Prades, mardi 17 juillet 2018

Ce matin, quelques uns sont partis faire l’ascension du Canigou ! Le temps s’y prêtait bien. Je regrette de ne pouvoir les suivre dans ces aventures. Résultat de recherche d'images pour "canigou"Dire que  le souffle me manquerait à 2785 m est un euphémisme !
Hier, au  ciné, la journée était assez moyenne. Marion Hänsel au scénario pour les 3 films. Donc … Heureusement « La tendresse » est incarnée par Marilyn Canto, ça console un peu. L’autre « tendre », c’est Olivier Gourmet et c’est plus difficile. Il a le vent en poupe, tant mieux mais son talent est, pour moi, un brin surévalué. Faut le diriger ce garçon sinon il fait peine à voir, étonné qu’il est d’être là. Le summum étant dans « L’échange des princesses » n’en revenant pas d’être en collant et culottes bouffantes ! Olivier Gourmet, c’est possible mais à la Dardenne, sinon non.
Dust : afficheAujourd’hui, à 9h, on a eu un très bon Hänsel, « Dust », tourné en anglais, d’après le roman « In the heart of the country »de J.M. Coetzee avec Jane Birkin dans le rôle principal, en anglais, parfaite. Une autre personne.
A 17h, « Les noces barbares »,  d’après le roman éponyme de Y. Queffélec, a été assez apprécié du public. Pour ma part, j’ai un souvenir précis de ce livre qui m’avait beaucoup marquée et j’ai trouvé que le coeur du livre, à savoir le désenchantement et le rejet, était survolé et que le film traitait surtout de l’aigreur, de la rancoeur. Je ne voyais pas ça comme ça.
21h. Une avant-première,« Nos batailles » de Guillaume Senez . Très très bien et qui me réconcilie avec Romain Duris, formidable dans le rôle de ce père débordé. De très beaux moments d’ émotion. Le film sort en octobre. Nos batailles : Photo Laetitia Dosch, Romain DurisHâte de le revoir. A Montargis.
Il est déjà minuit et demi ! donc grand temps de dormir un peu, trier, ranger les images d’aujourd’hui et faire de la place pour celles de demain.
Bonjour à tous les Cramés et à bientôt !

Marie-No

 

 

 

Prades, dimanche 15 juillet 2018

Arrivés à Prades en fin de matinée et retrouvé Nanou sur qui le temps n’a pas d’emprise et l’Hostalrich, encore plus beau que l’an passé. Après un déjeuner au « 7ème Art » dehors, bien au frais, le Festival peut démarrer !

17h. Match pour les uns, Woman at War : Affiche Avant-première de « Woman at war » de Benedikt Erlingsson pour
les autres dont moi. On espère vous y emmener, en Islande, à la rentrée, vous verrez comme c’est bien !
21h. « Si le vent soulève les sables » de Marion Hänsel. Je ne la connais pas beaucoup (rétrospectivement, on verra que ce premier film projeté dans le cadre de la « Rencontre avec Marion Hänsel » nous a bluffé. On sera, tout au long de ses 10 films proposés, comme dans des montagnes russes : un coup bien en haut avec les adaptations, un coup bien en bas avec les scénarii originauxAvec « Si le vent soulève les sables », adapté du roman « Chamelle » de Marc Durin-Valois, on est en haut).
Longtemps on repensera à cette belle famille en Afrique qui part vers l’autre bout du Si le vent soulève les sables : affiche Marion Hänseldésert à la recherche de l’eau, de la vie. Longtemps on reverra la pétillante petite Shasha qui avait mis sa plus belle robe pour faire le voyage.
Un très beau film.
Voilà pour aujourd’hui. Demain la journée commence tôt !

Marie-No

« Comme des rois » de Xabi Molia (3)

 

Du 5 au 10 juillet 2018 
Soirée débat vendredi 6 juillet 
Film français (mai 2018, 1h24) de Xabi Molia avec Kad Merad, Kacey Mottet Klein, Sylvie Testud, Tiphaine Daviot, Clément Clavel et Amir El Kassem
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Animé par Alain Riou
 critique au « Nouvel Observateur », au « Masque et la plume » et au « Cercle »A

 

Comme des rois, le 3ème court métrage de Xabi Molia, se place par antiphrase au regard de ses personnages dérisoires et de son message plutôt pessimiste, sous le signe du spectacle, de la comédie féérique, riche en rebondissements et travestissements, avec deux pièces de Shakespeare : La Nuit des rois et Comme il vous plaira : le jeune Mika s’est en effet découvert une vocation théâtrale en jouant des scènes du dramaturge élisabéthain qui lui permettront de réaliser son rêve parisien d’une école d’acting. Faut-il voir dans les escroqueries au porte-à-porte dans lesquels l’entraîne son père un reflet appauvri des déguisements et jeux scéniques que subliment les planches ? Face à un père irresponsable, qui l’enferme dans la tricherie, seuls les dédoublements créateurs, les artifices de l’art semblent pouvoir sinon réparer, au moins ressouder quelque peu une identité clivée : Mika est forcément écartelé entre l’amour, le respect charnel pour son père et l’image pitoyable qu’il ne peut qu’en avoir, entre la loyauté filiale et un sentiment de gâchis, voire de révolte face à son avenir saccagé – mais prend -il vraiment, même à la fin, son envol – tant il semble aussi aimer jouer la comédie, au mauvais sens du terme, lorsqu’il se fait passer par exemple pour un professeur de guitare pour séduire une fille ?

Pour le reste, la royauté qu’exercent Mika et son père Joseph le mal-nommé, d’une paternité peu rassurante et démiurgique, fait sourire : prince de l’anarque, le héros au chômage, acculé par son propriétaire après 6 mois de loyers impayés ou tabassé puis viré de l’appartement par ses hommes de main, n’exerce qu’un empire fragile sur le quartier de banlieue qu’il habite – et qui ressemble plus aux marges d’une improbable campagne, avec ses jardins à cagibis, qu’à une zone périurbaine proprement dite. On pense aussi bien sûr à l’expression « heureux comme des rois », qui renvoie certes ici à un quotidien difficile, voire à des fins de mois misérables – mais aussi à l’équilibre que Joseph semble avoir trouvé, si irresponsable qu’il nous paraisse, par rapport à sa famille. Il ne semble pas songer à chercher un travail bien que son épouse, jouée par Sylvie Testud, l’en presse chaque jour : quant à Mika, joué par un Kacey Mottet Klein farouche et émouvant, peut-être trouve-t-il dans cette emprise paternelle une sécurité paradoxale ; cette condition de servitude sociale, de soumission familiale, pour médiocre qu’elle lui paraisse, demeurera longtemps encore bonheur et intégration, malgré les bouffées de révolte qui le conduiront finalement à partir…

« Parce que ces façons de vivre étaient à nous, un bonheur même, mais aussi les barrières humiliantes de notre condition (conscience que « ce n’est pas assez bien chez nous »), je voudrais dire à la fois le bonheur et l’aliénation. Impression, bien plutôt, de tanguer d’un bord à l’autre de cette contradiction. » Ce déchirement entre l’amour des siens et la honte qu’ils nous inspirent parfois, entre fidélité plombante à son milieu et soif d’épanouissement personnel vécue comme une trahison, est à la source de l’écriture autobiographique d’Annie Ernaux, de son désir d’écrire sur son père dans La Place. Ce dilemme vécu dans sa chair par Mika n’explique-telle pas l’oscillation même du film entre comédie populaire et film d’auteur, entre histoire de famille et chronique sociale ? Ce réalisme populaire trouve un écho autobiographique puisque Kacey Mottet Klein, jeune homme, fit du porte à porte et que le cinéaste fut victime d’une arnaque de 20 euros à la gare Montparnasse.

Faute d’avoir su ou voulu choisir, et pour s’être tenu sur le crête de la comédie familiale et du drame social, Xabi Molia ne parvient pas à nous convaincre totalement. Les gags certes savoureux de l’entretien prétendument obligatoire de la chaudière d’une vieille dame tandis que le fils vole des…francs (!) et surtout de la vente frauduleuse de picrate pour « un Grand Cru Saint-Emilion 2007 » chez une dame naïve avec le duo parfaitement rôdé du père jouant le passant d’abord choqué par la démarche du fils, puis convaincu par la carte professionnelle et enfin séduit par le vieillissement prometteur du vin, fonctionnent bien, par-delà leur nombre et leur répétitivité, jusqu’au moment où le numéro des deux compères, qui viennent voler dans une usine, se heurte à l’incrédulité des policiers dépêchés sur les lieux : leurs explications alambiquées et contradictoires sur les domiciles respectifs conduisent directement les apprentis truands en fourgon cellulaire. Il y a une morale : la tchatche ne marche pas toujours – et les gestes et situations nous trahissent et dévoilent la vérité. La fin certes, sans tomber dans le happy end, se maintient sur cette crête comique puisque le fils monte sur scène devant son père fier de lui devant les autres…détenus !

D’un autre côté, à avoir voulu nous proposer une chronique sociale, le cinéaste normalien emporte difficilement l’adhésion. Outre qu’il paraît psychologiquement peu vraisemblable qu’un père gâche ainsi l’avenir de son fils qui a abandonné ses études avant le bac et ne lui propose qu’un modèle, qu’une vie de tricherie, le réalisateur, sans même parler de message, ne propose pas de point de vue sur les situations qu’il met en scène. Il est surprenant qu’il n’ait pas rendu plus agité, plus conflictuel ce microcosme familial dont il aurait pu tirer des effets divers et singuliers : alliances et rivalités, conflit conjugal, colères et fugues. Curieusement, à part une remarque sur la nécessité de laisser enfin Mika voler de ses propres ailes, le rôle de Sylvie Testud (comme la place des femmes en général) est trop peu travaillé : on imagine pourtant cette actrice douée, ici vaguement bougonne – incendiant son mari inconséquent, protégeant ses enfants en mère inquiète – tout en perpétuant le reste du temps cette vie médiocre d’expédients. Sans doute ce sentiment d’inachèvement provient-il de l’hyper-présence de Kad Merad, dont le comique accablé et la bonne conscience rarement troublée font certes mouche : mais les mimiques se ressemblent, son jeu décidé et fiévreux, entre tocard et perdant magnifique, semble un peu prévisible, comme si Kad jouait du Merad – et l’on eût aimé que la tendresse affleure plus souvent, que la réflexion l’habite enfin.

Bref, le jugement moral qu’on se surprend à porter sur le personnage central, alors qu’on devrait prendre le personnage pour ce qu’il est, s’explique sans doute là encore par l’ambiguïté du propos et un scénario pas assez dramatique (au double sens du terme) auquel le cinéaste préfère une enfilade de situations amusantes mais trop attendues. Bref, on aurait tant aimé retrouver la blessure et les silences de Kad Merad, père meurtri dans Je vais bien, ne t’en fais pas de Phlippe Lioret…

Pour autant, on appréciera le refus du misérabilisme et l’équilibre subtil auquel est parvenu Xabi Molia face à ses personnages, « une distance sensible » selon le mot d’Alain Riou.

Claude

Comme des Rois de Xabi Molia (2)

 


Du 5 au 10 juillet 2018
Soirée débat vendredi 6 juillet à 20h30
Film français (mai 2018, 1h24) de Xabi Molia avec Kad Merad, Kacey Mottet Klein, Sylvie Testud, Tiphaine Daviot, Clément Clavel et Amir El Kassem

 

Animé par Alain Riou
 critique au « Nouvel Observateur », au « Masque et la plume » et au « Cercle »

 

Distributeur : Haut et Court

Synopsis : Joseph ne parvient pas à joindre les deux bouts. Sa petite entreprise d’escroquerie au porte-à-porte, dans laquelle il a embarqué son fils Micka, est sous pression depuis que le propriétaire de l’appartement où vit toute sa famille a choisi la manière forte pour récupérer les loyers en retard. Joseph a plus que jamais besoin de son fils, mais Micka rêve en secret d’une autre vie. Loin des arnaques, loin de son père…

 

Comme beaucoup d’entre nous, j’apprécie l’article de Marie-No. Ce n’est pas un film inoubliable, et donc nous l’oublierons. Durant la projection je pensais à un autre film, « je règle mon pas sur le pas de mon père,  de Rémy Waterhouse avec Jean Yanne et Guillaume Canet ». Un père escroc qui cherche à faire de son fils un escroc et finit même par l’escroquer tellement il est escroc.

Dans « comme des rois », il n’y a que deux personnages. Un père et un fils.  Et là aussi, on est   en présence  d’un père dangereux. C’est, comme dit Alain Riou,  un mythomane,  mais bien plus je crois, un auto- mythomane, un homme qui a la faculté de s’auto-illusionner, et qui en perdant, comme chaque fois, ne désespère jamais car il est incapable de se remettre en question. Avec son fils la règle est simple,  d’abord,  il le manipule, le fait entrer de gré ou de force  dans son jeu (combines, larçins, escroqueries diverses)et toutes les fois où son fils réussit, (selon les règles du père)  il est fier de ce qu’il lui a appris, toutes les fois où il échoue,  il devient cassant, dépréciatif. C’est un personnage narcissique qui donc se noie dans son image.

Quant au fils, curieuse mise en abyme (au 2edegré, car c’est un film qui le dit), remarquons-le, pour être lui-même,  pour ne plus être quelqu’un dont on se joue, il choisit de tenter de devenir acteur, quelqu’un   qui joue au lieu d’être joué.  Acteur, c’est ce qu’il sera, en prison avec (et à cause de…)  son père dans le dernier plan du film.

L’un tire l’autre vers le fond, avec la certitude d’être un éducateur, et l’autre qui même au fond du trou, continue de jouer à l’acteur et en  même temps le jeu de son père qui s’en trouve valorisé. L’un et l’autre dans la plus parfaite inconscience du « drôle de drame » ou de « l’horrible comédie » qu’ils jouent et se jouent.

 

« Comme des rois » de Xabi Molla

 

Du 5 au 10 juillet 2018Soirée débat vendredi 6 juillet à 20h30Film français (mai 2018, 1h24) de Xabi Molia avec Kad Merad, Kacey Mottet Klein, Sylvie Testud, Tiphaine Daviot, Clément Clavel et Amir El Kassem 

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Animé par Alain Riou 

critique au « Nouvel Observateur », au « Masque et la plume » et au « Cercle »

 

Distributeur : Haut et Court

Synopsis : Joseph ne parvient pas à joindre les deux bouts. Sa petite entreprise d’escroquerie au porte-à-porte, dans laquelle il a embarqué son fils Micka, est sous pression depuis que le propriétaire de l’appartement où vit toute sa famille a choisi la manière forte pour récupérer les loyers en retard. Joseph a plus que jamais besoin de son fils, mais Micka rêve en secret d’une autre vie. Loin des arnaques, loin de son père…

Quelques mots vite fait, sur « Comme des rois » …
Je me suis rendu compte en faisant un bilan partiel de ces quelques années de « Crâmerie aigüe»   , que tous « mes » films vus  étaient répertoriés « films à revoir» dans les catégories :

  • tout de suite, demain et encore demain
  • tout de suite. Après,  on verra
  • demain, après-demain, un jour peut-être mais toujours au ciné
  • s’il passe à la télé, oui !
  • pourquoi pas s’il passe à la télé
  • déjà revu à la télé et à revoir
  • déjà revu à la télé et à ne pas revoir
  • jamais
  • pitié !

« Comme des rois » est allé se mettre direct dans la catégorie « jamais ».
Je ne me suis pas ennuyée. Je m’ennuie difficilement. Encore que, à la mise en place d’une énième petite arnaque … C’est bon, là … et  ?
Sous un enrobage assez fin, le cœur du film est, pour moi, insipide. Oui, on rit un peu mais quitte à se lancer dans une comédie mêlant le tragique à la cocasserie, à la dérision (finalement c’est pas grave : c’était des Francs), on aurait envie que ça fuse vraiment, que les personnages secondaires soient visibles (réussir à rendre Sylvie Testud invisible, c’est quand même un exploit !)
Ca reste guindé et assez poussif. Très écrit. Pas assez viscéral.
La relation père-fils m’a laissée de marbre et ça m’a frustrée, verdammt nochmal ! Même si Kacey Mottet-Klein s’en sort plutôt bien, c’est la moindre des choses, doué comme il est ! Mais on le sent bridé. On a envie de dire à lui et aux autres « Allez, lâchez-vous les gars, allez-y, c’est vos tripes qu’on veut voir ! »
Pour en avoir, pourtant, sûrement, été la solution, Kad Merad est un problèmes du film.
Kad Merad, excellent, en effet, sur les plateaux télé avec son bagout, son recul, son humour, son charme. Il est malin et il a bien rodé son numéro. « I believe I can fly, I believe I can touch the sky ». « On » l’adore !

Mais au ciné, on voit toujours Kad Merad. C’est, pour moi, le contraire d’un bon acteur. On sait toujours comment il va dire son texte, quelle tête il va faire dans telle situation. Sa mimique, là, mais oui bien sûr ! Tellement attendu … On pourrait fermer les yeux, c’est un comble au ciné !  « Je vais bien, ne t’en fais pas » se classe dans la catégorie « déjà revu à la télé et à ne pas revoir » à cause de ça.
Kad Merad, acteur, est sans surprise, ennuyeux.

De « Comme des rois », je n’ai pas trouvé le fil ni la raison.
C’est très difficile de réussir à emporter la misère sociale dans le registre de la comédie. Il faut être touché par la grâce comme par exemple « Tour de France » de Rachid Djaïdani ou « Divines » de Houda Benyamina

Et la fin de « Comme des rois » est si sombre : « c’est mon fils ! »
… il lui a tellement bien maintenu la tête sous l’eau qu’en fait de suivre des cours d’Acting, c’est devant lui et au « violon » qu’il joue.
No future.

Marie-No

Mes provinciales

 

Du 28 juin au 3 juillet 2018
Soirée débat mardi 3 à 20h30

Film français (vo, avril 2018, 2h17) de Jean-Paul Civeyrac
Avec Andranic Manet, Gonzague Van Bervesselès, Corentin Fila et Sophie VerbeeckDistributeur : ARP Sélection

Présenté par Laurence Guyon

Synopsis : Étienne monte à Paris pour faire des études de cinéma à l’université. Il y rencontre Mathias et Jean-Noël qui nourrissent la même passion que lui. Mais l’année qui s’écoule va bousculer leurs illusions…

Dossier de presse *** Bande annonce *** Horaires

 

« Nous vivions alors dans une époque étrange, comme celles qui d’ordinaire succèdent aux révolutions ou aux abaissements des grands règnes (…) c’était un mélange d’activité, d’hésitation et de paresse, d’utopies brillantes, d’aspirations philosophiques ou religieuses, d’enthousiasmes vagues, mêlés de certains instincts de renaissance ; d’ennui des discordes passées, d’espoirs incertains (…) L’ambition n’était cependant pas de notre âge (…) Il ne nous restait pour asile que cette tour d’ivoire des poètes, où nous montions toujours plus haut pour nous isoler de la foule. A ces points élevés où nous guidaient nos maîtres, nous respirions enfin l’air pur des solitudes (…) nous étions ivres de poésie et d’amour. »  Soif d’absolu et désenchantement, sensation de satiété et sentiment de vacuité – le cocktail romantique de Nerval en prélude à Sylvie, déjà déployé par la lancinante Confession d’un enfant du siècle de Musset, infuse « Mes provinciales », neuvième long métrage de Jean-Paul Civeyrac, qui se place en son quatrième volet sous le signe du « soleil noir de la mélancolie », du spleen baudelairien et l’obscure clarté des Filles du feu, dont l’auteur se pendit à 47 ans dans la rue parisienne aujourd’hui disparue de la Vieille Lanterne…

Citations, références multiples – littéraires, musicales et cinéphiliques au premier chef – et jusqu’à ce pèlerinage nervalien innervent et imbibent ce film passionné, où les clins d’œil diégétiques de ces étudiants en cinéma se magnifient dans un célèbre adagietto extradiégétique de Mahler, où l’érudition foisonnante le dispute à l’émotion vraie de la culture : Etienne, Jean-Noël et Mathias s’en nourrissent et s’en abreuvent, à l’excès, en vase clos peut-être pour certains critiques ou spectateurs, dans un bouillonnement selon moi juvénile et sincère qui nous rappelle notre jeunesse… Abondance recouvrant un manque d’amour, une quête de sens, ivresse et déréliction romantiques nous renvoyant dans les reflets incessants de la culture l’image de la peur de vivre, d’une identité encore incertaine, d’une soif de formules aussi éclatantes que mystérieuses qui délivreraient un sens. Qui de nous dans son adolescence fragile ou sa jeunesse embarrassée n’a jamais placardé sur les murs de sa chambre, entre deux posters, des aphorismes superbes et déprimants comme « la jeunesse, ce n’est peut-être que de l’entrain à vieillir » de Céline dans son Voyage au bout de la nuit ou « il faut travailler, sinon par goût, au moins par désespoir », dans les Journaux intimes de Baudelaire ? Douleur aussi profonde que complaisante, pose et déchirement romantiques qui siéent bien à ces jeunes, épris de culture plus qu’érudits ostentatoires – milieu étudiant où la référence vous habite et vous confirme dans votre identité, où les connaissances affleurent à l’âme et vous viennent aux lèvres…

Le cinéaste s’interroge bien en effet sur cette jeunesse, ivre de création et de fête, d’amour et d’amitié, d’affirmation de soi et de filiations spirituelles : quand les liens du sang ne suffisent pas ou déçoivent, en mode mineur, Etienne s’éloigne de ses parents aimés, d’un milieu moins cultivé, et, en majeur, le professeur de cinéma, Pygmalion tendre et ébouriffé, reflet du cinéaste lui-même enseignant à Paris VIII, noue une relation privilégiée avec son étudiant Etienne, que le fils jaloux pointera d’un trait assassin. Beau film sur la filiation socio-culturelle, intellectuelle et affective à travers ces références, au cinéma de Garrel (on pense à L’Ombre des femmes), à la Nouvelle Vague – à Mes petites amoureuses et à La Maman et la Putain de Jean Eustache pour les premiers émois amoureux et l’oscillation entre deux femmes, à l’air paumé, et le regard si intérieur d’Etienne (Andranic Manet), lourd et engoncé mais insaisissable comme évanescent, séducteur impénitent et malgré soi si craquant qui ne croirait pas à l’amour, ce côté Antoine Doinel de Truffaut et Hippo dans Un monde sans pitié d’Eric Rochant. Le refus de la séduction comme suprême séduction, l’agaçante coquetterie que lui reproche non sans raison un camarade mais aussi la peur enfantine de décevoir, de ne pas être à la hauteur qui le plombe au lit au matin de son premier tournage – et il faut que ce soit Héloïse, plus douée, plus prometteuse, mais prête à être son assistante, qui vienne l’arracher à son appartement, à sa fuite dans la paresse et le déni de soi. Film qui convoque aussi Rohmer, dans un certain marivaudage amoureux, mais avec plus de mouvement, un basculement marqué entre l’optimisme et le désespoir là où l’auteur des Nuits de la pleine lune préfère la demi-teinte des mélancolies rêveuses : la discussion entre Etienne et Valentina, sa première colocataire (jouée par Jenna Thiam), rappelle en un hommage appuyé Ma nuit chez Maud où deux jeunes gens dissertaient déjà sur Pascal : ici, Civeyrac s’amuse avec la jeune fille à montrer à Etienne son comportement immature en amour, les contradictions entre ses sentiments et ses aventures, avant de le dédouaner dans une pirouette amusante sur le don total de soi en amour, corps et âme, dans chaque nouvelle relation. L’amour est-il un contrat moral, que’Etienne pense d’abord respecter par-delà les égarements du corps, ou le pur et cruel jeu du désir, qui justifie ou que justifierait un certain jésuitisme ?

Jamais bavard ni racoleur, Mes provinciales offre une émouvante méditation sur l’urgence et l’usure de l’amour entre Lucie restée à Lyon et Etienne monté à Paris, son délitement avec l’absence, le veule détricotage des sentiments tandis que la tendresse proteste et que le corps réclame ses droits, l’abandon au hasard plutôt que l’effort pour perpétuer le lien, l’intimité amicale, une tête posée sur une épaule, la confiance née des regards, cet amour que le jeune homme et le spectateur sentent éclore dans la familiarité de coloc’, dans les promenades complices, que tente Etienne d’un baiser importun après l’aveu par Annabelle d’une rupture- et qui pourtant ne naîtra jamais. Tempéraments trop différents, la tiédeur apparente et l’incandescence farouche, l’enfermement dans l’idéal et l’étreinte du réel, malgré les tentatives de rapprochement, la complicité intellectuelle, lui assistant pour un scénario à une réunion pour les migrants, elle l’accompagnant au cinéma, touchée par la pure beauté des visages dans Sayat Nova de Paradjanov : l’amour promis s’est enlisé dans une amitié sans lendemain, qui peine à s’exprimer lors de retrouvailes au café…

Romantiques, « Mes provinciales » le sont aussi totalement dans le règne de l’ambiguïté, l’alliance des contraires, et cette fluctuation permanente des désirs et des élans : amitié trop souvent guettée par l’amour (chez Jean-Noël, homosexuel renonçant pourtant à son attirance pour Etienne ou la sublimant) ou amour d’Etienne se déguisant, puis se perdant dans les lacs de l’amitié amoureuse pour Annabelle ; fidélité de l’âme mais comment la concilier avec l’exultation des corps, même au prix d’une caution pascalienne justement bien jésuitique !? ; soif de solitude essentielle en son lit, créatrice devant sa table de montage – et pourtant effervescence sans fin d’une colocation, d’un cours ou d’un couloir de fac ; don total de soi en amitié et pourtant retour à sa dignité méconnue et bafouée pour Jean-Noël qui veut bien certes aider Etienne à faire son film mais ne peut supporter que son avis compte si peu au regard de l’opinion de Mathias le hautain, pape critique intransigeant (âpre Corentin Fila, instinctif et économe de ses effets comme dans Quand on a dix-sept ans de Téchiné) ; passion dévorante de l’oeuvre à venir, sans cesse différée, jamais exhibée pour Mathias dont la culture et l’exigence font pardonner (difficilement toutefois) un esprit critique systématique et un dogmatisme (inconsciemment ?) vexant pour ses camarades qui se sentent au mieux complexés, et le plus souvent méprisés – douleur indicible pourtant d’un artiste éternellement insatisfait et qui n’a peut-être rien produit, dont le suicide éclaire les abîmes et foudroie tous ses proches, renvoyés à leurs rêves inouïs – tel Claude Lantier, le peintre génial et raté de L’Oeuvre de Zola. Il aurait fallu que Mathias aimât un peu plus cette réalité qu’il célèbre enfin lors de sa promenade nocturne avec Etienne sur les quais de Seine, qu’il acceptât plus souvent comme alors de trébucher, qu’il ne cachât pas sa souffrance créatrice dans son délire critique, qu’il ne disparût pas des jours entiers sans qu’on sût où il habitait et ce qu’il faisait. Pour avoir confiance en soi, faire un peu plus confiance aux autres, surtout lorsque la contradiction appelle le débat, la répulsion apparente le mystère de l’amour, quand la vie réelle et militante incarnée par Annabelle Lit (Lee d’Edgar Poe ?) rencontre contre toute attente l’art gratuit et sublime de Mathias au détour d’un couloir universitaire. Les êtres sont rarement ce qu’ils paraissent : aucune définition intellectuelle, aucune appréhension extérieure ou sociale ne saurait même les approcher : Civeyrac explique ainsi sa bienveillance de cinéaste – dût-il renoncer à imposer selon Critikat un point de vue sur ses personnages – « chacun a ses raisons », selon le mot de Renoir dans La Règle du jeu.

Alors, renoncement final au rêve ou mûr accommodement avec le réel ? La vie, dans sa pointe la plus aiguë, l’amour, l’art, ici incarné par le cinéma, et la passion (au sens le plus général du terme) mènent ici une folle sarabande : comment vivre dans l’absolu de ses choix, de ses passions et la nécessaire conciliation des contraires, l’équilibre des élans ? Qui aime trop son métier risque de perdre son amour ; qui s’enferme dans une relation amoureuse risque de s’y étouffer ; la vie, l’art, le métier se jalousent sans fin – et il faut se faire violence, feindre une passion modérée, s’épuiser inépuisablement à donner à l’autre des preuves d’amour, l’écouter et le regarder profondément lors d’un skype sans paraître distrait, lointain, comme Etienne avec Lucie si aimante, si exigeante (Diane Rouxel).

Le noir et blanc, instrument d’une stylisation poétique, d’un réalisme non naturaliste, apparaît ici d’un usage particulièrement romantique : il exhale une mélancolie rêveuse, magnifie Paris avec l’évolution des personnages – des immeubles aveugles et bouches de métro happant le provincial à la Seine crépusculaire, aux monuments miroitants aux yeux ébaubis d’Etienne et Mathias ; disant le quotidien, il semble ancrer le film dans une époque mythique, années 60 ou 70, alors que tout se passe en avril 2017, au premier tour des présidentielles ; familier et doux-amer, très actuel en somme avec ses Femen et ses Zad, il nimbe ce récit d’apprentissage – amical, amoureux, culturel et professionnel – d’une singulière aura d’éternité : évocation souvent réaliste, balzacienne (par-delà l’inquiétude créatrice et la référence à Flaubert) d’une conquête ici fébrile de Paris, il proclame la fièvre et pleure le désenchantement. Entre tradition et modernité, entre Rossellini et Sorrentino, l’art et la création, mis en abyme ici par Les Lettres luthériennes de Pasolini, recherchent le même point d’équilibre que l’individu prisonnier du quotidien et de ses rêves : si « être dans le vent, selon la formule de Gustave Thibon, est une ambition de feuille morte », faut-il attendre avec Novalis, dans ses Hymnes à la nuit, de mourir « chaque nuit aux feux de l’extase » ?

Et si Etienne, amoureux de Bach, renonce à faire du cinéma et se contente de travailler sur des télé-films, s’il se marie avec Barbara, secrétaire d’une société de production, belle fille un peu terne, par rapport à ses « petites amoureuses » de cinéma, son horizon est loin d’être occulté : le plan large sur un mur de briques, une parabole et de vagues toits de Paris représente ce réel qu’il faut apprendre à aimer, ce quotidien à apprivoiser, voire à magnifier par l’art et la culture pour conjurer une dernière fois la sensation du vide que procure toute fenêtre ouverte : l’adagietto de la 5ème symphonie de Mahler, leitmotiv du Mort à Venise de Visconti, qui s’élève sur les dernières images – discordance apparente et harmonie profonde – ne suggère-t-il pas l’intensité et le prix de la vie ? Aurait-on oublié que le traitement compte plus que le sujet, que Vermeer a peint une superbe et modeste vue de Delft grise et tranquille et Elstir, le peintre de Proust, un « petit pan de mur jaune » qui fascine le narrateur de la Recherche du temps perdu ?

Claude

Le Crime de Monsieur Lange de Jean RENOIR (1936)

 

Soirée-débat jeudi 28 à 20h30Film français (janvier 1936, 1h24) de Jean Renoir avec René Lefèvre, Jules Berry, Florelle et Sylvia Bataille
Scénario : Jacques Prévert et Jean renoir
Musique : Jean Wiener et Joseph Kosma
Chansons : Jacques Prévert

Synopsis : Amédée Lange est recherché par la police. Alors qu’il a pris la fuite en compagnie de Valentine et a trouvé refuge dans un petit hôtel, il est démasqué par des clients. Valentine décide de leur raconter toute l’histoire et de les laisser juger du crime de M. Lange. Tout a commencé lorsque l’ignoble M. Batala, le patron de M. Lange a décidé de s’approprier les oeuvres écrites par ce dernier avant de s’enfuir et de se faire passer pour mort…

Reflet d’une époque bénie d’effusion collective qui conduira quelques mois après à la victoire du Front populaire, numéro d’acteur phénoménal de Jules Berry, méchant de service cauteleux et pourtant séduisant, « Le Crime de Monsieur Lange » de Jean Renoir, film libertaire tourné en 1935 et sorti en 1936, vaut aussi par sa fluidité et sa virtuosité techniques, ces mouvements de caméra poursuivant les personnages au cœur de cette cour intérieure du vieux Paris, où rayonnent petits commerces ou artisanats, blanchisserie et imprimerie et un fameux panoramique au moment crucial : la mise en scène suit en effet la sortie de monsieur lange (René Lefèvre) de l’atelier, la descente des escaliers, sa traversée de la Cour vers Batala l’odieux patron de la maison d’édition, scène un instant abandonnée au profit d’un panoramique de 360° qui nous ramène aux deux personnages et au meurtre de Batala par Lange d’un coup de revolver. Mouvement déconcertant, qui donne le vertige et suggère la folie pourtant motivée qui s’est emparée du bien nommé quoiqu’un peu fade Lange, auteur de Arizona Jim, revue populaire, histoire de western et de héros rachetant le morne quotidien du rédacteur-dessinateur, lequel ne peut supporter le retour d’un directeur sans scrupule, violeur et séducteur impénitent : cet homme d’affaires véreux s’est permis de défigurer son travail par des encarts publicitaires et revient… d’entre les morts pour reprendre ses droits face à la coopérative créée par ses ouvriers ; il a en effet disparu – ou plutôt est passé pour mort – dans un terrible déraillement de train, endossant l’habit d’un prêtre effectivement tué dans l’accident…Ce panoramique a cependant été préparé, dans l’œil et l’esprit du spectateur, par un effet de persistance mentale, avec la scène où le concierge, ivre, tourne sur lui-même en traînant les poubelles et en entonnant des airs hoqueteux, part dans une direction pour ensuite faire le tour de la cour dans l’autre sens : ce sont en fait deux plans raccordés par cut. Au fondement du scénario, d’abord intitulé « Sur la cour », cette cour intérieure, reconstituée dans les studios de Billancourt, offre un microscosme social familier et pittoresque, un fourmillement propice à la fois à l’interférence, voire la confusion des vies privée et professionnelle, comme dans l’appartement zolien de Pot-Bouille, et à la circulation des regards – intimité contrainte, surveillance du concierge et des voisins, observation par le regard omniscient de la caméra au centre de l’espace, tel James Stewart dans sa chaise roulante captant le réel quotidien et le fantasmant dans Fenêtre sur cour d’Hitchcock.

Si la restauration du film peut décevoir, avec un son grésillant et parfois difficilement audible, l’éclat des dialogues, ciselés au cordeau par Jacques Prévert, portés par la musique de Joseph Kosma, une chanson – « A la belle étoile » interprétée par Florelle – n’en est pas altéré : les répliques font mouche, telle cette réponse de Batala à qui ne regretterait pas sa disparition : « Les femmes si ! » ou l’appel à un prêtre, à l’heure de sa mort, par l’escroc lui-même camouflé en ecclésiastique qui n’hésitera pas à arnaquer une marchande de revues…Malgré la rigueur du scénario, une large part d’improvisation fut laissée aux acteurs, dont les déplacements virevoltants et l’enthousiasme communicatif lors de la création de la coopérative nous paraissent particulièrement jubilatoires.

Le film est construit sur un long flash-back, procédé encore rare à l’époque, dans l’hôtel, près de la frontière belge, où, aidés paradoxalement par Meunier, un actionnaire humaniste, se sont réfugiés Lange et son amie Valentine, patronne de la blanchisserie, après le meurtre de Batala. Valentine, percevant à travers la porte de leur chambre les réactions haineuses et intentions délatrices des clients du café qui ont reconnu dans le nouveau venu l’homme recherché par la police, en photo dans les journaux, entame alors devant ces « braves gens » attablés le long récit de leurs souffrances et la genèse d’un meurtre qui ne ressemble certes pas à son auteur ! A l’issue de cette narration enchâssée, lorsque le récit premier reprend ses droits, les habitués du bar constituent un jury populaire qui a tôt fait d’innocenter le coupable, qu’un dernier plan montrera sur une plage, partant vers la frontière, la liberté et l’oubli du passé. Cette fin à la fois heureuse, humaniste et quelque peu immorale, si l’on songe qu’un criminel, si compréhensible que soit son geste, doit en rendre compte, voire en payer le prix devant la société, a au moins un mérite : montrer que la foule, souvent primaire ou déchaînée – on pense à Fury de Fritz Lang ou à Panique de Julien Duvivier – pour une fois, peut être intelligente, lorsqu’elle s’incarne dans un peuple sain et laborieux…

Pour autant, ce film, né de l’unique collaboration de Prévert l’anarchiste et de Renoir tenté par le communisme, ne me paraît pas absolument convaincant en termes idéologiques : certes, nous n’en sommes pas encore au Front populaire mais la coopérative, peu explicitée et mise en scène, relève plus dans le scénario d’une réponse dramatique à la fuite frauduleuse de Batala que d’un projet socio-économique. C’est d’autant plus dommage que ce fonctionnement a pu être inspiré au cinéaste par l’expérience de son père qui, adolescent, avait travaillé dans un atelier de porcelaine transformé en coopérative et que cette oeuvre se veut l’écho, la distribution en fait foi, de l’influence du groupe « Octobre » créé en 1932, troupe de théâtre d’agit-prop se produisant dans les usines en grève, qui comptait dans ses rangs Paul Grimault et Marcel Duhamel, ami des surréalistes en son atelier du 54, rue du Château. De même, l’interprétation remarquable de Jules Berry, tout d' »abjection papillonnante » selon le mot d’un critique, en qui le cynisme souriant le dispute à la séduction perverse, confère paradoxalement au film une dimension psychologique et policière qui tend à faire oublier un aspect collectif et un propos politique porté par un René Lefèvre assez falot et des comparses sans grande épaisseur humaine. A moins qu’il ne faille y voir une richesse cinématographique, une amusante hybridation des genres…

Claude

Une semaine au cinéma, du 4 au 8 juin.

Cinq films cette semaine…

(… C’est leurs regards dans mes yeux, et je suis avec euuux…
Hum, pardon, j’arrête les références à Indochine).

Une semaine avec les cramés, ou plus exactement à l’AltiCiné.
Semaine de rêve car entre le 4 et le 8 juin, j’ai pas vu pas moins de cinq films, tous de qualité, et qui ont été, mine de rien, un sacré bouleversement de mes goûts cinématographiques… D’habitude j’aime les drames, pas les comédies, j’aime les films lents, très lents, où on voit les gens vivre, vraiment, juste respirer et vivre, regarder les êtres plus que les personnages… mais ça, c’était avant cette semaine, je crois…

 

Date de sortie : 2 mai 2018 (1h 07min)
De Danielle Jaeggi, Ody Roos
Genre Documentaire
Nationalité français
Présenté par Danièle Sainturel
  Ça a commencé avec Pano ne passera pas, un film de Danielle Jaeggi et Ody Roos sur mai 68, tourné en mai 68. Cet objet cinématographique nécessite toute notre attention, rien que d’un point de vue formel, se concentrer sur l’image et son demande un tel effort qu’on ne peut pas sortir du film, puisqu’il ne supporte pas la moindre seconde d’égarement. Le film se mérite. Et finalement, petit à petit, on se laisse entrer dans ce docu-fiction, malgré ces défauts. Le plus flagrant, le jeu des acteurs, parce que ce documentaire est en effet joué, n’est absolument pas crédible. Les dialogues ne sont du tout travaillés, de manière volontaire les réalisateurs ont donné un thème aux acteurs, qui improvisent dessus. Mais ça ne prend pas, ils hésitent, sont à cours d’idées, se contredisent. Et c’est assez décevant de voir ça au cinéma…

Pourtant, comme je le disais, on finit par s’attacher à ce qui fonctionne, tout d’abord, l’actualité qui semble se faire (défaire, refaire) sous nos yeux. La liberté formelle prise dans le film ensuite. Les idées n’y sont pas juste exposées, elles font partie prenante de l’esthétique du film, partant dans tous les sens, certes, mais se donnant des possibilités inédites : Passer un film sur l’esthétique du vivre ensemble d’un autre réalisateur au milieu de celui-ci, dont les décors sont le seul point commun. Filmer dans l’urgence sans vraiment savoir où l’on va. Faire une coupe au milieu d’une scène pour expliquer la censure telle qu’elle était pratiquée, et la commenter textuellement.…

Un point particulièrement fort parce que oui, le vrai sujet et le vrai intérêt du film est la censure, ces mécanismes et les grèves des journalistes et des techniciens de l’ORTF pour y remédier. La liberté d’expression s’écrit alors sur les murs, dans la rue, mais pas encore à la télévision. Et puis on pense à la télévision actuelle, aux anges, à TPMP et aux mots de Patrick Le Lay sur l’équation entre notre cerveau et le Coca-Cola, et on se demande si cette dernière s’est beaucoup améliorée.

Pano ne passera pas, est donc à la fois rude, déceptif scénaristiquement, mais très stimulant intellectuellement, jouissif dans la liberté esthétique qu’il s’offre et passionnant sur le regard historique qu’il nous livre.

La Mort de Staline

Date de sortie 4 avril 2018 (1h 48min)

De Armando Iannucci
Avec Steve Buscemi, Simon Russell Beale, Jeffrey Tambor
Genres Historique, Comédie dramatique
Nationalités américain, français, britannique.

 

 

Très stimulant intellectuellement, historiquement passionnant, traitant de la censure, le film que j’ai découvert le lendemain l’était aussi… le divertissement en plus !

Je suis d’habitude très très mauvais public pour les comédies, regardant d’un air dépité les gens riant à gorges déployés, parce que vraiment, je ne comprends pas ce qui est drôle. Ça partait donc mal pour le film de Armando Iannucci : La mort de Staline.

Et pourtant, j’ai ri comme rarement, du début à… non pas la fin, mais presque. Parce qu’avec un brio rare, le réalisateur change le ton du film, le côté noir de la période historique qui était jusqu’alors traité avec dérision et caricature prend tout à coup tout le relief de l’enjeu politique qu’il traite.

Se basant sur la géniale bande dessinées éponyme de Thierry Robin et Fabien Nury, on est témoin à travers ce moment historique, des coulisses du système stalinien, son effrayante épuration humaine, les listes quotidiennes de personnes à arrêter, torturer, tuer, sa corruption et son système de censure extrême… et le Petit Père du peuple qui continue à l’effrayer même après l’annonce de sa mort. Si le ton est humoristique, contrairement à la bande dessinée, le ton n’enlève rien au sérieux des recherches qui ont été menées pour faire le film. Historiquement, c’est très fort.

Et d’un point de vue cinématographique, les acteurs sont fabuleux (notamment Steve Buscemi, incroyable comme toujours), les décors et l’ambiance semblent pleinement réalistes, et le scénario nous plonge dans l’histoire grâce à une intensité dramatique parfaitement maîtrisée. Le système stalinien est présenté dans toute son absurdité, grâce à un humour de situation grotesque, virant parfois même au burlesque, mais toujours de manière fine et intelligente. Le film moque pour mieux révéler les aberrations saugrenues dans lesquelles le régime plonge lorsqu’il se veut autoritaire. Le culte de la personnalité du Soviétique en prend un coup, son agonie (puisque tous les bons médecins ont été envoyés au Goulag, il ne lui reste plus qu’à mourir), sa mort et ses funérailles sont autant de moments absolument hilarants tellement le décalage entre la recherche de grandiloquence et la platitude des ambitions personnelles et politiques de chacun est aux antipodes. Les conseillers du Feu Staline n’attendent pas un instant pour conspirer, se placer et tenter de prendre la place du mort, le film montre comment ce panier de crabes va sévir, prêt à tout, non pas pour libérer le Peuple, mais pour prendre le pouvoir.

Même le générique de fin est absolument génial. Bref un grand moment.

Film américain (vo, mars 2018, 1h45)
De Chloé Zhao,
Avec Brady Jandreau, Tim Jandreau et Lilly Jandreau.

Primé au Festival de Deauville et à la Quinzaine des Réalisateurs 

 

 

 

Présenté par Marie-Annick Laperle

 

J’ai enchaîné avec The Rider, formidablement présenté par Marie-Annick.

Avant le film, j’étais partagée, autant le drame que vit ce jeune indien m’intéressait, autant les chevaux peinent à me passionner. Et finalement, c’est le contraire que j’ai ressenti.

Les conditions de tournage sont vraiment enthousiasmantes, voir au plus proche l’intérieur d’une réserve indienne, y regarder les conditions de vie mais surtout observer les gens chercher, souvent non sans difficulté, un semblant de sens à leur existence, avec un minimum d’artifice, c’est véritablement incroyable. Ce film touche un degré de réel davantage qu’il cherche le réalisme. La réalisatrice chinoise Chloé Zhao filme sans concession, non pas des personnages mais de vrais humains, abîmés par la vie. La famille Landreau y est montrée dans toutes ces difficultés mais avec une grande tendresse. Notamment la (vraie) petite sœur (Lilly Jeandrau) de l’acteur principal (Brady Jeandrau), dont on sent vite le poids de problème psychologique, sera traitée avec force, joie, et sans le moindre misérabilisme, ce qui fait d’elle le plus sublime personnage du film. Mais aussi Lane (Lane Scott, le personnage interprète lui aussi son propre rôle) l’ami, le maître, le frère du personnage, qu’on découvre après un accident qui l’a détruit et laissé tétraplégique, qu’on rencontre aussi avant, dans sa carrière de Rodéo, à travers les vidéos des exploits du cow-boy indien, des séquences filmiques toutes aussi fortes et sans un excès de pathos qui voudrait nous tirer les larmes coûte que coûte.

Henry en sortant du film disait humoristiquement que le problème des films aujourd’hui, c’est qu’on n’y fait plus la différence entre les cow-boys et les indiens. Et, sans humour, c’est un excellent résumé de l’impression qui m’a traversée et jamais quittée pendant tout le film. La culture et l’histoire des indiens, et les hommes avec, ont été tellement anéanties, piétinés, niés, démantelés, qu’ils ne savent plus ce qu’ils sont eux-mêmes. Chacun cherche alors le sens de son existence, souvent noyée dans l’alcool et le jeu pour s’anesthésier d’une réalité insupportable, se réfugiant aussi dans le rêve d’un avenir fleurissant, à l’image des jeunes de cette réserve présentés dans le film. Ils rêvent donc de devenir à l’image des colons qui les ont oppressés, cadre structurant d’une réussite aussi éphémère que destructrice, à l’image d’un rêve américain promettant la réussite de tous, une réussite aussi hasardeuse qu’exceptionnelle, devenir célèbre, coûte que coûte, vite, trop vite, jusqu’à la chute.

Ils quittent alors le costume de jeunes indiens (un costume très loin de celui à plume des westerns mais que le film ne nous permettra pas de découvrir) pour se singer en cow-boy dans tout ce que ça peut avoir de caricatural : Chapeau, bottes en cuir, lasso, drapeau américain, et forcément cheval !

Et c’est là, dans l’ambivalence du rapport au cheval que se joue l’ambiguïté d’hybridation de la culture américaine et indienne dans le film. En effet, il y a le côté traitant l’insensibilité de la relation à l’animal dans une recherche d’une productivité perpétuelle où la marchandise est traitée comme un pur produit à gagner, faute de quoi, elle sera vendue ou plus certainement amenée à l’abattoir car jugée sur le seul facteur de sa rentabilité – un aspect qu’on retrouve de manière forte dans un autre film de cheval du moment : La route sauvage, histoire cinématographique magnifique, dans lequel on retrouve, ce qui n’enlève rien à notre plaisir, Steve Buscemi évoqué plus tôt.
Mais au-delà, il y a le côté indien, plus naturel, plus sensible. On la découvre dans la relation que Brady entretient avec l’animal, une relation d’une sensibilité incroyable. Je me suis surprise à avoir été aussi touchée par les scènes de débourrage où sous nos yeux naissent la confiance conjointe du garçon et du cheval, grâce à une relation basée sur la douceur, la parole et l’écoute, mais la magie tient à la fois à l’acteur qui a des compétences dans le domaine hors du commun, et la captation très subtile de la réalisatrice.

Malheureusement, la posture sensible du film se noie dans un excès dramatique, notamment au sujet de l’animal, que la réalisatrice avait par ailleurs su éviter alors que les personnages de la sœur ou de Lane aurait pu devenir facilement des pièges. Cette lourdeur pathétique nous laisse totalement en dehors de beaucoup d’émotions du jeune homme. En effet, on se lasse rapidement du sentimentalisme et du perpétuel aboutissement larmoyant. On attend et on prévoit le drame avant même qu’il passe à l’écran puisque tout y semble toujours destiné.

D’habitude, disais-je, j’adore les films dramatiques, c’est pourtant définitivement ce caractère qui m’a fait décrocher du film pourtant plein de qualités et de très jolis moments. Si seulement il en était resté à ça…

 

Film français (juin 1935, 1h44)
de Richard Pottier
Avec Pierre Brasseur, Max Dearly, Pierre Larquey et Monique Rolland
Assistant réalisateur : Pierre Prévert
Scénario et dialogues : Jacques Prévert

 

 

 

Présenté par Danièle Sainturel

La semaine s’est poursuivie avec Un oiseau Rare, de Richard Pottier, sorti en 1935, une période où le mot slogan faisait son apparition et où il n’était pas encore compris par une grande partie de la population.

Cette comédie est à la fois une vraie surprise et une belle découverte. Le film empreinte beaucoup aux codes du théâtre. L’histoire se déroule (en tout cas dans un deuxième temps qui occupe la majorité du film) dans le huit clos d’une station de ski. L’écriture se situe entre celles de deux maîtres français des comédies scéniques à fortes charges sociales : les deux M ! Molière, à qui le film empreinte à la fois le caractère des personnages écrits comme de véritables caricatures sociales jouissives et drolatique, on retrouve notamment des caractères proches de ceux du Misanthrope ou de l’Avare, mais aussi des quiproquo et des retournements de situation fous. Et Marivaux, auteur auquel on doit l’idée d’expérience à grande échelle pour tenter de percer le mystère de ce drôle d’oiseau qu’est l’homme. On pense alors beaucoup au Jeu de l’amour et du hasard, puisque les valets se font passer pour des maîtres, et les maîtres pour des valets, mais aussi à La dispute, pièce dans laquelle une grande expérimentation est menée dès la naissance de quatre enfants pour savoir, non sans humour, qui de l’homme ou la femme à commis le premier adultère, sur une île reproduisant un semblant de jardin d’Éden. L’histoire est celle d’un riche aristocrate, la cinquième fortune de France précise-t-on, dont le valet gagne par erreur des vacances au ski, lors d’un concours de Slogan. Le noble décide de l’accompagner et de mettre en place un jeu de rôle : se faire passer l’un pour l’autre pour voir comment les hommes sont, indépendamment de sa richesse. Mais par un quiproquo, c’est un jeune marchant d’oiseau, intelligent, cultivé mais pauvre, qui va s’attirer les faveurs du personnel de l’hôtel qui pensent que c’est lui le milliardaire. Si la caricature sociale est si forte que chacun reste enfermé dans son rôle, la fin, elle, offre la liberté aux jeunes de choisir leurs destinées indépendamment des critères sociaux qui tentaient de les contraindre et les emprisonner, ce qui est un très beau coup de théâtre.

Ce qui donne aussi un côté à la fois théâtral et jouissif au film, c’est le jeu d’acteur, un jeu très expressif et enlevé qui donne aux personnages une candeur rare, on y retrouve un Pierre Brasseur encore plus jeune que dans Les enfants du Paradis (qui occupe une belle place le top 5 de mes films préférés), et Jean Tissier, les deux se partagent à merveille l’affiche.

Mais la vraie qualité du film réside dans les dialogues, ce qui n’est pas surprenant quand on sait que c’est Prévert qui les a rédigés. Ils sont véritablement écrits comme des répliques de théâtre, le mot y est toujours drôle, poétique, subtilement choisi, et le scénario est ainsi finement mené.

Le rythme, notamment basé sur le comique de répétitions, ne faiblit pas et on passe un très bon moment du générique à la fin. La blague la plus savoureuse étant la gouvernante qui ne comprenant pas le mot slogan, pense qu’il s’agit du perroquet, et ne cesse de s’étonner de la responsabilité du drôle d’oiseau dans ce drame.

Plaire, aimer et courir vite
Date de sortie10 mai 2018 (2h 12min)
DeChristophe Honoré
AvecVincent Lacoste, Pierre Deladonchamps, Denis Podalydès
GenreComédie dramatique
Nationalité français

 

 

 

Et la semaine s’est finie avec le film de Christophe Honoré Plaire, Aimer et courir vite. Je n’attendais rien de ce film, si j’avais aimé passionnément les Biens Aimés, j’avais trouvé horripilent Dans Paris, et Les chansons d’amour était la réunion de ces deux points de vue en un même film, si j’adore les passages musicaux, le reste me laisse plutôt froide.

Mais là, j’ai plongé la tête la première, complètement fascinée par le personnage de Jacques, interprété avec force par Pierre Deladonchamps. Sa manière de poser les mots, d’exprimer sa sensibilité dans la fragilité de sa voix et de ses souffles, et la manière du réalisateur de le filmer, sans rien dévoiler, juste l’observer, regarder l’intime de sa respiration sans vouloir lui imposer trop tôt une histoire, mais l’évoquer par bribes, petites touches surgissant du réel et non de l’explicatif sont fantastiques. Qui il est, ce qu’il fait dans la vie, qui est la mère de l’enfant dont il semble être le père, tout ça est seulement balayé, quasiment évacué de la première séquence. Seul l’être, ses perceptions, sensations et sentiments comptent dans les scènes d’ouverture du film et c’est magnifique. On quitte avec regret Jacques pour le jeune Arthur, (Vincent Lacoste) le film devient alors beaucoup plus bavard, moins intéressant, on regrette la froideur de glace au cœur sensible. Alors, quand le destin, ou plutôt Christophe Honoré va les réunir tous les deux, Jacques arrivera à insuffler la magie à son futur amant, et le couple fonctionne finalement très bien. On s’ennuie un peu après, on se lasse du rire un peu gras de Vincent Lacoste et on se demande parfois où l’auteur veut en venir. Mais c’est tellement beau, qu’on se laisse emporter par cette belle histoire d’amour, mais surtout par ses fabuleux personnages.

Et puis il y a la chanson magnifique : J’aime les gens qui doutent, chantée par Anne Sylvestre,

J’aime les gens qui doutent
Les gens qui trop écoutent
Leur cœur se balancer
J’aime les gens qui disent
Et qui se contredisent
Et sans se dénoncer

Ceux qui, avec leurs chaînes
Pour pas que ça nous gêne
Font un bruit de grelot

Et puis il y a les mots de Bernard-Marie Koltès tirés de « Dans la solitude des Champs de coton ».

L’absolue cruauté n’est pas qu’un homme blesse l’autre, ou le mutile, ou le torture, ou lui arrache les membres et la tête, ou même le fasse pleurer ; la vraie et terrible cruauté est celle de l’homme ou de l’animal qui rend l’homme ou l’animal inachevé, qui l’interrompt comme des points de suspension au milieu d’une phrase, qui se détourne de lui après l’avoir regardé, qui fait, de l’animal ou de l’homme, une erreur du regard, une erreur du jugement, une erreur, comme une lettre qu’on a commencée et qu’on froisse brutalement juste après avoir écrit la date.

La mise en voix comme le texte sont incroyablement forts, pourtant Arthur évacue totalement le tragique en répondant simplement et affectueusement « ça me fait plaisir que tu lises les livres que je t’offre». Comment ne pas tomber sous le charme quand sans dramatiser, les personnages se parlent, partagent, se désirent, s’aiment ? C’est très juste et très beau.

Et puis, pour conclure ce film d’une sensibilité rare, la fin est absolument sublime et achève de conquérir l’adhésion totale.

Et puis il y a la sonorité de ce titre qui nous emmène déjà dans cette folie insouciante qu’est l’amour, cette rapidité, cette vitesse fulgurante. Aimer vite, faute de pouvoir aimer longtemps, contrairement à ce que dit Louis Garrell dans Les chansons d’amour  « Aime-moi moins mais aime-moi longtemps. » On est dans ce film au contraire dans une urgence à vivre cette dernière passion. On pense alors au grand absent de ce film, celui qui m’a manqué, même si la musique choisie est parfaite… Alex Beaupain. Un film de Christophe Honoré sans le Bisontin, ça perd quelque chose.

Mais il est bien là, en creux de cette fabuleuse histoire et en résonance notamment du titre par ses chansons :

Vite, « Devant cet amour on hésite / Je voudrais qu’on s’y précipite / Vite / Tout va vite» et Couper les virages, magiquement interprétée par Clotilde Hesme.

Couper les virages
Mettre le feu au poudre
Et rouler et rouler
Beau comme l’orage
Et vif comme la foudre
S’en aller
Couper les virages
Ne plus suivre les lignes
Et rouler et rouler
Sortir de la cage
Décoller la résine
S’en aller
S’en aller

Cette chanson est né d’un projet sublime, qui a donné un livre écrit par Isabelle Monnin, Les gens dans l’enveloppe, accompagné d’un disque réalisé par Alex Beaupain, une œuvre plurielle que je vous recommande chaudement à l’approche des vacances d’été si vous ne le connaissez pas. Isabelle Monnin a acheté à un brocanteur 250 photographies d’une famille à qui elle a inventé une vie dans un roman écrit à partir de l’intimité de ces images, avant de partir à leur recherche pour rétablir une vérité, au-delà de celle de la fiction.

Quelques jours plus tard, j’ai découvert pleine d’enthousiasme le film Milla, et l’ennui qu’il m’a (mortellement ?) procuré n’a malheureusement pas su être contre-balancé par la jolie poésie qui émane du film, notamment grâce aux mots mis en voix par l’acteur, Luc Chessel. Ce n’était peut-être pas le moment après cette épopée filmique, ou peut-être que c’est moi qui ai changé, que ce film qui m’aurait beaucoup touché hier, peine aujourd’hui à me passionner aujourd’hui…

Mais restons sur cette magnifique semaine, pleine de la superbe diversité que nous offre, en général, le monde du cinéma, et en particulier, les cramés de la bobine ! Même si je n’aime pas toujours tout, c’est toujours de grande qualité.

Foxtrot de Samuel Maoz

Lion d’Argent – Grand Prix du Jury en 2017 pour Samuel Maoz à la Mostra de Venise
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Du 21 au 26 juin 2018
Soirée débat mardi 26 à 20h30

Présenté par Eliane Bideau
Film israëlien (vo, avril 2018, 1h53) de Samuel Maoz avec Lior Ashkenazi, Sarah Adler et Yonaton Shiray

Distributeur : Sophie Dulac

Synopsis : Michael et Dafna, mariés depuis 30 ans, mènent une vie heureuse à Tel Aviv. Leur fils aîné Yonatan effectue son service militaire sur un poste frontière, en plein désert. Un matin, des soldats sonnent à la porte du foyer familial. Le choc de l’annonce va réveiller chez Michael une blessure profonde, enfouie depuis toujours. Le couple est bouleversé. Les masques tombent.

Dossier de presse *** Bande annonce *** Horaires
 

Présenté par Eliane Bideau

Des couples de vieux dansent le foxtrot dans une maison de retraite, esquissant un retour appliqué au point de départ après un pas de côté, en arrière, de côté puis en avant ; dans la partie centrale de ce film-triptyque de Samuel Maoz, cinéaste israélien, Jonathan, soldat de 20 ans, gamin dont la mort a été annoncée par erreur homonymique à ses parents, gardant absurdement un check-point à la frontière de Gaza, se lance dans une chorégraphie chaloupée avec sa kalachnikov près d’une camionnette peinturlurée, affichant une pin-up outrageusement fardée ; un dromadaire, rare vivant à franchir la barrière fatidique, se dandine fièrement et nonchalamment devant la guérite surmontée d’un parasol bariolé qui darde son spot inquisiteur sur tout passant, tout supposé terroriste palestinien – selon la phraséologie et paranoïa officielles. (Oui, ce dromadaire est utile, dramatiquement et tragiquement nécessaire selon le principe bien connu du « fusil de Tchekhov » en vertu duquel tout objet compte et signifie dans une pièce ou un récit). On n’imagine guère qu’il sera l’instrument final du destin en forme de pirouette ironique, de pas de deux ramenant le tragique de la première partie, drame psychologique du deuil et de l’annonce brutale traumatisant Michael (Liov Ashkenazi) et Daphna (Sarah Adler). Oui, la danse est décidément la métaphore inattendue, paradoxale, moins d’un élan que d’une réclusion, d’une évolution que d’un ressassement, tant pour les personnages que pour l’Etat hébreu qui, depuis 1948, occupe la terre palestinienne et, depuis 1967, ne cesse de s’exaspérer dans une fuite en avant, dans une occupation insupportable aux Palestiniens, maintes fois condamnée par des résolutions de l’ONU et la communauté internationale, trop lourde aussi pour sa propre jeunesse envoyée au champ d’horreur, et ses mères ou sœurs aussi éplorées que leurs consœurs cisjordaniennes.

Quand on arme des jeunes gens de 18 à 20 ans – trois ans de service militaire – pour garder une improbable frontière, dans un esprit de sacrifice et de nationalisme hystériques qui exalte les lycées arborant leurs bacheliers morts en service comme des médailles militaires, il ne faut pas s’étonner des bavures, des crimes ou réactions « disproportionnées », pour paraphraser les condamnations bien tièdes et autres euphémismes occidentaux à chaque nouveau massacre, tir à balles réelles sur un jeune Palestinien lors d’une Intifada ou d’une marche vers la frontière de Gaza. L’immaturité, la peur et la fièvre du désert aidant, le moindre incident peut déclencher une riposte déchaînée : une canette de bière peut même passer pour une grenade, surtout si l’immigré de l’intérieur, maintes fois contrôlé, fatigué par la chaleur et humilié par l’attente, a le malheur de paraître fier, qui sait ? même vaguement insolent… Que la jeunesse ne s’inquiète pas trop toutefois : un général fort paternel vient à votre secours, vous persuade qu’il ne s’est rien passé, que le dossier est clos avant même d’être ouvert, et supervise l’enfouissement de la voiture criblée de balles dans une fosse bien profonde. Quant aux corps des 4 Palestiniens peut-être un peu éméchés, si joviaux en tout cas, on ne saura jamais ce qu’ils sont devenus, pas plus que celui de Jonathan (Yonaton Shiray), enfin quand on le croyait mort.., et que l’officier (l’officiel ?) arrêtant avec le père les détails de l’enterrement excluait toute ouverture du cercueil qui eût pourtant permis un vrai deuil : il préfère fixer un ordonnancement mesquin, tirer au cordeau une cérémonie dont le contexte fait éclater le grotesque, tel ce rite de la Déchirure commémorant la douleur de Jacob découvrant sa poitrine sous le vêtement lacéré, auquel ses fils jaloux ont fait croire que Joseph leur frère, le « préféré », était mort…

Le film, dont le premier volet met en scène le traumatisme de l’annonce fatale avec force plans serrés, travellings latéraux et vues plongeantes pour suggérer l’enfermement dans la douleur, l’explosion de mort dans une vie carrée comme un carrelage en échiquier, trouve une tonalité nouvelle en son cœur vibrant : le nonsense, l’absurde pour dénoncer la guerre, l’occupation, l’atmosphère mortifère opposant deux peuples qui ne parviennent toujours pas à créer un seul Etat, ni même deux. On se croirait dans les grands espaces improbables ou inquiétants de Wim Wenders, ou dans Le Désert des Tartares de Dino Buzzati où des soldats sont voués à une attente pesante, promis à un destin décalé quand l’ennemi arrive enfin, trop tard. Il aurait fallu échapper à ce canapé défoncé, sortir de ce camion-citerne qui bascule et s’enfonce dans le sol affaibli par l’extraction du potassium, où roule sans fin une pierre – comme le cabanon au bord du précipice dans La Ruée sur l’or de Chaplin…On ne saurait mieux dire le saccage d’une jeunesse vouée à jouer sur sa console, à dessiner ses invisibles ennemis, à troquer – comme Michael le père – la trop pesante Torah contre un magazine pornographique, qui, au moins, incarne la vie, une échappée même fantasmée, comme la fresque rouge sang que dessinent les affiches et posters dans la chambre de Yonathan.

La dernière partie du film, sans doute un peu bavarde, trop explicative peut-être, sauf en son intermède de film d’animation, retrouve l’appartement cossu, la cage dorée de Tel-Aviv, mais concentré sur la cuisine, autour d’une table où s’exhale le secret de Michael, cette veulerie qu’il s’est toujours reprochée, comme une mauvaise conscience israélienne – à moins qu’il ne faille y voir le pied de nez d’un destin facétieux : si la grand-mère est une rescapée des camps de la mort dont la parole semble s’être figée dans la langue germanique et l’esprit englué dans une mémoire sclérosée incapable de saisir le sens d’une mort présente (celle de Jonathan), le père confie aussi à son épouse qu’il a échappé à la mort pour avoir changé de camion militaire lors de la guerre du Liban et cédé la première place du convoi à un camarade dont le véhicule devait exploser un moment après. De même, le cinéaste aime à rappeler que sa fille, qui avait pris l’habitude d’aller à l’école en taxi, a pris un jour le bus, ou plutôt raté celui qui allait exploser dans un attentat…

Si la mort transforme la vie en destin, selon le mot de Malraux, le destin, à l’inverse, rend parfois la vie dérisoire, renvoyant l’homme à son impuissance et les peuples à leur incroyable cécité. L’horreur de la Shoah explique peut-être mais ne justifie ni surtout n’excuse l’Occupation israélienne, les persécutions subies les souffrances infligées, la critique motivée du sionisme le procès permanent en antisémitisme – n’en déplaise à Miri Regev, ministre de la Culture condamnant au nom d’une idéologie une oeuvre de vérité.

Claude