L’Arbre aux papillons d’or-Thien An Pham (2)

On demandait à Thien comment le public vietnamien avait réagi en voyant son film, il répondit quelque chose comme : « il y a eu trois sortes de réactions, celles des amateurs de cinéma d’auteur qui l’ont bien accueilli, celle de ceux qui sont sortis en cours de projection et puis il y a les spectateurs qui ont dormi ». (rire). En effet, ce long film est aussi beau que déconcertant.

J’ai lu les critiques, souvent excellentes, nombre d’entre elles parlaient de la beauté des images, des délicats mouvements de caméra, de l’élégance de la juxtaposition des plans, des plans séquences et des panoramiques circulaires, du montage, de la rareté des cuts.

D’autres encore ont aimé son parti pris de lenteur, l’impression d’immersion qui s’en dégage. Le film met en scène la beauté du monde, la nature, les arbres, l’eau, les montagnes avec de beaux plans larges et d’autres brumeux et ressérés.

Nous avons aussi observé cette césure dans la vie de Thien à Saïgon, cette ville trépidante. Thien y partage travail et distractions, amis et masseuses, puis au cours du voyage de Thien, la campagne vietnamienne, la nature, la pauvreté ordinaire des gens qui y vivent.

Thien le jeune homme de la ville, autrefois élevé dans cette simplicité de la vie paysanne (qui ressemblerait un peu à l’angélus de Millet, travail, prière) la retrouve en compagnie de Dao, l’enfant de sa belle-sœur et la dépouille de celle-ci, morte dans un accident de moto. Ils l’accompagnent à son village pour la cérémonie d’enterrement.

Le film montre alors d’une manière quasi documentaire, les paysages, les villages, les us et coutumes, la foi catholique et ses rites au Vietnam.

Mais arrêtons-nous sur les événements de la vie de Thien, marqués par des ruptures et des pertes, pas seulement celle de la campagne pour la ville, mais ses pertes affectives humaines.

Qu’apparaît-il en effet ? Thien a perdu ses parents, rompu avec sa petite amie qui lui a préféré une congrégation, vu disparaître de l’un de ses frères… et au moment où commence le film, perdu sa belle-sœur par accident, celle-là même qui a été délaissée par son frère… Thien assure désormais la garde de Dao, le fils de sa belle-soeur qui a miraculeusement survécu à l’accident. Et c’est le début d’une prise de conscience qui prend la forme d’une quête, Thien confie Dao aux Sœurs d’une école religieuse, le temps de rechercher le frère disparu.

Cette quête en cache une autre qui s’insinue à l’occasion de rencontres et de rêves « providentiels ». Des rencontres comme en offre la vie :

Revoir puis rêver de Thao cette fiancée qu’il aimait et comprendre pourquoi elle a fait un autre choix.

Rencontrer un vieillard ancien militaire qui après avoir fait la guerre, tué et échappé à la mort consacre sa vie aux morts, confectionne leurs linceuls.

Rencontrer une vieille dame réputée un peu folle qui lui parle de l’âme, que fais-tu pour ton âme lui demande-t-elle ?

Il y a aussi cet autre rêve, comme l’inconscient aime en placer aux moments clés de la vie : revoir en rêve cette belle-sœur qu’il vient de perdre, elle lui place le bébé (Dao nourrisson) dans les bras pour aller chercher son époux qui ne devait pas tarder… mais que hélas elle ne reverra jamais.

Les paysages du film sont comme l’âme de Thien, soleil après l’ondée, brumes, immensité du monde puis petitesse, comme replié sur lui-même, comme contenu en chaque chose. Ces visions culminent à la découverte fugace d’une trouée de lumière après l’averse, d’un arbre aux papillons d’or. Thien progressivement a reconnu la disparition, la rupture, toutes choses qu’il avait tenues hors de ses pensées. Ce faisant, il a découvert la vie, il est devenu capable de percevoir ce monde sensible, d’entendre le chant des oiseaux et les bruissements du vent, lui, le magicien qui faisait apparaître disparaître cartes pour Dao conçoit enfin qu’il ne disparaîtra pas pour Dao. Qu’il se chargera de ce petit enfant.

Cette histoire en forme de quête spirituelle et existentielle, est en même temps celle de la reconnaissance des pertes de la vie et une tension inconsciente vers le mieux-être, celle où nous nous reconnaissons précaires mais conscients d’être là, et responsables pleinement.

Georges

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