Compte rendu (très en retard) du Week-End des Jeunes Réalisateurs 2018!

Nous n’avons pas trouvé le temps de parler du Week-End des Jeunes réalisateurs des 7 et 8 avril , et pourtant, quel beau Week-End !   Mieux vaut tard que jamais. Ce Week-End, comme les précédents, a été animé par Alain Riou. Alain Riou place toujours  sa culture, son humour, sa liberté de ton au service de son émotion,  l’émotion d’abord. Ce qui  présage toujours de beaux débats avec le public des cramés de la bobine  qui le connaît si bien.

Voici nos commentaires sur les films de ce WEJR

 

Vu Par Marie-No….

REVENGE

Prix de la mise en scène au Festival International du Film de Catalogne de Sitges 2017, sélectionné pour le Sundance film festival catégorie Midnight

Samedi 7 avril à 14h30

Film français (février 2018, 1h48) de Coralie Fargeat
Avec Matilda Lutz, Kevin Janssens, Vincent Colombe et Guillaume Bouchède
Distributeur : Rezo Films

Synopsis : (Interdit aux moins de 12 ans avec avertissement)
3 riches chefs d’entreprise mariés et bons pères de famille se retrouvent pour leur partie de chasse annuelle dans une zone de canyons. Un moyen pour eux d’évacuer leur stress et d’affirmer leur virilité armes à la main. Mais cette fois, l’un d’eux est venu avec sa jeune maîtresse, une lolita ultra sexy qui attise rapidement la convoitise des deux autres. Les choses dérapent, dans l’enfer du désert, la jeune femme laissée pour morte reprend vie… Et la partie de chasse se transforme en une impitoyable chasse à l’homme… 

Sur le thème de la vengeance, on pourrait penser, par exemple, à « La mariée était en noir », « Le vieux fusil », « Que la bête meure » … Sur le thème plus précis de la vengeance suite à un viol à « L’été meurtrier » …
Revenge, film d’ouverture de ce VIIème Week-end Jeunes réalisateurs, nous plonge dans le thème RR (Rape & Revenge) mais abordé sous un angle très très différent ! Un film de genre.
Genre thriller horrifique et féministe. Jouissif et drôle.

L’héroïne est une bimbo qui aime s’amuser et séduire. Aguicheuse, sexy, sans être vulgaire, la mini-jupe XXX mini , elle se fait remarquer, s’octroyant le droit de ne pas se pré-occuper des conséquences de ses actes.
Coralie Fargeat décrète d’emblée que c’est au spectateur de prendre ses responsabilités et de décider que le comportement idiot de la jeune femme n’excuse et a fortiori ne justifie en rien, le viol dont elle va être victime.
La réalisatrice s’en donne à cœur joie dans le gore pour illustrer son propos ! Des litres d’hémoglobine viennent encore sur-saturer l’image déjà très très flashy ! Mais cela nous donne la passerelle pour prendre nos distances avec ce carnage qui bascule ainsi dans l’irréel supportable.
Empalée sur un arbre, l’héroïne se réveille en état de choc et en colère. Elle soigne ses blessures et un petit sachet de peyote qu’elle avait en poche va s’avérer bien utile ! Le composant actif principal en étant la mescaline, ça aide !
Jennifer se relève, cautérise ses blessures et se met en chasse dans des paysages magnifiques !
Est-elle un fantôme ? une morte-vivante ? sa vendetta est-elle le fantasme d’une femme à l’agonie? un long trip sous peyote ?…
Coralie Fargeat réussit quelques audaces visuelles, comme ces grosses gouttes de sang épais qui viennent noyer une colonie de fourmis ou cette exceptionnelle et haletante course-poursuite circulaire du violeur nu dans la villa, tournée en plan-séquence au steadycam !
Les personnages sont caricaturaux, il y a des invraisemblances …
mais on ressent l’amour sincère du cinéma d’une jeune femme qui se passionne depuis l’enfance pour ce genre, s’étant promis d’en faire « son » genre.

Promesse tenue.

Marie-No

 

Vu par Pauline …

VENT DU NORD  :

 En présence du réalisateur

Film franco-tunisien (mars 2018, 1h29) de Walid Mattar

Avec Philippe Rebbot, Mohamed Amine Hamzaoui, Kacey Mottet Klein, Corinne Masiero, Abir Bennami, Khaled Brahmi et Thierry Hancisse

Distributeur : KMBO

Synopsis : Nord de la France. L’usine d’Hervé est délocalisée. Il est le seul ouvrier à s’y résigner car il poursuit un autre destin : devenir pêcheur et transmettre cette passion à son fils. Banlieue de Tunis. L’usine est relocalisée. Foued, au chômage, pense y trouver le moyen de soigner sa mère, et surtout de séduire la fille qu’il aime. Les trajectoires de Hervé et Foued se ressemblent et se répondent.

Le réalisateur, Walid Mattar nous expliquait que pour lui le point d’accroche pour réaliser un film est de trouver ce que la situation peut avoir d’absurde, de presque paradoxale, et de tisser à partir de là son histoire. Pour son premier long-métrage il a choisi de mettre en parallèle deux points de vue, d’un côté en France, s’intéressant à un futur licencié d’usine, de l’autre son pays natal, en filmant la jeunesse du quartier où il avait grandi dans la banlieue de Tunis.

Le cadre étant posé, il ne lui restait plus qu’à trouver le fameux point d’absurdité. Il l’a trouvé en confrontant des ouvriers se battant en France pour conserver un boulot à la chaîne sous-payé, prêt à tout pour que l’usine ne soit pas délocalisée en Tunisie, à des jeunes qui là-bas, dans un pays où pourtant la misère est censée faire tout accepter, refusent de se résigner à réaliser un boulot aussi dévalorisant. Le regard sur la délocalisation est alors neuf, on réalise tout ce que les crises financières en Europe nous font accepter au quotidien. Faute de mieux, on se bat pour les miettes dont personne ne veut plus.

Une autre absurdité révélée par le film est celle à laquelle devra faire face Hervé. Hervé qui pensait qu’en quittant son travail à la chaîne, il pourrait s’offrir une vie simple, modeste mais épanouie, en vivant de sa passion pour la pêche, et pourquoi pas, la transmettre à son fils. Sauf que ne devient pas pêcheur qui veut. En France, pour devenir pêcheur, il ne suffit pas d’avoir le matériel, la technique, de se lever tôt et de ramener du poisson frais. Non, il faut créer une SARL, pour cela il faut faire une formation, être en âge de la réaliser, faire des dossiers, et surtout, surtout, ne pas faire de concurrence aux grandes entreprises. Parce que le problème est bien là. Tout est fait en sorte pour que surtout, ce ne soit pas possible pour les petits de se développer. Ne pensant pas à mal, Hervé décide de se lancer, au noir. Le marché est florissant jusqu’à ce que la police mette fin à son activité, traitant le pêcheur comme un véritable criminel.

C’est la révélation de l’absurdité d’un monde en perte de sens et de valeur que filme Walid Mattar. Un passage sur la religion est notamment à noter, quand, à Tunis, une mouche tombe dans une tasse de café, et que la conversation se fait tout à coup coranique, interprétant les paroles du prophète : « Si une mouche tombe dans votre tasse, plongez-la dans votre boisson car dans une de ses ailes il y a la maladie et dans l’autre,le remède ».

Et là est l’autre grande force du film : faire surgir de l’humour et de la tendresse dans un film social au sujet dramatique. Il doit cette touche d’humour à des dialogues particulièrement bien écrits et à un casting saisissant, notamment, côté français : Philippe Rebbot et Corrine Masiero, tous deux plus vrais que nature.

Dans ce récit où deux destins sont mis en parallèle, les transitions sont magnifiquement travaillées. On ne passe jamais d’un lieu à l’autre, sans que la caméra ne voyage avec ce qui fait vraiment le trajet à travers mer et océan dans notre société. Ainsi, on commence dans l’entreprise du nord de la France, puis la caméra va suivre les machines, délocalisées à Tunis. On découvrira alors la deuxième partie du film, les personnages Tunisien et notamment Foued, le jeune homme qui prendra place pour place, l’espace de travail qu’Hervé avait occupé pendant des années. Le retour des chaussures fabriquées en Orient et vendues en France, les vacances en Tunisie, où on retrouve d’autres français venus découvrir son soleil, ses plages et ses hôtels, mais surtout pas sa culture, ses souks, ses mosquées, ou sa population, ainsi que l’immigration sont autant de motifs qui nous font voyager d’une histoire à l’autre, mais aussi prendre conscience de l’omniprésence des échanges entre nos deux pays, et de la proximité humaine qui nous soude.

Si Hervé et Foued ne se croisent que le temps de l’échange d’un regard, le lien qui les noue est incroyable, à l’image des valeurs d’universalité et d’humanité de ce premier film, fruit d’un travail d’une qualité et d’une rigueur incroyable.

Osé et courageux !
Réjouissant, au final

Pauline

 

 

Vu par Marie-No…

JUSQU’À LA GARDE

Prix du public au Festival d’Angers

Chistera du meilleur film au Festival de Saint Jean de Luz

Lion d’argent pour la mise en scène et pour le meilleur premier film à la Mostra de Venise 2017

 En présence du monteur Yorgos Lamprinos

Samedi 7 avril à 20h30

Film français (février 2018, 1h33) de Xavier Legrand avec Denis Ménochet, Léa Drucker, Mathilde Auneveux, Florence Janas, Thomas Gioria, Mathieu Saïkaly, Saadia Bentaïeb et Sophie Pincemaille

Distributeur : Haut et Court

Synopsis : Le couple Besson divorce. Pour protéger son fils d’un père qu’elle accuse de violences, Miriam en demande la garde exclusive. La juge en charge du dossier accorde une garde partagée au père qu’elle considère bafoué. Pris en otage entre ses parents, Julien va tout faire pour empêcher que le pire

C’est peu de dire que ce film est bouleversant ! On est happé par cette histoire ordinaire où une famille, père, mère, enfants, est désarticulée, encerclée et on redoute, dès le début, la fin immanquablement tragique.

Ça commence dans le calme et la raison chez le juge. Les parents sont entourés de leurs avocats et les deux parties sont convaincantes. Ne sachant rien de leur histoire, on se garde de prendre parti. Mais la mère, immobile, muette, le regard fixe, « transpire » la peur et nous la communique. Dès la sortie du bureau du juge, tout s’emballe et le film devient thriller. La mise en scène étouffante nous met en alerte permanente. On est tétanisé. Comme dans un film d’Hitchcock, on participe, on est dedans, on retient son souffle.

A part la scène de la fête d’anniversaire, il n’y a pas de musique dans le film. La bande-son  est faite presque exclusivement de respirations, de chuchotements et de bruits du quotidien : sonnerie de portable, clignotant de voiture, moteur, clic du bouclage de ceinture de sécurité, cliquetis de clés, porte de voiture qui claque, montée d’ascenseur … Et, pour le dernier mouvement, porte défoncée, coups de carabine, cris, chuchotements toujours.
La violence module les voix en cris et chuchotements.
Tout se passe à la maison, chez les grands-parents, sur le chemin de l’école, dans tous les  endroits familiers de la vie « normale ». Le danger s’est installé partout, le retranchement est impossible.

Le sujet du film ne devrait pas surprendre puisqu’en France, une femme meurt tous les deux jours et demi des suites de violences conjugales. Pourtant la réaction d’une (petite) partie du public a bien démontré que le sujet est toujours tabou voire considéré comme anecdotique. Une vérité qui dérange et que, au contraire, il faut savoir regarder comme elle est, bien en face.
Xavier Legrand s’est beaucoup documenté, a fait des recherches auprès d’une juge aux affaires familiales, interrogé des avocats, des policiers, des travailleurs sociaux et des groupes de parole d’hommes violents.
Et son film nous fait vivre en temps réel le doute de la juge, la pression subie par l’enfant, sa terreur, celle de la femme traquée … et la détresse de l’homme violent.
Sans « tomber » ni dans le documentaire, ni dans le drame social.

Mon avis est que « Jusqu’à la garde » est un film magistral qu’il faut voir, revoir, montrer, et aux ados tout spécialement, même si, a priori, l’expérience des uns ne sert jamais aux autres, mais pour enregistrer qu’un homme violent qui pleure et demande pardon ne peut pas avoir changé subitement, que la violence conjugale ne permet pas de seconde chance et pour encourager à se confier, reconnaître qu’on s’est trompé d’histoire d’amour, se laisser protéger.
Ne pas s’isoler et garder la parole avant qu’il ne soit trop tard.

« La violence conjugale peut mener à l’épouvante pure et c’est ce que je voulais raconter. » dit Xavier Legrand »

C’est très réussi !

Avec un casting ****
dont les trois acteurs principaux Léa Drucker, Denis Ménochet et en particulier le jeune Thomas Gioria, vraiment épatants.

Marie-No

 

 

Vu par Georges …

MAKALA Grand prix de la Semaine de la critique 2017

Dimanche 8 avril à 10h30

Documentaire français (décembre 2017, 1h36) de Emmanuel Gras avec Kabwita Kasongo et Lydie Kasongo
Distributeur : Les Films du Losange

Synopsis : Au Congo, un jeune villageois espère offrir un avenir meilleur à sa famille. Il a comme ressources ses bras, la brousse environnante et une volonté tenace. Parti sur des routes dangereuses et épuisantes pour vendre le fruit de son travail, il découvrira la valeur de son effort et le prix de ses rêves.

Voici un film entre fiction et documentaire, qui ressemble à un conte, et vous le savez, les contes, sont souvent cruels. Dans sa présentation du film sur le site des Cramés de la Bobine,  Laurence écrit  ceci :

« On pense aussi à Jean Rouch ou à Chris Marker pour questionner les frontières entre documentaire et fiction. Et, plus prosaïquement, Emmanuel Gras ne veut surtout pas que l’ennui vienne distraire l’attention et revendique le choix de faire appel à notre émotion par sa manière de filmer, par le choix de la musique pour rendre épique et romanesque la vie de cet homme qui pousse un vélo chargé de charbon, vie qui était déjà épique avant d’être filmée. Vie qu’Emmanuel Gras a su nous montrer avec une saisissante beauté ».

L’histoire commence par un jeune homme qui rêve d’un avenir meilleur. Il est congolais, il vit  à la campagne avec sa femme et son jeune enfant. L’avenir meilleur pour cette famille, consiste en l’achat de tôles ondulées afin  de construire une maison en dur. La campagne où ils vivent est un vaste un espace dont on sent qu’il a été forêt vierge et qu’il est déforesté. Demeurent quelques beaux arbres grands, solides, noueux, aux troncs énormes.  Ainsi commence le film d’Emmanuel Gras, un réalisateur étonnant qui nous avait déjà surpris avec « Bovine, la vraie vie des Vaches ».

Makala ça veut dire charbon en Swahili. Alors, c’est simple, pour gagner l’argent nécessaire, il faut faire du charbon de bois qu’on ira vendre à la ville. Notre jeune homme  part avec deux haches choisit un arbre et le travail commence. Il fait chaud et humide, il ne faut pas compter son temps ni sa fatigue, il faut taper du matin au soir, encore et encore…De tout son corps frêle et noueux, il frappe. Cet arbre enfin couché, il le débite. Il  fera du charbon de bois. Le bûcheron devient alors charbonnier, c’est toujours l’antique technique, une meule recouverte de terre, combustion lente. L’homme deviendra ensuite transporteur.

Transporter ? :  Un vélo, il faut voir ce vélo,  chargé de lourds sacs, comme une pauvre bête de somme. « Il y a quelque chose de surnaturel à voir des êtres humains pousser une charge qui dépasse leur condition »dit Emmanuel Gras. Voir ce film, c’est souffrir avec ce bûcheron, avec le charbonnier, avec le transporteur, qui ne font qu’un, et ce  UN n’est pas grand-chose. L’essentiel du film c’est le voyage de ce jeune homme vers Kolwezi, pour aller vendre son charbon et revenir. Les pistes sont difficiles, cahotantes, avec cette poussière rouge, et dangereuses avec ces passages incessants de camions, de pik-up, sans compter les possibles mauvaises rencontres.

Alain Riou connaissait le film précédent d’Emmanuel Gras, Bovine dont il a parlé avec humour, la description d’une vache par Alain Riou était  drôle et tellement vraie.  Je ne me souviens plus des termes de sa présentation. Je me souviens en revanche de son œil rieur et de sa joie qui traduisaient son estime et la sympathie pour un vrai cinéaste.  D’ailleurs, tous  les autres grands critiques ont loué ce film. Ce qu’Emmanuel Gras sait faire, aucune caméra manipulée par le meilleur opérateur possible, ne peut le rendre s’il n’a pas comme lui, une prédisposition à regarder les êtres, animaux et humains avec sympathie.  Je lis que ce mot vient du grec sumpatheia, participation à la souffrance d’autrui…Bref cette capacité de souffrir pour autrui. Et c’est exactement ce qui caractérise son travail, sa capacité à éprouver et à faire éprouver, comme lui,  nous souffrons avec ce « grand » petit  homme. Nous le suivons pas à pas et c’est prenant .

Nous avons programméce film le dimanche matin à 10 heures 30, il fallait être  résolument cinéphiles pour le voir, mais  heureux ceux qui l’ont vu. C’est un petit bijou.

Georges

 

PS :Vous qui avez eu  la patience de lire ces lignes, je vous l’assure, il  n’y a rien d’aussi bien que d’aller au ciné le dimanche matin du WEJR. Quelques chouquettes, un café en arrivant et on embarque. Le dimanche matin du W-E jeunes réalisateurs, un beau film rien que pour soi, et cette ambiance du matin, un privilège.

 

 

 Vu par Georges…


Surface de réparation

Valois du scénario au Festival du film d’Angoulème 2017

Dimanche 8 avril à 14h30

Film français (janvier 2018, 1h34) de Christophe Regin avec Franck Gastambide, Alice Isaaz, Hippolyte Girardot et Moussa Mansaly
Distributeur : ARP Sélection

Synopsis : Franck vit depuis 10 ans en marge d’un club de foot de province. Sans statut ni salaire, il connait bien les joueurs et les couve autant qu’il les surveille. Un soir il rencontre Salomé, l’ex-maîtresse d’un joueur, qui a jeté son dévolu sur Djibril, une vieille gloire du foot venue finir sa carrière au club.

Nous ne sommes pas du côté des héros, les footballeurs, mais des intermédiaires occultes. Ce film  montre les dessous du foot,  un monde interlope avec  ses combines.

Surface de réparation repose presque exclusivement sur Franck interprété par Franck Gastambide,un ancien joueur qui à la limite de devenir professionnel ne l’est pas devenu. Un homme blessé sans doute. Mais un homme qui s’accroche,  cherche sa place ici, dans les stades, et pas ailleurs… et qui en attendant, magouille pour le compte d’un intermédiaire à sa périphérie.

Cette périphérie est glauque, parieurs, traficoteurs, « filles à footballeurs », noctambules alcooliques etc. Le film montre ce monde-là, qui  double un « monde officiel et clean » que nous ne verrons jamais dans le film.

Le titre, « surface de réparation » tombe juste. Franck est un ancien « bon petit soldat » qui veut qu’on « répare » ce qu’il estime être une injustice. Qui ne cesse de demander  réparation à ceux qui n’ont pas fait de lui un professionnel du foot,  « vous avez été injuste, donnez-moi tout de même quelque chose »  car le foot c’est ma vie, semble-t-il penser.

Et nous assistons à sa marche pathétique, entêtée, un peu infantile pour obtenir une reconnaissance,  dans un monde qu’il estime plus que tout, et dont pourtant il connaît bas fonds et basses œuvres… d’abord, il rêve de devenir entraîneur …ensuite, il souhaite n’importe quoi, mais dedans, avec ce club … C’est tout de même curieux que de vouloir à toute fin être reconnu par des gens peu estimables, mais ça arrive certainement. Donc, c’est crédible. Tout de même, cet univers est un peu étouffant. Les amateurs de foot sauront discerner ce que ce film au demeurant bien construit et bien joué,  comporte de réalité et de fiction.

Georges

 

  

 Vu par Georges…



En présence de Delphine Agut co-scénariste
Dimanche 8 avril à 17h
Film franco-italien (mars 2018, 1h32) de Annarita Zambrano
Avec Giuseppe Battiston, Charlotte Cétaire, Barbora Bobulova, Fabricio Ferracane, Marylin Canto et Jean-Marc Barr 
Distributeur : Pyramide
 

Synopsis : Bologne, 2002. Le refus de la loi travail explose dans les universités. L’assassinat d’un juge ouvre des vieilles blessures politiques entre l’Italie et la France. Marco, ex-militant d’extrême gauche, condamné pour meurtre et réfugié en France depuis 20 ans grâce à la Doctrine Mitterrand, est soupçonné d’avoir commandité l’attentat. Le gouvernement italien demande son extradition.
Obligé de prendre la fuite avec Viola, sa fille de 16 ans, sa vie bascule à tout jamais, ainsi que celle de sa famille en Italie qui se retrouve à payer pour ses fautes passées.

En présence de Delphine Agut co-scénariste

Dimanche 8 avril à 17h
Film franco-italien (mars 2018, 1h32) de Annarita Zambrano
Avec Giuseppe Battiston, Charlotte Cétaire, Barbora Bobulova, Fabricio Ferracane, Marylin Canto et Jean-Marc Barr 
Distributeur : Pyramide

Synopsis : Bologne, 2002. Le refus de la loi travail explose dans les universités. L’assassinat d’un juge ouvre des vieilles blessures politiques entre l’Italie et la France.
Marco, ex-militant d’extrême gauche, condamné pour meurtre et réfugié en France depuis 20 ans grâce à la Doctrine Mitterrand, est soupçonné d’avoir commandité l’attentat. Le gouvernement italien demande son extradition.
Obligé de prendre la fuite avec Viola, sa fille de 16 ans, sa vie bascule à tout jamais, ainsi que celle de sa famille en Italie qui se retrouve à payer pour ses fautes passées.

 « Après la guerre » raconte l’histoire de Marco un ex-militant de gauche, confronté à son passé qui fut aussi celui des années de plomb, avec  sa violence extrême, ses morts par centaines, partout, dans les  lycées, les facultés, les rues…  Lycéenne dans les années 1980, Annarita Zambrano  fut aussi confrontée à cette violence. Elle a été témoin d’un assassinat de lycéens, comme chacun, elle se souvient de l’assassinat d’Aldo Moro. Elle dit comment chaque Italien a intégré la peur dans sa vie quotidienne. Pour l’Italie cette période demeure un traumatisme.

Le titre de ce film est aussi une manière de rappeler qu’une partie du peuple italien vivait cette période des « brigades rouges » comme une Guerre, alors que les autorités du pays excluaient ce terme pour lui préférer  terrorisme.

En 1985, la France accueille des militants des Brigades Rouges en fuite. C’est la  « Doctrine Mitterrand »  qui désigne un engagement verbal pris, par le Président de la République française François Mitterrand, de ne pas extrader les anciens activistes et terroristes d’extrême gauche, désangagés des brigades rouges, à condition qu’ils renoncent à leur activisme. C’était un calcul politique, cette deuxième chance avait l’avantage de  fermer les risques de jonction avec des groupes activistes français et d’activistes italiens encore en action— Mais cette promesse verbale ne valait que le temps de Mitterrand. Chirac puis Sarkozy  ont rompu avec cette doctrine.

Les  « années de plomb  » italiennes vont du courant  des années 60 aux années 80. « Après la Guerre » correspond à la période suivante en France celle du Président  Chirac. En Italie sur cette même période, vont se succéder 8 présidents de conseil, (dont 4 fois Berlusconi). L’Italie, malade de son passé récent était tout aussi malade de son présent. La réalisatrice n’évoque pas cette question.

En France, la critique fait immédiament un rapprochement entre le personnage du film et l’affaire Cesare Battisti. Annarita Zambrano  rejette ce rapprochement, elle considère que Battisti  est un droit commun, politisé en prison, qui habille politiquement les crimes qu’on lui impute.

La question qui intéresse Annarita Zambrino, c’est comment on vit quand la vie va d’exil en fuite et de fuite en cachette et comment vivent les membres de sa famille, là-bas en Italie.  Et elle ajoute dans une interview cette question éclairante : Et si quelqu’un ne paie pas, qui paye ?Cette question est intéressante. Sa réponse est « Toute la famille de Marco, qu’elle soit en France (sa fille) ou en Italie, sa sœur, son beau-frère, ses parents ». Est-ce seulement parce que Marco n’a pas payé ?

Cette question en amène d’autres. Sans doute faudrait-il ajouter qui leur fait payer ?  Et pourquoi ?

Ce que nous voyons, c’est que la  famille, et particulièrement la fille qui vit avec son père,  paient la caducité des accords Mitterand. La famille italienne de son côté paie  aussi car les politiques et les médias ont mis le projecteur sur ces personnes devenues extradables. La famille dans son ensemble paie donc la transformation instituée et instantannée de la situation de Marco, de réfugié à  celle de fugitif. Ce que montre la réalisatrice c’est que la famille ne paie pas seulement  les crimes réels ou supposés de Marco, mais paie aussi les conséquences de décisions politiques concernant Marco.

Comme nous le signalions, l’Italie d’alors est  marquée par la défiance des Italiens envers ses représentants. L’ltalie vit une crise morale. Durant cette période, beaucoup de gens ne « payaient pas », pas seulement les ex-brigadistes réfugiés en France. Alors, cette chasse aux ex-brigadistes n’avait-elle pas une fonction annexe ? On peut se poser la question. Le film ne nous éclaire pas sur ce point. C’est un peu dommage.

Cette question des brigades rouges a été beaucoup traitée au cinéma, par des Italiens, et même par des Américains. En repensant à ce film,  aux critiques qu’il a suscité,  je me demande, si  Annarita Zambrino et les journalistes n’ont pas trop tiré la présentation  du film  côté Marco (donc du côté ex-activiste). Ce film dit bien autre chose, il montre comment la violence d’un homme, puis la violence d’Etat, affectent la vie de sa famille. C’est là le mérite et l’originalité « d’Après la Guerre »  que de   montrer  comment l’entourage familial d’un fugitif est à son tour touché.

Alors, en Italie, regardons la famille de Marco et les difficultés concrètes que pose cette histoire dans leur vie, dans leurs projets.  Ils subissent les conséquences de l’affaire Marco, à l’instar de son beau-Frère homme de loi probe et courageux.

En France, regardons Viola, la  fille de Marco,  elle doit vivre une histoire qui n’est pas la sienne, celle d’une perpétuelle fugitive.

Observons les comportements de cette jeune fille, dans sa soumission filiale,  dans ses revendications de jeune fille,  dans ses révoltes et actes manqués.

Le film montre que le destin de Marco s’incarne  pour le pire dans l’existence de chaque membre de sa famille. Et, rien que cet  aspect du film le rend appréciable.

Ajoutons que dans ce film, les acteurs remarquables,  Giuseppe Battiston dans le rôle de Marco, la jeune Charlotte Cétaire dans le rôle de Viola et tous les autres sont mieux que convaincants.

Je me souviens qu’Alain Riou observait que souvent  des bons films ont une fin ratée. Celle-ci  est particulièrement troublante, il est d’usage de ne pas la raconter, et je le regrette, je peux dire que j’ai aimé les deux derniers actes ou derniers plans.

Georges

 

Vu par Pauline …

LUNA :

Dimanche 8 avril à 20h30
Avant première en présence de la réalisatrice

Film français (avril 2018, 1h33 de Elsa Diringer avec Laëtitia Clément, Rod Paradot et Olivier Cabassut
Distributeur : Pyramide

Synopsis : Luna vit près de Montpellier et travaille dans une exploitation maraichère. Elle est belle, drôle, elle dévore la vie. Elle serait prête à tout pour garder l’amour de Ruben. Au cours d’une soirée trop arrosée avec ses amis, ils agressent un jeune inconnu. Quelques semaines plus tard, celui-ci réapparait dans la vie de Luna. Elle va devoir faire des choix.

Le film s’ouvre sur une jeune fille qui semble aussi perdue que superficielle et totalement aveuglée par le besoin de plaire. Éprise par le beau Ruben et prise dans sa bande de copain, elle est prête à tout pour s’intégrer, être ou paraître comme eux. Quitte à déconner un peu, en allant, par exemple, voler un chien pour l’homme qu’elle aime, quitte à accepter de se faire prendre pour une idiote quand son Ruben en drague une autre ouvertement, quitte à déconner totalement et baisser le pantalon du garçon que sa bande de copain est en train de harceler et rire comme une bécasse quand son Don Juan viole le jeune homme avec une bouteille sous le regard d’un smartphone filmant la scène.

Autant dire que malgré sa fraîcheur, le personnage de Luna peine à nous séduire. Pourtant, une fois seule, la jeune fille se révèle terriblement attachante – l’interprétation de Laëticia Clément est absolument incroyable. Elle s’avère bosseuse, n’hésitant pas à travailler dur dans le maraîchage, un métier certainement peu gratifiant aux regards de sa bande. Elle parle de manière très libérée et insouciante de son avortement, notamment avec sa mère. Seule, elle semble forte, libre et heureuse. Pour un shooting photo délirant de sa meilleure amie, elle change de visage et oublie le mal qu’elle a pu faire quelques jours auparavant.

Alors quand le jeune homme que Ruben a violé débarque au travail de Luna et se fait employer par son patron, les actes collectifs prennent tout à coup une tournure à la fois personnelle et professionnelle qu’elle n’attendait pas. Elle fait tout pour que le jeune homme – joué par Rod Paradot, tout aussi bon et juste que dans La tête haute, qui l’avait révélé – se fasse virer, mais sans succès. Il s’accroche à son boulot et s’attache à elle. Après une scène où Ruben fait preuve d’un machisme sans nom et où elle accepte de se laisser maltraiter alors qu’elle vient d’avorter de lui, elle réalise que sa vie n’est pas aussi idéale que ce qu’elle le laisse paraître, et que son copain est néfaste à son développement.

Les deux jeunes adultes cultivant ensemble la terre finissent par voir en l’autre celui en qui avoir confiance pour devenir la porte de sortie de leurs vies moroses. Leur relation est belle, simple, pleine de vie, de rire et de musique.

Mais elle repose sur un secret. Un secret trop lourd qui va rendre la situation explosive lorsqu’il sera révélé. Alors, tout à coup, nos pieds de spectateurs freinent des quatre fers, l’angoisse nous prend, tant pour les personnages que pour le film qui mérite tellement mieux qu’une fin stéréotypée à la hollywoodienne avec des grands coups de feu partout. Le film mérite de tenir la veine réaliste dans laquelle il a su nous plonger et la maintenir jusqu’au bout. Finalement, c’est avec joie qu’on voit les personnages se poser et la fin s’apaiser.

Dans le très bel échange qui a suivi le film, la réalisatrice, Elsa Diringer, nous révéla qu’elle avait tenté toutes les fins possibles, tuant l’un, l’autre, tous… Avant finalement d’envisager le pardon. « Parce que finalement, ça n’a pas si mal marché le pardon ! »

Ce film est un magnifique souffle de vie, filmé subtilement et sublimement dans les campagnes montpelliéraines. Et cette rencontre était un moment d’une rare richesse.

 

Pauline

 

 

 

« Daphne » de Peter Mackie Burns

Du 14 au 19 juin 2018
Soirée débat mardi 19 à 20h30
Film britannique (vo, mai 2018, 1h33) de Peter Mackie Burns avec Emily Beecham, Geraldine James et Tom Vaughan-Lawlor

 

Distributeur : Paname Distribution

Présenté par Marie-Noël Vilain

Synopsis : La vie de Daphné est un véritable tourbillon. Aux folles journées dans le restaurant londonien où elle travaille succèdent des nuits enivrées dans des bras inconnus. Elle est spirituelle, aime faire la fête mais sous sa personnalité à l’humour acerbe et misanthrope Daphné n’est pas heureuse. 
Lorsqu’elle assiste à un violent braquage sa carapace commence à se briser…

Selon Nico Mensiga « Un scénario, c’est, comme pour une maison, d’abord un plan, des fondations puis le gros œuvre. Après, pour un scénario, les finitions c’est de faire en sorte que la maison soit hantée »
Daphne est hantée par le temps qui passe et par la mort qu’elle regarde un jour de très près, dans une grocery où elle venait acheter du paracetamol pour soigner une énième gueule de bois, et par la mort de sa mère qu’elle refuse de regarder en face. Elle refuse la vie normale que sa mère déplore « Alors ce serait juste ça la vie ? »
Elle s’y prend comme elle peut, mal. D’alcool en lignes de coke, elle marche « à côté de ses pompes », gracieuse. C’est ça le truc : dans sa déchéance, elle garde la grâce. Bien qu’elle s’abîme dans des rencontres hasardeuses, offre son corps comme une marchandise, elle garde le contrôle, lucide, plus forte qu’il n’y paraît. Comme une sorcière, elle jette de la poudre aux yeux pour flouter son propre reflet et tous les autres dans le miroir. A nous de ne pas renoncer car on la sent vibrer, bouillonner en attendant le déclic qui ne va pas tarder, en attendant la main qui va se tendre vers elle et qu’elle saura être celle qu’elle peut saisir.
Il se trouve que cette main sera ensanglantée, qu’elle commencera par la lâcher avant de la reprendre en pleine conscience devant le sourire de Samir « compagnon de veillée ».
Daphné, nymphe rose : la route vers les mots de joie s’ouvre à toi.

Daphne, c’est un personnage habité, une atmosphère, les parfums d’Elephant & Castle 
Un très joli film

Daphne c’est Emily Beecham
On ne peut pas imaginer une autre actrice dans le rôle de Daphne. Son jeu est extraordinaire. Elle illumine l’écran sans chercher à attirer le regard, sans jamais en faire trop. Elle est exceptionnelle en jeune femme tourbillonnante, misanthrope, insupportable, drôle et intelligente, qui finit peu à peu par apprivoiser son malaise, son mal être.
Et on est, par avance,  éblouis par Daphne débarrassée de ses fardeaux !

Emily Beecham a quelque chose d’exceptionnel. On la reverra forcément très vite.
Grâce à Daphne,  nous avons eu déjà le privilège de faire sa connaissance.

Marie-No

Retour au Palais – Yamina Zoutat

 

Soirée débat lundi 18 à 20h30

Film franco-suisse (avril 2018, 1h27) de Yamina Zoutat

 

Présenté par Françoise Fouillé
Synopsis : C’est une gigantesque demeure qui compte, dit-on, 6999 portes, 3150 fenêtres et 28 kilomètres de couloirs. Des caves aux greniers et jusque sur les toits, le personnel de la maison s’affaire à toute heure, pendant que les murs résonnent de ce qui se juge ici. Enfants battus, trafics, divorces, enlèvements, crimes de sang… Cette maison, c’est le Palais de Justice de Paris dont le déménagement est imminent.

Curieux ce synopsis, tellement dissocié du contenu  du documentaire, après « pendant que les murs résonnent de ce qui se juge ici », tout le reste est presque  hors-champ.

Donc, voici le Palais de Justice.  Il est présenté par ses détails,  comme les pièces d’un  vaste puzzle dont nous ne connaîtrons pas l’ensemble. (Boiseries, pierres et serrures,  mais aussi obscurité, étroitesse des lieux, WC à la turc en acier. Il y a aussi le bruissement des  voix  et des choses…chariots et serrures… et  résonne parfois des clameurs humaines, sans doute hanté par le convoi du 24 janvier et quelques autres.  Il y a aussi   des personnages, ils sont là un peu comme dans un jeu des 7 familles, dont nous ne connaîtrions pas exactement  les familles,  un coursier intérieur et son diable  porte-dossiers, une standardiste aveugle, souriante et jolie, des policiers de tous poils, des agents techniques,  etc… et un instant,  de loin,  séparés par une vitre, des gens de loi, revêtus de « robes » rouges  ou noires*(1),  graves, assis dans un certain ordre,  obscure. Ils apparaissent  à la fois  kitchs et solennels. Bref, ce que nous montre Y.Z, c’est un peu d’histoire, celle du palais et l’évocation de quelques   « beaux assassinats »  dans le lieu où on les traite. Un lieu aux fonctionnalités et aux  pratiques  vieillottes.

Curieusement, les seules allusions à la peine tiennent en un objet insolite, l’urne patinée :   coupable, non coupable ( Urne qui nous assure-t-on  a contenu des condamnations à mort).  Ajoutons  son complément, une broyeuse à papier électrique dernier cri. Sans elles on  oublierait presque que ce palais est le pourvoyeur des prisons, lieu qui peut-être,  avec le 16ème arrondissement de Paris, est le mieux préservé de la mixité sociale.

Il y a  dans ce doc d’Y.Z  une nostalgie sincère, le Palais représente un attachement,  une Vie. Une vie  d’observation et de travail  pour décrire justice et injustices , nostalgie teintée d’ambivalence…(un peu celle de quelqu’un qui dirait c’était mieux avant dans un téléphone portable (2*) « dernière génération »,

…et ce matin, je tombe sur cette citation : «  Le verdict ne vient pas d’un seul coup, la procédure se transforme peu à peu en verdict. » voilà qui, comme souvent avec Kafka,   tombe à pic.

 

(1*)A ce propos, Françoise nous informe que l’hermine est remplacée par une peau de lapin… A la bonne heure!

(2*) ou une caméra si on veut.

 

MILLA – Valérie Massadian (2)

Prix spécial du jury international et de la meilleure réalisatrice au Festival de Locarno
Du 7 au 12 juin 2018
Soirée débat mardi 12 juin à 20h30

Film français (avril 2018, 2h08) de Valérie Massadian avec

Séverine Jonckeere, Luc Chessel et Ethan Jonckeere

Distributeur : JHR Films

Présenté par Georges Joniaux

Synopsis : Milla 17 ans, et Leo à peine plus, trouvent refuge dans une petite ville au bord de la Manche.
L’amour à vivre, la vie à inventer. La vie à tenir, coûte que coûte et malgré tout. 

Le premier qui dit la vérité
Il doit être exécuté ». Guy Béart

 

Nous avons  lu des critiques élogieuses de ce film, dans le Monde, la 7èmeobsession, Télérama, les Cahiers du Cinéma et des dizaines d’autres critiques.  D’ailleurs, avec ça, la société de distribution escomptait certainement mieux de ce film qui est demeuré  relativement confidentiel en dépit d’une bonne distribution.  Pourtant, voici un film que les cramés  de la bobine, comme beaucoup de spectateurs en France, n’ont pas aimé. Et, pour certains, pas du tout, du tout…Hier soir aussi, certains n’avaient-ils  pas envie de voir ce film, et plus encore, ce « pas envie », allait crescendo de plan en plan. D’ailleurs une spectatrice en a eu assez et a quitté la salle.

Que s’est-il passé ? Tout le monde est d’accord pour dire que Valérie Massadian filme bien. Il y a des plans magnifiques, un regard de grand photographe,  des enchaînements subtils. Des critiques louent sa profondeur de champ.

Nous avons entendu principalement trois reproches à ce film : Le premier, sa longueur, le deuxième son absence de scénario, le  troisième, le jeu de l’actrice, peu expressive et silencieuse. Ces trois arguments se combinant selon chacun.

Je crois qu’une large part de ces reproches tient à l’intransigeance artistique de Valérie Massadian. Mais de notre côté de spectateurs, ne  sommes-nous pas devant l’écran avec nos habitudes, et nos référentiels qui justement font écran à son travail ?   Alors commençons par nous regarder un peu, à travers nos choix de films  :

Considérons seulement quelques films présentés récemment sur la pauvreté, dans la sélection des Cramés de la bobine. Quand nous les passons en revue, nous constatons qu’ils sont souvent  en quelque sorte allégés par des scénarios à rebondissement, des  dialogues et  scènes piquantes,  il y a de l’action et des  sentiments. De sorte que nous les supportons bien.  Je pense par exemple  à « Louise Vimert », « Sans toit ni loi »,  « le Havre », « Rosetta » « Fatima ». Tous remarquables. Repensons un instant  à  « au bord du monde » de Claude Drexel, il s’arrête auprès des clochards, échange avec eux, mais il introduit dans son film, un artifice paysager, un écrin, «  Paris ma bonne ville (presque sans voitures), Paris ville lumière ». Bref, il biaise.

Je n’ai pas souvenir d’avoir vu une fiction qui soit essentiellement « contemplative » sur la pauvreté, c’est à dire qui se satisfait de la regarder et nous la fait regarder en face.  Et Milla est  pour moi le premier.

Mais  revenons un instant  à Valérie Massadian. Nous avons pu lire, qu’elle avait eu une l’enfance esseulée. Comme elle a eu la chance, la volonté et le talent d’être une artiste, elle a su se distancier de cette expérience primitive, quitter les voies toutes faites que cette expérience traçait. On peut dire qu’elle a été sauvée par l’art et par les quelques rencontres clés qu’elle a pu faire dans ce milieu. Elle a été sauvée par les regards qu’on a portés sur elle, les chances qu’on lui a donné. En tout cas par sa volonté première de se placer dans cette configuration.  Et, on se doute  que son premier film, Nana doit affectivement à Nan Goldin. Les belles rencontres, et la sublimation artistique. Mais Valérie Massadian est issue d’une famille d’artistes, ce qui n’est pas le cas de tous, et elle le sait. Son travail consiste à montrer comment ça se passe quand on vient de nulle part ou de pas grand-chose…

Dans Milla, Valérie Massadian  ne cherche pas à expliquer, elle considère qu’on est assez grands,  elle montre, car elle a à montrer. Elle nous montre quoi ? Trois actes de la vie d’une pauvre jeune femme. Elle aime, elle est veuve et enceinte, elle a un enfant.  Et le scénario ? Presque rien, l’effet du temps et des choses de la vie dans le dénuement – rien que ça- Ce dénuement qui se manifeste  par la gaucherie de Milla avec les objets, avec les activités de sa vie quotidienne, avec les mots, avec les autres.  Quant à sa vie relationnelle, marquée (probablement une fois de plus)  du sceau de la perte, elle est rendue  la plus réduite possible. Valérie Massadian sait rendre cette sensation. Milla montre la volonté sourde  de ne pas prendre de place, de ne pas encombrer, ni par les mots, ni par son corps…à n’être qu’à peine. Bref à compter le moins possible.

Valérie Massadian montre aussi ce que trop de critiques ont appelé la résilience.  Par instinct, par expérience et par lecture, je n’aime pas ce mot et je n’y crois pas.  Sauf si l’on entend par là, la capacité à rebondir et à vivre socialement en dépit  ses vieilles plaies, blessures, parfois inguérissables.  On voit bien que Milla porte les stigmates de ce qu’elle est : Son look, sa gestuelle maladroite, son rapport aux objets,  la pauvreté de son expression faciale. En accentuant le regard, on voit aussi qu’elle utilise toute son énergie psychique à vivre et tenir debout. On distingue l’élan vital d’une personne  tendue vers un devenir incertain, pour elle et pour son enfant. Et avec Ethan, c’est une symbiose, toute maladroite et  angoissée. La réalisatrice a choisi une actrice dont le vécu était voisin de celui de son personnage. Elle qui est une artiste, supposait l’effet cathartique de son travail avec elle. On peut parier que Séverine Jonckerre sera après ce film  délivrée, elle pourra s’ouvrir au monde. Valérie Massadian, qui sait de quoi elle parle, a voulu nous montrer à la fois l’écrasement et la résistance. Nous ne voulons pas voir l’écrasement, nous ne comprenons pas la résistance en question car elle nous est étrangère. Le pauvre n’est pas seulement celui qui n’a pas, c’est aussi celui qui plus que personne paie le prix de vivre.

Avouons qu’il y a plus reposant.

Ajoutons la poétique de  Valérie Massadian, ses cadres, sa bande-son,  mais aussi tout comme les textes qu’elle a choisis,  le poème de Léo, celui de Marie Ravenel par Léo et Milla, Add it up, de Ghost Dance, et la tendre chanson de Fréhel « Où sont mes amants ».

Certainement, je ne vous étonnerai pas de mon opinion, j’aime ce que nous montre Valérie Massadian, j’aime son parti-pris et son courage. Un courage de ne pas être aimée qui ferait frémir n’importe quel acteur du domaine social.  Je pense qu’elle réalise une œuvre de cinéaste. C’est parfois aussi une solitude, souhaitons la brève.

Georges

PS : Je viens de lire l’article de Marie-No, qui comme d’habitude m’a réjoui. Toutefois, je ne partage pas son histoire de bobo, car si les bourgeois existent bel et bien qui sont  les bobos ?  Une catégorie floue et pratique, mais c’est une autre histoire.

…En revanche, Candeloro ! j’en ris encore. 

 

« Milla » de Valérie Massadian

Prix spécial du jury international et de la meilleure réalisatrice au Festival de LocarnoDu 7 au 12 juin 2018Soirée débat mardi 12 juin à 20h30
Film français (avril 2018, 2h08) de Valérie Massadian avec Séverine Jonckeere, Luc Chessel et Ethan Jonckeere

Distributeur : JHR Films

Présenté par Georges Joniaux

Synopsis : Milla 17 ans, et Leo à peine plus, trouvent refuge dans une petite ville au bord de la Manche.
L’amour à vivre, la vie à inventer. La vie à tenir, coûte que coûte et malgré tout. 

 

Milla et Léo, si jeunes, blottis l’un contre l’autre, nimbés de lumière, cette première image, irréelle, donne le ton de ce qu’on ne verra pas : une histoire d’amour romantique.
Valérie Massadian ne nous vole pas notre temps : on sent bien le temps passer.
Et c’est assez gonflé de procéder ainsi, en une successions de longs plans fixes, pour forcer à voir Milla qui fait partie des Invisibles, caste cousine des Intouchables.
Il fallait oser mais dommage c’est quand même un peu long … Le public ne vient pas, voire se taille et, oui, parmi nous, certains, moi par ex, avons, à un moment donné, eu envie de décrocher. Et certainement pas à cause du sujet.

Et comme les images sont belles et le film, une succession de tableaux réalistes très réussis, on reste, captivés finalement.

Au début, je me suis demandé pourquoi la réalisatrice avait, en plus, choisi ces acteurs pour incarner les héros de son film … du suicide !
Et puis (très) tranquillement, je me suis attachée à Milla, j’ai voulu que son petit rire revienne. (pour Léo c’est différent : j’ai vu Candeloro  … très handicapant)

Quand on passe outre et se cramponne, ce qui dérange et ce qui reste, c’est l’impression amère que Valérie Massadian n’a pas intégré le monde de Milla.
Milla, elle l’a observée, détaillée, et même peut-être comprise, l’a aimée et fait aimer, mais après, chacun chez soi.
C’est cette distance qui m’a gênée (ça ne m’étonne pas que les critiques «  parisnobs « aient encensé le film)

N’est pas Agnès Varda ou Sean Baker qui veut, qui se donnent tout entiers à leurs Mona et Halley par Moonee interposée.

Marie-No

Kino + Maurice

Kino Avoblo – Wix.com

https://kinorama77.wixsite.com/avoblo

 

« Faire bien avec rien, faire mieux avec peu… mais le faire maintenant ! »

Le WE dernier, je me suis lancée dans cette belle aventure avec la sensation, au début effrayante, puis, grisante de plonger dans le vide.
La journée « scénario » de jeudi ayant été annulée(pas assez d’inscrits),  on a démarré directement le vendredi avec la session de création.

Et dimanche soir « Maurice » était projeté, avec les 10 autres réalisations, sur grand écran !
« Maurice », mon court métrage ! modeste certes et très court (3mn48) mais qui a le mérite d’exister !
En partant de zéro (jamais tourné, pas de matériel ..) j’y suis arrivée !
J’en suis fière, bien sûr, mais surtout, pendant ces 3 jours, j’ai rencontré des gens formidables,  Aurélie Laffont, Jean-Pierre Becker qui ont fait exister  ce projet et tous les participants (28), certains bien « perchés », tous complètement là.
En 3 jours, j’ai appris beaucoup de choses, je me suis enrichie et bien amusée.

Voici « Maurice »

http://vimeo.com/273658487

Marie-No

The Third Murder – Kore-Eda

Nominé à la Mostra de Venise et au Festival du film policier de Beaune
Du 24 au 29 mai 2018
Soirée débat mardi 29 mai à 20h30

Film japonais (vo, 2018, 1h43) de Hirokazu Kore-eda avec Masaharu Fukuyama, Koji Yakusho et Suzu Hirose

Titre original : Sandome no Satsujin
Distributeur : Le Pacte

Présenté par Georges Joniaux

Synopsis : Le grand avocat Shigemori est chargé de défendre Misumi, accusé de vol et d’assassinat. Ce dernier a déjà purgé une peine de prison pour meurtre 30 ans auparavant. Les chances pour Shigemori de gagner ce procès semblent minces, d’autant que Misumi a avoué son crime, malgré la peine de mort qui l’attend s’il est condamné. Pourtant, au fil de l’enquête et des témoignages, Shigemori commence à douter de la culpabilité de son client.

Le film commence par un assassinat, Misumi tue un homme en lui assénant un coup de clé à molette sur la nuque et brûle son corps avec de l’essence. Sa culpabilité ne fait aucun doute, d’ailleurs il a tout avoué. Son récit est conforme aux images que nous avons vues. Misumi a déjà fait 30 ans de prison pour deux assassinats. Cette fois il est accusé de vol et d’assassinat. Il risque la peine de mort.

C’est une vérité simple, il a tué pour voler.  La peine de mort existe au Japon, il devrait être pendu, c’est plié. Or, Shigémori, l’avocat de la défense, un homme à la fois cynique et sagace, observe des faits plutôt contradictoires avec la version officielle et  se met à douter des faits.

Nos convictions de spectateurs avancent un peu en même temps que les découvertes de l’avocat Shigémori… nous les remanierons constamment car ce film est aussi un thriller. Du coup nous nous demandons quel est le statut de ces premières images ? Nous montrent-elles le crime ou une version plausible du crime, telle que de Misumi l’a avoué, et telle qu’elle convient à la procureur ?

Il nous sera suggéré différents mobilesdu crime dont deux qui excluent  le supposé coupable.

-Misumi a tué pour voler car il était endetté, dettes de jeu. C’est la version admise (extorquée ?). L’avocat découvre qu’il a 50 000 yens sur son compte et pas l’ombre d’une dette. Nous y reviendrons.

– Il a tué son patron par vengeance. 2 mobiles, il venait d’être licencié ou son patron commettait des actes délictueux.

– Il a tué son patron sur commande de l’épouse qui voulait toucher l’assurance vie.

– Il a tué son patron parce qu’il était incestueux, qu’il aimait  cet enfant un peu comme sa propre fille (qu’il n’a plus revu depuis qu’elle avait 8 ans)

(Si on ne sait pas qui a tué, une certitude, tous les plans de Misumi consistent à protéger cette enfant, y compris contre elle-même)

-Le patron a été tué par n’importe qui

-Il a été tué par sa propre fille et le Misumi endosse ce meurtre.

Koré-Eda a pris soin de rendre la culpabilité ou l’innocence de Misumi indécidable, il s’est arrangé pour que nous ne soyons sûrs de rien.

La défense du coupable ( ?)  Est  l’occasion de voir le fonctionnement de la justice et de la défense et les attitudes des protagonistes. Si l’on se rappelle bien le jeu cynique de Shigemori l’avocat de la défense, on doit se rappeler que la procureure ne l’est pas moins, qui veut refuser l’enregistrement d’un argument parce qu’il contredit sa version. De même elle a retenu l’endettement au jeu comme cause de meurtre alors que Misumi a un compte créditeur récent, confortable, de source obscure. Bref de part et d’autre la vérité ne sort de son puits. Du côté du  représentant du juge, ce n’est pas mieux : « On ne recommencera pas un procès, ça coûte cher  et ça entacherait sa réputation ».

Du côté de l’investigation,  l’avocat bouge lui aussi et faute de percer les mystères de  l’affaire, il découvre des choses intéressantes sur la femme de la victime  et sur sa  fille. L’une, la mère affecte une attitude peinée, que viennent contredire ses magouilles et son silence coupable lors des rapports incestueux de son époux avec leur fille. La fille plus authentique et sensible, est proche de Misumi, « l’assassin » de son père.  L’avocat mesure   le  mystère de cet assassinat et surtout,  le mystère Misumi.  Ce dont témoigne la gradation des plans  de rencontre de ces deux hommes, chacun d’un côté derrière la vitre du  parloir.

Remarquable cheminement de l’avocat. Comment marquer les mouvements de son âme, lui qui prétend justement ne pas avoir d’état d’âme, « l’empathie est inutile pour défendre un accusé, dit-il au début du film ».Pour être plus juste, il faudrait dire : remarquable la manière de Koré-Eda pour montrer l’évolution de l’avocat. Tout se passe dans la relation duelle du parloir. À chaque fois il cadre d’une manière nouvelle, et toutes les variantes de prise de vue sont utilisées, du simple champ contrechamp en passant face à face, un face-à-face avec effacement de la cloison, jusqu’à la fusion, superposition des images de l’un et de l’autre. Il y a même un dialogue, ou le reflet de Misumi le fait paraître tel un spectre. Mais revenons à l’avocat, il ne sortira pas indemne de ces confrontations. Il y a entre lui est Misumi un mouvement progressif  qui rappelle la philosophie de Lévinas, une relation de visage à visage, une relation à autrui, chaque fois plus authentique et qui oblige.

Misumi « La coquille vide » ?  Un prêt à penser.

Le policier qui avait arrêté Misumi il y a 30 ans témoigne à l’avocat :  « cet homme changeait  de version à chaque fois, c’était une coquille vide ».C’est une réflexion qui a de l’allure, même si on ne sait pas trop ce que cela signifie. Dans le dernier dialogue, Shigémori reprend, « Êtes-vous une coquille vide !? ». L’attitude de Misumi montre l’inanité de la formule, la coquille vide est ce qui reste d’un être qui a été vivant, il n’y a pas de génération spontanée de coquille. Une coquille vide est aussi un réceptacle, et Misumi a été le réceptacle de tout ce qu’on a échafaudé à sa place. Il est le meurtrier par toutes les versions à la fois, même les plus contradictoires. Il en arrive même à plaider coupable pour être sûr d’être condamné.

Shigémori découvre progressivement que cet homme avait préparé sa mort. Payé son loyer, tué ses oiseaux (sauf un, qu’il a laissé s’envoler) avant d’aller se constituer prisonnier et d’avouer tout ce qu’on veut.  Il découvre aussi que ce n’est pas le hasard qui l’a conduit à le défendre. Lui qui pensait avoir choisi son client en vient à penser qu’il a été choisi par lui.

Misumi a joué avec les avocats et la justice comme un joueur de go, en stratège,  quelquefois en tacticien ( changer de stratégie de défense et plaider non coupable est un coup tactique). Shigémori qui était dans les pas de son père, le Juge  qui 30 ans plus tôt, avait gracié Misumi retrouve et adopte salutairement une démarche qui fut celle  de son père par Misumi interposé. L’effort de Shigémori pour comprendre son client est quelque chose de nouveau chez lui. La rencontre entre ces deux hommes dans la prison cette fois, après la condamnation à mort  laisse penser qu’il a compris quelque chose de Misumi. Cette tentative de compréhension tout intellectuelle, assez dépourvue d’affects, vaut pour de la compassion. Et, après cette affaire, on suppose que Shigémori ne sera plus exactement le même  homme.

Le rapport des enfants avec les pères est abordé d’une manière récurente dans les films de Kore-Eda. Ici deux exemples, celui d’un père violeur, et de son côté,   le père de l’avocat en vieillissant qui  a perdu de son humanité, ses présupposés sur les criminels se résument ainsi : « Il y aurait des natures criminelles ». Avec la rencontre de Misumi, le balancier semble aller dans l’autre sens pour le fils.

Misumi est condamné à mort. Quittons le film un instant pour dire que la peine de mort a l’assentiment de 80 % de la population japonaise. Nous avons vu que la justice  produit un système qui veut juger en dehors de la vérité (sincérité) et  choisi, au Japon comme ailleurs, de mettre en place un jeu où les faits ne valent pas pour leur valeur « vraie ou fausse », mais pour leur « tarif », c’est-à-dire   la sanction encourue par le prévenu. Kore-Eda, montre que ce  jeu   a ses valeurs propres et n’inclut nécessairement la vérité mais l’usage (l’instrumentalisation)  qu’on en fait. L’approximation, le caractère douteux du jugement peut aboutir à la peine de mort qui elle, n’est pas une approximation.

Avec Misumi, Koré-Eda nous présente un personnage qui est un assassin idéal qui arrive à point nommé en tant que coupable, et peu importe qu’il le soit ou non. D’ailleurs il n’est peut-être « qu’un simple candidat au suicide judiciairement assisté ». En France par exemple, en son temps, l’affaire Buffet/Bontemps avait révélé un homme (Buffet) qui a utilisé la justice pour mettre fin à ses jours et plus encore. … Il existe d’autres exemples similaires aux USA.(1)

Avec ce film, Koré-Eda va à  contresens  de l’opinion dominante Japonaise sur la justice et la  peine de mort.  Il  réalise une fois de plus un très bel fiction et en même temps un bon documentaire.

 

PS : En revanche les prisons au Japon, si elles sont bien reproduites dans le film, semblent moins ignobles qu’en France, il est vrai que ce n’est pas très difficile.

(1) Je crois me souvenir que cet usage de la peine de mort comme moyen de  suicide a été décrite et documentée dans « la compulsion d’avouer » de Théodor Reik. (psychanalyste 1888/1969) 

(1 bis) Se souvenir de la fascination pour la mort de Gary Gilmore dans « le chant du Bourreau » de Norman Mailer ou encore de « l’instinct de mort » de Mesrine.

 

 

 

 

Mon oncle de Jacques Tati

 

Du 24 au 29 mai 2018Soirée-débat jeudi 24 à 20h30Film français (1958, 1h56) de Jacques Tati
Avec Jacques Tati, Jean-Pierre Zola et Adrienne Servantie

Présenté par Jean-Loup Ballay

 

 

Synopsis : Le petit Gérard aime passer du temps avec son oncle, M. Hulot, un personnage rêveur et bohème qui habite un quartier populaire de la banlieue parisienne. Ses parents,M. et Mme Arpel, résident quant à eux dans une villa moderne et luxueuse, où ils mènent une existence monotone et aseptisée. Un jour que Gérard rentre d’une énième virée avec son oncle, M. Arpel prend la décision d’éloigner son fils de M. Hulot. Il tente alors de lui trouver un travail dans son usine de plastique, tandis que sa femme lui organise un rendez-vous galant avec l’une de leurs voisines…

Silhouette dégingandée, saccades apprivoisées, déséquilibre sans cesse conjuré, feutre mou et raideur mécanique alliée à une politesse vieille France pour saluer dames ou demoiselles, à une distraction apparente dont on ne sait trop si elle n’est pas jeu cocasse avec le réel, subversion élégante et pince-sans-rire d’une modernité tellement sclérosante qu’il faut la mimer jusqu’à l’épuiser, pousser sa logique jusqu’à l’absurde… C’est toujours un plaisir ou au moins une redécouverte, dans Mon oncle, sorti en 1958, que le jeu de Jacques Tati, personnage gracile de BD, masque burlesque mais inexpressif à la Buster Keaton, marginal moins rejeté par la société qu’en minant de l’intérieur les codes, même si l’on ne peut s’empêcher de penser à Charlie Chaplin (l’émotion pathétique et la dénonciation sociale en moins), au Charlot des Temps modernes se battant avec sa clé à molette et ses écrous sur une chaîne de montage face à M. Hulot dans la cuisine entièrement automatisée de sa belle-sœur Mme Arpel : des ustensiles peu préhensibles, des appareils ménagers…électrocutants, un tiroir s’ouvrant et se refermant brusquement comme pour happer une poêle ou une casserole – le monde des objets semblant vivre d’une vie autonome, inquiétante, prêt à se venger de son créateur, dans un délire quotidien digne de Frankenstein

A vouloir éliminer la blessure du hasard ou de l’approximation, tout maîtriser du réel, et s’entourer d’un confort parfait, le grotesque couple Arpel a construit l’instrument de son propre asservissement : une maison de carton-pâte, d’un cubisme ridicule, un décor de cinéma comme on n’oserait plus en exhiber dans les fictions les plus exotiques ou les histoires les plus débridées, avec ses couleurs criardes ou acidulées, roses, vertes, violettes, ses lignes impeccables, ses œils-de-boeuf panopticons surveillant le quartier, ses dalles seules foulées pour préserver l’allée curviligne et jusqu’à cette fontaine-poisson qu’on ne déclenche que pour les invités de marque. Un monde rectiligne, quadrillé, à l’image du gilet du toutou de la famille, parfaitement assorti à l’écharpe de M. Arpel, un univers de voies déjà tracées, de réponses sans questions, de flèches routières, soulignées à la craie sur le sol, annoncées dès le générique par les poteaux indicateurs – un monde qui n’autorise les courbes des cercles-tapis que pour les domestiquer, les circonscrire en hublots ou paillassons, un monde de propreté absolue, entretenue par la maniaquerie maladive de madame, qui époussète les murs ou les pots de cactus autant que ses tapis ou tentures. La nature se venge de l’homme, tels cette fontaine phallique qui se détraque au milieu de la garden-party, obligeant Pichard, le collaborateur d’Arpel à se couvrir de terre en creusant une fosse, ou ces tubes fabriquées par l’usine Plastac, que l’incurie et l’endormissement de Hulot employé par son beau-frère transforment en boudins interminables et inarrêtables. Le clou du spectacle est peut-être cette porte de garage à ouverture automatique et à rayon infrarouge qui se referme sur M. et Mme Arpel, que leur chien délivrera en passant dans le faisceau lumineux après avoir provoqué de sa queue la catastrophe !

Face à ce monde carré et congelé, parcouru de pantins purement sociaux, s’épanouit la poésie d’un vieux quartier, comme un village montmartrois, la maison ouverte et improbable de Hulot, biscornue et archaïque comme un château hanté, étrange et familière comme le palais de dame Tartine, buissonnière et incohérente avec ses baies et coursives ouvertes, ses escaliers étroits, ce 3ème étage qu’il faut atteindre pour monter, non, pour descendre au deuxième : une vie trépidante, des rencontres embarrassées sur un impossible palier, l’activité fébrile du marché à deux pas. La vie dans les années cinquante, ce côté réalisme poétique, avec ses bandes de chiens errants autour des poubelles, son muret effondré, ce vieux réverbère défoncé, la carriole du chiffonnier et surtout ce terrain vague où des gamins crasseux, morveux et dépenaillés inventent des jeux improbables – course-poursuite, escalade sur un vieux pneu – tout un univers à la Doisneau ou à la Prévert – on pense aux belles photos qui émaillent l’album du photographe sur un texte de Cavanna Des doigts pleins d’encre, surtout dans ses dernières pages. Gérard, le fils Arpel, neveu de M. Hulot, un peu raide mais rétif à la rectitude parentale, louvoie entre les deux mondes : comme le chien de la famille s’encanaillant dans les faubourgs avec les canins prolos, il fait le lien entre ses parents et son oncle dont il se sent si proche mais dont le départ pour s’occuper d’usines en province libérera enfin la relation à son père enfin attendri, lequel joue à se cacher et fait preuve d’une fantaisie inaccoutumée à l’aéroport.

Le plus frappant pour moi dans cet inimitable classique du burlesque réside dans l’économie de la parole et du silence. On a tout dit de la poésie de ce film, de ces curieuses synesthésies de la lumière suscitant un chant d’oiseau lorsque s’ouvre la baie vitrée chez M. Hulot, des bruitages qui constituent un véritable décor sonore et mêlent des sons bien réels, et d’autres, enregistrés en studio ou post-synchronisés. En revoyant Mon oncle , ces bribes de paroles, ces borborygmes qui avaient pu m’agacer dans ma jeunesse bavarde, dans Les Vacances de M. Hulot notamment, me semblent aujourd’hui singulièrement signifiants, surtout quand ils se mêlent aux propos des Arpel, des cadres de l’entreprise ou de cette voisine grotesque, caricature assumée d’Hulot, à peine adoucie par son bibi rond et une boule canine, à l’allure de Castafiore et au masque de Cruella que Mme Arpel verrait bien fréquenter, voire épouser son frérot lunaire . Mon Oncle nous offre une formidable satire de ce règne de la « parlote » brocardé par Brel – réduit ici à l’écume de propos mondains, de politesses de voisinage, du jargon ultra-libéral ou de slogans commerciaux.

Comme un insipide bourdonnement, une rumeur profuse et diffuse, l’eau tiède de la vie moderne à quoi s’opposent les onomatopées du quotidien, les rires éclatants des gamins, la faconde d’un balayeur peu efficace, les cris des marchands de beignets, les voix tonitruantes des forains et bonimenteurs, les éclats de couples en souffrance – ces cris de Paris dont la symphonie discordante défie la morale mortifère et l’étouffante pureté des lignes de vie.

Un inventaire surréaliste, ou « à la Prévert » comme on dit, contre « la complainte du progrès » de Boris Vian…

Claude

 https: Boris Vian -La complainte du progrès (1956) //www.youtube.com/watch?v=9PTqTjHs5c0

Mektoub my love- Abdellatif Kechiche (2)

 

Présenté par Marie-Noël VilainDu 17 au 22 mai 2018Soirée débat mardi 22 mai à 20hFilm français (mars 2018, 2h55) de Abdellatif Kechiche avec Shaïn Boumedine, Ophélie Bau, Salim Kechiouche, Lou Luttiau, Alexia Chardard et Hafsia Herzi

Distributeur : Pathé

Présenté par Marie-Noël Vilain

 

« On dirait un Courbet ! Quand je pense qu’on a voulu le censurer stupidement pour cela ! Un cul de bonne femme ! Oh ! Il est magnifique. Je vais le peindre en vert, en bleu, en rouge, en jaune…J’y passerai des jours, des nuits, des mois s’il le faut. Ton cul, c’est mon génie ». Cette extase sans fin, presque douloureuse de Jean-Pierre Marielle caressant les fesses nues de son amie dans Les Galettes de Pont-Aven, assurément, Abdellatif Kechiche la reprendrait à son compte en filmant ce morceau de choix de l’anatomie féminine sur la plage, en boîte de nuit, dans les rues de Sète au fil de son Mektoub my love. Cette rondeur des chairs, cette promesse du corps qui se donne dans son refus même, dans son sillage chaloupé, nous est offerte d’emblée dans une scène d’amour particulièrement osée, à la fois exhibée et mise à distance par le regard timide, la présence diffuse, quasi-étrangère au monde d’Amin : le jeune homme découvre en voyeur, alors qu’il rend visite à son amie d’enfance sur son vélo auréolé de soleil, Ophélie faisant l’amour avec son cousin, Tony, séducteur effréné. Tout est dans ce début, toute l’oscillation de la vie entre attente et abandon, tension émue vers un idéal vaporeux et païennes épousailles avec l’âpre réalité : d’un côté, ce regard et bientôt cette gêne, en présence d’Ophélie lui demandant de garder le secret (de Polichinelle !) sur cette scène d’adultère, d’un garçon tout en intériorité, réceptacle du monde, caméra subjective et œil du réalisateur et pourtant lui-même bientôt au centre de tous les désirs ; de l’autre, l’ivresse des corps nus, une célébration de la jouissance, passion dévorante et lente maturation de l’orgasme, levrette appliquée, et postures enchaînées, cette chevelure ruisselante, ce visage rayonnant, chaviré de plaisir, retourné vers son partenaire, défiant la lumière, ces seins follement, et consciencieusement pétris, ces fesses luisantes comme sculptées sans fin sous la douche encore par une main fureteuse, dérisoirement artiste, jalouse de l’impeccable nature dans ses rondes-bosses…Oui, Courbet et Renoir mais aussi Rodin. Le film tout entier arrimera le quotidien au merveilleux, le dérisoire au sublime : la naissance de deux agneaux, bien plus poétique que documentaire, sur une musique de Mozart ; les filles dans les vagues jouant à désarçonner la cavalière juchée sur les épaules de leur compagnon sur une cantate de Bach, la vie soudain exaltée, magnifiée dans l’ivresse gamine des rires étoilés et des chutes éclaboussées…

Il faut oser filmer ainsi le corps superbe d’Ophélie Bau, nous donner à voir et à vivre l’image en temps réel, tout au long du film, nous faire épouser les désirs, les angoisses ou l’ennui des personnages – plus qu’une adhésion cinéphilique, une adhérence physique, palpable au monde – fût-il celui de dialogues forcément réduits – l’été, les vacances – de scènes de baignade ou de drague. Là où on aurait pu craindre que la lassitude ne poignît à l’horizon, on se sent immergé, comme on l’était sur le mode tragique dans une quête effrénée de couscous, un tragique parcours à vélomoteur dans La Graine et le Mulet : c’est parce qu’on ne se lasse pas du plaisir, et de la beauté quand se laissent aller les corps dépouillés des oripeaux sociaux et de la morale cul-bénite de « La Croix » déplorant bêtement un film « consternant », que ce nouvel opus nous emporte et nous ravit pendant plus de 3 heures. C’est parce qu’on aime la réalité – et les gens – que l’on épouse ce marivaudage estival à la Rohmer, la sensualité en plus, l’intellectualisme symbolique ou dramatique en moins. On retrouve tellement les émois de notre jeunesse, on regrette tant les occasions manquées, on revit si rêveusement la danse un peu vaine des somnambules qu’on veut les suivre jusqu’au bout, dans une sorte d’exténuation du réel : on veut exprimer tout le jus, savourer toute la pulpe du fruit, surtout défendu. Céline timide et mystérieuse va-t-elle se fixer, regarder enfin Amin ? Charlotte si emballée, aux deux sens du terme, par Tony, se remettra-t-elle de son infidélité, de son inconstance, ou plutôt de ce sentimentalisme naïf qui confond amour de vacances et grand amour ? Oui, ces discussions sans fin, nourries par l’expérience et la tendre indulgence d’une mère et d’une tante, on se surprend à les suivre avec gourmandise et même avec une impatience vaguement irritée. Ces jeunes gens peuvent paraître un peu creux, et leurs amours vaines, quoique épicées par les chasses-croisés d’un restaurant à l’autre, la quête d’un Tony préférant courir les filles plutôt que d’aider au restaurant familial, ou la faconde méridionale, la grivoiserie paternelle d’un oncle entreprenant prêt à bercer Céline sur ses genoux…

Il y a quelque chose de pur, de sublime à force, car derrière ou plutôt devant ce soleil du désir, on perçoit comme un brouillard, un halo laiteux d’angoisse, d’idéal contrarié : sous les néons de la fête, et la frénésie de la danse, percent des éclats de voix, les reproches amers de Charlotte à Tony qui la délaisse après l’avoir conquise. Elle ne comprend pas et demande des explications au play-boy qui la fuit de verre en verre, de femme en femme, de cocktail en rire contraint. Charlotte découvre l’amour et l’indicible déchirure du sentiment quand le jeu pour elle devient sérieux et la renvoie au tragique de la solitude. Même Céline, dansât-elle follement, ne peut se départir d’un fond de tristesse, d’un rictus inquiet – un rêve inassouvi ? – quand bien même son visage s’illumine d’un sourire, ou que son corps frémit à se sentir désiré…Amour ou désir ? Bonheur ou plaisir ? Rencontrant sur la plage Amin lui aussi aux prises avec ses démons, traînant son mal de vivre en débauche de photographies – pouvoir fixer Ophélie nue s’il a bien filmé le vélage – Charlotte lui propose au terme d’un timide dialogue de venir déjeuner dans son appartement désœuvré. Une vraie rencontre, douce et prometteuse, entre destin et instinct, peur et désir – loin de la frénésie initiale ou du grand amour, quelque chose qui se construirait, baigné par la lumière rasante du couchant, comme par un « rayon vert », pour connaître enfin « les nuits de la pleine lune ».
Claude

« Mektoub my love canto uno » d’Abdellatif Kechiche

Du 17 au 22 mai 2018
Soirée débat mardi 22 mai à 20h
Film français (mars 2018, 2h55) de Abdellatif Kechiche avec Shaïn Boumedine, Ophélie Bau, Salim Kechiouche, Lou Luttiau, Alexia Chardard et Hafsia Herzi

Distributeur : Pathé

Présenté par Marie-Noël Vilain

 

Synopsis : Amin, apprenti scénariste installé à Paris, retourne un été dans sa ville natale, pour retrouver famille et amis d’enfance. Accompagné de son cousin Tony et de sa meilleure amie Ophélie, Amin passe son temps entre le restaurant de spécialités tunisiennes tenu par ses parents, les bars de quartier, et la plage fréquentée par les filles en vacances. Fasciné par les nombreuses figures féminines qui l’entourent, Amin reste en retrait et contemple ces sirènes de l’été, contrairement à son cousin qui se jette dans l’ivresse des corps. Mais quand vient le temps d’aimer, seul le destin – le mektoub – peut décider.

 

«Entre bien dans mes yeux pour que je me souvienne de toi»
(Charles Baudelaire Réflexions 1861)

Des plans serrés, beaucoup de gros plans, un rythme très particulier, aérien.
Abdellatif Kechiche filme comme personne les visages, les corps, l’atmosphère des lieux, l’air du temps, le temps qui passe, l’attente du lendemain qui chante.

Un long trip sensoriel dédié à la célébration de la vie, un film dont on n’a pas envie de sortir : plein de soleil, de lumière, de beauté. La caméra tourne autour des corps qui s’amusent, dansent, se dorent au soleil, s’éclaboussent, plongent dans la mer, des corps dont on ressent la force, la vitalité, l’énergie.
Kechiche magnifie la féminité, le sourire à la vie gravé sur le visage d’Ophélie (sublime Ophélie Bau) auréolé d’amour, sur le corps d’Ophélie, Vénus callipyge, empreint d’un fol appétit de vivre . Auguste Renoir en aurait fait un nu féminin rond, charnu, sensuel, magnifique.
Amin rêve d’en faire des tableaux argentiques.

Le véritable enjeu du scénario, l’amour impossible à dire, s’impose d’emblée.
Amin, ni prédateur, ni rival, scénariste en devenir, photographe patient, laisse faire le destin. On ne force pas l’amour, il le sait, de cette sagesse intuitive qu’on a à vingt ans.
Abdel Kechiche orchestre la circulation des désirs, dans ce groupe très fermé où tout se répète avec d’infimes variations, les silences, les hésitations, la banalité du quotidien, les dialogues identiques, répétitifs d’où finissent toujours par surgir des vérités, blessures et jalousies.

Mektoub my love, canto uno est une ode à la famille, à la fraternité métissée, à la famille multiculturelle, multiraciale, multireligieuse. On est en 1994 : Kechiche filme aussi la fin d’une époque, la fin d’un melting-pot fragile mais souvent heureux et bienveillant. Clément, le premier, a rompu.
«Dieu est la lumière du monde», «Lumière sur lumière, Dieu donne la lumière à qui il veut» Lumière sans condition ? sous condition ?

Parmi tant de séquences splendides, la mise bas d’une brebis précède une autre, interminable à souhait, en boîte de nuit, où l’exhibition des corps sur la piste de danse flirte librement avec la pornographie.
La bergère est en transe mais les pieds bien ancrés dans le sol, en sandales plates. Sur terre.
Amin veille, témoin, confident, objet de désir de toutes les jeunes filles sauf de celle qu’il aime, étranger aux jeux de séduction auxquels il assiste, observateur moraliste en quête de sublimation.
Il pose son beau regard noir sur les plages, dans les bars, les boîtes de nuit, à la ferme pour capter un agnelage dans une lumière devenue clair-obscur silencieux sur le temps arrete.
Un hymne à la vie, Exultate Jubilate !

Comment on dit je t’aime en arabe ? Ophélie et Charlotte connaissent le même « je t’aime », celui de Tony. L’une reste, l’autre part.

Amin et Charlotte se retrouvent et s’éloignent ensemble sur la plage de Sète dans la lumière du soleil couchant.
Le film se termine sur cette réplique d’Amin (sublime Shain Boumedine), illustration de ce premier volet du triptyque annoncé « Mektoub is Mektoub » :
« j’ai tout mon temps »

Mektoub, my love, canto uno est une merveille

Marie-No