Foxtrot de Samuel Maoz

Lion d’Argent – Grand Prix du Jury en 2017 pour Samuel Maoz à la Mostra de Venise
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Du 21 au 26 juin 2018
Soirée débat mardi 26 à 20h30

Présenté par Eliane Bideau
Film israëlien (vo, avril 2018, 1h53) de Samuel Maoz avec Lior Ashkenazi, Sarah Adler et Yonaton Shiray

Distributeur : Sophie Dulac

Synopsis : Michael et Dafna, mariés depuis 30 ans, mènent une vie heureuse à Tel Aviv. Leur fils aîné Yonatan effectue son service militaire sur un poste frontière, en plein désert. Un matin, des soldats sonnent à la porte du foyer familial. Le choc de l’annonce va réveiller chez Michael une blessure profonde, enfouie depuis toujours. Le couple est bouleversé. Les masques tombent.

Dossier de presse *** Bande annonce *** Horaires
 

Présenté par Eliane Bideau

Des couples de vieux dansent le foxtrot dans une maison de retraite, esquissant un retour appliqué au point de départ après un pas de côté, en arrière, de côté puis en avant ; dans la partie centrale de ce film-triptyque de Samuel Maoz, cinéaste israélien, Jonathan, soldat de 20 ans, gamin dont la mort a été annoncée par erreur homonymique à ses parents, gardant absurdement un check-point à la frontière de Gaza, se lance dans une chorégraphie chaloupée avec sa kalachnikov près d’une camionnette peinturlurée, affichant une pin-up outrageusement fardée ; un dromadaire, rare vivant à franchir la barrière fatidique, se dandine fièrement et nonchalamment devant la guérite surmontée d’un parasol bariolé qui darde son spot inquisiteur sur tout passant, tout supposé terroriste palestinien – selon la phraséologie et paranoïa officielles. (Oui, ce dromadaire est utile, dramatiquement et tragiquement nécessaire selon le principe bien connu du « fusil de Tchekhov » en vertu duquel tout objet compte et signifie dans une pièce ou un récit). On n’imagine guère qu’il sera l’instrument final du destin en forme de pirouette ironique, de pas de deux ramenant le tragique de la première partie, drame psychologique du deuil et de l’annonce brutale traumatisant Michael (Liov Ashkenazi) et Daphna (Sarah Adler). Oui, la danse est décidément la métaphore inattendue, paradoxale, moins d’un élan que d’une réclusion, d’une évolution que d’un ressassement, tant pour les personnages que pour l’Etat hébreu qui, depuis 1948, occupe la terre palestinienne et, depuis 1967, ne cesse de s’exaspérer dans une fuite en avant, dans une occupation insupportable aux Palestiniens, maintes fois condamnée par des résolutions de l’ONU et la communauté internationale, trop lourde aussi pour sa propre jeunesse envoyée au champ d’horreur, et ses mères ou sœurs aussi éplorées que leurs consœurs cisjordaniennes.

Quand on arme des jeunes gens de 18 à 20 ans – trois ans de service militaire – pour garder une improbable frontière, dans un esprit de sacrifice et de nationalisme hystériques qui exalte les lycées arborant leurs bacheliers morts en service comme des médailles militaires, il ne faut pas s’étonner des bavures, des crimes ou réactions « disproportionnées », pour paraphraser les condamnations bien tièdes et autres euphémismes occidentaux à chaque nouveau massacre, tir à balles réelles sur un jeune Palestinien lors d’une Intifada ou d’une marche vers la frontière de Gaza. L’immaturité, la peur et la fièvre du désert aidant, le moindre incident peut déclencher une riposte déchaînée : une canette de bière peut même passer pour une grenade, surtout si l’immigré de l’intérieur, maintes fois contrôlé, fatigué par la chaleur et humilié par l’attente, a le malheur de paraître fier, qui sait ? même vaguement insolent… Que la jeunesse ne s’inquiète pas trop toutefois : un général fort paternel vient à votre secours, vous persuade qu’il ne s’est rien passé, que le dossier est clos avant même d’être ouvert, et supervise l’enfouissement de la voiture criblée de balles dans une fosse bien profonde. Quant aux corps des 4 Palestiniens peut-être un peu éméchés, si joviaux en tout cas, on ne saura jamais ce qu’ils sont devenus, pas plus que celui de Jonathan (Yonaton Shiray), enfin quand on le croyait mort.., et que l’officier (l’officiel ?) arrêtant avec le père les détails de l’enterrement excluait toute ouverture du cercueil qui eût pourtant permis un vrai deuil : il préfère fixer un ordonnancement mesquin, tirer au cordeau une cérémonie dont le contexte fait éclater le grotesque, tel ce rite de la Déchirure commémorant la douleur de Jacob découvrant sa poitrine sous le vêtement lacéré, auquel ses fils jaloux ont fait croire que Joseph leur frère, le « préféré », était mort…

Le film, dont le premier volet met en scène le traumatisme de l’annonce fatale avec force plans serrés, travellings latéraux et vues plongeantes pour suggérer l’enfermement dans la douleur, l’explosion de mort dans une vie carrée comme un carrelage en échiquier, trouve une tonalité nouvelle en son cœur vibrant : le nonsense, l’absurde pour dénoncer la guerre, l’occupation, l’atmosphère mortifère opposant deux peuples qui ne parviennent toujours pas à créer un seul Etat, ni même deux. On se croirait dans les grands espaces improbables ou inquiétants de Wim Wenders, ou dans Le Désert des Tartares de Dino Buzzati où des soldats sont voués à une attente pesante, promis à un destin décalé quand l’ennemi arrive enfin, trop tard. Il aurait fallu échapper à ce canapé défoncé, sortir de ce camion-citerne qui bascule et s’enfonce dans le sol affaibli par l’extraction du potassium, où roule sans fin une pierre – comme le cabanon au bord du précipice dans La Ruée sur l’or de Chaplin…On ne saurait mieux dire le saccage d’une jeunesse vouée à jouer sur sa console, à dessiner ses invisibles ennemis, à troquer – comme Michael le père – la trop pesante Torah contre un magazine pornographique, qui, au moins, incarne la vie, une échappée même fantasmée, comme la fresque rouge sang que dessinent les affiches et posters dans la chambre de Yonathan.

La dernière partie du film, sans doute un peu bavarde, trop explicative peut-être, sauf en son intermède de film d’animation, retrouve l’appartement cossu, la cage dorée de Tel-Aviv, mais concentré sur la cuisine, autour d’une table où s’exhale le secret de Michael, cette veulerie qu’il s’est toujours reprochée, comme une mauvaise conscience israélienne – à moins qu’il ne faille y voir le pied de nez d’un destin facétieux : si la grand-mère est une rescapée des camps de la mort dont la parole semble s’être figée dans la langue germanique et l’esprit englué dans une mémoire sclérosée incapable de saisir le sens d’une mort présente (celle de Jonathan), le père confie aussi à son épouse qu’il a échappé à la mort pour avoir changé de camion militaire lors de la guerre du Liban et cédé la première place du convoi à un camarade dont le véhicule devait exploser un moment après. De même, le cinéaste aime à rappeler que sa fille, qui avait pris l’habitude d’aller à l’école en taxi, a pris un jour le bus, ou plutôt raté celui qui allait exploser dans un attentat…

Si la mort transforme la vie en destin, selon le mot de Malraux, le destin, à l’inverse, rend parfois la vie dérisoire, renvoyant l’homme à son impuissance et les peuples à leur incroyable cécité. L’horreur de la Shoah explique peut-être mais ne justifie ni surtout n’excuse l’Occupation israélienne, les persécutions subies les souffrances infligées, la critique motivée du sionisme le procès permanent en antisémitisme – n’en déplaise à Miri Regev, ministre de la Culture condamnant au nom d’une idéologie une oeuvre de vérité.

Claude

Une réflexion sur « Foxtrot de Samuel Maoz »

  1. J’ai vu ce film, je l’ai bien apprécié, je regrette toutefois, de ne pas avoir assisté à la séance de mardi et à la discussion.

    J’ai lu que ce film avait été l’occasion de propos vindicatifs tenus par la ministre de la culture Israélienne, au moins la portée de son propos est-elle limitée. En Israël, les réalisateurs ne vont pas en prison, ne sont pas interdits de séjour ou de sortie de territoire et les films sortent. Ce n’est pas vrai partout.

    Autant j’aime ton article pour sa richesse, autant (bémol) je ne pense pas, comme tu l’écris que « L’horreur de la Shoah explique peut-être mais ne justifie ni surtout n’excuse l’Occupation israélienne ». De mon point de vue, la Shoah n’explique pas plus qu’elle ne justifie » ce qui se passe dans cette région. Rappelons vite fait, qu’Israël est né d’une utopie qui était une réponse à 2000 ans de persécution des juifs en Europe (et on laissera de côté le présent Européen) : pogroms, lois d’exception, injustices, expropriations,exodes, humiliations etc.… Bien entendu, des survivants d’Auschwitz ont rejoint cette communauté. Ce qui me semble davantage un début d’explication, c’est que ce pays a survécu à diverses tentatives de destruction et jusqu’à aujourd’hui, ce peuple a plus vite fait de compter les jours sans attentat que ceux avec.

    Autour d’Israël, (qui représente en surface à peu près la Picardie), le quasi-voisinage c’est : dictature, militarisme, intégrisme et banditisme (c’est un package). Des pays où, comme nous le vérifions régulièrement, toute velléité de liberté est étouffée dans le sang ou par les prisons. Pour eux, Israël est quelque part un mauvais exemple, c’est encore une démocratie.

    Nous avons vu en 2016 « le dernier jour d’Yitzack Rabin de Amos Gitaï » c’est pourquoi en regardant Foxtrot il nous apparaît par comparaison, que le pouvoir israélien a acquis un niveau de médiocrité politique croissant qui le rapproche de ses voisins, (j’ajouterais palestiniens compris). C’est d’ailleurs ce que cherchait à obtenir l’ensemble des voisins en question. Ça aussi c’est un Foxtrot.

    Israel traverse donc cette période des extrêmes, celle où les religieux intégristes ou des militaristes, ont le dernier mot. C’est dans ce contexte que se situe Foxtrot. Un film qui conteste une armée en perte de sens (et pour cause !) et toute sa machinerie meurtrière. Un film qui dit que le peuple israélien comme le palestinien souffre dans sa chair et dans son âme, mérite d’être salué, et c’est bien en cela qu’en dépit de ce bémol, j’apprécie ton article.

    Georges

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