Tout est plus beau la nuit à « Diamond Island « (3)

Présenté par Françoise Fouillé
Film cambodgien (vo, décembre 2016, 1h43) de Davy Chou avec Sobon Nuon, Cheanick Nov et Madeza Chhem

Selon le réalisateur Davy Chou, le sujet du film réside dans le rapport passionnel et cruel entre la jeunesse et le mythe de la modernité en marche au Cambodge. il explique : « Il y a une sorte de surgissement brutal de la modernité dans un pays qui n’est pas du tout habitué à ça. Le pays est comme précipité dans le futur et la jeunesse qui née pendant une période de privation conséquente à une Histoire excessivement tragique y perd ses repères. Le film s’articule autour du désir, à la fois naïf, violent et sans recul qu’engendre ce surgissement, à tous les niveaux de la société ».

Donc si Davy Chou part bien du réel qu’il a observé longuement sur les vrais jeunes, les vrais chantiers de Diamond Island, travaille ensuite sur la déréalisation et le superficiel, dans sa mise en scène.
C’est un monde complètement faux et artificiel qui se dévoile, sur les chantiers le jour comme dans les fêtes la nuit, D.C. n’ a jamais eu l’intention de faire un reportage sur les conditions de travail de ces ouvriers, même si des éléments ( les immeubles en cours de construction, les baraquements où vivent les jeunes, l’accident de Dy qui fait des heures sup… ) ouvrent sur la réalité.
En fait il veut attirer notre attention sur l’attractivité que ce lieu exerce sur les jeunes, ce miroir aux alouettes, qui les fait attendre la nuit magique malgré la fatigue, tels des papillons attirés par la lumière.
Tout est dans le style, déroutant peut- être mais adapté à son propos.
Si l’on veut revenir sur ces éléments stylistiques ( qui font toute la qualité et l’originalité du film ) on peut évoquer; l’utilisation de plans larges dont certains tournés avec des drones, par exemple pour les ballets des motos.
Les gros plans fixes sur les visages, sur les corps, les gestes très précis, qui s’éternisent ( d’où l’impression de lenteur du film ) et cherchent à capter les émotions, voir tous les plans avec Bora, Bora et Aza, ou le groupe de jeunes.( il ne fait jamais de plan/contre- champ ).
Le choix des couleurs volontairement saturées, qui opposent le jour et la nuit. Le jour, une lumière blanchâtre qui tombe, mais aussi les couleurs vives des vêtements et baraquements. Et surtout la nuit genre  » nuit américaine » où toutes les couleurs sont outrées, par les néons, le fluo des manèges, les portables éclairant les visages, le frisbee, les motos tachetées de blanc et bleu, la neige qui tombe, et même l’insertion d’une vidéo promotionnelle trouvée sur Youtube.
La bande-son participe aussi de ce côté artificiel, avec la musique, les bruits ambiants ( chants d’oiseaux..) les paroles en langue khmer. Là aussi D. Chou a renforcé le côté artificiel en post-synchronisation, en poussant les voix et ambiances. Voir la scène en boîte de nuit où Bora discute avec Solei et par magie le fond sonore s’estompe pour accéder à leur échange.
Outre le style il y a bien sûr les belles histoires d’amour ( entre les frères, avec la mère pour Bora ) entre les filles et les garçons et leur apprentissage du flirt et leur approche du corps ( jolie scène de Bora plein de tendresse et de timidité avec Aza) et aussi les amitiés dans les différents groupes de jeunes.
Ces personnages ont un visage, un corps, un regard dont on se souvient et qui nous touche et c’est là la réussite du jeune réalisateur, qui tout en travaillant la surface , l’aspect poétique, nous achemine vers le drame et le cauchemar.

« Diamond Island » (2)

 

Soirée-débat mardi 28 à 20h30
Présenté par Françoise Fouillé
Film cambodgien (vo, décembre 2016, 1h43) de Davy Chou avec Sobon Nuon, Cheanick Nov et Madeza Chhem

« Ils quittent un à un le pays
Pour s’en aller gagner leur vie
Loin de la terre où ils sont nés
Depuis longtemps ils en rêvaient
De la ville et de ses secrets
Du formica et du ciné »

La montagne, Jean Ferrat.

Chère Françoise,

Il faut bien l’admettre au plan formel, ce film est beau, toi et des spectateurs ont parfaitement évoqué les qualités de l’image, le travail sur le son, ses usages et ses significations.

Maintenant, il y a le récit, ce que nous raconte le film. C’est l’histoire d’un lieu et des jeunes gens qui travaillent à en faire un autre lieu. Et en même temps, une histoire de leurs vies. C’est à dire de  : comment ils vont se construire eux mêmes.

Le lieu est d’abord une sorte de « non lieu » à la périphérie de  Phnom Penh. Un îlot, un espace de sable et d’herbes sur lesquels il n’y a rien. Le rien c’est l’endroit où nous ne sommes pas, que nous n’avons pas encore marqué de notre (heureuse ?) présence. Ce rien va devenir Diamond Island, c’est à dire un espace kitch conçu par des investisseurs qui font commerce de kitch et s’en gavent jusqu’au paroxysme. (à l’image d’un président milliardaire contemporain, lequel ?).

Pour réaliser ce monument de grossièreté et de bêtise, il faut des travailleurs, pas n’importe lesquels, « ceux qui travaillent pour gagner leur vie, pour eux le travail est une contrainte relevant de la discipline de la faim, rien de plus* »… Pour ceux là,  le travail n’est que « domination, soumission, souffrance et aliénation* ».

Cette histoire ne se déroule pas n’importe où. Il y a tout ce que le film ne dit pas mais auquel nous pensons. Où vivaient ces gens ? Quelle est leur histoire dans la grande histoire cambodgienne, faite de colonisation, de guerre écocidaire, de révolution génocidaire… d’anomie.

 Le décor est campé, demeure ces jeunes, ils sont sympathiques, ils sont l’avenir du pays. Alors quels sont leurs espérances, leurs aspirations, leurs vies, leurs amours, de quelle manière cheminent-ils ? Et c’est l’objet même du film.

Et bien, ils sont comme nous, ce n’est qu’une question de degrés. Les filles veulent de beaux et gentils maris, et les garçons de belles filles et… des mobylettes. Pour la distraction, ils veulent accéder à leur juste part de kitch. Pourtant, il semble que le film contient autre chose, il faudrait le relire d’autres manières.

Et c’est pour ça que je compte sur toi, Françoise pour en faire un autre récit, dans ce même blog, car je suis bien conscient que ce film vaut mieux que mes commentaires. Au plaisir de te lire.

Georges

* *Christophe Dejour, la Croix du 27.02.2017

PS : Nous lirons Françoise, bien sûr, mais on peut déjà se reporter au bel article de Marie-No.

« Diamond Island » de Davy Chou (1)

Prix SACD à la Semaine Internationale de la Critique 2016 et Grand Prix au Festival du Film de Cabourg 2016Soirée-débat mardi 28 à 20h30

 

Présenté par Françoise Fouillé
Film cambodgien (vo, décembre 2016, 1h43) de Davy Chou avec Sobon Nuon, Cheanick Nov et Madeza Chhem

Synopsis : Diamond Island est une île sur les rives de Phnom Penh transformée par des promoteurs immobiliers pour en faire le symbole du Cambodge du futur, un paradis ultra-moderne pour les riches.

Bora a 18 ans et, comme de nombreux jeunes originaires des campagnes, il quitte son village natal pour travailler sur ce vaste chantier. C’est là qu’il se lie d’amitié avec d’autres ouvriers de son âge, jusqu’à ce qu’il retrouve son frère aîné, le charismatique Solei, disparu cinq ans plus tôt. Solei lui ouvre alors les portes d’un monde excitant, celui d’une jeunesse urbaine et favorisée, ses filles, ses nuits et ses illusions.

 

Je suis un peu restée sur ma faim.
A la fin du film, j’avais vraiment envie qu’il finisse, ce qui n’est pas super.
Pourtant, en y repensant …

Davy Chou a un style c’est indéniable, ses images et l’atmosphère qu’elles créent sont vraiment signées.
Mais ça ne fait pas un film (encore que quand on pense à « the Assassin »de Hou Hsiao-hsien …)

En plus des images en plans larges, ce qui m’a plu c’est de découvrir cette île et d’entendre le cambodgien, cette langue étrange : monocorde, faite de sons brefs qui collent évidemment aux attitudes, aux postures des personnages. Les visages aux traits immobiles filmés en longs plans fixes sont magnifiques. Dans ces yeux sombres qui nous regardent, en regardant bien on perçoit les émotions. Mais il faut bien regarder .

Le film commence par le départ de Bora de sa campagne si verte mais si pauvre. Les adieux à sa mère sont « en mode cambodgien » et même si on sait bien qu’en Asie, les effusions de peine ou de joie sont indécentes, ça fait quand même un drôle d’effet …
Il arrive avec son ami Dy à Diamond Island et, ce qui est pour ces travailleurs de chantier un enfer, commence.
Mais on ne voit pas cet enfer. Il n’est que vaguement évoqué et ça m’a gênée. La rudesse des conditions de travail des personnes arrachées à leur campagne, muées par leur pauvreté, pour construire des « fucking » palaces et autres gratte-ciels, est connue et il ne faudrait manquer aucune occasion de la montrer, sans forcément la souligner en gras, de la reconnaître. Ces jeunes sont pleins de vie et d’énergie mais tellement exploités, pressés comme des citrons, à Diamond Island ou à Palm Islands, qu’aucun d’entre eux ne se préoccupe longtemps d’être stylé ou pas stylé.
Ce n’est pas le sujet du film, soit.

Bora arrive à Diamond Island et son chemin croise celui de son frère Solei parti cinq ans plus tôt du village, sans laisser d’adresse, sans donner de nouvelles depuis et pour cause : il ne soutiendrait pas le regard de sa mère ni celui de son frère aîné sur ce qu’il est devenu. Bora croise donc par hasard le chemin de Solei, enfin, son chemin, non, pas son chemin car les personnages ne cheminent pas : pour simplement bouger il faut avoir une moto. Le chemin de Solei passe par la position de Bora. Pour bouger, il faut une moto, pour séduire une fille il faut une moto, pour chanter il faut un karaoké (les paroles des chansons populaires, c’est quelque chose !). Ils s’engluent dans « le progrès ». Solei a basculé de l’autre côté du pont. Bora choisira d’y basculer aussi après la mort de sa mère qui était sa référente. Pour se sortir de sa misère, il suivra Solei, il sacrifiera son amour pour Aza. Il roulera sans fin sur une moto phosphorescente avec une fille stylée derrière lui. A quoi bon ? Ca le mènera où ?  Bora, comme Solei, a choisi et entérine, comme Solei avant lui, le fait que ceux des campements de Diamond Island, sauf rare exception dont Aza ne fera pas partie, sont condamnés à y rester.
Aza, qui n’a jamais, de sa vie, passé le pont, l’accepte. A-t-elle jamais vraiment cru à l’Amérique ? Elle reste à la place qui semble lui avoir été attribuée à vie et joue le jeu de l’épanouissement. En chantant avec Virak, son sourire très large est démoralisant.

Reste cet environnement monstrueux bâti au prix de tant de misère, de malheur, de déracinements, de solitudes.
Désespérant. Autant qu’ailleurs.

Marie-Noel

 

OSCARS 2017

Vu en direct la remise de l’Oscar du meilleur film

Qu’on se le dise :
« Moonlight » de Barry Jenkins a remporté l’Oscar du meilleur film
« Moonlight » de Barry Jenkins a remporté l’Oscar du meilleur film
« Moonlight » de Barry Jenkins a remporté l’Oscar du meilleur film
« Moonlight » de Barry Jenkins a remporté l’Oscar du meilleur film
« Moonlight » de Barry Jenkins a remporté l’Oscar du meilleur film 

Comment réparer la bourde de Warren Beatty et Faye Dunaway (tous les deux sans lunettes) ???
Malheureusement, on ne peut pas rembobiner et le fait est que l’instant magique de l’ouverture de « son » enveloppe, de l’annonce dans le silence total de l’immense théâtre Dolby de la victoire de son film Moonlight a été volé à Barry Jenkins et à son équipe !!!
C’est irréparable, révoltant !

Warren Beatty aurait eu en main l’enveloppe du prix de la meilleure actrice décerné juste avant à Emma Stone …
A cette cérémonie où tout semble tellement huilé, organisé, orchestré, minuté, convenu.
Incroyable ! Impossible !
Et pourtant …

Décidément, quel bazar aux States

Minable

Marie-Noel

 

« L’effet aquatique » César 2017

L’Académie des César a décerné hier le Prix du meilleur scénario original à Solveig Anspach et Jean-Luc Gaget pour « L’effet aquatique ».
Nous avions rencontré Solveig Anspach aux Cramés, accompagnée de son actrice Florence Loiret-Caille, lors de la sortie de son film précédent « Queen of Montreuil ».
À Prades, l’été dernier, nous avons vu « L’effet aquatique » une première fois, présenté par Patrick Sobelman, son producteur.
Il nous avait raconté le lien fort qui unissait Solveig Anspach et Jean-Luc Gaget, comme ils travaillaient bien ensemble, comment ils s’étaient trouvés ces deux-là  pour tricoter leurs beaux scénarios !
Il s’inquiétait de la suite pour Jean-Luc Gaget tant il lui savait Solveig essentielle, irremplaçable .

Hier, lors de la cérémonie, Jean-Luc Gaget a reçu le prix seul.
Il a rendu à Solveig, bien au chaud dans son coeur, un très bel hommage venu des étoiles.
Le bruit de ses aiguilles à tricoter lui manque, nous manque aussi.
Leur tricot à quatre mains manquera au cinéma.

Merci pour ces beaux films

Marie-Noel

La chanson de Solveig
(Peer Gynt, Edvard Grieg)

 

« Corniche Kennedy » de Dominique Cabrera

Prix Claude Chabrol au Festival du film du Croisic 2016Du 16 au 21 février 2017Soirée-débat mardi 21 à 20h30
Présenté par Laurence Guyon

Film français (janvier 2017, 1h34) de Dominique Cabrera avec Lola Creton, Aïssa Maïga et Moussa Maaskri.
d’après le roman de Maylis de Kerangal

 

Alors, après avoir dormi dessus, j’ai quand même envie de mettre quelques mots dans le blog sur ce film, somme toute, assez déconcertant, car les personnages/acteurs m’ont intéressée.

En tout premier, Medhi/Alain Demaria (un Alain de 16 ans) m’a touchée avec son coeur gros comme ça et sa bouille de poupon. Il va évidemment s’endurcir. ll va bien falloir qu’il mette ses pas dans les pas de son frère dont il garde déjà le temple. C’est révoltant mais comment faire autrement. Il le dit : pour eux, ceux de la corniche, il n’y a pas d’autre choix : sauter, dealer. C’est un monde effrayant et on a mal de savoir que, malgré tout l’amour qu’il porte à son petit frère, à sa mère, si petite elle aussi, il va probablement rencontrer tant d’embûches qu’il basculera, lui aussi. Personne pour l’aider ? Le père s’est tiré depuis belle lurette ! c’est lui, le minot, qui est devenu l’homme de la famille. Sans avoir eu le temps de grandir. Abandonné par son père.
C’est un énorme problème de société ça : courage, fuyons ! les pères s’en vont.
Alors Medhi, il brave sa peur, il rassemble son courage et il saute du haut de la corniche. Il s’entraîne à sauter toujours de plus haut, en prenant toujours plus de risques.
J’ai aimé son regard . Un Medhi amoureux c’est très touchant. Quand il respire les cheveux de Suzanne, on sait leur parfum.

En écrivant, je m’aperçois, qu’en fait, seul Medhi m’a vraiment intéressée … et aussi le trio Medhi/Suzanne/Marco parce que les dés sont jetés depuis la naissance. Marco c’est le charme à l’état pur. Ce qu’il dégage est inné et Suzanne est prise dans ses filets. Medhi ne pourra pas lutter. Il le sait et on le sait aussi depuis le début. Les images de Suzanne avec Marco sont magnifiques. Ils sont très beaux et leurs beautés s’accordent parfaitement.

Suzanne/Lola Creton et son intégration dans la bande semble vraiment super easy. Trop. A part la première rencontre où elle est un peu malmenée sinon, après, elle « pique » les deux beaux gosses et les filles laissent faire ! L’une lui dit qu’il va falloir qu’elle choisisse, une autre que tout ça va mal finir. C’est presque une conversation de salon. Mais dans l’eau . C’est vrai que c’est un film et on n’a pas le temps de dessiner un mouton mais justement c’est un film alors à la réalisatrice de nous faire percevoir le rapprochement forcément lent de ces deux mondes. Ici on ne le perçoit pas.

Marco/Kamel Kadri patauge avec les requins. Il est magnifique mais pas très convaincant. Cette histoire policière n’a pas beaucoup d’intérêt et le pire c’est que Awa/Aïssa Maïga ne semble pas s’y intéresser non plus !
Au tout début du film elle est déjà là ! Elle passe, ni vue ni connue, en jogging, dit aux plongeurs que c’est dangereux;  fait des photos ! Par hasard, elle est tombée sur eux. Son collègue lui dit d’ailleurs qu’elle a eu du nez car il a une photo du chauffeur d’Abdel le terrible et justement c’est un des plongeurs de la corniche ! Tu parles !

On aurait bien voulu faire connaissance avec les plongeurs avant, tranquillement, entre nous. La place donnée à cette histoire policière est disproportionnée. On aurait aimé que les personnages secondaires soient plus travaillés. Ils sont sûrement très intéressants. On passe à côté.

C’est pour moi, comment dire, un film inabouti, un film de débutant.

Que tous ces jeunes s’éloignent de la corniche et du reste.
Avant d’y laisser leur peau

Marie-Noel

 

« Fais de beaux rêves » de Marco Bellochio (2)

 


Film italien (vo, décembre 2016, 2h10) de Marco Bellocchio avec Valerio Mastandrea, Bérénice Bejo, Guido Caprino et Emmanuelle Devos
Titre original Fai Bei Sogni

Belphégor est, je pense, ma plus grande peur « en images ». En 65, j’avais à peu près l’âge de Massimo au début du film et j’ai pris de plein fouet cette série qui m’a marquée durablement. Je confirme que c’était absolument terrifiant pour un enfant d’une dizaine d’années ! Je me cachais les yeux de ma main . Il fallait se cacher les yeux et c’est ce que la mère de Massimo fait. Elle lui cache les yeux de sa main dans un geste tendre mais ferme et il n’a sans doute pas vu Juliette Gréco sauter dans le vide …  Mais il a vu cette femme double : une douce jeune femme toute de clair vêtue qui se transforme en Belphégor fantôme du Louvre, visage recouvert d’un masque de cuir noir, regard fixe, tout de noir vêtu.

Sa mère aussi semble avoir eu deux visages. Elle riait puis aussitôt pleurait puis aussitôt riait. Elle le « mangeait des yeux » et l’instant d’après le fixait sans le voir. Elle oubliait momentanément sa présence, son existence. Comme lorsque, cachée dans un carton,  il la cherche « pour rire » et qu’il ne la trouve pas et ne la trouve toujours pas et la cherche alors « pour de vrai »au bord de la panique, zigzaguant dans l’appartement de part et d’autre de ce couloir, lieu central de sa vie. Elle se montre enfin et alors il peut se blottir contre elle dans le carton refermé sur eux deux. C’est comme ça qu’il est bien. Mais pas rassuré. Sa mère n’est pas rassurante.
On ne voit pas son père dans cette période de fusion mère/fils . Sauf juste avant et juste après le drame.
Juste avant le drame,  il observe sa femme par la porte entrouverte de la chambre de leur enfant : elle se penche sur lui et lui murmure « fais de beaux rêves », elle enlève sa robe de chambre et la laisse sur le lit de son fils. (pour laisser son odeur ? ) .
Juste après le drame, au milieu du chaos il est emmené entre deux carabinieri. Il sort de l’appartement en jetant un regard à son fils terrorisé, sans un mot. On ne reviendra pas là-dessus. Mais on peut se demander s’il n’a pas poussé sa femme du 5ème étage.
On ne voit jamais ses deux parents ensemble à part sur les photos dans le salon. Quand Massimo voit deux amoureux s’embrasser dans un bus, il s’en inquiète auprès de sa mère : « ils sont fiancés ? » fiancés ! Sa mère ne lui cache pas les yeux mais  lui dit de ne pas regarder .
Elle ne semble pas pressée de rentrer à la maison préférant refaire un tour « un giro »,  le circuit complet de la ligne de bus.
A qui pense-t-elle quand elle jette le bouquet dans le fleuve ?
Sa mère est mystérieuse, inquiétante mais elle est surtout irremplaçable et immortelle comme toutes les mères de tous les petits garçons du monde.
Quand elle disparaît, sa peine normale sera immense mais le problème est qu’il restera inconsolable car sa mort restera résolument inexpliquée. Cette absence transformée par les adultes en amputation sera le début de son calvaire.
Pourtant ce n’est pas tant de savoir comment elle est morte qui l’aurait libéré, c’est de la voir morte. C’est ce qu’il réclame : qu’on ouvre le cercueil. Avec tout son bon sens d’enfant il sait déjà que son deuil ne peut se faire que comme ça.
Toutes les femmes ne sont pas maternelles le pire exemple étant sa nounou qui ne veut pas remplacer sa maman. Pourquoi son père a-t-il choisi cette personne glaciale pour s’occuper de son fils orphelin ??? Quelle cruauté !
Comment sont les mères dans ce film ?
Celle de Simone. Il écrit son désarroi et sa crainte de devoir supprimer sa mère tant elle est exécrable . Et le fait est que sa mère l’est (devenue), exécrable !
Celle d’Enrico particulièrement envahissante (on frôle le comportement incestueux) et que son fils repousse « hors des murs » mais qui revient, s’immisce et se vautre sur le lit attirant tout contre elle son adolescent .Et qui reprend l’instant d’après une attitude de normalité maternelle chantant « Colchiques dans les prés, fleurissent, fleurissent » !  Les enfants sont enfermés, bloqués, dans ses bras, de chaque côté. Immobilisés.
Celle de Sarajevo qui est assassinée et laisse son petit garçon plongé dans le déni, qui continue son jeu comme si de rien n’était, limitant son champ de vision au petit écran de sa game boy, faisant momentanément abstraction de tout ce qui l’entoure.
A la piscine, celles alignées au balcon surplombant le bassin où les élèves et Massimo s’entraînent et qu’on voit défiler une par une devant nos yeux. Quelles sortes de mères sont-elles, toutes ces femmes penchées sur eux ? Sur nous ? Au moins, elles, sont là, vivantes.

Puisse Elisa être celle qui le fera passer à autre chose après qu’il a eu LA réponse qu’il semblait chercher depuis si longtemps.
Puisse Elisa être aussi celle qui lui indiquera l’adresse d’un bon psy pour qu’il puisse poser LES questions qui continueront inévitablement à le hanter .

Très beau film, dérangeant. Mise en scène magistrale. Un puzzle dont chaque pièce se transforme en « poupées russes ».

Marie-Noël

 

 

 

 

Fais de Beaux Rêves de Marco Bellochio (1)

nominations à la Quinzaine des Réalisateurs 2016
Du 9 au 14 février 2017
Soirée-débat mardi 14 à 20h30

Présenté par Georges Joniaux
Film italien (vo, décembre 2016, 2h10) de Marco Bellocchio avec Valerio Mastandrea, Bérénice Bejo, Guido Caprino et Emmanuelle Devos
Titre original Fai Bei Sogni

Synopsis : Turin, 1969.
Massimo, un jeune garçon de neuf ans, perd sa mère dans des circonstances mystérieuses. Quelques jours après, son père le conduit auprès d’un prêtre qui lui explique qu’elle est désormais au Paradis. Massimo refuse d’accepter cette disparition brutale.
Année 1990.
Massimo est devenu un journaliste accompli, mais son passé le hante. Alors qu’il doit vendre l’appartement de ses parents, les blessures de son enfance tournent à l’obsession…

Au commencement du film, Massimo enfant aux yeux sombres, un peu solitaire et sage, fait ses devoirs. Sa mère met un disque sur le phono. Elle prend Massimo par ses mains, le fait danser avec elle. Il est un peu gauche, mais la joie de sa mère est communicative et puis elle est si belle. Il danse bien maintenant, il est joyeux, tellement joyeux. Aucun moment n’est plus beau. Il l’aime, elle l’aime. Un bonheur simple. Pourtant, nous verrons que parfois chez cette mère si gaie, son regard s’assombrir. Elle pleure ou se perd dans ses rêves en écoutant une musique, fait deux tours de bus pour ne pas croiser le regard d’un couple qui descend au terminus, ou se livre au rituel obscur de jeter un bouquet de fleurs dans le Po. Il y a quelque chose, un mystère ? Pourtant, elle est là, vivante, aimante, infiniment disponible.

De son côté, le petit garçon est parfois grave comme si il y avait une instabilité, une menace. (Magnifique jeu et regard du petit Nicolas Cabras).

Le secret commence probablement avant la mort de la mère, elle est joyeuse et aimante, mais par instant  se trouble, il y a dans l’air une atmosphère de secrets, celui de sa maladie et peut-être d’autres. Elle est nostalgique de quelque chose ou de quelqu’un. Elle souffre en silence, peut être pas seulement de sa maladie.

Un soir, tapage et remue ménage, panique et bruits de pas pressés, que Massimo entend confusément. Mais l’accès aux adultes lui est fermé lorsqu’il demande « où est maman? » Il apprendra que sa mère a été emmenée d’urgence à l’hôpital et qu’il pourra bientôt aller la voir. Habillé en dimanche, un bouquet à la main, il s’y rend avec son père. Chemin faisant, ils s’arrêtent à l’église. Le prêtre est là qui attend. Il explique alors au petit Massimo que sa mère n’est plus, qu’elle est un ange, qu’elle le suivra de là haut. Elle a fait un infarctus foudroyant, elle est au paradis. Massimo se révolte, cela n’est pas crédible, mais n’en saura pas davantage. Cette rencontre sera décisive pour l’enfant, l’adolescent et l’homme qu’il sera. Longtemps, il va grandir en compagnie de Belphégor, une représentation mentale  qui lui donnera une sorte de puissance, une prise sur les événements. Mais ce « fantôme du Louvre » qu’il regardait naguère entre peur et joie avec sa mère est une représentation ambivalente. (le fantôme du Louvre est une apparition terrifiante qui finit par se jeter dans le vide). Pas d’ange ici bas, Belphégor pour longtemps. Les spécialistes appellent cela « la pensée magique ». Elle a le mérite de lui appartenir.

Or, par cette mort si brutale, la vie de Massimo va être durablement affectée, c’est un enfant rêveur qui expérimentera la loi de l’apesanteur en laissant tomber l’hideuse statue de Napoléon de son père par la fenêtre du 5ème étage…  et deviendra aussi un excellent et imaginatif speaker de foot en herbe. Adolescent, il s’invente une mère qui vivrait à New-York. La mort est honteuse. Sans compter qu’un mort est un lâcheur ; elle l’a lâché. Adulte, devenu journaliste, c’est un journaliste, sérieux, ténébreux, peu liant, quasi solitaire. Il a une confiance limitée, envers les autres et lui même.

Massimo sent confusément que tout n’a pas été dit sur la mort de sa mère. Il ne suffit pas que les choses ne soient pas dites pour ne pas être ressenties. « L’oiseau est un mot » disait une chanson du film* (voir notes), et les mots nous sont donnés. Mais ici les mots manquent et l’oiseau s’est envolé, ne laissant que silence et vide, si ce n’est le message indicible de Belphégor qui nous dit quelque chose de ce vol.

Ne pas savoir c’est précieux, ça aide à être orphelin, à vivre, comment renoncer à ce compromis, à la paix du compromis. D’accord, ça ne rend pas plus heureux que ça, mais par ailleurs, Massimo est devenu un bon journaliste. Qu’attend la société d’un homme ? Qui lui demande d’être heureux ?

Massimo est maintenant un homme, un adulte à la force de l’âge, bien inséré, intelligent, fiable, pourtant obscurément, quelque chose d’infantile subsiste en lui, un chagrin, une colère, un manque.  Un jour, Son père « refait » sa vie. Il lui abandonne tout. C’est un     « fatras de vieilles vieilleries », de souvenirs confus et peu intéressants. Massimo veut à la fois tout jeter et se dit en même temps qu’il pourra peut-être y percer le mystère de la mort de sa mère, trop longtemps laissé en veilleuse, comme cadenacé. Trop de choses dans cette maison, trop de travail à compulser et à se débarrasser de tout ça.

Un jour on lui remet une boite d’allumette qui appartenait à sa mère. Massimo d’abord ému, développe alors  une crise d’angoisse, « panique-attaque » dit-on de nos jours. L’angoisse, ce n’est pas l’anxiété, ça Massimo connaissait déjà. Non l’angoisse c’est une impression de mort imminente. Nous avons bien avancé dans le film…  Et pourtant, nous ne savons rien. Que va-t-il devenir ?

Marco Bellochio porte depuis toujours un grand intérêt à la psychanalyse, et il regarde la société dans laquelle il vit. Il n’a jamais cessé de le faire. Marco Bellochio est un cinéaste de l’atmosphère. Les images mieux que les mots montrent l’atmosphère. Avec nuance et subtilité. Peu de hors champs dans son film, exceptons Sarajevo ou les stades de foot. Tout est dans le film, et il faudrait plusieurs projections tant il est dense, pour saisir la richesse de ce qu’il nous donne à voir.

Pourtant cette histoire est banale, courante, mais elle est tellement difficile à la fois. Le secret, le deuil, la vérité et son déni. Tout cela forme un nœud. Marco Bellochio nous montre que l’homme tend à aller mieux. Il le montre l’effort qu’il faut à Massimo pour en sortir, pour accepter de se mettre en position de connaître ce qu’il savait confusément, pour connaitre ce qu’on avait refusé de lui dire. Pour saisir une possibilité de dénouement. Car il a dans ce film, en même temps que le poids d’un passé plus que jamais présent, une immense confiance en la vie, avec ce qu’elle a de cruelle et de providentielle parfois. Il nous montre un homme en devenir. Et qu’importe le temps, les années, cet homme enfin devient.

Georges

Notes de discussion, (tentative malhabile et provisoire d’éclairage et rapprochement entre différentes séquences  du film) .

Marco Bellochio a réalisé une œuvre très personnelle et non seulement la scénarisation/réalisation d’un best-seller. Son frère jumeau s’est suicidé à 28 ans, il a eu à faire un deuil et à se demander ce qu’il aurait pu faire pour éviter ce drame. (correspond à la pédiode de longs et de courts métrages militants qui se conclut avec Buongiorno, Notte, un film sur Aldo Moro dédié à son frère (un homme modéré comme A.M dit-il)

On pourrait lui reprocher quelques scènes trop appuyées, mais, Marco Bellochio à a dire, et pour ma part, j’ai tendance à voir dans ce film une recherche, avec ce qu’elle peut avoir de pédagogique dans sa manière d’énoncer le message et facétieuse dans sa manière de dénoncer certains traits mensongers de la famille, des prêtres, et du journalisme chemin faisant.

Comment Massimo voit-il sa mère aux différents moments de sa vie ?

Une représentation sans aucun doute positive. C’est aussi une représentation un peu ambivalente, nous verrons en quoi. Quel est le sort de cette ambivalence ?

Représentation de la mère par l’enfant Massimo :

« La mère qui regarde son enfant en souriant puis cesse brusquement de sourire et s’assombrit ».

Le petit garçon est grave comme s’il avait la préscience des choses ou comme si il y avait une menace. Son amour est teinté d’inquiétude.

Lors du drame, l’enfant met en place et interpose immédiatement Belphégor dans son imaginaire. Que représente Belphégor ? Une figure ambivalente. Il fait peur et il rassérène. Il est lié au bonheur de regarder ce feuilleton avec la mère et en même temps, il contient la prescience d’une chute mortelle. C’est une manifestation de la pensée magique : « La pensée magique est une expression définissant une forme de pensée qui s’attribue la puissance de provoquer l’accomplissement de désirs, l’empêchement d’événements ou la résolution de problèmes sans intervention matérielle ».(wikipédia)

L’image de CHUTE, est matérialisée par un passage à l’acte de l’enfant, qui jette par la fenêtre, du 5ème étage un Napoléon de bronze de la collection de son père afin de vérifier le principe de pesanteur. Quelle est la valeur symbolique de ce passage à l’acte ? Elle est double :

Elle signifie que l’enfant sait (quelque part dans son inconscient) ce qui s’est passé. (le suicide de sa mère, chute du 5ème étage).

Napoléon représente la puissance, la force, attributs du père qui possède ces objets. L’enfant fait un lien entre son père et cette mort.

Au non dit familial répond le déni de l’enfant, puis de l’adulte qui se trouve placé devant une sorte d’interdit.

 Cette image de chute se retrouve et persiste aussi chez Massimo Adulte : l’histoire de l’équipe de foot (Le vol spécial Avio-Linee Italiane était un vol spécial ayant eu lieu le vendredi 4 mai 1949, dont l’appareil, un Fiat G.212 transportant l’équipe de football du Torino Football Club, … L’equipe de Torino 1948-49.) 31 morts, la meilleure équipe d’europe revenait d’un match amical contre Benfica au Portugal. (Wikipédia)

Cet événement de l’équipe de Torino inspire 3 considérations :

  • Elle rattache Massimo à son père qui l’a initié au foot et a fait de lui, sans le vouloir, un journaliste sportif. (rappelons nous la scène de l’enfant speaker)
  • Elle parle aussi inconsciemment de la chute de sa mère et permet l’expression d’une nostalgie (permanente chez Massimo)
  • On pourrait presque en déduire que Massimo la reproche (projectivement) à son père qui est le plus fort, (Napoléon) de n’avoir rien fait pour sauver sa mère, de ne pas l’avoir assez aimée. Mais ce qu’il reproche à son père, il se le reproche à lui même.

 Le deuil et le secret chez l’enfant, l’adolescent et l’homme :

L’enfant : On a vu que l’enfant tente de se prémunir contre l’angoisse de la mort à l’aide de Belphégor, cette figure ambivalente.

Il y existe aussi, conjointement, la formation de son opinion sur le monde. La famille et les prêtres ne disent pas tout. Ils mentent ne serait-ce que par omission ou pire encore.-Bref une défiance du monde des adultes- On retrouve là en résumé, pour une bonne part, les thématiques de M.Bellochio.

Et la formation de son caractère un peu rêveur. Ca ne va pas de soi, il est d’abord rebelle, il sera rêveur. Il joue à être speaker, il imagine Belphégor.

Le deuil procure un sentiment d’abandon, de solitude, de honte

L’adolescent déni la mort de sa mère. Il s’invente une mère à NYC qu’il verra à Noël. Il se lie moyennement avec les autres. Il s’amuse de cette mère possessive (Emmanuelle Devos). Une mère un peu hystérique et possessive.

L’adulte :« L’adulte n’aura pas confiance ni en lui même ni en les autres. Il est un peu immature et anxieux ». disent les psychologues. Il met en veilleuse cette question de la mort de sa mère. Il est devenu un bon journaliste sportif et aussi un grand reporter à la Stampa.

Cette question de la mort de sa mère revient obsessionnellement, d’une manière métaphorique.

1) Avec son article sur la chute de l’équipe de Turin.

2) Lorsqu’il est grand reporter à Sarajevo, il est complice ou témoin d’une mise en scène  cynique (l’enfant à la Game Boy)

Il y a curieusement chez cet enfant à la Game Boy un rappel de la mort de sa mère. L’enfant n’a pas de Belphégor, il a à sa disposition la game boy. Cette game boy n’est pas un jouet de l’enfant mais un jouet fabriqué par des adultes pour les enfants. Un jouet offert par ses parents. Ce jouet fonctionne comme  une sorte d’objet transitionnel (penser à transitif) qui le rattache à ce qu’il a aimé, (une présence rassurante) et l’empêche de voir la mort dans toute son horreur et de continuer dans cette bulle. ( Il y a certainement une identité game boy/belphégor). Ce que voit l’adulte de cet enfant le renvoi à lui même et à son propre déni.

On note aussi que l’adulte qu’il est devenu n’a pas d’attache. Ni avec les hommes, ni avec ses maitresses. Ce qui colle bien avec son traumatisme.

 Résolution de la Crise :

Elle se présente sous la forme de deux rendez-vous (providentiels ?) :

Son père va refaire sa vie, il lui abandonne tout. Une maison et son fatras. Un fatras détesté, un fatras du père. Massimo se propose de faire le tri et de se débarrasser de tout cela. Une brèche dans le déni : Si je trouvais trace de ma mère ? Le déni est une notion utilisée en psychanalyse, pour désigner le fait de refuser, de façon inconsciente, une partie ou l’ensemble d’une réalité, qui est perçue comme traumatisante. Le déni peut porter sur : Un sentiment. Une émotion. (in Santé médecine).

2 exemples de la Manifestation du phénomène : Mère à NYC, et le journaliste qu’il est  ne cherche pas dans les journaux.

Peut-il apprendre quelque chose sur sa mère, le mystère de la disparition de ma mère ? 

Il en résulte de la proximité de la demande de vérité qui s’opère en lui provoque une crise d’angoisse, une violente crise d’angoisse. L’angoisse, vient du mot angst qui veut dire striction et qui se caractérise par l’impression d’une mort imminente. A ne pas confondre avec l’anxiété qui est une expression à caractère essentiellement psychique de crainte ou de peur sans objet.

Cette crise sera l’amorce d’une démarche résolutive :

Cette manifestation débouche sur une rencontre d’abord téléphonique avec le Docteur. (Eliza, B.Bejot). Une ouverture salvatrice à l’autre.

Et en effet, on le voit se rendre à sa consultation et lui dire quelque chose comme : j’ai confiance en vous. Cette confiance si peu accordée jusqu’alors.

La défection d’un journaliste va l’amener à tenir un courrier des lecteurs. (par une manipulation). Il s’agit de répondre à un lecteur qui déteste sa mère. (Cette lettre fait aussi écho à la scène de l’adolescent avec Emmanuelle Devos.) Il produira en réponse un hymne aux mères. Ce sera sa consécration.

Mais si l’on regarde extérieurement cette séquence, on peut constater que la lettre dénigrante, et la lettre élogieuse (laudative ?) résument en un même temps la pensée de Massimo. L’ambivalence de Massimo se résout dans ce travail d’écriture. Pourquoi m’as-tu laissé tomber ? Pourquoi t’es-tu laissé tomber ? Tu ne m’aimais donc pas ? Tu feignais de m’aimer?

De ce débat avec lui même par correspondance interposé, Massimo va tirer des conclusions vitales.

Il en résulte la capacité nouvelle de Massimo à fouiller dans son passé, de convoquer à deux heures du matin sa tante pour lui faire dire ce qu’il savait déjà en son for intérieur, mais qui lui était interdit. Sa tante, le lui dire ? non ! Elle ne le peut pas, c’est un non dit familial. Elle lui donne à lire dans un journal d’alors, caché dans un livre de la bibliothèque. Le journaliste était aveugle à la presse, il n’avait jamais cherché à lire les coupures de l’époque. Maintenant Massimo sait, ce qu’il savait quelque part dans son inconscient, et c’est une connaissance douloureuse.

Massimo était un peu comme l’hermine de la fable de Lafontaine, incapable d’aller ni de droite, ni de gauche de peur de salir son blanc pelage. Mais selon Pierre Dac, « tout mène à tout à condition d’en sortir »

Massimo est invité par Eliza, et elle va le faire danser, au début, il sera gauche (je ne sais pas danser) ensuite, il va se défouler, avec jubilation. Comme dans une symphonie, cette scène est une réexposition de la première scène sur fond  « Surfin Bird ». (l’oiseau est un mot, dit la chanson).

Plus tard, il verra sauter Eliza d’un plongeoir. Cette scène peut sembler appuyée et M.Bellocchio ne peut l’ignorer, peut-être veut nous dire qu’aimer et être aimé ne fait pas mourir.

Enfin on soulignera le rôle d’Eliza (qui est à la fois aimée pour elle même et tout autant pour ses ressemblances réelles ou fantasmées à sa mère.) Elle offre à Massimo un ancrage solide dans sa vie affective  déserte. Ancrage qui va lui permettre de s’affranchir de l’interdit, du non dit familial et de son propre déni.

 

 

 

« Manchester by the sea » de Kenneth Lonergan

Prix du meilleur acteur dans un drame au Golden Globes 2017 pour Casey Affleckdu 2 au 7 février 2017Soirée-débat mardi 7 à 20h30
Présenté par Marie-Annick Laperle
Film américain (vo, décembre 2016, 2h18) de Kenneth Lonergan avec Casey Affleck, Michelle Williams et Kyle Chandler

Synopsis : Manchester by the Sea nous raconte l’histoire des Chandler, une famille de la classe ouvrière, du Massachusetts. Après le décès soudain de son frère Joe (Kyle Chandler), Lee (Casey Affleck) est désigné comme le tuteur de son neveu Patrick (Lucas Hedges). Il se retrouve confronté à un passé tragique qui l’a séparé de sa femme Randi (Michelle Williams) et de la communauté où il est né et a grandi
J’ai bien pleuré, bouleversée par toute cette histoire racontée par touches, par flash-back. Tous les éléments s’ajoutent au fur et à mesure, se placent, s’ordonnent, se stabilisent. Et devant nous s’étale l’irréparable, immensément.
Tout le récit est d’une grande pudeur. Sans violon. Sans trop de violons.
A priori les personnages sont sans histoire. Lee est un jeune père de famille comblé, très amoureux de Randi, la mère de ses 3 enfants. Il vit « by the sea » et la pêche a une grande importance dans sa vie. Les sorties en mer avec son frère Joe sur le bateau, qui porte le prénom de leur mère Claudia Marie, sont des moments de pur bonheur. Son jeune neveu Patrick, Patty, est souvent de la partie et parle avec cet uncle Lee qu’il adore et vice versa. Sur le bateau, Joe et Patty sont déconnectés de leur gros problème : Elise, leur épouse et mère est « grave » alcoolique. La scène du retour de pêche est sordide mais la caméra est face aux père et fils qui entrent. Le réalisme du tableau, d’une grande brutalité pour Joe et encore plus pour Patty , nous est épargné, à nous. C’est pire. On voudrait que l’enfant soit épargné.
Mais l’irréparable n’est pas là, non, il est dans la tragédie que va provoquer involontairement Lee par son comportement pourtant « normal ». La suite d’une « fête » entre potes, bien arrosée, bien enfumée, comme d’habitude sauf que là … Il en sera anéanti, mutique à jamais, envahi par la tragédie, incapable de penser à autre chose, mort. Coupable mais déclaré innocent, il cherchera à se faire « démolir » pour payer encore et encore pour cette faute, faisant tout  pour, si possible, rester par terre, ne jamais se relever. Pour que son  corps aussi cesse de vivre.
On ne peut pas s’en relever. Il ne cherchera pas à s’en relever, ne se laissera pas distraire de sa peine, n’acceptera aucune main tendue. Quand, paradoxalement, la disparition de son frère lui ouvrira une porte sur la vie, il refusera cette renaissance et retournera à son purgatoire qu’il aménagera toutefois et entrouvrira pour Patty, au seul Patty.
Randi, elle, ne s’en remettra jamais non plus mais elle aura un enfant.

C’est un film sur l’irréparable, l’irrémédiable, l’irréversible, l’accablement, le sentiment de culpabilité . Et sur les dommages collatéraux provoqués par l’alcool((isme).

Et aussi sur la famille, l’amour fraternel, sur l’amour .
Lee et Randi s’aimaient, s’aiment et s’aimeront toujours.

Un beau mélo

(souligné d’Albinoni, de cet adagio beaucoup, beaucoup entendu ici dans les années 70 … qui enfonce inutilement le clou. Un peu dérangeant)

Marie-Noël

 

 

« Baccalauréat » de Cristian Mungiu (3)

Prix de la mise en scène au Festival de Cannes 2016

Présenté par Georges Joniaux
Film roumain (décembre 2016, 2h08) de Cristian Mungiu avec Adrian Titieni, Maria Drăguș et Lia Bugnar

Jusque là, il a tenu bon, Roméo. Il est resté fidèle aux règles morales qu’ils s’étaient fixées lui et son épouse Magda quand ils sont revenus en Roumanie après Ceausescu, avec, alors, la volonté, la certitude de reconstruire, de faire coller la réalité avec ce qu’ils avaient espéré. Mais le terrain était resté miné et il fallait juste apprendre les nouveaux codes . Faire avec . Fonctionner quand même tout en restant intègres par fidélité à une éthique devenue dérisoire, décidés à ne pas marcher dans les combines.
Roméo est médecin, il travaille dans un hôpital. Il est intéressé par ce qu’il fait, rencontre les patients, fait aussi des rencontres. Il a équilibré sa vie, tant bien que mal.
Magda, elle, est bibliothécaire. Il y a bibliothécaire et bibliothécaire. Pour elle c’est la version isolée avec des vieux livres dans le sens livres usagés, tous plus moches les uns que les autres, rangés sur des étagères minables dans un local minable, en sous-sol, avec éclairage artificiel, sans ouverture sur l’extérieur. Sans combines alors sans espoir de trouver mieux. De quoi devenir neurasthénique et c’est bien ce que Magda semble être devenue au fil des jours et des années.
Son Roméo va voir ailleurs. Pas sûr que ça lui fasse du mal. Ses rêves se sont envolés.
Leur amour s’est délité.
Reste leur fille, Eliza.
Eliza qui a sur le dos toutes les frustrations de ses parents, prise en sandwich entre leurs deux adorations. Elle doit et va réussir tout ce qu’ils ont raté. A commencer par partir de ce pays pourri. Elle est depuis l’enfance « condamnée » par eux, à vivre, après le baccalauréat, ailleurs et sans eux. Elle est comme téléguidée. Quand il y a LE bug, elle déraille et son père mettra alors tout en oeuvre pour la remettre sur les rails. Il fera fi de tous ses principes, prêt à tout, prêt à rentrer dans toutes les combines (sauf les enveloppes), rendre des « services » . On le comprend 5/5.
Eliza devra savoir et rentrer dans la combine pour qu’elle fonctionne. Son regard sur son père changera alors définitivement et un grand doute l’envahira : « Il y en a eu d’autres des combines comme ça ? Mes résultats brillants c’était mes résultats ou le résultat des combines de mon père ? Je suis qui, en fait ? » De quoi flipper à vie …
Mais Eliza est grande, elle a déjà vécu des situations violentes, perturbantes . Et elle est roumaine.
Lors de la dernière scène, elle raconte à son père qu’elle a pleuré à dessein, pour que l’examinateur lui laisse plus de temps, à cause de son bras cassé . Et elle lui dit  » je me suis bien débrouillée, hein ? » pour lui signifier qu’elle a compris comment ça marche.
Eliza croit qu’elle a tiré les ficelles.

Très beau film qui ne laisse pas entrevoir de changement à court terme en Roumanie …