Adieu Emmanuelle Riva

https://youtu.be/_pGvcDwQsqg

La grande classe
Et, plus que jamais, dans « Paris, pieds nus ». Bientôt.

« CINÉMA – C’est l’une des plus grandes comédiennes françaises qui s’éteint. Emmanuelle Riva, connue pour son rôle bouleversant dans « Hiroshima mon amour » d’Alain Resnais, et reconnue pour « Amour » de Michael Haneke, est morte vendredi 27 janvier de suites d’un cancer, selon Le Monde et Paris Match.

Sans doute alors méconnue par le grand public, elle avait obtenu le César de la meilleure actrice et une nomination aux Oscars en 2013 dans le film du cinéaste allemand. Elle y jouait – aux côtés de Jean-Louis Trintignant – le rôle de Anne, une professeure de piano, en partie paralysée par une attaque cérébrale ». in le Huffington-Post du 28.01.2017

 

Paterson de Jim Jarmusch (2)

 

Présenté par Jean-Pierre Robert

 Film américain (décembre 2016, 1h58) de Jim Jarmusch avec Adam Driver, Golshifteh Farahani et Kara Hayward

Synopsis : Paterson vit à Paterson, New Jersey, cette ville des poètes, de William Carlos Williams à Allen Ginsberg, aujourd’hui en décrépitude. Chauffeur de bus d’une trentaine d’années, il mène une vie réglée aux côtés de Laura, qui multiplie projets et expériences avec enthousiasme et de Marvin, bouledogue anglais. Chaque jour, Paterson écrit des poèmes sur un carnet secret qui ne le quitte pas…

 Avec Paterson, Jim Jarmusch réalise un exercice de style. De style minimaliste. Peu d’acteurs, peu de dialogue, une musique réduite à quelques sons…peu de tout.

Il nous présente un film dont l’originalité tient au fait que son histoire n’a aucune originalité, puisqu’il filme la banalité même d’une vie quotidienne, ritualisée, d’un couple ordinaire (pas tout à fait). Soit une femme au foyer et un chauffeur d’autocar, dans une ville ordinaire, pauvre où il ne se passe pas grand chose.

Elle, fait de la décoration d’intérieur, des expériences culinaires, et se rêve musicienne. Lui, écrit des poèmes, une poésie des choses ordinaires, des petites choses de la vie -La magie de ces petites choses qui lorsqu’elles se déploient, font entrevoir en un surgissement, l’Univers-

Et de même que lorsque l’autocar de Paterson tombe en panne, « il ne se transforme pas en boule de feu », en amour, on ne voit pas ce couple se désirer, s’étreindre ou s’embrasser furieusement. Jarmusch nous montre deux personnes  simplement heureuses de vivre ensemble, de se comprendre – De s’accorder- Paterson, fable poétique, est avant tout un film d’amour.

C’est  un film pour « les foules sentimentales d’Alain Souchon », un enchantement simple.

Mais peut-être en fin de compte préférions nous ceci ?

« S’asseoir au volant d’une BMW, toucher l’écran d’un iPad, entrer dans un magasin Sephora, acheter des chaussures sur Zappos : autant d’expériences uniques. Guy Kawasaki vous livre ses secrets pour parvenir au même degré d’enchantement que ces marques célèbres. »Robert Scoble, blogueur sur Rackspace.

J’ai la faiblesse de ne pas le croire.

Georges

 

 

 

« Paterson » de Jim Jarmush (1)

C’est la deuxième fois que je vois le film et pareil.
Alors, il est où, mon problème ?

Bien sûr, j’ai encore pris ma douche en imperméable (en VF, pire, j’aurais eu l’impression d’avoir gardé ma doudoune, mon bonnet, mon écharpe, mes mouffles etc …)
Un poème ne doit pas nécessairement être en vers ni rimer. Il faut qu’il touche par les mots choisis et leur mise en musique. Qu’il transporte et émeuve. Alors oui, peut-être que je suis hermétique à Ron Padgett . Et les prunes dans le frigo de Williams Carlos Williams ! c’est une blague ?
Voilà le problème : je pense à Monsieur Jourdain …

Le film « sinon » me plait pourtant assez. Les images des réveils blottis sont très belles, Les obsessions graphiques et les cupcakes de Laura nous attendrissent et nous amusent . Autant que ses remarques enamourées sur l’odeur de bière quand il rentre du pub et toujours là le lendemain matin et qu’elle hume avec délice (!)
Ces deux amoureux veulent faire de leur vie un poème.

Un peu raplapla, le poème
Réveil à 6h10.
6h30 c’est déjà un événement
Il prend son linge bien plié au carré sur sa chaise, mange ses céréales en forme d’anneaux, prend sa lunchbox et part conduire son car après avoir écrit quelques lignes bien fines, bien droites sur son petit carnet avec son petit crayon et après avoir écouté Donny chez qui la simple question « ça va ? » déclenche une énumération de tous les problèmes auxquels tout habitant « non poète » de Paterson ou d’ailleurs est, un jour, tristement confronté.
Les journées de Paterson à Paterson, New Jersey, sont bien monotones .

Quelques autres événements à signaler cependant :
la panne de car (oh, honey was it dangerous ?)
la maîtrise du « forcené » dans le bar (oh, honey you’re an heroe !)
le carnet déchiqueté (I don’t like you, Marwin)

Et, dimanche, le japonais poète (hon, hon) qui lui offre un carnet, comme une bouée de sauvetage pour continuer à garder la tête bien en dehors des réalités . Le format du carnet me pose problème : il ne va pas rentrer dans la poche de sa cote de travail, ni dans sa lunchbox .

Et quand revient Monday … Stop ! Je t’aime bien Paterson à Paterson, New Jersey mais je n’en reprends pas pour une semaine .

Marie-Noel

« Lola » de Jacques Demy

CYCLE JACQUES DEMY Lola – Une chambre en ville – Peau d’âne
Présenté par Marie-Noël Vilain
Film français (1961, 1h30) de Jacques Demy avec Anouk Aimée, Marc Michel, Jacques Harden, Alan Scott et Corinne Marchand

Scénario et dialogues de Jacques Demy, musique de Michel Legrand, photo de Raoul Coutard et paroles de la chanson « C’est moi Lola » d’Agnès Varda

Synopsis : Lola, danseuse de cabaret, élève un garçon dont le père, Michel, est parti depuis sept ans. Elle l’attend, elle chante, danse, et aime éventuellement les marins qui passent. Roland Cassard, un ami d’enfance retrouvé par hasard, devient très amoureux d’elle. Mais elle attend Michel…

Un des plus beaux films au monde.

Lola nous transporte d’un coup dans le pays si singulier de Jacques Demy. Si on se laisse emporter, la magie opère .

Quand je pense à ce film, j’ai toujours une hésitation : les textes sont chantés ? Non. Je sais bien que non.
Pourtant Lola est pour moi une comédie musicale .

Et, à chaque fois, je suis enchantée.

Marie-Noel

« Une vie » de Stéphane Brizé

 

Nominé à la Mostra de Venise 2016Soirée-débat mardi 17 à 20h30

Présenté par Marie-Noël Vilain
Film français (novembre 2016, 1h59) de Stéphane Brizé avec Judith Chemla, Jean-Pierre Darroussin, Yolande Moreau, Swann Arlaud,Nina Meurisse, Olivier Perrier et Clotilde Hesme
Scénario Stéphane Brizé et Florence Vignon
D’après l’oeuvre de Guy de Maupassant
Synopsis : Normandie, 1819. A peine sortie du couvent où elle a fait ses études, Jeanne Le Perthuis des Vauds, jeune femme trop protégée et encore pleine des rêves de l’enfance, se marie avec Julien de Lamare. Très vite, il se révèle pingre, brutal et volage. Les illusions de Jeanne commencent alors peu à peu à s’envoler.

 

« Je t’aime comme un pauvre enfant
Soumis au ciel quand le ciel change ;
Je veux ce que tu veux, mon ange,
Je rends les fleurs qu’on me défend. »
Extrait du poème « J’avais froid » de Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859)

« Car souvent, quand un jour se lève triste et gris
Quand on ne voit partout que de sombres images,
Un rayon de soleil glisse entre deux nuages
Qui nous montre là-bas un petit coin d’azur »
Extrait du poème « Le Dieu créateur » de Guy de Maupassant (1850-1893)

dits par Jeanne Le Perthuis des Vauds, merveilleusement dits par Judith Chemla, choisi(e)s par Stéphane Brizé

L’histoire est triste, bien sûr.
Un tel désenchantement, tant de désillusions …

Mais ce n’est pas tant l’histoire qui m’a captivée que le film lui-même, comment Stéphane Brizé raconte cette histoire.
Les acteurs, le montage en flash back, flash forward, les ellipses , les images sur plusieurs saisons, les sons des voix mêlées de vent, de pluie, de bruissement des feuilles, le format, la musique, les costumes. Tout.
Chapeau bas !
pour savoir, en deux heures, nous faire vivre ces 27 ans .
Avec une telle délicatesse, une telle virtuosité.

Marie-Noël

NB : J’aime les personnages purs auxquels Stéphane Brizé s’intéresse pour ses films. Ses choix me rassurent.

 

 

Le disciple de Kirill Serebrennikov

Présenté par Sylvie Braibant 
Film russe (novembre 2016, 1h58) de Kirill Serebrennikov avec Petr Skvortsov, Viktoriya Isakova et Svetlana Bragarnik 
Titre original :Uchenik
Synopsis : Veniamin, un adolescent pris d’une crise mystique, bouleverse sa mère, ses camarades et son lycée tout entier, par ses questions. 
- Les filles peuvent-elles aller en bikini au cours de natation ? 
- Les cours d’éducation sexuelle ont-ils leur place dans un établissement scolaire? 
- La théorie de l’évolution doit-elle être enseignée dans les cours de sciences naturelles ?
Les adultes sont vite dépassés par les certitudes d’un jeune homme qui ne jure que par les Écritures. Seule Elena, son professeur de biologie, tentera de le provoquer sur son propre terrain.

J’ai beaucoup ri pendant « Le disciple », ce film russe qui expose les corps et la parole religieuse, dominés par une croyance dont l’origine est méconnue. Les citations permanentes de la Bible datent le film.

Proférés par un jeune intégriste comme des injonctions,  l’anachronisme péremptoire des versets bibliques semble situer l’action du film dans un temps inconnu de la plupart des personnages. En introduisant le doute en même temps que la toxicité religieuse, la vie sociale se trouve déstabilisée progressivement. A noter le parallèle d’équivalence établie entre la drogue et la religion dès le début. Comme un sortilège malsain qui voudrait réduire la vie à des comportements automatiques. Au nom d’un dieu inconnaissable, c’est la vie même que l’on attaque ! On ne pense plus alors qu’à la malmener sous des prétextes fallacieux. Interdictions et punitions sont prononcées comme des sentences d’un tribunal imaginaire qui tente maladroitement de contrôler le cours de la vie humaine.

D’où la bouffonnerie de certaines scènes où le grotesque le dispute à la bêtise ! Rien ne se prête plus à la parodie de la vie qu’est le cinéma, que la religion qui l’a largement précédé. Les jeunes femmes semblent cependant échapper à cette ambiance de culpabilisation généralisée : scènes de la piscine et du bord de mer, où les corps expriment une sensualité bienfaisante… Sans complexe.

Défense de la connaissance scientifique par une actrice formidablement vivante face à des collègues alourdis, figés dans leurs passés. Antisémitisme latent, puis verbal. Bien avant qu’il ne soit devenu allemand, le mot “pogrom”est d’origine russe.

La vision de ce film est d’autant plus pénible pour certains spectateurs qu’elle leur révèle leur proximité avec la religion.L’effet glaçant de ce film toxique peut sonner comme un avertissement d’actualité …

Il y a trois siècles, Spinoza écrivait : “dieu, asile d’ignorance”.

Michel

« Le Disciple » de K. Serebrennikov

 

Présenté par Sylvie Braibant
Film russe (novembre 2016, 1h58) de Kirill Serebrennikov avec Petr Skvortsov, Viktoriya Isakova et Svetlana Bragarnik
Titre original :Uchenik
Synopsis : Veniamin, un adolescent pris d’une crise mystique, bouleverse sa mère, ses camarades et son lycée tout entier, par ses questions.
- Les filles peuvent-elles aller en bikini au cours de natation ?
- Les cours d’éducation sexuelle ont-ils leur place dans un établissement scolaire ?
- La théorie de l’évolution doit-elle être enseignée dans les cours de sciences naturelles ?
Les adultes sont vite dépassés par les certitudes d’un jeune homme qui ne jure que par les Écritures. Seule Elena, son professeur de biologie, tentera de le provoquer sur son propre terrain.

Ouille, ouille, ouille ! Comment dire le trouble que procure ce film ? Eprouvant de vivre le mal-être de Veniamin en premier lieu et celui des autres personnages, en cascade !

Veniamin sous emprise, drogué de religion, sa mère, si seule, épuisée par ses 3 boulots, dépassée par ce fils qu’elle est la seule à aimer.
Son disciple Grichka, infirme, maltraité par ses camarades et qui cherche refuge voire plus auprès de Veni. Il ne verra pas rallonger sa jambe et, pire, y laissera sa vie. Car jugé « anormal » au nom de Dieu !

L’équipe de direction de l’établissement scolaire, équipe féminine (!), se laisse très facilement convaincre d’imposer les maillots une pièce d’antan pour les filles à la piscine (ailleurs il pourra être permis de porter un monokini string mais pas une tenue trop couvrante).
Le corps des femmes est, décidément, un problème.

Seule la prof de biologie résiste au mysticisme ambiant, affronte l’antisémitisme toujours en veille rallumé à la première étincelle et s’affichant sans vergogne . Elle finit par « se clouer » sur place pour être là, debout, contre vents et marées, sans vaciller, parce que c’est sa place. C’est sa place d’aider ces « enfants », de faire de la prévention même avec les moyens du bord pour essayer de leur éviter au moins les dangers connus et contournables.
Quel courage ! On a envie de lui dire de se sauver, de sauver sa peau.
Mais, au contraire, il faut rester : si tout le monde se sauve, c’est fini.

On rit, un peu, au début, déroutés (cf la scène du mot d’excuse pour cause d’érections incontrôlables)
Mais on ne rit qu’à moitié, en alerte quant à la suite qu’on devine triste à pleurer. Même pas à pleurer, car on passe tout de suite à la stupeur devant l’étendue du problème. Comment se sortir de ce bourbier ?

La mère à qui le pope pose cette question incongrue : « Etes-vous heureuse ? » répond simplement : « Bien sûr que non ». Comme une évidence. On n’est pas là pour être heureux.

J’ai été frappée par le physique des personnages : le visage de madone de la mère, la dureté du visage tourmenté de Veniamin faisant contraste avec la douceur de celui de son disciple, le corps de liane de Lidiya surmonté d’un visage aux traits aigus et au regard si dur.
Et la sérénité sur le visage d’Elena.

Ce film nous imprègne, nous subjugue, nous inquiète
Il est, pour moi, très russe sur la forme, universel sur le fond

A voir absolument.
Le réalisateur Kirill Serebrennikov, déjà reconnu, donne ici une belle leçon de cinéma.

Marie-Noel

Le Client d’Asghar Farhadi

 

Prix d’interprétation masculine et Prix du scénario au Festival de Cannes 2016
Du 22 au 27 décembre 2016
Soirée-débat mardi 27 à 20h30

Présenté par Eliane Bideau et Georges Joniaux
Film iranien (vo, novembre 2016, 2h03) de Asghar Farhadi avec Shahab Hosseini, Taraneh Alidoosti et Babak Karimi  
Synopsis : Contraints de quitter leur appartement du centre de Téhéran en raison d’importants travaux menaçant l’immeuble, Emad et Rana emménagent dans un nouveau logement. Un incident en rapport avec l’ancienne locataire va bouleverser la vie du jeune couple.

 

Le client, un jeu de miroir

 On observera que le titre international de ce film, The Salesman, fait écho à la pièce d’Arthur Miller*(1), Mort d’un commis voyageur. Cette citation est revendiquée.

Cette pièce est étudiée dans les Lycées à Téhéran, donc elle ne pose pas de difficulté a priori avec la censure.

Curieusement, cette pièce autorisée, lorsqu’on la met en scène, qu’on la joue, montre ironiquement la bêtise millénaire de la censure. Et A.Farhadi par une gentille ironie, pour symboliser la nudité d’une prostituée, fait jouer l’actrice habillée d’un ciré rouge et d’un chapeau noir. Ce qui fait franchement rire un acteur de la pièce lors d’une répétition.

Il lui faut aussi protéger celle qui figure la prostituée en lui donnant une vie décente, bien réglée. Car entre figurer et être, pour le censeur la marge est étroite.

Cette censure peut être plus insidieuse et tristement comique. Dans cette pièce, jouée quelque part à Téhéran, la femme de Willy Loman, le commis voyageur, au lieu de remailler des bas, reprise des chaussettes. La censure ne se contente pas de « cacher ce sein nu » elle réprime jusqu’aux éventuelles évocations érotiques contenues dans une paire de bas.

Pourtant, la mort d’un commis voyageur est le faux double du film d’A.Farhadi. C’est l’histoire d’un humble « colporteur » Newyorkais, vaincu, humilié qui n’a ni colère ni ressentiment, seulement du dépit et de l’incompréhension pour un monde qui n’est plus le sien. L’essor urbain, la masse humaine  et les bouleversements sociaux, les changements de rapport dans un travail où il a tant donné, au mépris de l’éducation de ses enfants, son licenciement sauvage, la misère qui vient sonneront son heure. Analogies en effet : l’essor urbain, ces masses humaines qui enflent la ville et qui changent tout, la misère du « client » qui n’est pas seulement sexuelle et qui ressemble bien à celle de Willy Loman (le commis) qui fréquente lui aussi occasionnellement une prostituée.

Remarquons en passant que dans les interviews, Farhadi évoque cette pièce pour parler d’une manière indirecte des bouleversements de la vie à Téhéran.

Mais là s’arrête peut-être l’analogie. Et la pièce ne doit pas faire écran à ce qui est sur l’écran. Ce qu’il nous donne à voir, c’est aussi la montée progressive d’une violence qui transforme l’homme en bête. Quelle bête ? Les bêtes sont-elles si méchantes ? Dans ce cas, on est sûr que non, car dans les citations du film, il est fait allusion au conte « la vache » qui est aussi un film. J’hasarde que la bête dont il est question est celle d’un bestiaire imaginaire des contes et légendes iraniennes. « Dans les vers du chef d’œuvre de Mowlavi, la vache symbolise l’immensité, la fortune, la richesse, mais aussi parfois la dimension animale de l’homme et sa sottise(*2) ».

L’homme qui veut « laver l’honneur souillé » de sa femme finit par montrer d’une réplique cinglante, que ce n’est pas tant la blessure de sa femme dont il veut obtenir réparation que sa propre blessure narcissique, quitte par ses agissements, à perdre l’amour et l’estime de sa femme. Une femme remarquable. Lui, l’intellectuel libéral des classes moyennes supérieures, en pleine force de l’âge, se venge contre un vieillard valétudinaire, sorte de commis voyageur, avec une  délectation colérique et froide. Donc avec sottise. Une sottise tragique qui humilie à faire mourir. Que ce serait-il passé si « le client » avait été son alter égo ?

Plus tard, Emad va reprendre son rôle dans la pièce d’A.Miller qu’il joue chaque soir, celui précisément du commis voyageur. Le paradoxe ne l’effleure pas, il ne regarde pas en lui même. Il n’est plus aimé de sa femme, mais sa conscience du devoir accompli envers et contre tout, lui ira bien pour la suite.

A.Farhadi nous montre la censure dans toute sa sottise et des personnages sots que rien ne censure. Un vieillard pauvre, licencieux et lâche, et un jeune « quadra » intellectuel orgueilleux, sans compassion. A.Farhadi traite d’un sujet universel,  une société civilisée qui pourtant refuse de se voir et des hommes cultivés qui refusent de se voir. On comprend qu’A.Farhadi ait dit lors d’une interview qu’il se sentait plus proche de Rana.

Comme son maître A.Kiarostami, A.Farhadi recherche une vérité. Et j’ai le sentiment que certaines critiques mitigées que j’ai pu lire sur ce film sont un peu celles de tous les Emad (qui voit bien de loin et moins bien de près).

Georges

 

*(1)Mort d’un commis voyageur : de cette pièce d’Arthur Miller, László Benedek  a fait un film avec notamment Dustin Hoffman et John Malkovitch. Chers cramés, Je vous le prête  sur demande.

*(2) Étude sur le symbolisme des animaux dans le Masnavi
Figures interprétables et leur capacité à signifier. Najmâ Tabâtabâee.

« La mort de Louis XIV » d’Albert Serra

Le film est sublime, Jean-Pierre Léaud fascinant !
L’idée de lui confier ce rôle est géniale (comment se fait-il qu’on ne connaisse pas cet Albert Serra ?)
On sort de la projection en état de grâce et, pour un peu, on croirait en l’au-delà …

Bref, revenons sur cette terre gangrenée.
Louis XIV va mourir mais avant, on passe deux heures avec lui dans sa souffrance et sa lucidité.
D’abord, il a des affaires d’état à régler, des projets à valider. Une étincelle s’allume encore dans ses yeux quand il fait dire à Fagon, son médecin, les nudités comparées de telle et telle, quand il déguste ses biscotins trempés dans du vin d’Espagne. Diminué, dépendant mais encore dans la vie.
Puis, tout au long des journées qui s’écoulent, on le voit peu à peu devenir inerte, (presque) toujours emperruqué*, dans ce grand lit, dans les bruits familiers de la chambre : le bruissement des étoffes, des soieries, le tombé lourd des velours, la vaisselle fine qui tinte sur les plateaux d’argent, la nature qui s’immisce par la fenêtre ouverte sur les jardins d’août . On entend la musique plus loin et on imagine les courtisans et les courtisanes continuant à savourer la vie, à danser.
Le roi se meurt et on est avec lui dans cette chambre cramoisie, goûtant les clairs-obscurs, regardant les mets raffinés présentés inlassablement, obstinément au roi soleil pourtant définitivement rassasié. Les chuchotements s’installent au diapason avec ceux du roi qui finissent, eux, par s’éteindre. La vie s’en va.
Le roi n’a pas peur : l’existence de Dieu est certaine.
La jambe noircit, les mouches sont là. On voit la mort envahir ce corps devenu impotent, inutile et tellement douloureux.

Le regard fixe et pénétrant de Louis XIV nous envahit.

Jusqu’au souffle ultime, le passage de vie à trépas, instant crucial que Jean-Pierre Léaud réussit à jouer et qu’Albert Serra réussit à filmer.
21 grammes s’échappent sous nos yeux.
Prodigieux.

 

Marie-Noël

 

*emperruquer : verbe transitif qui semble ne pas exister.
créé alors pour l’occasion