« 12 jours » de Raymond Depardon

Soirée-débat lundi 15 à 20h30
Film français (novembre 2017, 1h27) de Raymond Depardon

Avant 12 jours, les personnes hospitalisées en psychiatrie sans leur consentement sont présentées en audience, d’un côté un juge, de l’autre un patient, entre eux naît un dialogue sur le sens du mot liberté et de la vie.
Présenté par Georges Joniaux

 

Notes de débat

Par une curieuse association, Raymond Depardon documentariste est pour moi ce que Georges Perec est à la littérature :  regard , pudeur, humilité, délicatesse,  précision, sobriété,   obsessionalisation du sujet-du sujet banal – qu’il décortique à mesure.

Qui nous montrerait ce que Raymond Depardon nous montre? Son film précédent s’appelait les habitants. En voici d’autres. D’autres, les malades mentaux, dont on ne parle pas trop mais c’est aussi vrai de n’importe quelle maladie, qui connaît le nombre de diabétique ou d’hypertendus ?

Éléments de contexte

Plus de 400 000 personnes chaque année ont recours à une hospitalisation plein-temps en psychiatrie — C’est-à-dire environ 6% de la population française — Parmi eux près de 90 000 font l’objet d’hospitalisation sous contrainte.

Un dispositif légal  pour protéger ces malades ou se protéger d’eux le cas échéant, existe depuis longtemps. En effet une loi en 1838 instituait les placements obligatoires, placements volontaires, placements libres, elle a vécu plus de 150 ans.

En 1990, voici la loi de remplacement, le terme placement est remplacé par Hospitalisation, les adjectifs demeurent les mêmes, sauf pour le placement volontaire (qui ne l’était guère) qui devient ce qu’il a toujours été en réalité : hospitalisation à la demande d’un tiers (HDT). Les droits et recours de ces malades mentaux sont mieux reconnus et renforcés.

2011, la France poursuit 3 objectifs, répondre aux directives européennes, répondre à des questions prioritaires de constitution(QPC), et satisfaire une politique sécuritaire plutôt en vogue. Elle présente l’avantage d’instituer 3 modalités d’hospitalisation :

Péril imminent, soins psychiatriques à la demande d’un tiers, soins psychiatriques à la demande d’un représentant de l’état. Les termes ont un sens, l’hospitalisation plein-temps n’est plus la seule modalité de prise en charge car il est désormais question de soins obligatoires.  Mais par démagogie sécuritaire, cette loi supprimait alors les permissions d’essais, transformant cette modalité en prison.

2013, améliore 2011, à peine en œuvre et concernée par une QPC, en rétablissant les sorties thérapeutiques et en raccourcissant le délai d’intervention du juge. Elle se propose aussi de suprimer les unités pour malades difficiles (dangereux). Ce qui n’est pas fait.

Question : Les psychiatres pour les malades mentaux, comme les juges pour les condamnés ont désormais le choix, enfermement ou non ? Peuvent-ils, pourront-ils s’en emparer ?  Un élément de réponse, les uns comme les autres auront  besoin de beaucoup de temps et de pédagogie (comme disent nos politiciens condescendants) pour obtenir l’assentiment de populations diverses depuis trop longtemps gavées de sécuritarisme et toujours prêtes à rouvrir de vieux dossiers.

Question : D’aucuns psychiatres contestent la présence d’un juge des libertés et de la détention arguant qu’un malade n’est pas un détenu… Cet argument qui ne tient compte que d’un terme du rôle du juge n’est-il pas spécieux ? Ils proposent que ce contrôle soit effectué  par une commission, cette procédure ne risquerait-elle pas de rendre le processus plus lourd et moins opérationnel ? (Seul un juge peut prononcer une main levée).

Mais venons-en à 12 jours.

Le dispositif du film est simple 3 caméras sans pieds (pour mieux se faire oublier), une pour le patient et son avocat, 1 pour le juge, une pour le cadre dans son ensemble. Le juge le plus souvent filmé de trois quarts, comme vu par l’avocat, le patient est plutôt filmé de face, le cadre est filmé en diagonal.

La prise de son toujours essentielle, petits micros pour tous, sauf pour le patient qui est « perché ». C’est donc une succession de gros plans alternés, qui après le montage, va constituer l’essentiel du film.

Il retrace le déroulement de l’audience, une audience où se joue la prolongation d’hospitalisation contraintes des patients,  et montre en même temps, la distance, l’espace dans une relation par nature asymétrique et l’enjeu. Hors la salle d’audience transportée à l’hôpital, il y a les lieux voisins, l’hôpital avec ses couloirs, ses chambres, ses grillages, ses lits de contention, parfois des patients qui marchent et  le temps qu’il fait. Ce changement de décor, comme un interlude est censé détendre le spectateur.

Je formulerais une critique mineure sur cette déambulation de caméra. Raymond Depardon dans les interviews qu’il a accordé ne manque jamais de souligner les progrès de la prise en charge des malades mentaux, et il est vrai que depuis « San Clémente » son premier film sur le sujet, et même depuis « Urgences » les choses ont bien changé. Or, que nous montre-t-il ? Des espaces propres, (l’hôpital le Vinatier est neuf), de longs couloirs blancs et déserts zoomés, puis pesamment, un lit de contention. L’imaginaire du lit de contention depuis que les États-Unis exécutent ses condamnés par injection létale a quelque chose de terrifiant. Idem les va-et-vient de ce pauvre homme édenté, (on pourrait commenter ce seul  détail) probablement rendu aussi chronique par sa maladie que par le système, dans son petit espace grillagé, qu’apportent-elles ? Comment peut-on se saisir de ces images ? Que peut-on en faire ? Ces séquences constituent une sorte de hors-champ artificiel qui empêche d’imaginer la vie même de ces malades hospitalisés. Vie qui ne comporte pas que solitude mais aussi promiscuité. Celle des autres patients, celle des soignants et en général, la cohorte de tous ceux qui passent et qui peuvent vous regarder ou pire encore, ne pas vous regarder, dans ce lieu là. En outre, je ne saurai l’affirmer, mais il me semble que l’essentiel a été tourné dans une Unité pour Malade Difficile (UMD), je n’imagine pas tant de grillages ailleurs. Ceux-ci ne représentent pas, et loin de là,  le lieu de vie de l’ensemble des malades soignés sous contrainte.

Avec Raymond Depardon, les images sont belles, elles nous montrent ce que nous ne voyons généralement pas, mais dans ce cas, le parti pris poétique et esthétique fait un peu écran. D’autant que cette déambulation, flânerie de la caméra est soulignée par la musique impressionniste d’Alexandre Desplat. Peut-être Raymond Depardon voulait-il avant tout transmettre une sensation, une sorte de mélancolie. Avec la tristesse, il nous donne la note juste, l’état d’esprit qu’il faut pour sentir le film. Et puis, c’est toujours une question de focale.

 Mais venons-en au sujet, ce que nous dit le film, ce qu’il a de remarquable : ce sont des malades, privés de liberté pour lesquels un juge, pas spécialement formé en psychopathologie doit valider ou invalider une hospitalisation contrainte. Et ça, c’est nouveau et intéressant au plan symbolique car l’article premier des droits des personnes hospitalisés en psychiatrie dit ceci : « Toute personne faisant l’objet de soins psychiatriques ou sa famille dispose du droit de s’adresser au praticien ou à l’équipe de santé mentale, publique ou privée, de son choix tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du secteur psychiatrique correspondant à son lieu de résidence. »

Ce principe fondamental  ne peut connaître aucune entrave. Et lorsque cette procédure aboutit à un pourcentage significatif de main-levée, ici 9% on se dit que cette mesure était parfaitement justifiée. Il est toujours possible qu’ un juge commette une erreur d’appréciation. Elle lui sera reprochée et le dispositif se renforcera. Primat de la liberté, cela constitue toujours un progrès humain et le juge  représente  celui qui protège  la liberté de l’individu.

Quant à l’enfermement, s’il est parfois nécessaire pour protéger le patient contre lui-même ou protéger la société, il n’en conserve pas moins dans l’absolu, un caractère de punition. Pour les justiciables de droit commun, il y a deux options, réparation et punition. Parmi les punitions il y a la privation de liberté. Je ne vois pas par quel miracle, une personne privée de liberté, ne pourrait pas se considérer comme punie. Et l’enfermement a toujours un caractère totalitaire. L’homme enfermé se voit dépersonnalisé, il ne décide plus rien, ni de son temps, ni de ce qu’il doit où peut faire. Il est soumis à l’organisation bureaucratique de l’institution qui le contient. Et pas seulement soumis, il y est infériorisé par l’asymétrie des relations. Sa vie privée lui échappe*(1). Raison de plus pour en user qu’en dernier recours.

Les malades que nous voyons dans 12 jours, portent en eux tous les conflits, toutes les folies de la société dans laquelle ils vivent, nous baignons dans le même jus. L’on y  voit apparaître des mots, kalachnikov, harcèlement, viol, etc. Depuis, toujours les malades mentaux se sont fait l’écho de nos violences* .Le documentaire ne s’arrête pas là, il montre la souffrance… La maladie mentale n’est pas une originalité , une esthétique filmique, elle est d’abord une douleur et parfois, la pire d’entre elles. Quant à l’enfermement, c’ est une violence, parfois nécessaire mais violence. Alors, l’introduction du juge dans un processus de décision, tout comme le raccourcissement des durées de séjour et des  soins alternatifs  qui se dessinent sont des progrès. L’un est scientifique, l’autre est juridique. Ce dont témoigne « 12 jours ».

Avec « 12 jours » Raymond Depardon filme la parole,  il filme  une  autre image des habitants. Raymond Depardon y   consacre son œuvre et quelle œuvre !

 

 

* (1) Voir  description des institutions totalitaires  dans « Asiles » de Erving Goffmann, éditions de minuit

*PS1 : j’ai oublié de répondre à l’un des cramés de la bobine sur la liberté de suicide. Le cas de la jeune femme suicidante, qui veut  sortir pour se suicider, mais veut aussi conserver son gentil  chat et vivre dans un appartement thérapeutique parce qu’elle n’aime pas être seule, questionne sur son illusion rétrospective d’avoir toujours eu envie de se suicider et de le vouloir sans cesse. Tant qu’il y a du désir… Je zappe sur la  part  philosophique de votre questionnement, ma réponse ne serait pas au niveau.  J’ajouterai  que l’envie de sauver des vies ou d’assister les malades est incorrigible  pour tous médecins et pour tous  soignants en général, ils ne savent pas penser autrement, mais faut-il s’en plaindre ?

*PS2 : Pauline posait un  regard sur les juges, je regrette que nous ne soyons pas allés plus loin. 

*PS3 : J’ai apprécié le »salon d’apaisement » d’où sortaient des cris. Ce nom donné à une chambre capitonnée  a quelque chose d’Orwellien,  tendance 1984, comme on sait de mieux en mieux faire..

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« Les Gardiennes » (2)

Du 4 au 9 janvier 2018

Soirée débat mardi 9 janvier à 20h30

Film français (décembre 2017, 2h14) de Xavier Beauvois avec Nathalie Baye, Laura Smet, Iris Bry et Olivier Rabourdin

Distributeur : Pathé

Présenté par Jean-Pierre Robert

 

Je m’étais préparée à être gênée par la distribution.
Nathalie Baye rajeunie dans la vie et qu’il faut donc « re-vieillir » … Tout un progamme et … c’est réussi ! même s’il reste ce rictus qui l’empêche dorénavant de sourire (Ah ! le feu sourire de Nathalie Baye … à revoir dans « Beau père » de Bertrand Blier en pianiste ovationnée !)
Pour Les Gardiennes, certains critiques condamnaient sa gaucherie dans la maîtrise du soc de la charrue … Mais son personnage, Hortense, n’avait, jusque là, jamais labouré un champ  ! Jusqu’à ce que les hommes disparaissent pour un temps, pour toujours. Donc ça colle très bien.
Nathalie Baye est décidément une grande actrice : on oublie l’actrice et on ne voit qu’Hortense.
Laura Smet … Pourquoi Laura Smet ? La ressemblance avec sa vraie mère ? On la regarde et on s’efforce de ne pas voir son père  …
Maintenant je trouve que, si tant est que Xavier Beauvois ait eu le choix, c’est un choix plutôt judicieux. Elle a cette fêlure apparente, ce regard un peu vide, qui la rend touchante dans le rôle de Solange, un ange, délicate et gracieuse, un cœur simple, sans grande personnalité, qui souffre de l’absence de son mari qu’elle voit se transformer au fil des permissions et qu’elle seule saura garder à la raison.

Je ne m’étais pas préparée à Iris Bry. Xavier Beauvois est donc aussi un découvreur de talent !
Il nous propose Iris Bry pour jouer la lumineuse Francine . On ne sait plus laquelle illumine l’autre.
D’un personnage secondaire elle fait un personnage principal . Francine, dotée d’une force physique et mentale étonnantes, d’un magnétisme qui fait que tous ceux qui la rencontrent semblent aussitôt l’aimer.
Orpheline, elle est pourtant née sous une bonne étoile. Francine/Iris chante de sa voix envoûtante. Elle seule chante. Elle vit sa vie, suit son étoile et amorce un portrait de femme émancipée réjouissant.

Hortense, Solange, Francine, Constant, Clovis, Georges qui pourraient aussi bien s’appeler Maria, Margarethe, Hedwig, Karl, Hans, Friedrich qui priaient le même Dieu/Gott, travaillaient la terre/Erde, tuaient pour la Patrie/Heimat. Et pleuraient tous leurs morts.

L’image de la toilette devient œuvre d’art, on pense à Degas. On pense à Courbet pour les scènes de semailles.
La photo signée Caroline Champetier, est d’un bout à l’autre du film d’une très grande beauté et, partie prenante de son académisme, de sa lenteur, illustre parfaitement la volonté des femmes de garder la terre dans ce temps suspendu. Et ça m’a plu.

« Mignonne, quand le soir descendra sur la terre,
Et que le rossignol viendra chanter encore,
Quand le vent soufflera sur la verte bruyère,
Nous irons écouter la chanson des blés d’or !
Nous irons écouter la chanson des blés d’or ! » 

Je suis d’abord surprise, étonnée d’entendre Francine fredonner « Les blés d’or »… Je la connais cette chanson que les grandes personnes chantaient dans les réunions de famille de mon enfance, de ma jeunesse, ensemble avec ceux, maintenant disparus, qui la chantaient dans leur jeunesse prise dans l’étau de la guerre de 14.
Cette chanson me chavire et je m’aperçois que « Les Gardiennes » est aussi de mon époque ! C’est fou … Je ne m’ étais pas préparée à ça.

Marie-No

 

Petit PS : Henri resté à la maison pendant la messe dite pour Constant se tord les mains et se retord les mains et encore et dans l’autre sens … Scène grossière car trop longue pour montrer comme ses doigts sont noueux et ses mains calleuses …Gilbert Bonneau est un vrai paysan, on l’avait repéré et, oui, on a bien vu la preuve par les mains !

Les Gardiennes de Xavier Beauvois

 

 

Du 4 au 9 janvier 2018
Soirée débat mardi 9 janvier à 20h30

Film français (décembre 2017, 2h14) de Xavier Beauvois avec Nathalie Baye, Laura Smet, Iris Bry et Olivier Rabourdin

Distributeur : Pathé

Synopsis : 1915. A la ferme du Paridier, les femmes ont pris la relève des hommes partis au front. Travaillant sans relâche, leur vie est rythmée entre le dur labeur et le retour des hommes en permission. Hortense, la doyenne, engage une jeune fille de l’assistance publique pour les seconder. Francine croit avoir enfin trouvé une famille…

Présenté par Jean-Pierre Robert

 

« Moi mon colon celle que je préfère, c’est la guerre de 14-18 » Georges Brassens

Bavardage sur les gardiennes,

Quel beau film ! Jean-Pierre soulignait à juste titre l’art de Caroline Champetier, le cadrage en général est superbe. Un film un peu trop léché, un peu lent, académique remarquent Laurence et d’autres spectateurs. Pour ma part, j’aime la forme de ce film, je n’aurais pas voulu le voir autrement. Il ne manquait dans le paysage que coquelicots, bleuets,  nuées de papillons et autres traces de vie désormais  éradiquées.

D’un champ à l’autre, le hors-champ de cette campagne, ce sont les champs de bataille. Et Jean-Pierre souligne le nombre de morts. Nous avons tous lu des ouvrages concernant cette « grande guerre », la plus suicidaire de l’histoire de l’humanité jusqu’alors. L’Europe puis le reste du monde n’y ont pas été de main morte. Le tableau des morts sur Wikipédia restitue la réalité sèche de la chose – Entre les empires centraux et les puissances alliées : Match nul — on se partage 18,5 millions de morts, on ne compte pas les blessés.

Montrer le monde paysan dans un film n’est pas si courant, guère plus que montrer le rôle des femmes paysannes durant cette guerre. Bien aussi de voir qu’elles n’ont pas seulement assuré (comme on dit) mais qu’elles ont su incorporer le progrès technique. Notons en passant, d’une guerre à l’autre, les transferts technologiques réciproques militaires et civils. Les inventions agricoles ont permis la fabrication d’armes de guerre létales, tout comme les inventions militaires ont favorisé le développement de la mécanique agricole.

Avec 14-18, l’idée de guerre et ses techniques imprègnent plus que jamais nos rapports au monde, elle est quasi culturelle.

Cette famille paysanne qui est le prisme a travers lequel se déploie toute cette époque furieuse, porte en elle, dans son malheur, cette même furie. Son mépris de classe, ses rapports inégalitaires, ses rancœurs et batailles de territoire, ses intérêts supérieurs ou prétendus tels. Et pour sa paix intérieure, ses consolations religieuses et patriotiques.

Les personnages paysans parlent peu. On est à une époque et dans un monde, où les mots ont une grande valeur, ils engagent. Quant aux acteurs, on remarque surtout le trio de femmes. A commencer par Nathalie Baye, Hortense, avec ses traits durs, sa sueur profuse et obligée sous les aisselles, ses calculs de boutiquiers, ses regrets et chagrins, ses passions tristes en somme… Laura Smet, Solange incarne un rôle difficile, être désirée et désirante, et être mieux que sa mère, une gardienne avisée. Un dernier mot pour Iris Bry qui incarne Francine avec sa vitalité,  volonté et  résilience, Iris sait exprimer tout cela et  davantage encore. Alors faut-il en vouloir à la directrice de casting de nous faire perdre une libraire ?

Ce film montre l’intime proximité de l’élan vital et de la mort instituée. Et au total, que gardent les gardiennes ? La place laissée vacante par les hommes et mieux encore…elles gardent l’ordre établi patriarcal, et préparent le monde technologique et  moderne de demain.

Un film bien écrit, avec de beaux plans, une belle musique (Michel Legrand), des personnages rares et justes, que désirer de plus, sans vouloir être trop présomptueux concernant ma mémoire, je tenterais tout de même de dire que j’ai vu ce soir un film mémorable.

Georges

M. de Sara Forestier (2)

Ibis d’or de la meilleure actrice à Sara Forestier au Festival du film de La Baule

Du 28 décembre 2017 au 2 janvier 2018

Soirée débat mardi 2 janvier à 20h30

Film français (novembre 2017, 1h38) de Sara Forestier avec Sara Forestier, Redouanne Harjane et Jean-Pierre Léaud

Distributeur : Ad Vitam

 

Après des vacances de Noël bien voyageuses, c’est avec joie que je retrouve le cinéma de Montargis avec l’impression d’être enfin à la maison. C’est donc plein d’enthousiasme que je découvre le premier film de Sara Forestier : M.

J’aime les premiers films parce qu’ils sont toujours débordants. Ce film en a toutes les qualités et tous les défauts : il est plein d’idées et de bonnes intentions, il a trop d’idées et de bonnes intentions. C’est la balance entre l’énergie prolifique du jeune réalisateur qui se voit enfin confier un long-métrage et les lourdeurs que va créer ce foisonnement qui permette de juger si le film est bon.

Le film confronte l’univers de Mohamed – un bad boy illettré —, au côté fleur bleue de la jeune Lila qui écrit de la poésie pour laisser échapper les mots qui ne parviennent à sortir de sa bouche. Deux personnages touchants, qu’on a envie d’aimer malgré la maladresse de choix clichés. Alors, on essaye, de toutes nos forces, de croire à cette rencontre, de croire en cette dure mais belle histoire d’amour. Mais le film ne prend pas, malgré la justesse d’interprétation des acteurs. Les intentions sont bonnes, pourquoi un jeune homme pétri dans un complexe depuis l’enfance ne trouverait pas comme seule issue une histoire d’amour avec une adolescente renfermée ? Pourquoi une jeune fille mutique ne trouverait pas enfin confiance en elle parce qu’un gros méchant au cœur sensible a choisi de s’intéresser à elle plutôt qu’à une autre ? C’est peut-être juste un problème de probabilités, quelle chance y a-t-il qu’une racaille illettrée vive une histoire d’amour passionnelle avec une future poétesse bègue ?

Alors, la démesure prend le pas sur les bonnes intentions de Sara Forestier, et elles deviennent bons sentiments. Elle n’a pas su choisir. Choisir entre réaliser, scénariser et jouer le premier rôle. Certes, elle a voulu, ayant casté puis retenu Adèle Exarchopoulos, avant de revenir à l’évidence, c’est son film, à elle, son premier, son bébé. Elle n’a pas su choisir non plus entre les deux sujets de son film : la sortie du mutisme d’une lycéenne bègue et le secret de l’illettrisme d’un jeune adulte en manque d’amour-propre. Deux gros morceaux qui tiennent déjà chacun toute la place.

Et comme si ça ne suffisait pas, ou pire, pour expliquer, elle leur ajoute des histoires de famille tragiques, ils ont tous deux perdu un de leur parent, il leur est impossible de communiquer avec celui qui reste, et ajouter à cela, ils doivent parer aux difficultés d’une petite sœur.

Sans oublier la musique de Christophe, un prof de Français totalement fasciné par Lila qui va la faire entrer dans un cercle littéraire (et qui sait, être éditée ? ), un café sordide, (d’aucuns disent même Bar à Putes…), un autobus qui sert à Mohamed de maison et un hangar où Monsieur « J’ai Peur de Rien » découvre petit à petit, que l’effet secondaire d’une relation amoureuse est … qu’on s’attache à la vie ! Ça ne s’arrête plus… Parfois on ne sait même plus si les scènes sont censées être comiques ou dramatiques : sortir au restaurant une paire de lunettes pour faire croire qu’on sait lire ou s’imaginer son examinateur de Bac de Français nu n’est-ce pas plus angoissant que réconfortant ?

Heureusement, ce débordement de pathos crée parfois des moments magiques qui sauvent le film. Jean-Pierre Léaud, odieux et renfrogné, est une nouvelle fois sublime dans son interprétation, complice d’une gamine fabuleuse à chaque instant : Liv Andren (Soraya). La scène où père et fille se cherchent des poux est incroyable de justesse comme celle où Soraya essaye d’expliquer les différences et les points communs entre le N de Non et de Nom et le M de Mot et de Maux à Mo (le surnom de Mohamed). On comprend qu’ils s’y perdent ! On retrouve aussi avec beaucoup de plaisir Maryne Cayon, qui partageait récemment l’affiche de Djam, en minette superficielle. Sans oublier le trouble créer par la séquence de leur première fois, où Lila n’arrive pas à dire non, mais veut-elle seulement le dire ? C’est violent, trop intime, à la limite du supportable. Sara Forestier nous montre alors qu’elle a la capacité de toucher le réel et de nous le faire partager. Et c’est très prometteur.

Pauline

M. de Sara Forestier

Ibis d’or de la meilleure actrice à Sara Forestier au Festival du film de La BauleDu 28 décembre 2017 au 2 janvier 2018Soirée débat mardi 2 janvier à 20h30 

Film français (novembre 2017, 1h38) de Sara Forestier avec Sara Forestier, Redouanne Harjane et Jean-Pierre Léaud

Distributeur : Ad Vitam

Présenté par Claude Sabatier

Synopsis : Mo est beau, charismatique, et a le goût de l’adrénaline. Il fait des courses clandestines. Lorsqu’il rencontre Lila, jeune fille bègue et timide, c’est le coup de foudre. Il va immédiatement la prendre sous son aile. Mais Lila est loin d’imaginer que Mo porte un secret : il ne sait pas lire. 

M. comme Mo, jeune banlieusard flirtant avec la délinquance, gagnant péniblement sa vie dans des courses clandestines de voiture dans un hangar désaffecté, fréquentant un bar à putes et vivant dans un bus au beau milieu d’un terrain vague – lourd surtout d’un secret tôt dévoilé au spectateur, et non à sa bien-aimée, ironie dramatique, un secret qui le déchire entre honte désespérée et violente haine de soi : Mo, rejeté par sa mère dès l’âge de 6 ans pour cette raison, ne sait pas lire.

M. comme les jambages de l’initiale  publicitaire de Mac Donald, comme une infirmité, une incapacité à former la lettre cursive malgré les leçons d’écriture de Soraya, la petite sœur de Lila en CP, qui tente, elle-même décontenancée, dans une scène tragi-comique, de lui faire comprendre la différence entre l’orthographe et la phonétique   : pourquoi le m s’entend-il dans « mon » et pas dans « nom » ? M. comme Mohammed dont le prénom s’arrêterait à un phonème balbutié, bégayé, dans le handicap dont souffre Lila au point de ne pouvoir en parler dans les groupes de parole, de trembler à l’idée de passer son bac de français malgré le soutien chaleureux et vigoureux de son professeur, que seuls l’amour, la culture et l’école, permettront de surmonter en se libérant d’un père odieux – un Jean-Pierre Léaud auusi déjeté que pontifiant – rivé à son fauteuil, à sa télé, à son malheur d’homme délaissé et transmettant poisseusement sa propre honte, sa haine de soi à ses deux filles…

M. comme malheur commun, entrelacement de deux souffrances, deux déficiences qui vous bouffent la vie mais qui s’épaulent et se masquent aussi l’une derrière l’autre, comme dans les films de Charlie Chaplin, « Les Lumières de la ville » où un vagabond aide une jeune aveugle, « Limelight »où un vieux clown, qui ne passe plus les feux de la rampe, sauve du suicide au gaz une jeune danseuse handicapée en lui redonnant le goût de vivre pour mieux accéder lui-même à la lumière : on est ainsi partagé entre le rire et les larmes dans la scène du restaurant digne d’un Blier où Lila est incapable de prononcer le nom du plat choisi, Mo, de lire le menu et de commander autre chose que les bulots commandés enfin par la jeune femme (et…détestés du jeune homme), la carte une fois montrée au garçon ; Mo, pour protéger la jeune fille et dissimuler sa propre gêne, devient agressif avec le pauvre serveur obligé de décrypter une information minimale : « Enfin quoi ! Vous n’avez pas compris ? Elle n’est pas obligée d’user pour rien sa salive, non ? »

M. comme la musique du nom, l’initiale de ces vers, l’acrostiche de ces poèmes qu’écrit fébrilement Lila sur ses bras et ses jambes nus, M. comme mue, le masque de la jeune femme se contemplant dans un improbable miroir et scrutant sur son visage l’épiphanie de son épanouissement, de sa métamorphose après sa première nuit d’amour ! M. enfin comme le murmure d’amour de Lila abandonnée aux bras de Mo, le regard chaviré et aimant, inquiète et confiante, M. comme la marque du désir dont s’humecte un instant la petite culotte bientôt retirée par les mains expertes de Mo – il fallait oser ce détail si cru, si tendre, si rare au cinéma, ce halo même à l’autre indicible, cette intimité surprise comme une honte infime soudain ravie à la honte tenace et paralysante du handicap !

On ne peut se défendre d’une profonde empathie avec ces acteurs remarquables (tant Sara Forestier que Redouanne Harjane), ces personnages dont le handicap crée des situations de mensonge, ou tout au moins de dissimulation, à la fois cocasses pour le spectateur et d’autant plus terribles pour leurs victimes qu’elles affectent le quotidien le plus banal pour un individu « ordinaire » et semblent témoigner d’une étonnante et inlassable perversité du réel : ne pouvoir lire le sms de sa bien-aimée et être obligé d’entrer dans une pharmacie en prétextant le besoin de lunettes, aider une gamine à faire sa dictée et se retrouver à apprendre d’elle à… lire, se faire virer d’un restaurant parce qu’on n’a pu cacher plus longtemps son incapacité à lire les commandes mélangées – la mémoire et l’écoute ne peuvent pas tout – et que la seule réponse à la fierté blessée, à la peur de la révélation, comme si le masque était dissimulation perverse et non désarroi de la pudeur, soit la violence cette fois tournée contre l’autre.

Si peu vraisemblable que puisse paraître la rencontre entre un garçon illettré, isolé et une jeune fille cultivée, pleine d’avenir, comme en témoigne le désopilant côtoiement des milieux sociaux, Mo, dans une librairie, face au professeur et à l’éditeur des poèmes de Lila, si artificielles que soient les retrouvailles, sans doute préparées par sa sœur, du garçon avec une mère absente et mutique, si socialement manichéens que semblent le cadre gris de ce western urbain, ou l’image de Lila passant par la fenêtre pour fuir son HLM, ou parfois esthétisante la mise en scène avec ses vols d’étourneaux, ses cartons noirs à la Godard, ce film touche, voire bouleverse par le jeu des acteurs – de Liv Andren, gamine espiègle et perverse, étonnante de fraîcheur et de maturité, choisie entre 20 pour son tempérament rebelle et son insupportable aversion de sauvageonne pour les questions selon elle « pourries » du directeur de casting, Redouanne Harjane tendre et violent, choisi parmi 600 postulants, pour son regard noir, cette auto-destruction rentrée, Sara Forestier enfin, mâchoires crispées, lèvres expectorant les mots, larmes affleurant sans cesse, assumant finalement le rôle principal après avoir casté 50 jeunes filles bègues, puis de jeunes actrices, retenu Adèle Exarchopoulos et enfin renoncé à elle, ne pouvant faire attendre davantage la co-palmée de « La Vie d’Adèle » de Kechiche, faute d’avoir trouvé son acteur principal…

L’actrice -réalisatrice y tenait pourtant à ce film, fruit d’une longue maturation et d’un inlassable travail d’élaboration fidèle à ses propres scories et imperfections : 15 ans de projet depuis la rencontre à l’âge de 16 ans d’un garçon qui lui avait caché de même son illettrisme, 7 ans pour bâtir le scénario sur les conseils d’Abdelatif Kechiche, 9 semaines de tournage, 2 ans de montage, 200 heures de rushes…

J’ai aimé aussi, au-delà de cet amour, de cette communion instinctive contre le malheur du handicap, le cheminement pour le coup très vraisemblable car bien différent des deux amants, les progrès lents mais sûrs de Lila, le piétinement, voire la terrible régression de Mo, frappant un serveur au restaurant, pleurant comme un gosse le désamour de sa mère devant sa sœur Naima impuissante à l’aider à apprendre à lire et écrire, la triple honte en somme – du handicap, de son incapacité à en sortir, et de sa sourde jalousie envers sa bien-aimée, dont il ne peut bien sûr que se détester plus encore…Pour échapper à ce cycle infernal, il lui faudra l’amour renouvelé de Lila, la patience sans fin de Naima et peut-être cette ultime et timide réconciliation ou tentative de retour auprès de sa mère. Lui seul le pouvait, lui seul devait prendre l’initiative, après avoir approché mais jamais osé franchir la porte d’une association de lutte contre l’illettrisme.

Le message du film n’en reste pas moins fort, fort de sa modestie même : l’amour, si entier, si brûlant soit-il, ne peut pas tout – mais il donne des ailes ! M. comme une injonction fragile, balbutiante à aimer…

Claude

 

2018! Bonne année, bonne année cinématographique !

 

Nous ne savons  pas s’il existe beaucoup de sites comparables à celui   des Cramés de la Bobine, c’est une mine d’informations pour tous les cinéphiles. Il est à la fois avenir,  avec ses présentations complètes de la programmation et passé puisqu’il en garde trace, et quelles traces !  Il y a aussi ses diaporamas, ses événements, son malicieux quiz et une nouvelle rubrique « cinéma d’ailleurs ». Et puis il y  a son Blog,  une expérience  dont nous voudrions vous toucher quelques mots :

Nous l’avons ouvert il y  a  juste 2 ans et nous proposions ceci :

« Vous aimez le cinéma, les cramés de la bobine, vous aimez son site, nous espérons que vous aimerez son Blog… Mais un blog, pour quoi faire ?

Pour prolonger les débats du mardi et tous les autres débats sur la sélection des Cramés de la Bobine. Pour continuer la discussion. Les débats c’est une manière de croiser nos regards, d’échanger sur les films, c’est le lieu ou chacun dit ce qu’il veut, ce qu’il pense, et ou on peut se dire « bon sang, mais c’est bien sûr !» ou encore « je ne suis pas en accord avec cette manière de voir… »

Aucun débat ne peut épuiser un film, il donne toujours à voir  plus que nos commentaires… et nous avons souvent hélas, l’esprit de l’escalier, c’est quelquefois après le film qu’on a le plus à dire. Et certains d’entre nous n’aiment pas trop parler en public. Alors pourquoi ne pas continuer la conversation ici ?
…Et puis on peut aussi, tout simplement y écrire, j’aime ou je n’aime pas ce film, sans plus de justification.  Vous avez aimé, vous n’aimez pas, dites le ici. Avec vos avis nous améliorons ensemble notre sélection ».

C’est ce que nous avons fait avec passion, dans notre diversité, dans un esprit de débat. Impossible de savoir combien nous avons de lecteurs, c’est un des charmes des blogs, mais les auteurs sont sûrs d’être lus, le Blog a ses fidèles, ses « accros » même qui guettent les nouveaux articles dès le mercredi !

Nous avons actuellement 14 rédacteurs réguliers et aimerions en avoir davantage en 2018.
Et si vous vous lanciez ? C’est le premier article le plus difficile.

Ces 14 auteurs ont produit, depuis la création du blog, quelques 190 articles et 68 commentaires !

107 articles, rien que cette année !
Articles de Marie-No, Françoise, Laurence, Marie-Annick, Claude, Michel, Georges et ceux de trois nouveaux auteurs Pauline, Marie et Klaus qui ont fait des débuts de blogueurs remarqués et à qui nous souhaitons la bienvenue !

Nous écrivons parce que ça nous plaît. Ca nous plaît de nous « refaire le film », de revoir les images qui nous ont marqués, de nous repasser les dialogues, de dire qu’on a aimé le film, un peu, beaucoup, pas du tout.

Nous écrivons avec le souci de vous plaire et en même temps, nous savons que vous n’êtes pas toujours d’accord avec nos réactions.
Et si vous l’écriviez ? Essayez-vous au blog, vous verrez, c’est réjouissant  ! C’est une manière de poursuivre le débat. Un film qui n’est pas rejoué,  réinterprété dans notre for intérieur, est un film inutile. Et le cinéma est une source heureuse de notre connaissance.

Nous souhaitons à tous, auteurs, futurs auteurs, lecteurs, futurs lecteurs,

une très bonne année cinématographique 2018

Les auteurs du blog des cramés de la bobine.

PRENDRE LE LARGE

 

 

Caméra d’or au Festival de Cannes 2017Du 21 au 26 décembre 2017Soirée débat mardi 26 à 20h30Film français (novembre 2017, 1h43) de Gaël Morel avec Sandrine Bonnaire, Mouna Fettou et Kamal El AmrPrésenté par Marie-Noël Vilain

Distributeur : Les Films du Losange

 

Synopsis : Edith, 45 ans, ouvrière dans une usine textile, voit sa vie bouleversée par un plan social. Loin de son fils et sans attache, plutôt que le chômage, elle est la seule à choisir de rejoindre son usine délocalisée au Maroc…

Bien sûr, la mise en scène de « Prendre le large », le 6ème film de Gaël Morel, hommage à un père ouvrier du textile, peut sembler assez sage, le scénario un peu balisé, le vol au distributeur…téléphoné, la scène de repas initiale, motif cinématographique révélateur (s’il en est), longuette – et la fin, avec ce changement subjectif de plan vers l’ailleurs marocain réinventé par le regard d’Edith…un peu trop symbolique.  Bien sûr, il y a du romanesque ; bien sûr, le drame psychologique, qui double la chronique sociale, mène à un happy end convenu qui pourtant ne choquerait pas dans la vie réelle et s’inscrit dans la logique narrative d’une histoire de femme préférant au chômage en France le reclassement au Maroc dans la même usine textile délocalisée et s’y inventant une vraie famille auprès de sa logeuse Mina et de son fils Ali pour ouvrir un restaurant. Bien sûr…
Bien sûr, on peut concevoir les réticences de Cramés ou la dureté pour le moins excessive de Critikat mais…voir Sandrine Bonnaire pleurer… Suivre sa démarche à la fois cassée et chaloupée, ses épaules rentrées d’ouvrière déclassée (plutôt que reclassée) et son port de tête altier de femme libre, osant se réinventer – fût-ce la peur au ventre… Coller à cette détermination farouche, animale d’une travailleuse voulant sauver sa peau, en égoïste peut-être, mais surtout en femme courageuse quoique blasée de tout, du syndicalisme comme de la mondialisation, avançant avec le réalisme de l’instinct, qui se moque autant des grands discours que du bon sens frileux – quand bien même on n’adhérerait pas à la naïveté, à l’utopie ? d’une démarche fort risquée, que confirmera l’épreuve des faits : partir seule pour une femme au Maroc, affronter cet intégrisme qui impose le voile dans les transports en commun, connaître des conditions de travail difficiles, avec un salaire misérable, des machines à coudre archaïques, envoyant des décharges électriques (!), Najat, une contremaître jalouse et vindicative, une chef d’atelier compatissante mais impuissante, une omerta se retournant contre vous quand, contre la peur paralysante, vous dénoncez les risques du métier (au double sens du terme) et le payez de votre licenciement (comme la collègue Karima) pour avoir été accusé de vol de tissu au terme d’un coup monté (des étoffes cachées dans votre casier et dans vos affaires)…

Voir Sandrine Bonnaire, licenciée par une employeuse pourtant humaine,  vibrer de colère face au manque de solidarité, révoltée – enfin ! – par l’absence de protection syndicale (la vie nous définit plus sûrement que nos idées) soudain s’illuminer auprès de ses amis d’un sourire enfantin pour entonner « Gentil coquelicot » – hommage à Pialat. Sentir ce regard buté, ce visage anguleux, presque émacié sur lequel, paradoxalement, s’inscrira comme en une cire molle, infiniment disponible, toute la palette des sentiments : le désarroi de la mère  face aux bobos parisiens que fréquente son fils, sa blessure de n’avoir su qu’après le pacs de Jérémie, malgré son ouverture d’esprit, la joie gamine d’enfourcher une mobylette suivie par une volée de mômes pour se rendre à l’atelier, l’entêtement suicidaire au travail saisonnier, l’évanouissement dans un champ de fraises, le sourire ami et l’abandon à Mina et Ali après un long apprivoisement ou au fils retrouvé après avoir congédié avec la vente de sa maison la solitude « renifleuse des amours mortes », selon le mot de Barbara.

Non, Sandrine Bonnaire n’a pas changé depuis Pialat et Sautet : toujours la même instinctivité, entre l’audace tremblante d' »A nos amours » et l’inconscience goguenarde de « Quelques jours avec moi », cette sensibilité à vif, fébrile et farouche comme l’héroïne de « Deux jours, une nuit » des frères Dardenne, ni sensiblerie, ni cyclothymie, ni hystérie, mais oscillation permanente, tension  et basculement, entre espoir et rage, adhésion et incompréhension. L’économie de moyens, la parole rare et le regard nu d’une enfant du peuple, qui ne (se) (la) joue pas – fille d’ajusteur bourbonnais, sœur d’une auxiliaire de vie chichement payée. Un refus de l’expressivité, une sobriété qui autorisent justement tous les jeux de physionomie, laissant affleurer, s’improviser toutes les émotions sans jamais les imposer ni même les suggérer au spectateur.

La chronique sociale que nous offre Gaël Morel, inversant le sens habituel de l’immigration économique, s’enrichit ainsi, par la grâce de Sandrine Bonnaire et des autres acteurs, Mouna Fattou et Kamal El amri, justes et émouvants, d’un drame intimiste, d’une quête de l’identité et du bonheur, d’une interrogation sur le sens de la vie, sur le travail qui nous structure et nous bouffe tout à la fois, instrument paradoxal de notre dignité comme de notre aliénation. « Prendre le large », c’est partir, réinventer sa vie, retrouver les siens pour mieux les quitter parfois, les aimer si loin, si fort : c’est aussi – habile suggestion de mise en scène – changer de perspective, passer d’un scope paradoxalement étouffant, comme un atelier, vers un format plus vertical, plus solaire et azuréen, dans la promesse fragile d’une famille recréée…

Claude

Ciné d’ailleurs, vu par Marie

   Ciné les 400 coups, Angers

CARRE 35

Bouleversant ! Aucune fiction, aucun artifice, beaucoup d’authenticité et d’honnêteté Eric Caravaca, comédien, se mue ici en journaliste d’investigation pour retrouver la mémoire d’une petite sœur jamais connue.  Il aborde avec courage le déni et le mensonge, sans jamais juger, avec une attitude de neutralité presque scientifique. Sans complaisance mais avec bienveillance dans ses entretiens avec ses proches (mère, père, frère, cousin…) Comment ne pas être ému au plus profond par cette mère dont le chagrin est si insupportable que la fuite dans le déni reste la seule échappatoire.Le film est merveilleusement réalisé, incluant des documents filmés, parfois difficiles à regarder ; mais E. Caravaca ne cherche pas l’angélisme : il cherche la vérité.

AU REVOIR, LÁ-HAUT

Excellent ! L’adaptation de Dupontel reprend fidèlement les principaux éléments du roman de Pierre Lemaître (Goncourt 2015), mais dans un dosage différent. La psychologie des deux rescapés des tranchées est parfaitement restituée, les suites de guerre aussi… Dupontel révèle ici un talent de scénariste à la mesure de son talent de comédien. Pour une fois, je n’ai pas été déçue par la version cinématographique d’un roman.

CORPS ET ÂME

Insolite ! Entre réalisme brutal (scènes d’abattage capables de transformer un carnivore convaincu en inconditionnel végétarien) et onirisme tendre (belles scènes en nature.) Parmi des personnages à la rudesse sans nuance, les deux protagonistes traînent chacun leur infirmité, physique pour l’un, psychologique pour l’autre. En dépit de leur attirance commune, leur rencontre est impossible, sauf en rêve. Rêve identique qui les unit chaque nuit… jusqu’à… Parviendront-ils à passer  de l’autre côté du rêve ? Cette question soutient tout le film, jusqu’à la très belle image de fin : deux mains superposées.

 

 

Jeune femme de Léonor Serraille (2)

De la solitude contemporaine dans une grande ville

Sous-titre : métamorphose d’une jeune fille en jeune femme, d’un statut d’objet à celui de sujet.

C’est l’histoire de Paula ( magistralement interprétée par Laetitia Dosch ) trentenaire qui vient d’être larguée par son compagnon Joaquim Deloche ( photographe à la cinquantaine célèbre ) après dix années passées au Mexique et alors qu’ils sont revenus dans la ville – lumière.
Plan d’ouverture : Paula au fond d’un couloir gueule  » ouvre-moi  » et tambourine de toutes ses forces avec ses poings puis son front qu’elle blesse ( une jolie cicatrice témoigne de ces tragiques instants).
Résultat, une suite de plans aux urgences face à un médecin psy qui pour lui remonter le moral lui balance:  » vous êtes une jeune femme libre  » phrase qui déclenche un nouvel élan de violente colère ( elle casse une vitre). Mais d’où vient cette violence ? de Paula ou de son ex qui l’a jetée comme un kleenex ? elle explique au médecin que sa vulnérabilité est banale, normale, issue des violences ( familiales, masculines ) qu’elle a subies.
Ensuite nous assistons à la déambulation de Paula ( et du chat persan/chinchilla blanc aux trois milliards de poils qu’elle a volé sciemment à Joaquim) à travers un Paris hivernal, venteux et peu accueillant à ceux qui n’ont ni gîte ni couvert !
Paula, grande rousse élancée, énergique, qui parle vite et de façon heurtée. Paula c’est une silhouette solitaire, vêtue d’un imper brique, son sac à l’épaule et le chat persan dans les bras.
Paula déambule, dort dans de minables chambres d’hôtel et rencontre plein de gens. Mais chaque nouvelle rencontre débouche invariablement sur un plan où Paula se retrouve à la rue avec imper, sac et chat.
Paula n’est pas une victime, elle se bat, elle apprend de ses rencontres, elle se corrige et se construit au gré de ses erreurs. Paula est généreuse, sincère, et pleine d’empathie pour les humains qu’elle croise.
Elle s’interroge sur elle-même et sur les autres, certes de façon peu conventionnelle, cherche-t-on à connaître les états d’âme de sa gynécologue ? à voir ce qui se cache derrière la peau noire du vigile ( ils sont tous noirs les vigiles ) qui se révèle super-diplômé et authentique.
Toutes ces rencontres révèlent la solitude de Paula mais aussi ce qu’elle est ou pas.
Ainsi lorsqu’elle garde Lilas, la petite fille d’une bourgeoise qui vit dans un appartement cossu ( qu’elle aime davantage que le père de l’enfant ) Paula se rend compte sincèrement qu’elle ne répond pas aux attentes normées de la mère ( moins de bonbons et de sorties et plus de travail scolaire ).
Sa sincérité et son attachement aux autres éclate quand elle demande à Lilas pourquoi elle ne l’aime pas ou quand elle joue avec ses cheveux pour cacher son désarroi lorsque Lilas lui dit que sa mère cherche une nouvelle baby-sitter.
Paula veut rompre avec sa solitude, elle s’engouffre dans toutes les brèches qui s’ouvrent, une jeune inconnue croisée dans le métro, la rampe d’escalier chez sa mère ( scène très forte entre la fille et la mère ) elle s’accroche au chat..qui ne la quitte plus.
Mais peu à peu elle apprend à se connaître, à s’estimer elle qui prétendait être  » limitée intellectuellement « .
Dans le dernier tiers du film Paula s’affirme, se construit, sans violence.
Quand l’amie rencontrée dans le métro qui l’a hébergée découvre que Paula n’est pas son amie d’enfance, Paula répond à sa colère par des gestes doux, elle passe sa main dans les cheveux de son amie pour découvrir sous la perruque ses cheveux crépus.
Elle devient capable de résister à son ex compagnon, alors qu’elle est enceinte de lui, et d’affronter son passé de façon critique.  » Dix ans et tu ne me connais pas »  » tu aurais pu m’apprendre quelque chose en dix ans au lieu de me photographier ».
Paula prend la décision d’avorter et de tourner la page avec Joaquim qui lui s’accroche..
Elle devient ce qu’elle est, sans accepter les normes des autres ( normes qui imposent un bon travail, un bon couple, une bonne relation de famille ).
Paula est vivante sous nos yeux et peut maintenant vivre sa vie à elle.

Françoise

Carré 35 de Eric Caravaca (3)

On entre dans cette histoire, par la fenêtre.

La lumière s’éteint. Format 4/3, noir et blanc, image granuleuse semblant tirée d’archives familiales, zoom progressif sur une fenêtre, comme pour épier ce qui se cache derrière les barreaux de cette maison méditerranéenne.

Dès cette première image, Eric Caravaca nous place en voyeur de son enquête familiale. S’il n’a pas tourné cette séquence, il l’a choisie, comme de nombreuses autres d’origines très diverses qu’il convoque au gré du film.

Ce récit aurait pu être fictif, tous les éléments sont réunis pour créer un drame bouleversant : le croisement entre histoire personnelle et Histoire collective, des mensonges et non-dits, une mère excentrique, un père mourant et un fantôme, celui d’une petite fille, d’une grande sœur sans image. Le personnage principal part sur les traces de son histoire où, durant l’exil de ses parents, la mémoire semble s’être effacée. Ça aurait pu être la narration d’une pièce de Wajdi Mouawad où comme dans Incendies, Littoral, ou Tous les oiseaux (actuellement jouée à la Colline), le protagoniste fait ressurgir la vérité sur un passé et des origines volontairement oubliés par ces ascendants après le déracinement migratoire.

Pourtant, nous sommes face à un documentaire. Les acteurs ne jouent pas, le personnage n’en est pas un, le scénario est une véritable enquête que livre sans répit le réalisateur. La lumière doit être faite sur cette tragédie et doit l’être face à la caméra. L’image doit être rendue à cette petite fille, c’est la quête de ce film, celle aussi d’un petit frère en mal de cette grande sœur qu’il n’a jamais connue, qui repose sur un autre continent, dans une stèle du carré 35, au Maroc, où aucun parent n’est jamais venu se recueillir.

Mais sa recherche n’est pas sans embûches, il devra faire face au déni. Le déni est peut-être le personnage principal du film, celui sur qui tout repose. Le déni d’une mère qui a préféré oublier et réécrire l’histoire. Une mère qui, sa vie durant, n’a cessé de se réinventer, se faisant appeler Angela, Catherine, Angèle au gré des lieux qu’elle a traversé sans jamais s’y ancrer. Une mère qui a elle aussi été victime d’un mensonge familial qu’elle reproduit sans le réaliser. Cette mère que même ses deux garçons ne semblent pas vraiment connaître.

Alors sans la ménager, Eric Caravaca la place face à la caméra, il est, lui, derrière. Cette distance lui permet de poser les questions avec une frontalité qu’un fils n’oserait pas. Il n’est plus l’enfant, il est le réalisateur, celui qui dirige le film. Il reprend l’autorité sur cette mère qui lui a volé une partie de son histoire, qui, par son silence, a laissé le fantôme de sa petite sœur le hanter, jusque dans son nouveau rôle de père. Il cherche ce qu’on lui a caché pour ne pas reproduire à son tour, la douleur qu’il a héritée de sa mère. La distance créée par le dispositif filmique ne l’épargne pourtant pas, les sentiments s’échappent malgré lui, le ton de sa voix est parfois nerveux, triste. Il ne comprend pas.

Sa mère, elle, semble comme un animal pris au piège, essayant d’éviter la catastrophe coûte que coûte. À plusieurs reprises, elle livre son témoignage, refusant souvent de le changer malgré les évidences que lui met son fils sous le nez. Et pour cause, la vérité des faits est très éloignée de sa vérité de mère. Le déni est le moteur qui lui à permis de survivre à ce deuil, à cet exil, mais aussi à la honte. Que cherche-t-elle à (se) cacher ?

Au fur et à mesure du film, et de son enquête, Eric Caravaca rassemble puis recoupe les informations, les croise, pour découvrir que le secret familial ne commence pas à la mort de cette petite Christine, mais à sa naissance.

On comprend alors pourquoi cette mère a brûlé tous les vidéos et toutes les photographies de son enfant (même la photographie sur la tombe a mystérieusement disparu). Cet effacement n’est pas, comme elle le suggère, le refus de conserver des traces sur lesquelles pleurer, mais la volonté de supprimer une vérité qu’elle n’a pas pu assumer : le handicap de sa fille. Le déni va jusqu’à l’incapacité de dire le mot trisomie. Lorsque son fils l’interroge, elle est ferme, Christine était une jolie petite fille comme les autres, elle «n’était pas ce que tu dis là, non, si elle avait été…». Pourtant, malgré elle, la vérité jaillit, confirmée par le père, mourant littéralement dans le film. Christine était une petite fille née trisomique, sa mère n’a pas pu assumer la maladie face à sa famille. Du Maroc, ils partent vivre en Algérie. Elle est alors rattrapée par les événements de la décolonisation en marche et par une maladie qu’elle ne peut plus se cacher, elle revient à Casablanca, confie Christine à sa grande sœur et part à Paris. C’est donc loin de sa mère et de son père que l’enfant va succomber.

Au croisement de cette histoire déjà riche et bouleversante, des images d’archives documentent tous les sujets soulevés par le film. D’un point de vue historique d’abord, le réalisateur nous montre une réalité de la violence de la colonisation et de la décolonisation du Maroc et de l’Algérie. La distorsion entre les faits du terrain et les commentaires journalistiques français de l’époque étayent les réflexions de l’auteur sur la pluralité des vérités, sur le mensonge et le non-dit.

Avec force, les images d’archives traitent aussi de la mort, du deuil, et notamment de l’image ou la non-image à conserver de l’enfant mort en nous plongeant dans les catacombes des Capucins à Palerme…

Mais les images ouvrent aussi sur la perception sociale du handicap mental, en déterrant des films de propagande nazie de la seconde guerre mondiale (une vingtaine d’années avant l’histoire de famille ici narrée). Les malades sont filmés et considérés comme des vies sans valeur, ou des esprits morts. Une perception culturelle extrême qui peut éclairer, mais non expliquer, la honte d’une mère de voir son enfant touchée par une telle maladie.

Le film se clôture sur les images de la mère retournant se recueillir auprès de son enfant au Maroc, pour la première fois, cinquante ans après. Sur la pierre tombale repose enfin la photographie de Christine, retrouvée dans les tiroirs de l’ancienne maison familiale où elle est morte. La mission d’Eric Caravaca s’achève alors, il a su redonner un visage à sa sœur et réaliser un film sublime sur cette quête absolue de vérité. Mais à quel prix, peut-on se demander en tant que spectateur, tant ce film semble avoir été une épreuve pour tous les membres de cette famille.

Une question reste alors en suspens : la quête de la vérité apporte-elle toujours la paix et la sérénité recherchées ?