Avec le concours des Cramés de la Bobine, les filles vont bien atteignent presque les 5000 spectateurs en France, voici un film, dans la veine de ceux de Jonas Trueba, dans lequel il ne se passe presque rien. Presque rien, sinon un instant de vie.
Le cinéma d’Itsaso Arana est dans la veine de celui de Jonas Trueba, mais plus radical encore. Pas l’ombre d’un drame, ni d’un effet comique à l’horizon. Cinq filles viennent séjourner à la campagne, dans une vieille demeure, un ancien moulin de la région de Leon. Elles y font du théâtre, l’une est Metteuse en scène, les quatre autres sont des artistes, certaines sont déjà célèbres, d’autres moins, comme dans la vraie vie.
Elles décident de filmer les répétitions et leur vie, ainsi les dialogues de répétition se mêlent à ceux de leur vie ordinaire. (Nous avions vu une amorce de cela dans Vania 42ème rue de Louis Malle). Un film où il ne se passe presque rien donc, et de plus pour aggraver la situation, les actrices sont belles. Et s’il y a une chose qu’on ne pardonne pas à la beauté, c’est de l’être sans être exploitée. Alors, si l’on peut se demander par quel miracle ce film a été distribué, on peut aussi se demander pour qui ?
Hasardons un début de réponse : Pour ceux qui ont vu les films de Trueba, ceux qui aiment les belles images, la musique de Bach par Keith Jarret, pour tous les autres qui aiment également la grâce et l’aisance de ces filles. Ce film veut transmettre le simple bonheur d’exister, d’être et de faire des choses ensemble, la sororité aussi, (comme le dit Françoise)-. Je me demande ce que Vladimir Jankelevitch, le philosophe du « je-ne-sais-quoi et du presque rien » aurait dit de ce film, sans doute des choses positives, j’en suis sûr.
Dans « les filles vont bien », il y a cette mise en abyme, où des actrices jouent des actrices qui jouent. Itsaso qui assure la Direction d’acteur en est le comble. Elle quitte la réalisation (la réalité) pour devenir une actrice qui joue la réalisatrice. Et son personnage nous donne une leçon de Direction d’acteur, elle partage, laisse vivre, favorise l’expression des émotions de ses artistes. Elle crée des conditions pour que leur travail continu de construction et d’amélioration de leur personne comme de leur personnage advienne. Elle fait en sorte que chacune mette dans son rôle le meilleur d’elle même, et ce meilleur attendu, c’est la joie. Et en effet, les filles vont bien.
En fait ce film aux allures cool, sans la moindre provocation, qui semble plat, nous montre aussi à quel point nos attentes cinématographiques sont conditionnées par le drame et la comédie, par les passions en somme. Alors oui, ce film n’a pas de succès, il ne propose rien que de montrer des jeunes qui vivent et travaillent, tout au plaisir d’être et d’être ensemble…
Le jour même où la CMP s’accordait cette loi nommée en « novlangue » immigration, intégration, asile, nous avons vu The Old Oak, de Ken Loach.
Nous sommes dans un village qui fut minier et qui n’est plus habité que par des familles pauvres et en déclassement (l’immobilier s’y effondre). Arrive en car dans ce village, des familles Syriennes fuyant la guerre et les tortures d’Al Assad. Elles sont affectées là. Pourquoi chez nous se disent des habitants ? (Ils savent bien pourquoi). Très rapidement se forme un conflit dans cette population entre les « pro- accueil », les « anti » et les « indifférents ».
Les « anti » sont le plus souvent les plus pauvres parmi les pauvres et ils voient d’un mauvais œil l’attention qu’on porte à ces Syriens tandis qu’eux sont délaissés… En fait c’est la thèse principale de Ken Loach : Le racisme des pauvres serait pour l’essentiel la peur que de plus pauvres viennent leur prendre le peu qu’ils ont, où pire encore, qu’ils soient mieux reconnus qu’eux.
Yara, une jeune syrienne qui parle parfaitement anglais, qui n’a pas froid aux yeux, exige qu’un villageois opposant violant qui avait cassé son appareil photo lors de sa sortie de l’autocar, le lui rembourse. Et c’est ainsi qu’elle fait connaissance de Ballantyne propriétaire du pub « The Old Oak ». Alors se développe une belle histoire d’amitié, puis d’intégration par le courage, la fraternité, et la convivialité.
C’est donc un film gentil, où les bons sentiments ne manquent pas, qui cherche à unir, il est bienvenu, tant la tendance xénophobe est encouragée de toutes parts et pas seulement dans cette Angleterre qui est le pays le moins accueillant d’Europe. (Précisons-le).
Pendant ce temps, en France, les spécialistes de la démographie ont eu beau montrer que le nombre d’étrangers pour 10 000 habitants n’a quasi pas varié en France depuis des décennies qu’importe les faits !
De notre côté, nous avons eu ce jour là, le film de Ken Loach et en rentrant chez nous, cette loi de préférence nationale !
On demandait à Thien comment le public vietnamien avait réagi en voyant son film, il répondit quelque chose comme : « il y a eu trois sortes de réactions, celles des amateurs de cinéma d’auteur qui l’ont bien accueilli, celle de ceux qui sont sortis en cours de projection et puis il y a les spectateurs qui ont dormi ». (rire). En effet, ce long film est aussi beau que déconcertant.
J’ai lu les critiques, souvent excellentes, nombre d’entre elles parlaient de la beauté des images, des délicats mouvements de caméra, de l’élégance de la juxtaposition des plans, des plans séquences et des panoramiques circulaires, du montage, de la rareté des cuts.
D’autres encore ont aimé son parti pris de lenteur, l’impression d’immersion qui s’en dégage. Le film met en scène la beauté du monde, la nature, les arbres, l’eau, les montagnes avec de beaux plans larges et d’autres brumeux et ressérés.
Nous avons aussi observé cette césure dans la vie de Thien à Saïgon, cette ville trépidante. Thien y partage travail et distractions, amis et masseuses, puis au cours du voyage de Thien, la campagne vietnamienne, la nature, la pauvreté ordinaire des gens qui y vivent.
Thien le jeune homme de la ville, autrefois élevé dans cette simplicité de la vie paysanne (qui ressemblerait un peu à l’angélus de Millet, travail, prière) la retrouve en compagnie de Dao, l’enfant de sa belle-sœur et la dépouille de celle-ci, morte dans un accident de moto. Ils l’accompagnent à son village pour la cérémonie d’enterrement.
Le film montre alors d’une manière quasi documentaire, les paysages, les villages, les us et coutumes, la foi catholique et ses rites au Vietnam.
Mais arrêtons-nous sur les événements de la vie de Thien, marqués par des ruptures et des pertes, pas seulement celle de la campagne pour la ville, mais ses pertes affectives humaines.
Qu’apparaît-il en effet ? Thien a perdu ses parents, rompu avec sa petite amie qui lui a préféré une congrégation, vu disparaître de l’un de ses frères… et au moment où commence le film, perdu sa belle-sœur par accident, celle-là même qui a été délaissée par son frère… Thien assure désormais la garde de Dao, le fils de sa belle-soeur qui a miraculeusement survécu à l’accident. Et c’est le début d’une prise de conscience qui prend la forme d’une quête, Thien confie Dao aux Sœurs d’une école religieuse, le temps de rechercher le frère disparu.
Cette quête en cache une autre qui s’insinue à l’occasion de rencontres et de rêves « providentiels ». Des rencontres comme en offre la vie :
Revoir puis rêver de Thao cette fiancée qu’il aimait et comprendre pourquoi elle a fait un autre choix.
Rencontrer un vieillard ancien militaire qui après avoir fait la guerre, tué et échappé à la mort consacre sa vie aux morts, confectionne leurs linceuls.
Rencontrer une vieille dame réputée un peu folle qui lui parle de l’âme, que fais-tu pour ton âme lui demande-t-elle ?
Il y a aussi cet autre rêve, comme l’inconscient aime en placer aux moments clés de la vie : revoir en rêve cette belle-sœur qu’il vient de perdre, elle lui place le bébé (Dao nourrisson) dans les bras pour aller chercher son époux qui ne devait pas tarder… mais que hélas elle ne reverra jamais.
Les paysages du film sont comme l’âme de Thien, soleil après l’ondée, brumes, immensité du monde puis petitesse, comme replié sur lui-même, comme contenu en chaque chose. Ces visions culminent à la découverte fugace d’une trouée de lumière après l’averse, d’un arbre aux papillons d’or. Thien progressivement a reconnu la disparition, la rupture, toutes choses qu’il avait tenues hors de ses pensées. Ce faisant, il a découvert la vie, il est devenu capable de percevoir ce monde sensible, d’entendre le chant des oiseaux et les bruissements du vent, lui, le magicien qui faisait apparaître disparaître cartes pour Dao conçoit enfin qu’il ne disparaîtra pas pour Dao. Qu’il se chargera de ce petit enfant.
Cette histoire en forme de quête spirituelle et existentielle, est en même temps celle de la reconnaissance des pertes de la vie et une tension inconsciente vers le mieux-être, celle où nous nous reconnaissons précaires mais conscients d’être là, et responsables pleinement.
Le temps a passé depuis le W.E Italien, et tout de même, j’ai aimé « Giulia » ce film touchant et sobre. Je voulais laisser une trace dans le blog.
Gros plan sur son visage joli mais un peu triste, sur sa chevelure intense remontée en ananas et sa robe d’été à bretelles. (Admirablement interprétée par Rosa Palasciano)
Elle est face à deux personnes pour un entretien d’embauche :
– Chi è Giulia ?
– Sono Io
Elle sort trois curriculum vitæ, tous différents, les deux recruteurs ont un léger mouvement…
– Comment vous voyez-vous dans l’avenir Giulia ?
– Avec une famille, un mari des enfants…
– À quoi rêvez-vous ?
– À la mer…
On devine la suite…
On la voit ensuite faire les poubelles, elle ne cherche pas à manger, non elle y ramasse des jouets d’enfants. On sent qu’elle les trouve précieux et beaux, qu’elle les aime.
Autre plan, elle est chez un jeune type, peut-être contacté par internet,
Ils ont fait l’amour, ils ne se connaissent pas mais au moins, elle a dormi quelque part. Déjà, il change les draps car sa copine doit venir. En partant, elle veut s’emparer du préservatif…
Elle fait des petits boulots, des courses pour une vieille dame et quelques heures d’animation dans une maison de retraite.
Là elle organise une partie de loto avec le jeu qu’elle a trouvé dans la poubelle. Elle chante aussi a cappella « Funiculi funicula »…(une chanson napolitaine à la gloire d’un funiculaire qui bien après fit un flop, car il n’a pas résisté aux coulées de lave). Sergio un jeune homme lui aussi précaire et admiratif de ses talents, lui propose de s’associer. Elle refuse.
Autre plan, elle va retrouver son ancien compagnon :
-Toi et moi, c’est fini lui dit-il, d’ailleurs j’ai rendez-vous chez ma sœur.
-J’y vais avec toi…
-Mais tu n’as jamais aimé ma sœur !
L’ancien compagnon est attablé avec sa sœur, son mari, et d’autres invités, arrive Giulia, elle dit : « J’ai apporté le dessert », elle sort des biscuits industriels sous célophane, récoltés çà et là… L’accueil est froid, réprobateur et gêné.
On ne sait de sa bizarrerie et des événements de sa vie, comment ils se confortent pour aboutir à tant de précarité matérielle et morale. La vie de Giulia est ainsi faite, peu adaptée à la vie sociale en général et très adaptée et même fantaisiste dans les espaces de combats et de survie où elle est confinée.
Son rêve d’une vie comme tout le monde, de mère de famille, ce Graal se heurte à la réalité. Sergio, un type qui lui ressemble éprouve des sentiments pour elle, et sans doute, une histoire aurait pu naître, mais elle se méfie. On ne sait si c’est la peur de perdre ou l’anticipation de la vie future avec ce garçon, une vie faite de mouise et d’échecs, de petits boulots et de petites combines, une fuite sans fin.
Tout le film nous montre les élans de vie et de joie de Giulia, et leurs impasses, toujours…
En final de cette vie entrevue, on la voit de dos, gracieuse, son épaisse chevelure remontée sur le dessus de la tête, comme à son habitude. Elle plonge dans la mer, (la mer!) elle nage, elle nage d’un style gracieux et décidé…la caméra la suit sur la gauche, puis elle se décale pudiquement sur la droite… La plage, la mer calme, il fait beau.
Les feuilles mortes, après Les tournesols sauvages, Les herbes Sèches, les titres sont champêtres en ce moment.
Les feuilles mortes (qui a reçu le prix du jury à Cannes) est un film de Aki Kaurismäki qui vient de sortir mais le Cinéma Indépendant Le Balzac en faisait son avant-première, et les deux acteurs du film étaient là, pour le présenter.
Deux êtres solitaires, chacun dans sa solitude, se rencontrent, se perdent, se rencontrent et… C’est un film simple et insolite à la fois. Poétique et émouvant comme le sont les films de Charlot de notre enfance.
Aki Kaurismäki, qui avait annoncé qu’il ne ferait plus de films, revient avec « Un film humble, une épure, l’affirmation d’une foi inébranlable dans le cinéma » nous dit Christophe Kantcheff.
Olfa, une Tunisienne, est mère de quatre filles. Un jour, ses deux filles aînées disparaissent. Pour combler le vide laissé, la réalisatrice Kaouther Ben Hania invite des actrices professionnelles dans ce qui devait être initialement un documentaire et fait découvrir au spectateur l’histoire de la vie d’Olfa et de ses filles.
Kaouther Ben Hania est une documentariste reconnue et récompensée pour son travail qui en 2017 a réalisé sa première fiction, la Belle et la Meute que nous avons sélectionné aux cramés de la bobine, ce film qui se présente comme un film policier, il est en fait une dénonciation de la culture violente et machiste de son pays.
En 2019, suit « l’homme qui a vendu sa peau » nommé aux oscars du meilleur film étranger. Un film hélas devenu très confidentiel du fait de son mode de diffusion, un film original dont voici le synopsis : Sam est un Syrien réfugié au Liban. Il rêve de gagner l’Europe, où s’est rendue sa bien-aimée, mariée à un riche diplomate. Pour obtenir un visa, il accepte l’offre d’un artiste controversé, qui propose de lui tatouer le dos. Son corps devenu une oeuvre d’art, Sam est exposé partout en Europe.
Les films de Kaouther Ben Hania montrent et dénoncent la violence, la manipulation et l’exploitation à ses différents niveaux (interpersonnels, institutionnels). Tout comme les filles d’Olfa montre derrière une affaire familiale une histoire institutionnelle.
Ce qui est institué c’est le statut des femmes. En 1956 Habib Bourguiba promulgue le statut personnel, qui assure l’égalité entre les femmes et les hommes. L’éducation égale pour tous est le dispositif essentiel de cette réforme et le dévoilement des femmes devient le symbole de cette émancipation institutionnelle. S’il n’est plus possible pour les hommes d’être polygames ou de répudier, d’obliger les femmes à porter une tenue, le mariage lui demeure traditionnel, c’est-à-dire d’abord une histoire de familles et de patriarches.
Comment montrer une mère dont deux filles ont revêtu le Niqab pour un beau jour fuir en Libye pour Daech. (Elles y seront capturées et condamnées à 16 ans de prison). Comment alors lui permettre de raconter cette histoire douloureuse ?
Ce documentaire n’est pas un reportage. Le dispositif choisi par Kaouther Ben Hania pour montrer cet événement traumatique est élégant : psychodramatique dans la mesure où il permet avec les jeux de rôles, la distanciation et donc une forme de réparation pour les protagonistes, tout en étant démonstratif sans peser ni alimenter des formes de voyeurisme. Ce choix formel n’exclut nullement le film de la « case » documentaire, mais bien au contraire ouvre des perspectives dans le genre.
Olfa cette femme de la cinquantaine au regard marquant, au si beau sourire, nous apprendrons que Sa vie comme celle de sa mère fut une rude bataille et un long tourment. Si nous avions été à sa place, nous aurions certainement, tout comme elle, aimé d’un immense amour nos enfants, chaque jour nous nous serions débattus pas toujours avec succès, pour qu’ils puissent manger, et nous les aurions peut-être punis à sa manière, parfois violente, débridée, folle. Un curieux mélange de sentiments où se mêlent l’amour de ses filles, la haine de la condition féminine, et la peur!
Déjà dans le ventre de sa propre mère, Olfa portait en elle tous les interdits faits aux femmes. Très vite elle dut épouser les devoirs de son sexe, jusqu’à se marier avec un homme qu’elle ne connaissait pas, et pire encore d’avoir expressement un rapport sexuel qui demontre qu’elle n’en avait eu aucun avant lui ! Le « statut personnel »s’efface discrètement par grignotage continuel, la force réactionnaire de ce qui se prétend tradition, tout cela Olfa l’exprime par le seul fait d’exister. D’ailleurs Olfa n’est-elle pas un symbole possible des Tunisiens qui respiraient le jasmin avant d’obtenir la loi du sabre et d’une certaine forme de religion ? Ce que Kaouther montre dans ses films c’est l’emprise de la loi et cette loi c’est celle des patriarches.
Olfa a perdu deux de ses filles en voulant les sauver des dangers d’être femmes, d’une manière paradoxale, elles ont pris l’une des pires marques d’aliénation pour une ultime liberté. Le Niqab est en effet magique, une femme peut enfin devenir digne dès qu’elle le porte et …en même temps ne plus paraître femme.
Deux filles d’Olfa sont condamnées à 16 ans de prison… l’une d’entre elle a une petite fille qui a déjà 8 ans sur 8 en prison. La encore, la justice masculine dessine pour ces femmes un avenir où les perdants sont des perdantes.
Parmi les filles d’Olfa les deux dernières qui aimaient tant leurs grandes sœurs, vont devoir vivre avec tout ça, déjà elles sont des jeunes filles, et elles ont compris beaucoup, elles représentent l’avenir et le changement. L’avenir comme toujours, se dessine à la marge.
Nous avions vu avec bonheur « Eva en Août et Venez voir de Jonas Trueba. » Voici un autre réalisateur Espagnol Jaimes Rosales, avec cet autre film, « les tournesols sauvages », C’est une histoire de vie à Barcelone, en trois actes, celle de Rosa, 22 ans, on éprouve avec elle une sorte de vie de couple, ce couple tient en deux mots «mère » et « célibataire ».
Trois actes, trois rencontres masculines, qui sont une sorte de cheminement vers la maturité, ce qui change c’est elle, sa vie, celle de femme et de mère. Pour avoir aimé ce dernier film, j’ai immédiatement vu « Petra » un drame antique et « la Belle Jeunesse » du même réalisateur dont je vous livre le synopsis : Natalia et Carlos sont deux jeunes amoureux de 20 ans qui se battent pour survivre dans l’Espagne d’aujourd’hui. Remises de C.V., petits boulots, tournage d’un porno amateur : ils essaient de s’en sortir au jour le jour. Face à une crise qui n’en finit plus, les espoirs d’une vie meilleure se fragilisent. Et quand Natalia se découvre enceinte, les petits arrangements ne suffisent plus.
(Fontainebleau, l’Hermitage)
« Promenade à Cracovie », projeté quasi nulle part, c’est un documentaire polonais réalisé par Mateusz Kudla et Anna Kokoszka Romer sur les souvenirs d’enfance à Cracovie du réalisateur Roman Polanski et de son ami d’enfance, le photographe américain Ryszard Horowitz. Leur enfance, avant, pendant et après le guerre sous Staline et Hitler.
Ce n’est pas par erreur si le documentaire est difficile à trouver et Libération nous dit pourquoi : « Récit du retour de Roman Polanski et du photographe Ryszard Horowitz dans la ville polonaise de leur enfance meurtrie par le nazisme, ce docu est une déambulation hagarde sans idée de cinéma » ! Il ne nous reste qu’à souhaiter à Libé autant de lecteurs que de boycotteurs. Quant au film, il existe!
Encore un très bon cru… Celui d’un cinéma naguère convalescent et qui montre toute sa vigueur retrouvée. Déjà l’an dernier nous étions sous le charme de Mia Hansen Love et de Jean-Pierre Dardenne. Cette année deux autres figures du cinéma français, celle de Michel Leclerc un réalisateur de comédies, pas que… Ce qui manque aux Cramés de la Bobine!
L’homme est sympathique, sa voix est chaleureuse, il s’exprime le plus souvent avec humour (Il cite Chris Marker, « l’humour est l’élégance du désespoir »). Il est de ces personnes qui donnent à chacun l’impression d’être un familier. Il est interviewé par Yann Tobin de la revue Positif. Y.Tobin, c’est un savant du cinéma, analyste rigoureux et qui jamais n’utilise l’autre pour se faire valoir. Bref, avec lui, on est assez loin du « Masque et la Plume » dans sa forme actuelle. On les écoute discuter et on se prend à apprécier un cinéma qu’on croyait connaître un peu mais qu’en réalité on connaissait assez mal.
Ça commence par « Le poteau rose » un court-métrage autobiographique, un film tendre ou l’autodérision et le doute de soi se conjuguent à l’émerveillement et l’amour. Mais c’est aussi l’histoire d’une rupture, d’une fin, et donc d’une perte… Mais de cette perte, il en fait une œuvre. L’art de Michel Leclerc c’est une alchimie qui transforme un malheur personnel en bonheur pour tous et c’est la clé de tous ses films.
Dans « J’invente rien » (Kad Merad et Elsa Zylberstein) où l’histoire d’un inventeur qui en voulant trouver une idée simple mais géniale, réinvente le droit à la paresse.« La vie très privée de Monsieur Sim » (Jean Pierre Bacri) nous montre encore un looser paresseux : le voyage d’un vendeur de brosses à dents un peu dépressif, qui finit par découvrir quelle personne il est. Ensuite, nous allons chez les rares et véritables grands de ce monde : « Pingouin et Goéland et leurs cinq cents petits » nous avions projeté ce film aux cramés de la Bobine. Suivent « La Lutte des Classes » où tout de même Leila Bekti et Edouard Baer nous tendent en miroir leurs contradictions. « Le nom des gens » qu’on revoit avec tant de plaisir, Sara Forestier quelle artiste ! Pour finir « télé gaucho » une incursion dans le monde fou des radios pirates (avec Sara Forestier, Felix Moati, et une fabuleuse équipe).
Et …changement de réalisateur et de style : Alice Winocour– Elle aime le style gothique vestimentaire, musical etc… Elle a un visage qu’on n’oublie pas. C’est une cinéaste importante du cinéma français, mais elle semble l’ignorer, elle est simple, sans se forcer. Aux cramés de la Bobine, nous la connaissons bien avec « Revoir Paris », et certains d’entre nous se souviennent de « Proxima ». À Prades nous revoyons une large partie de son œuvre dont trois courts-métrages. Nous ne connaissions pas « Augustine », un modèle hystérique de Charcot à la Salepetrière, enfermée jusqu’à ce qu’elle guérisse, mais cette jeune femme un jour a réussi à s’échapper, habillée en homme. Alice Winocour s’est emparée du sujet qui laissait le champ libre à la fiction. Le dernier film, c’est « Maryland », Vincent soldat de retour de mission est victime d’angoisses post-traumatiques. Pour attendre sa réintégration, il accepte un travail de garde du corps, quoi de plus banal ? Mais rien ne se passe comme prévu, nous voici embarqués dans un thriller palpitant. Il est souvent question dans ses films des traces laissés par un événement traumatique… et c’est vrai pour trois d’entre eux. Elle en connaît les variantes, elle en fait un art.
Entre différents films musicaux, Chantons sous la Pluie, LalaLand, Chercheuses d’Or, Cabaret, et des séquences de courts-métrages arrivent les films nouveaux en lice pour le prix Solveig Anspach. Nous serons attentifs à leur sortie en salle, certainement que vous serez ravi d’en voir aux séances des Cramés de la Bobine.
Tigru d’Andrei Tanase, film roumain, Véra vétérinaire a perdu son nouveau-né, et veut qu’il soit enterré selon les rituels orthodoxes, or il n’a pas reçu le baptême, au même moment, dans un zoo, un tigre s’échappe. On peut se passer de le voir.
Lullaby Alauda de Ruiz de Azua, film espagnol. Amaïa vient de mettre au monde son enfant, son mari, intermittent, accepte une mission qui l’éloigne d’elle. Le film décrit les affres d’une femme qui va de baby blues en difficultés à élever seule sa progéniture et se réfugie chez ses parents. On peut se passer de le voir.
Les damnés ne pleurent pas de Fysal Boulifa réalisateur anglais d’origine marocaine, réalisateur, scénariste. La vie d’une mère et son fils de 17 ans, né de père inconnu, au Maroc, près de Tanger. Voici une pépite qui à partir de deux personnages donne l’état d’une société. À voir absolument
Somewhere Over the Chemtrails d’Adam Koloman Rybansky film tchèque. Le film expose le cheminement du racisme et des théories de conspiration au sein d’un petit village de la République Tchèque. Un très beau sujet, inquiétant car la Tchèquie est partout. À voir absolument.
Six Weeks de Noémie Veronoka Szakonyi, réalisatrice et scénariste, film hongrois encore un premier film talentueux, une jeune sportive de haut niveau s’aperçoit très tardivement qu’elle est enceinte, elle va mettre au monde un enfant, elle songe à l’abandonner, la procédure d’abandon hongroise donne à la mère six semaines après l’abandon pour y renoncer. La jeune actrice (Katalyn Roman) dont c’est le premier film est remarquable. À voir.
Katalyn Roman
Foudre- de Carmen Jaquier- Suisse, une jeune fille s’apprête à faire ses vœux, mais le décès de sa sœur aînée l’oblige à retrouver sa famille qu’elle avait quitté cinq ans plus tôt. Ce genre de sujet a le don de m’ennuyer ferme, raison pour laquelle je vous invite à en lire les critiques.
Lost Country de Vladimir Periscic Serbie, en 1996 on apprend que les résultats électoraux de l’opposition sont invalidés, nous sommes sous le régime de Milosevic. Stefan 15 ans, comme tous les élèves, souhaite participer à la protestation, mais voilà, sa mère est porte-parole du régime. C’est une mère aimante et une femme de décision. Remarquable. À voir.
Le Ravissement est le film Français de la série, un mélo comme on les aime, Lydia sage-femme accouche sa meilleure amie et se substitue à elle car elle est débordée et dépressive. La vie de Lydia hors son travail est un peu vide à l’exception d’une rencontre, un jour. Lydia c’est Hafsia Herzi, le rôle masculin c’est Alexis Manenti . À voir, c’est très bien.
Suivent deux avant premières Françaises, Le temps d’aimer de Katell Quillévéré, tout le monde a vu ces images de femmes outragées, tondues parce qu’elles avaient des relations avec les soldats allemands en 39-45, la vie de l’une de ces femmes est le sujet de ce film. Nul doute qu’il aura une belle diffusion.
Rosalie de Stéfanie Di Giusto, l’histoire de la femme à barbe avec deux acteurs en vue, Nadia Tereszkiewicz et Benoit Magimel. Quelle femme ! Ce film lui aussi aura une belle diffusion.
Nous terminons ce compte rendu en soulignant que Valery Leroy réalisatrice de courts-métrages qui a déjà une œuvre originale et drôle réalise son premier long-métrage. À suivre absolument. Bonnes Vacances Georges
À l’Alticiné, nous étions une douzaine pour voir Jeanne Dielman, 23 quai du Commerce, 1080 Bruxelles- de Chantal Akerman un film qui tout de même en 2022, a été élu meilleur film de tous les temps dans le classement décennal de Sight and Sound, établi par la revue du British Film Institute. Excusez du peu. Le film dure 3h21, la présentation et le débat un peu moins… mais quand même ! C’est l’occasion de dire à Françoise un grand bravo pour sa prestation épatante.
Pendant le film, j’ai regardé ma montre en me disant encore 40 minutes ! Je n’ai pas pu y résister. Tout de même, je suis heureux de l’avoir vu, un peu comme quelqu’un qui a franchi la ligne d’arrivée d’un marathon.
Et puis là, je vois les notes de Françoise sur la genèse du film selon Chantal Akerman:
« Une nuit j’étais dans mon lit en train de somnoler et tout à coup, j’ai vu le film, Juste une serviette-éponge posée sur un lit, des billets déposés dans une soupière… Mais ça a suffi pour que le film m’apparaisse »
Et en effet, je la revois aussi, blanche moelleuse, sur le mitan du couvre-lit, méticuleusement posée par Jeanne Dielman (Delphine Seyrig), cette incarnation, cette femme veuve, venue s’interposer et prendre vie entre Chantal Akerman et son rêve. Et je revois aussi cette soupière, Jeanne a une manière élégante de mettre son argent au pot. D’ailleurs Jeanne est l’élégance incarnée. (Et… S.Freud nous l’a dit, il y a un rapport entre l’argent et le stade érotique anal, d’où le pot sans doute…).
Cette Jeanne aux gestes précis et vifs pour disposer sa serviette, nous la verrons durant tout le film accomplir ses tâches de femme au foyer, avec charme et précision, méticulosité et grâce, application toujours. Ce modèle féminin, on n’a pas de mal à soupçonner que c’est une image de sa propre mère. Il n’est que de lire les notes de Françoise, maman juive rescapée, Chantal Akerman, fille de rescapée. Elle a vite constaté que sa mère sans cesse en action reproduisait traumatiquement à l’infini l’expérience des camps de la mort, action ou… gaz -Un rituel morbide- Mais sa Jeanne tout aussi ritualisée, bien réglée, est plus universelle et on ne sait rien d’elle. Elle ressemble à certaines de nos mères, au moins autant que ressemble à certains d’entre nous, son benêt de fils. Il s’appelle Sylvain (un prénom comme une question)
Mais revenons à cette serviette qui est là, posée sur le lit, qui nous dit que Jeanne se prostitue discrètement, à domicile. Cette belle femme dégage une froideur glaciale, anérotique, on imagine comment ça se passe, la dame pose ses fesses sur la serviette qui protège le couvre-lit et dans la position du missionnaire, reçoit la saillie du client, qui à la fin, pourrait tâcher le couvre-lit s’il n’y avait pas la dite serviette. Je découvre que les prostituées, dans l’argot de cette époque, nommaient ainsi leurs clients : « T’as fait combien de serviettes aujourd’hui ? » (1)
Mais Jeanne est une occasionnelle, un client par jour, des gens propre sur eux, des habitués, qui règlent sans barguiner en fin de séance. Curieusement, sur la commode de la chambre de Jeanne, il y a sa photo de mariage : Lui porte un manteau, elle a un tailleur et dans les bras, un gros bouquet de fleurs. Durant ses rapports sexuels, elle peut l’apercevoir. Voilà qui rappelle « La recherche du temps perdu de M.Proust » où Andrée, fille de Monsieur de Vinteuil, se livre à des ébats saphiques devant la photo de son père ».
Et si les rapports du couple Dielman étaient placés sous le régime de la prostitution domestique ou du « service sexuel conjugal », cette forme de sexualité où l’épouse remercie sexuellement son conjoint de lui assurer le foyer ? Le film suggère cette aliénation de plus, d’autant qu’elle laisse comprendre à demi mot à son fils, qu’elle n’était pas amoureuse de cet homme, pas trop beau et… ruiné au moment de leurs épousailles. Pour Jeanne, tellement absorbée par sa vie quotidienne, par ce que les économistes appellent « le travail invisible », la prostitution n’est pas un expédient, elle est la ressource qui lui permet de vivre, en autonomie, selon des règles de vie… celles qui la tiennent, celles d’une maitresse de maison. (cf cette comédie La bonne épouse de Martin Provost).
Au troisième client, nous sommes invités à entrer dans la chambre. Henri durant le débat, signale qu’avec ce dernier client, la première fois, Jeanne a joui, c’est peut-être une révélation pour elle. En tous les cas, c’est une intrusion intolérable, assimilable à un viol pour cette femme qui isole, cloisonne tout… Elle tue cet homme avec une paire de ciseaux. Ces ciseaux qui avait été reposés machinalement sur la commode par Jeanne, pourtant si peu oublieuse, tombent de nouveau dans ses mains au plus fort d’une colère dissimulée et fugace, celle d’une femme qui se sent injuriée. (ciseaux ne sont pas par hasard dans la tête de Chantal Akerman, si l’on se souvient de la scène de Sylvain échange avec Jeanne sa mère sur la sexualité).
Que restera-t-il de Jeanne cette pauvre Maîtresse de Maison…(accessoirement de passe), de cette soupière désormais asséchée. Que restera-t-il de cette vie fragile et aliénée, et on se dit que l’absurde appelle l’absurde.
…Ce film a quelque chose d’hypnotique, il faut que je le revois…
Georges
(1) Ce matin je feuillette Espèces d’espaces de Georges Perec, le quartier, l’appartement, la chambre, le lit… « la serviette »… Qu’aurait-il écrit sur ce film ?
Le « Capitaine Volkonogov » film magistral, interprété par Yuriy Borisov comme toujours remarquable, prend pour trame l’Histoire Russe de 1938, (comme l’indique cet énorme Aérostat qu’on voit dans le film.)
Pour mémoire, nous sommes au comble de la terreur stalinienne, les goulags sont saturés, on enregistre pour cette période « 681 692 peines de mort » Staline à juste titre persuadé que la guerre contre les Allemands est inéluctable, décide alors d’éliminer par anticipation les personnes qu’il juge non fiables, des tranches de population dont il suppose qu’elles se placeront du côté Allemand. De plus « Staline a accouché d’une théorie suivant laquelle on ne pouvait démasquer l’ennemi que par interrogatoire ». Alors commence une tuerie nationale qui joint l’arbitraire à l’absurde. (1*)
Au début du film, les bruits d’un ballon, puis l’image. D’insouciants et beaux sportifs, crânes rasés, vêtus de pantalons rouges jouent au volley dans leur QG qui semble être un palais, avec ses moulures et son superbe lustre… Ensuite, on les verra lutter en imitant un combat de chiens, pratiquer le cheval d’arçons… Bref, nous voyons une ambiance de franche camaraderie virile.
Ces personnages figurent le redoutable NKVD, mais pour le film, ils sont accoutrés d’uniformes rouges, une tenue aussi virile qu’ironique et grotesque. Elle rappelle celle des petits soldats d’opérette, mais pour la population elle est signe de pouvoir et de terreur.
Plan suivant, un commandant est assis derrière son bureau, on frappe violemment à sa porte, ouvrez commandant ! Le commandant se lève tranquille, se dirige vers la fenêtre, il l’ouvre posément puis… se jette dans le vide, s’écrase sur les marches majestueuses en bordure de rue. Le capitaine Volkonogov qui venait juste de sortir du QG se retourne au bruit de la chute, voit son commandant mort et le sang se répandre ; trois hommes de la fenêtre l’invitent au silence.
Le groupe de joyeux jeunes gens a maintenant rejoint son espace de travail, l’un d’entre eux dit, il y a un message du commandant : « il n’y aura pas de réunion aujourd’hui ». Mais déjà l’un d’eux est appelé pour une « réévaluation »… puis un autre. Jamais ils ne regagneront leur place.
Le Capitaine Volkonogov comprend confusément qu’il y a eu un ordre d’éliminer la section et donc lui-même, cela ne saurait tarder. Le travail de cette section consistait à arrêter, interroger et s’ils étaient récalcitrants, à torturer des personnes désignées, afin d’obtenir d’elles les aveux de crimes fantaisistes, (dans leur jargon, il s’agit d’appliquer une « méthode spécifique » (*2) car… « on n’élimine pas les gens sans cause dans un état de droit ». Les « coupables » sont ensuite dirigés vers une zone d’abattage rapide et méthodique.
Le capitaine réussit à sortir du QG et à filer secrètement chez Raia sa petite amie qui plutôt que de lui trouver un refuge le dénonce « afin que pense-t-elle naïvement, qu’après la prison, ils puissent tous deux vivre ensemble ». Alors commence « une fuite sans fin » « au cœur des ténèbres », dans une ville aux habitats pouilleux, sinistres, avec ses autobus charriant les habitants tristes et vides.
Pour des raisons qui sont le cœur du récit, le Capitaine est convaincu qu’il doit pour sauver son âme, pour éviter l’enfer éternel, obtenir le pardon d’un proche d’une de ses victimes. Et le film alors, sans cesse, entrelace deux fils de récit, celui palpitant d’une chasse à l’homme par la machine stalinienne et… puisqu’il n’est pas possible d’échapper à l’enfer sur terre, celui d’une fuite et d’une recherche un peu dérisoire et ironique de rédemption du Capitaine…
Et chaque rencontre avec les proches des victimes ouvre une fenêtre sur la vie sous Staline et sur les basses œuvres du Capitaine. Une fenêtre à barreaux pourrait-on dire, car ces proches sont en outre victimes d’une société apeurée qui les ostracise.
L’avant-dernière scène du film est superbe. Le Capitaine réussit à être mis en contact avec la mère d’une victime, rejetée de sa communauté, se laissant mourir de faim sur un grabat. La voyant ainsi, il la prend délicatement dans ses bras, (et c’est comme une Piéta inversée me dit Martine), et il la porte délicatement, (cette image rappelle Mère et Fils d’A.Sokourov (3). Puis, il la baigne et c’est comme un baptême du christianisme primitif, il la lave tendrement, attentivement et elle le bénit en posant sa pauvre main décharnée sur son crâne.
Arrive la dernière scène qui nous laisse un peu perplexe : Poursuivi sur le toit où il s’est enfui, le Capitaine est blessé par balle, c’est la fin de sa cavale. A l’officier poursuivant qui l’ajuste il dit :
« – Tue-moi j’irai tout de suite au Paradis…
-Tu crois toujours au Paradis ?
– Croire ou pas, ce n’est pas la question, c’est comme si je n’avais pas le droit d’y aller. »
Peut-être qu’« aller au Paradis » qu’il existe ou non, dans ce monde totalitaire où chacun se doit d’être l’agent de la grande cause stalinienne ou disparaître, faire quelque chose de digne, faire un geste d’humanité, prendre cette ultime liberté, c’est un peu de paradis.
On imagine facilement que les dirigeants du pouvoir russe actuel qui entendent réécrire une histoire nationale toute neuve ne pouvaient pas tolérer ce film, d’ailleurs ils étaient tenus de ne pas le tolérer.
Et pour les spectateurs que nous sommes, ce film est une expérience prenante, on a l’impression de voir à la fois un authentique chef-d’œuvre et une abomination.
Georges
*1 Timothy Snyder : Terres de sang, l’Europe entre Hitler et Staline Gallimard 2012
*2 Méthode spécifique est un terme qui rappelle « traitement spécial » des nazis.