique ?

Le chasseur, la femme et ses marmites,  les figuiers de barbarie sur le flanc du coteau, les oliviers de l’autre côté du chemin, et le regard intense de l’observateur : un sourcil bouge imperceptiblement, un sourire se dessine et s’interrompt, les narines frémissent. C’est ce regard qui nous fait survoler la mer et l’Europe et arriver à Paris.

Aux déambulations rituelles de la femme pieds nus avec ses deux marmites succèdent celles des Parisiennes légères et court-vêtues devant la terrasse du café. Le défilé de mode n’est pas loin : une vidéo en boucle dans la maison de haute couture face à la fenêtre de l’hôtel. Le regard critique, amusé, incisif et tendre balaie les rues de Paris, les jardins du Palais royal, la lutte des chaises, les chars, les policiers, le SDF et l’ambulance, et le 14 juillet en démonstration des forces armées, puis il confie son élan à l’oiseau tout petit et l’envoie à New-York, pour chercher plus loin encore cette liberté qu’il s’acharne à rêver.

 Mais quelle pagaille ! Les Américains sont armés jusqu’aux dents. Les Palestiniens exilés en liesse ovationnent leurs orateurs  et empêcheraient la tenue du congrès si la proposition d’un clap unique à chaque nom ne réussissait à limiter leur ivresse. Le chauffeur de taxi est émerveillé de transporter un Palestinien, un « Jésus de Nazareth », la femme-ange, dans le parc au bord du lac se retourne, le drapé tombe de ses épaules. Des policiers d’opérette se lancent à sa poursuite et au moment où ils croient la tenir, elle a disparu. Ne restent que les ailes. Ces ailes qui permettent sans aucun doute à Elia Suleiman de repartir pour Nazareth. Où est la Palestine ? Est-ce que le monde entier ne marche pas sur la tête ?

Marie-Odile

P.S : Les jeunes dans la boîte de nuit dansent et fêtent et chantent à tue-tête : La Palestine existe ! Ils le crient. Elia Suleiman, confiant, referme les yeux : ça doit être ça le ciel.