Olfa, une Tunisienne, est mère de quatre filles. Un jour, ses deux filles aînées disparaissent. Pour combler le vide laissé, la réalisatrice Kaouther Ben Hania invite des actrices professionnelles dans ce qui devait être initialement un documentaire et fait découvrir au spectateur l’histoire de la vie d’Olfa et de ses filles.
Kaouther Ben Hania est une documentariste reconnue et récompensée pour son travail qui en 2017 a réalisé sa première fiction, la Belle et la Meute que nous avons sélectionné aux cramés de la bobine, ce film qui se présente comme un film policier, il est en fait une dénonciation de la culture violente et machiste de son pays.
En 2019, suit « l’homme qui a vendu sa peau » nommé aux oscars du meilleur film étranger. Un film hélas devenu très confidentiel du fait de son mode de diffusion, un film original dont voici le synopsis : Sam est un Syrien réfugié au Liban. Il rêve de gagner l’Europe, où s’est rendue sa bien-aimée, mariée à un riche diplomate. Pour obtenir un visa, il accepte l’offre d’un artiste controversé, qui propose de lui tatouer le dos. Son corps devenu une oeuvre d’art, Sam est exposé partout en Europe.
Les films de Kaouther Ben Hania montrent et dénoncent la violence, la manipulation et l’exploitation à ses différents niveaux (interpersonnels, institutionnels). Tout comme les filles d’Olfa montre derrière une affaire familiale une histoire institutionnelle.
Ce qui est institué c’est le statut des femmes. En 1956 Habib Bourguiba promulgue le statut personnel, qui assure l’égalité entre les femmes et les hommes. L’éducation égale pour tous est le dispositif essentiel de cette réforme et le dévoilement des femmes devient le symbole de cette émancipation institutionnelle. S’il n’est plus possible pour les hommes d’être polygames ou de répudier, d’obliger les femmes à porter une tenue, le mariage lui demeure traditionnel, c’est-à-dire d’abord une histoire de familles et de patriarches.
Comment montrer une mère dont deux filles ont revêtu le Niqab pour un beau jour fuir en Libye pour Daech. (Elles y seront capturées et condamnées à 16 ans de prison). Comment alors lui permettre de raconter cette histoire douloureuse ?
Ce documentaire n’est pas un reportage. Le dispositif choisi par Kaouther Ben Hania pour montrer cet événement traumatique est élégant : psychodramatique dans la mesure où il permet avec les jeux de rôles, la distanciation et donc une forme de réparation pour les protagonistes, tout en étant démonstratif sans peser ni alimenter des formes de voyeurisme. Ce choix formel n’exclut nullement le film de la « case » documentaire, mais bien au contraire ouvre des perspectives dans le genre.
Olfa cette femme de la cinquantaine au regard marquant, au si beau sourire, nous apprendrons que Sa vie comme celle de sa mère fut une rude bataille et un long tourment. Si nous avions été à sa place, nous aurions certainement, tout comme elle, aimé d’un immense amour nos enfants, chaque jour nous nous serions débattus pas toujours avec succès, pour qu’ils puissent manger, et nous les aurions peut-être punis à sa manière, parfois violente, débridée, folle. Un curieux mélange de sentiments où se mêlent l’amour de ses filles, la haine de la condition féminine, et la peur!
Déjà dans le ventre de sa propre mère, Olfa portait en elle tous les interdits faits aux femmes. Très vite elle dut épouser les devoirs de son sexe, jusqu’à se marier avec un homme qu’elle ne connaissait pas, et pire encore d’avoir expressement un rapport sexuel qui demontre qu’elle n’en avait eu aucun avant lui ! Le « statut personnel »s’efface discrètement par grignotage continuel, la force réactionnaire de ce qui se prétend tradition, tout cela Olfa l’exprime par le seul fait d’exister. D’ailleurs Olfa n’est-elle pas un symbole possible des Tunisiens qui respiraient le jasmin avant d’obtenir la loi du sabre et d’une certaine forme de religion ? Ce que Kaouther montre dans ses films c’est l’emprise de la loi et cette loi c’est celle des patriarches.
Olfa a perdu deux de ses filles en voulant les sauver des dangers d’être femmes, d’une manière paradoxale, elles ont pris l’une des pires marques d’aliénation pour une ultime liberté. Le Niqab est en effet magique, une femme peut enfin devenir digne dès qu’elle le porte et …en même temps ne plus paraître femme.
Deux filles d’Olfa sont condamnées à 16 ans de prison… l’une d’entre elle a une petite fille qui a déjà 8 ans sur 8 en prison. La encore, la justice masculine dessine pour ces femmes un avenir où les perdants sont des perdantes.
Parmi les filles d’Olfa les deux dernières qui aimaient tant leurs grandes sœurs, vont devoir vivre avec tout ça, déjà elles sont des jeunes filles, et elles ont compris beaucoup, elles représentent l’avenir et le changement. L’avenir comme toujours, se dessine à la marge.
Georges