Le concours de Claire Simon(2)

Prix Venezia Classici du meilleur documentaire à la Mostra de Venise 2016
Semaine du 23 au 28 mars
Soirée-débat lundi 27 à 20h30

Présenté par Maïté Noël et Françoise Fouille 
Film français (février 2017, 1h59) de Claire Simon

C’était avant hier soir la deuxième fois que je voyais ce documentaire, cette fois avec un bonus, la présentation de Maïté et Françoise. J’ai éprouvé le même plaisir à le voir, peut-être davantage. La première fois, je me disais « finalement ce concours est un exercice de subjectivité poussé à son maximum ». Mais cette fois, mon point de vue n’est plus exactement le même.

Voici quelques brefs extraits de Claire Simon présentant son documentaire:

« Donc il s’agissait pour moi de filmer un concours, une sélection où 1 250 candidats se présentent et 60 sont retenus. De filmer le processus… suivre le scénario que notre méritocratie républicaine a inventé.
La Fémis comme d’autres grandes écoles est une école publique, financée donc par les citoyens français qui paient leurs impôts… filmer les humains
aux prises avec un système tel que le concours d’entrée d’une grande école me passionne… Ce que nous voyons est l’histoire de tous, une chose publique pensée par la République. Et c’est en connaissant ce lieu de sélection, de jugement qu’on peut mieux mesurer qui nous sommes, nos idéaux, et nos aveuglements ».

« Décrire d’un bout à l’autre ce moment où l’extérieur pousse la porte d’entrée pour réclamer une place au sein de l’excellence, où les jeunes sont prêts
à passer et parfois repasser le concours pour se construire un bel avenir, voilà le projet de ce film. »

Ce point de vue est probablement celui d’une cinéaste, familière des Michel Foucault et Pierre Bourdieu, familière des questionnements sur les pouvoirs, et la reproduction des hiérarchies sociales.

Vu de loin ce concours s’apparente à une sorte de loterie où chaque admis a une chance sur 21 d’être admis. Mais c’est le lot de beaucoup de concours publics, lié au budget que l’Etat consent et à ses expectatives.

Là s’arrête les similitudes. Ce concours, n’est pas tout à fait comme les autres. Certes ici où là, dans les concours publics on s’autorise une certaine « pseudo » fantaisie, on peut interroger le candidat sur ses goûts cinématographiques, ou sur son tableau préféré… mais tout cela reste dans le domaine du savoir de compilation et de l’habileté à s’en servir avec distinction. (montrer qu’on peut faire partie  de la famille ou qu’on y appartient déjà)

Dans ce concours, rien à voir, on sélectionne des personnes sur leurs émotions, leurs perceptions, leur sensibilité, leur imagination, leur créativité, leur fantaisie, que sais-je ? Et qui sélectionne ? Des professionnels du cinéma, dans tous les domaines. Et ce qu’on nous montre, ce n’est donc pas seulement un candidat qui pousse la porte mais un rapport entre le candidat et son jury. Le jury avec son engagement, son écoute, ses critères et ses délibérations souvent tendues.

Mais n’oublions pas d’observer que ce jeu s’institue dans un rapport triangulaire, entre la loi concrète, « nous en formons 60 parmi 1250 » les professionnels qui se chargent de l’appliquer formés en jury et veulent faire valoir leur empirisme, et les candidats, qui n’ont rien d’habituels, (des gens qui n’ont pas de grille de salaire devant les yeux) … Et donc au fond comment s’applique la règle, mise en œuvre par des professionnels dans ce jeu là.

Autant la loi est sévère, restrictive, autant le jury qui se charge de l’appliquer est empathique, bienveillant, compassionnel, émotionnel, radicalement subjectif. Nous serions prêt à parier que ces jurys se réinventent à chaque promotion. Et au total, ce que ce documentaire nous montre aussi, c’est ce rapport millénaire de l’homme et de la loi. Loi contrainte, mais aussi loi jeu, loi création.

Alors, ce jury ne peut-il pas se tromper ? Peut-être, faudrait-il dire le jury ne peut- il pas être trompé ? La règle n’est seulement celle du nombre, elle est aussi celle des prérequis. La Fémis exige un niveau Bac+2, on peut regretter cet ajustement, cet accolement à l’éducation nationale. Le bac est-il ce qui mène à la créativité ? Nous savons que non, sinon pas de Baudelaire, viré de Louis Legrand, etc. la liste serait interminable. Et ce +2 qui entretient l’idée saugrenue que les savoirs s’empilent, pour former une sorte de pyramide, ce qui est un peu idéologique, avouons le. Ceci ne constitue-t-il pas déjà le premier biais de sélection ?

Mais le concours nous montre ici comme ailleurs, le travail impressionnant d’écoute, de dialogue, de controverse et de délibération d’un jury qui croit sincèrement en ce qu’il fait, et le fait remarquablement. Il peut se tromper souverainement, mais même en se trompant, il apporte quelque chose que les autres jurys n’apportent pas, il délivre les candidats du bachotage et pose des jalons pour tenter de  considérer le désir du candidat et ses potentialités créatives,  peut-être à la  manière empirique des responsables d’entreprise d’autrefois, lors des entretiens d’embauche.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LOVING de Jeff Nichols (1)

nominé au Festival de Cannes 2016 et aux Golden Globes 2017
Présenté par Chantal Levy et  Georges Joniaux
Film américain (vo, février 2017, 2h03) de Jeff Nichols avec Joel Edgerton, Ruth Negga et Marton Csokas.

Synopsis : Mildred et Richard Loving s’aiment et décident de se marier. Rien de plus naturel – sauf qu’il est blanc et qu’elle est noire dans l’Amérique ségrégationniste de 1958. L’État de Virginie où les Loving ont décidé de s’installer les poursuit en justice : le couple est condamné à une peine de prison, avec suspension de la sentence à condition qu’il quitte l’État. Considérant qu’il s’agit d’une violation de leurs droits civiques, Richard et Mildred portent leur affaire devant les tribunaux. Ils iront jusqu’à la Cour Suprême qui, en 1967, casse la décision de la Virginie. Désormais, l’arrêt « Loving v. Virginia » symbolise le droit de s’aimer pour tous, sans aucune distinction d’origine.

 

Jeff Nichols et  Loving

« Loving » la belle histoire de rencontre d’un réalisateur scénariste et de son sujet.

 Pourquoi ce film n’a pas été mieux récompensé?

Nous l’ignorons, car il est beau, bien écrit, touchant avec son parti pris de fausse lenteur, par la beauté et l’alternance des plans… Songeons à ce couple de profil se regardant presque front à front dans l’obscurité, revoyons ses plans larges sur la campagne en Virginie, apprécions les travellings, sa poésie en somme.

On a l’impression que ce sujet l’attendait. Qu’il était prêt pour ça. Beaucoup de choses l’y invitaient en effet, il est issu d’une famille modeste, il est de Little Rock, ce qui n’est pas neutre, et depuis qu’il tourne, tous ses films semblent le conduire à celui-là.

En bref, ce que j’ai vu des films de Jeff Nichols m’indique qu’il a une attirance pour certains thèmes, situations où figures, je ne sais comment les appeler. Ces figures (allons-y pour ce terme), on les retrouve peu ou prou dans chacun de ses films. Pour l’heure, provisoirement, j’en repère six : les institutions, la bienveillance protectrice de la famille, le père et l’importance des enfants (une sorte de « care » familial), la menace, le fugitif ou le paria, et toujours l’indicible inquiétude qu’il fait naître des situations ..

Mais venons en aux faits :

Alors qu’il  tournait Midnight Spécial, Martin Scorcese qui doit bien connaître Jeff Nichols,  lui envoie un documentaire de Nancy Buirski, « The Loving Story » une histoire judiciaire antiségrégationniste qui conduit à l’arrêt Loving contre la Virginie 1967.

Jeff Nichols a du être positivement troublé par les photographies  de Mildred et Richard Loving par Grey Villet pour Life, (Grey Villet Photography -LIFEphoto-essays) sans doute utilisées dans le documentaire. Quoi de plus beau que la simplicité, la tendresse, la dignité qui se dégage de ces deux êtres, prolétaires, l’un blanc blond, l’autre noire. Elles ont dû lui parler, à lui l’homme du Sud, issu d’une famille modeste. Cette histoire lui est proche, et elle est exactement dans ses cordes, elle contient tous les thèmes et figures de son cinéma, il n’y a plus qu’à les adapter. Il faudra 2 mois à Jeff Nichols, donc bien des nuits, car il tourne au moment où il écrit, pour rédiger son scénario, et il ne sera pas retouché.

L’institution violente, ici la justice :

En 1958 au moment où commence l’affaire, nous sommes encore dans une authentique société raciste et oppressive. Une société qui s’est constituée et s’institue dans l’exploitation sans borne de l’homme par l’homme, dans le racisme décliné à tous les niveaux, mais plus spécifiquement contre les noirs, ces anciens esclaves. Une société qui depuis trois siècles, veut subsister dans ses fondements, légitimer à toute force ses crimes passés, et à venir, en toute bonne conscience. (Et avoir la loi pour elle, ce qu’elle a en effet). Le juge Bazile et le sheriff Brooks appliquent la loi, « Virginie Racial Intégrity Act 1924 qui renforce les textes de1662 ».

Notons qu’au moment où commence cette affaire les textes jours des lois Jim Crow (ségrégationnistes) sont comptés. Le 2 juillet 1964, le président américain Lyndon B. Johnson va les abolir. Mais les mœurs ont la vie dure.

La famille :

Comme pour les Loving, c’est l’aventure familiale qui prime pour Nichols sur le destin national observe justement Raphaëlle Pireyre de Critikat. Dans au moins deux de ses films précédents, le père est idéal, puissant ,brave et protecteur. Loving emprunte cette même figure, Richard ne pense qu’à protéger sa femme. Sur ce point on retrouve l’image du père idéal, puissant, brave et protecteur. Cependant, Loving a fait évoluer son regard, le film montre autant la détermination de Richard que l’émancipation de brindille qui devient de plus en plus Mildred, celle qui décide.

 Fugitifs et parias :

On retrouve ce thème dans Mud, Midnight Spécial. Dans Loving, ils le sont devenus l’un et l’autre, c’est la conséquence de leur mariage. Deux exemples, l’exil à Washington, le transfert nocturne de Mildred d’un véhicule à l’autre pour rentrer chez elle, en Virginie.

La menace et l’indicible inquiétude qui en résulte :

Figure courante chez Jeff Nichols, ici elle se manifeste d’une manière insidieuse en faisceau, « le shérif voulait te voir » dit la mère de Richard. Puis après la première arrestation « on a dû te dénoncer lui dit un proche », et la deuxième arrestation ? fatalement sur dénonciation qui ? Plus tard, ce sera la découverte d’une page de journal entourant une brique dans sa voiture, ou encore un véhicule qui roule trop vite. La menace s’annonce masquée.

Avec la menace, comme dans Take Shelter ou dans Midnight Spécial, Jeff Nichols nous place dans la situation psychologique de ses personnages. Il nous soumet à cette indicible inquiétude, celle qui induit chez ses personnages l’esprit à la méfiance, de soupçon, de crainte permanente. Celle qui marque les corps, et trouble les visages, celle qui gauchit les attitudes. (L’image  pataude un peu contenue et figée de Richard ou de celle de Mildred, tête baissée qui annonce qu’elle est enceinte ou que le policier emmène en prison). Ces deux là sont comme tous ceux qui ont intégré leur condition infériorisée.

Le propre de Jeff Nichols est par des jeux de plan, d’appuyer sur les temps d’inquiétude, de montrer davantage l’émotion que le fait réel, de montrer les corps et les visages. De miser sur l’empathie du spectateur.

En outre,

…On observe là quelque chose de nouveau qui est à peine en filigrane dans Take Shelter, et j’imagine assez bien que ce thème reviendra dans l’un de ses prochains films, la question de l’identité.

Qui est Richard ?

Le shérif, dans son mépris de classe, et son racisme le sait lui : « Vous, les gens de Central Point, vous êtes perturbés. Tous mélangés. En partie Cherokee, en partie Rappahannock, en partie noir, en partie blanc. Le sang n’a plus d’identité. Vous êtes né au mauvais endroit, c’est tout.  Vous en êtes venu à trouver ça normal. ».  Son copain à la taverne a aussi une idée de la question:  « Richard tu es un noir, mais si tu veux ne plus l’être, tu ne l’es plus, tu es blanc, tu n’as juste qu’à divorcer, alors que moi je suis noir ».

 Jamais Richard n’avait mis de mot sur des choses pareilles, lui ce qu’il connaît ce sont les moteurs de voitures et les murs de parpaings. Il n’aime pas « les mots pour ne rien dire » Richard, il est comme sa mère. Pour lui, dire c’est faire, son langage est performatif. Et dans son éthique, c’est un laïc avant l’heure, il est juste un Homme parmi les hommes. Le shérif a bien compris cela, c’est ce qu’il trouve intolérable ! Comment un homme peut-il ne pas adhérer au racisme ?

Quant à Mildred, elle est d’une autre texture, entre sa lettre au Sénateur Kennedy en 1963 et la fin de l’histoire, elle grandit, s’ouvre, elle n’a plus peur, elle n’est plus seule. Richard sent ce basculement lorsqu’il lui dit : Je veux te protéger, prendre soin de toi, c’est une question qu’il lui pose, il veut être rassuré, car il sent bien que Mildred devient autre.

D’accord mais à quoi ça sert de dire tout cela ? Chantal Levy remarquait justement que les Loving se tenaient loin des évènements raciaux et des luttes, qu’ils les ignoraient. Qu’ils ignoraient la fureur du monde en somme. Jeff Nichols, en les montrant eux, nous fait toucher du doigt, sentir, les multiples formes de l’oppression au plus près, à partir d’une simple cellule familiale, dans la vie de ce couple. Ce lieu reflète la société dans son ensemble. Je crois que cette façon convient à son éthique : pas d’envol, juste filmer à hauteur des personnages.

STALAG17 Billy Wilder

CINÉCULTE
Cycle Billy Wilde

Oscar du Meilleur acteur pour William Holden en 1954

Soirée-débat dimanche 12 à 20h30
Présenté par Henri Fabre
américain (vo, 1953, 2h) de De Billy Wilder avec William Holden, Don Taylor, Otto Preminger et Robert Strauss

Synopsis : Durant la Deuxième Guerre mondiale dans le Stalag 17, deux prisonniers tentent de s’évader mais sont abattus. De plus, les Allemands découvrent l’existence du tunnel où tous les prisonniers devaient s’évader. Il y a donc un traître parmi les détenus… Sefton, un officier magouilleur et adepte du marché noir, est soupçonné.
Quel beau film!  quel dommage que son synopsis le cache. Bravo pour  cette présentation et cette projection. Un bon moment de cinéma. A vos plumes chers cramés, vos commentaires sont bienvenus.

« Diamond Island » (2)

 

Soirée-débat mardi 28 à 20h30
Présenté par Françoise Fouillé
Film cambodgien (vo, décembre 2016, 1h43) de Davy Chou avec Sobon Nuon, Cheanick Nov et Madeza Chhem

« Ils quittent un à un le pays
Pour s’en aller gagner leur vie
Loin de la terre où ils sont nés
Depuis longtemps ils en rêvaient
De la ville et de ses secrets
Du formica et du ciné »

La montagne, Jean Ferrat.

Chère Françoise,

Il faut bien l’admettre au plan formel, ce film est beau, toi et des spectateurs ont parfaitement évoqué les qualités de l’image, le travail sur le son, ses usages et ses significations.

Maintenant, il y a le récit, ce que nous raconte le film. C’est l’histoire d’un lieu et des jeunes gens qui travaillent à en faire un autre lieu. Et en même temps, une histoire de leurs vies. C’est à dire de  : comment ils vont se construire eux mêmes.

Le lieu est d’abord une sorte de « non lieu » à la périphérie de  Phnom Penh. Un îlot, un espace de sable et d’herbes sur lesquels il n’y a rien. Le rien c’est l’endroit où nous ne sommes pas, que nous n’avons pas encore marqué de notre (heureuse ?) présence. Ce rien va devenir Diamond Island, c’est à dire un espace kitch conçu par des investisseurs qui font commerce de kitch et s’en gavent jusqu’au paroxysme. (à l’image d’un président milliardaire contemporain, lequel ?).

Pour réaliser ce monument de grossièreté et de bêtise, il faut des travailleurs, pas n’importe lesquels, « ceux qui travaillent pour gagner leur vie, pour eux le travail est une contrainte relevant de la discipline de la faim, rien de plus* »… Pour ceux là,  le travail n’est que « domination, soumission, souffrance et aliénation* ».

Cette histoire ne se déroule pas n’importe où. Il y a tout ce que le film ne dit pas mais auquel nous pensons. Où vivaient ces gens ? Quelle est leur histoire dans la grande histoire cambodgienne, faite de colonisation, de guerre écocidaire, de révolution génocidaire… d’anomie.

 Le décor est campé, demeure ces jeunes, ils sont sympathiques, ils sont l’avenir du pays. Alors quels sont leurs espérances, leurs aspirations, leurs vies, leurs amours, de quelle manière cheminent-ils ? Et c’est l’objet même du film.

Et bien, ils sont comme nous, ce n’est qu’une question de degrés. Les filles veulent de beaux et gentils maris, et les garçons de belles filles et… des mobylettes. Pour la distraction, ils veulent accéder à leur juste part de kitch. Pourtant, il semble que le film contient autre chose, il faudrait le relire d’autres manières.

Et c’est pour ça que je compte sur toi, Françoise pour en faire un autre récit, dans ce même blog, car je suis bien conscient que ce film vaut mieux que mes commentaires. Au plaisir de te lire.

Georges

* *Christophe Dejour, la Croix du 27.02.2017

PS : Nous lirons Françoise, bien sûr, mais on peut déjà se reporter au bel article de Marie-No.

Fais de Beaux Rêves de Marco Bellochio (1)

nominations à la Quinzaine des Réalisateurs 2016
Du 9 au 14 février 2017
Soirée-débat mardi 14 à 20h30

Présenté par Georges Joniaux
Film italien (vo, décembre 2016, 2h10) de Marco Bellocchio avec Valerio Mastandrea, Bérénice Bejo, Guido Caprino et Emmanuelle Devos
Titre original Fai Bei Sogni

Synopsis : Turin, 1969.
Massimo, un jeune garçon de neuf ans, perd sa mère dans des circonstances mystérieuses. Quelques jours après, son père le conduit auprès d’un prêtre qui lui explique qu’elle est désormais au Paradis. Massimo refuse d’accepter cette disparition brutale.
Année 1990.
Massimo est devenu un journaliste accompli, mais son passé le hante. Alors qu’il doit vendre l’appartement de ses parents, les blessures de son enfance tournent à l’obsession…

Au commencement du film, Massimo enfant aux yeux sombres, un peu solitaire et sage, fait ses devoirs. Sa mère met un disque sur le phono. Elle prend Massimo par ses mains, le fait danser avec elle. Il est un peu gauche, mais la joie de sa mère est communicative et puis elle est si belle. Il danse bien maintenant, il est joyeux, tellement joyeux. Aucun moment n’est plus beau. Il l’aime, elle l’aime. Un bonheur simple. Pourtant, nous verrons que parfois chez cette mère si gaie, son regard s’assombrir. Elle pleure ou se perd dans ses rêves en écoutant une musique, fait deux tours de bus pour ne pas croiser le regard d’un couple qui descend au terminus, ou se livre au rituel obscur de jeter un bouquet de fleurs dans le Po. Il y a quelque chose, un mystère ? Pourtant, elle est là, vivante, aimante, infiniment disponible.

De son côté, le petit garçon est parfois grave comme si il y avait une instabilité, une menace. (Magnifique jeu et regard du petit Nicolas Cabras).

Le secret commence probablement avant la mort de la mère, elle est joyeuse et aimante, mais par instant  se trouble, il y a dans l’air une atmosphère de secrets, celui de sa maladie et peut-être d’autres. Elle est nostalgique de quelque chose ou de quelqu’un. Elle souffre en silence, peut être pas seulement de sa maladie.

Un soir, tapage et remue ménage, panique et bruits de pas pressés, que Massimo entend confusément. Mais l’accès aux adultes lui est fermé lorsqu’il demande « où est maman? » Il apprendra que sa mère a été emmenée d’urgence à l’hôpital et qu’il pourra bientôt aller la voir. Habillé en dimanche, un bouquet à la main, il s’y rend avec son père. Chemin faisant, ils s’arrêtent à l’église. Le prêtre est là qui attend. Il explique alors au petit Massimo que sa mère n’est plus, qu’elle est un ange, qu’elle le suivra de là haut. Elle a fait un infarctus foudroyant, elle est au paradis. Massimo se révolte, cela n’est pas crédible, mais n’en saura pas davantage. Cette rencontre sera décisive pour l’enfant, l’adolescent et l’homme qu’il sera. Longtemps, il va grandir en compagnie de Belphégor, une représentation mentale  qui lui donnera une sorte de puissance, une prise sur les événements. Mais ce « fantôme du Louvre » qu’il regardait naguère entre peur et joie avec sa mère est une représentation ambivalente. (le fantôme du Louvre est une apparition terrifiante qui finit par se jeter dans le vide). Pas d’ange ici bas, Belphégor pour longtemps. Les spécialistes appellent cela « la pensée magique ». Elle a le mérite de lui appartenir.

Or, par cette mort si brutale, la vie de Massimo va être durablement affectée, c’est un enfant rêveur qui expérimentera la loi de l’apesanteur en laissant tomber l’hideuse statue de Napoléon de son père par la fenêtre du 5ème étage…  et deviendra aussi un excellent et imaginatif speaker de foot en herbe. Adolescent, il s’invente une mère qui vivrait à New-York. La mort est honteuse. Sans compter qu’un mort est un lâcheur ; elle l’a lâché. Adulte, devenu journaliste, c’est un journaliste, sérieux, ténébreux, peu liant, quasi solitaire. Il a une confiance limitée, envers les autres et lui même.

Massimo sent confusément que tout n’a pas été dit sur la mort de sa mère. Il ne suffit pas que les choses ne soient pas dites pour ne pas être ressenties. « L’oiseau est un mot » disait une chanson du film* (voir notes), et les mots nous sont donnés. Mais ici les mots manquent et l’oiseau s’est envolé, ne laissant que silence et vide, si ce n’est le message indicible de Belphégor qui nous dit quelque chose de ce vol.

Ne pas savoir c’est précieux, ça aide à être orphelin, à vivre, comment renoncer à ce compromis, à la paix du compromis. D’accord, ça ne rend pas plus heureux que ça, mais par ailleurs, Massimo est devenu un bon journaliste. Qu’attend la société d’un homme ? Qui lui demande d’être heureux ?

Massimo est maintenant un homme, un adulte à la force de l’âge, bien inséré, intelligent, fiable, pourtant obscurément, quelque chose d’infantile subsiste en lui, un chagrin, une colère, un manque.  Un jour, Son père « refait » sa vie. Il lui abandonne tout. C’est un     « fatras de vieilles vieilleries », de souvenirs confus et peu intéressants. Massimo veut à la fois tout jeter et se dit en même temps qu’il pourra peut-être y percer le mystère de la mort de sa mère, trop longtemps laissé en veilleuse, comme cadenacé. Trop de choses dans cette maison, trop de travail à compulser et à se débarrasser de tout ça.

Un jour on lui remet une boite d’allumette qui appartenait à sa mère. Massimo d’abord ému, développe alors  une crise d’angoisse, « panique-attaque » dit-on de nos jours. L’angoisse, ce n’est pas l’anxiété, ça Massimo connaissait déjà. Non l’angoisse c’est une impression de mort imminente. Nous avons bien avancé dans le film…  Et pourtant, nous ne savons rien. Que va-t-il devenir ?

Marco Bellochio porte depuis toujours un grand intérêt à la psychanalyse, et il regarde la société dans laquelle il vit. Il n’a jamais cessé de le faire. Marco Bellochio est un cinéaste de l’atmosphère. Les images mieux que les mots montrent l’atmosphère. Avec nuance et subtilité. Peu de hors champs dans son film, exceptons Sarajevo ou les stades de foot. Tout est dans le film, et il faudrait plusieurs projections tant il est dense, pour saisir la richesse de ce qu’il nous donne à voir.

Pourtant cette histoire est banale, courante, mais elle est tellement difficile à la fois. Le secret, le deuil, la vérité et son déni. Tout cela forme un nœud. Marco Bellochio nous montre que l’homme tend à aller mieux. Il le montre l’effort qu’il faut à Massimo pour en sortir, pour accepter de se mettre en position de connaître ce qu’il savait confusément, pour connaitre ce qu’on avait refusé de lui dire. Pour saisir une possibilité de dénouement. Car il a dans ce film, en même temps que le poids d’un passé plus que jamais présent, une immense confiance en la vie, avec ce qu’elle a de cruelle et de providentielle parfois. Il nous montre un homme en devenir. Et qu’importe le temps, les années, cet homme enfin devient.

Georges

Notes de discussion, (tentative malhabile et provisoire d’éclairage et rapprochement entre différentes séquences  du film) .

Marco Bellochio a réalisé une œuvre très personnelle et non seulement la scénarisation/réalisation d’un best-seller. Son frère jumeau s’est suicidé à 28 ans, il a eu à faire un deuil et à se demander ce qu’il aurait pu faire pour éviter ce drame. (correspond à la pédiode de longs et de courts métrages militants qui se conclut avec Buongiorno, Notte, un film sur Aldo Moro dédié à son frère (un homme modéré comme A.M dit-il)

On pourrait lui reprocher quelques scènes trop appuyées, mais, Marco Bellochio à a dire, et pour ma part, j’ai tendance à voir dans ce film une recherche, avec ce qu’elle peut avoir de pédagogique dans sa manière d’énoncer le message et facétieuse dans sa manière de dénoncer certains traits mensongers de la famille, des prêtres, et du journalisme chemin faisant.

Comment Massimo voit-il sa mère aux différents moments de sa vie ?

Une représentation sans aucun doute positive. C’est aussi une représentation un peu ambivalente, nous verrons en quoi. Quel est le sort de cette ambivalence ?

Représentation de la mère par l’enfant Massimo :

« La mère qui regarde son enfant en souriant puis cesse brusquement de sourire et s’assombrit ».

Le petit garçon est grave comme s’il avait la préscience des choses ou comme si il y avait une menace. Son amour est teinté d’inquiétude.

Lors du drame, l’enfant met en place et interpose immédiatement Belphégor dans son imaginaire. Que représente Belphégor ? Une figure ambivalente. Il fait peur et il rassérène. Il est lié au bonheur de regarder ce feuilleton avec la mère et en même temps, il contient la prescience d’une chute mortelle. C’est une manifestation de la pensée magique : « La pensée magique est une expression définissant une forme de pensée qui s’attribue la puissance de provoquer l’accomplissement de désirs, l’empêchement d’événements ou la résolution de problèmes sans intervention matérielle ».(wikipédia)

L’image de CHUTE, est matérialisée par un passage à l’acte de l’enfant, qui jette par la fenêtre, du 5ème étage un Napoléon de bronze de la collection de son père afin de vérifier le principe de pesanteur. Quelle est la valeur symbolique de ce passage à l’acte ? Elle est double :

Elle signifie que l’enfant sait (quelque part dans son inconscient) ce qui s’est passé. (le suicide de sa mère, chute du 5ème étage).

Napoléon représente la puissance, la force, attributs du père qui possède ces objets. L’enfant fait un lien entre son père et cette mort.

Au non dit familial répond le déni de l’enfant, puis de l’adulte qui se trouve placé devant une sorte d’interdit.

 Cette image de chute se retrouve et persiste aussi chez Massimo Adulte : l’histoire de l’équipe de foot (Le vol spécial Avio-Linee Italiane était un vol spécial ayant eu lieu le vendredi 4 mai 1949, dont l’appareil, un Fiat G.212 transportant l’équipe de football du Torino Football Club, … L’equipe de Torino 1948-49.) 31 morts, la meilleure équipe d’europe revenait d’un match amical contre Benfica au Portugal. (Wikipédia)

Cet événement de l’équipe de Torino inspire 3 considérations :

  • Elle rattache Massimo à son père qui l’a initié au foot et a fait de lui, sans le vouloir, un journaliste sportif. (rappelons nous la scène de l’enfant speaker)
  • Elle parle aussi inconsciemment de la chute de sa mère et permet l’expression d’une nostalgie (permanente chez Massimo)
  • On pourrait presque en déduire que Massimo la reproche (projectivement) à son père qui est le plus fort, (Napoléon) de n’avoir rien fait pour sauver sa mère, de ne pas l’avoir assez aimée. Mais ce qu’il reproche à son père, il se le reproche à lui même.

 Le deuil et le secret chez l’enfant, l’adolescent et l’homme :

L’enfant : On a vu que l’enfant tente de se prémunir contre l’angoisse de la mort à l’aide de Belphégor, cette figure ambivalente.

Il y existe aussi, conjointement, la formation de son opinion sur le monde. La famille et les prêtres ne disent pas tout. Ils mentent ne serait-ce que par omission ou pire encore.-Bref une défiance du monde des adultes- On retrouve là en résumé, pour une bonne part, les thématiques de M.Bellochio.

Et la formation de son caractère un peu rêveur. Ca ne va pas de soi, il est d’abord rebelle, il sera rêveur. Il joue à être speaker, il imagine Belphégor.

Le deuil procure un sentiment d’abandon, de solitude, de honte

L’adolescent déni la mort de sa mère. Il s’invente une mère à NYC qu’il verra à Noël. Il se lie moyennement avec les autres. Il s’amuse de cette mère possessive (Emmanuelle Devos). Une mère un peu hystérique et possessive.

L’adulte :« L’adulte n’aura pas confiance ni en lui même ni en les autres. Il est un peu immature et anxieux ». disent les psychologues. Il met en veilleuse cette question de la mort de sa mère. Il est devenu un bon journaliste sportif et aussi un grand reporter à la Stampa.

Cette question de la mort de sa mère revient obsessionnellement, d’une manière métaphorique.

1) Avec son article sur la chute de l’équipe de Turin.

2) Lorsqu’il est grand reporter à Sarajevo, il est complice ou témoin d’une mise en scène  cynique (l’enfant à la Game Boy)

Il y a curieusement chez cet enfant à la Game Boy un rappel de la mort de sa mère. L’enfant n’a pas de Belphégor, il a à sa disposition la game boy. Cette game boy n’est pas un jouet de l’enfant mais un jouet fabriqué par des adultes pour les enfants. Un jouet offert par ses parents. Ce jouet fonctionne comme  une sorte d’objet transitionnel (penser à transitif) qui le rattache à ce qu’il a aimé, (une présence rassurante) et l’empêche de voir la mort dans toute son horreur et de continuer dans cette bulle. ( Il y a certainement une identité game boy/belphégor). Ce que voit l’adulte de cet enfant le renvoi à lui même et à son propre déni.

On note aussi que l’adulte qu’il est devenu n’a pas d’attache. Ni avec les hommes, ni avec ses maitresses. Ce qui colle bien avec son traumatisme.

 Résolution de la Crise :

Elle se présente sous la forme de deux rendez-vous (providentiels ?) :

Son père va refaire sa vie, il lui abandonne tout. Une maison et son fatras. Un fatras détesté, un fatras du père. Massimo se propose de faire le tri et de se débarrasser de tout cela. Une brèche dans le déni : Si je trouvais trace de ma mère ? Le déni est une notion utilisée en psychanalyse, pour désigner le fait de refuser, de façon inconsciente, une partie ou l’ensemble d’une réalité, qui est perçue comme traumatisante. Le déni peut porter sur : Un sentiment. Une émotion. (in Santé médecine).

2 exemples de la Manifestation du phénomène : Mère à NYC, et le journaliste qu’il est  ne cherche pas dans les journaux.

Peut-il apprendre quelque chose sur sa mère, le mystère de la disparition de ma mère ? 

Il en résulte de la proximité de la demande de vérité qui s’opère en lui provoque une crise d’angoisse, une violente crise d’angoisse. L’angoisse, vient du mot angst qui veut dire striction et qui se caractérise par l’impression d’une mort imminente. A ne pas confondre avec l’anxiété qui est une expression à caractère essentiellement psychique de crainte ou de peur sans objet.

Cette crise sera l’amorce d’une démarche résolutive :

Cette manifestation débouche sur une rencontre d’abord téléphonique avec le Docteur. (Eliza, B.Bejot). Une ouverture salvatrice à l’autre.

Et en effet, on le voit se rendre à sa consultation et lui dire quelque chose comme : j’ai confiance en vous. Cette confiance si peu accordée jusqu’alors.

La défection d’un journaliste va l’amener à tenir un courrier des lecteurs. (par une manipulation). Il s’agit de répondre à un lecteur qui déteste sa mère. (Cette lettre fait aussi écho à la scène de l’adolescent avec Emmanuelle Devos.) Il produira en réponse un hymne aux mères. Ce sera sa consécration.

Mais si l’on regarde extérieurement cette séquence, on peut constater que la lettre dénigrante, et la lettre élogieuse (laudative ?) résument en un même temps la pensée de Massimo. L’ambivalence de Massimo se résout dans ce travail d’écriture. Pourquoi m’as-tu laissé tomber ? Pourquoi t’es-tu laissé tomber ? Tu ne m’aimais donc pas ? Tu feignais de m’aimer?

De ce débat avec lui même par correspondance interposé, Massimo va tirer des conclusions vitales.

Il en résulte la capacité nouvelle de Massimo à fouiller dans son passé, de convoquer à deux heures du matin sa tante pour lui faire dire ce qu’il savait déjà en son for intérieur, mais qui lui était interdit. Sa tante, le lui dire ? non ! Elle ne le peut pas, c’est un non dit familial. Elle lui donne à lire dans un journal d’alors, caché dans un livre de la bibliothèque. Le journaliste était aveugle à la presse, il n’avait jamais cherché à lire les coupures de l’époque. Maintenant Massimo sait, ce qu’il savait quelque part dans son inconscient, et c’est une connaissance douloureuse.

Massimo était un peu comme l’hermine de la fable de Lafontaine, incapable d’aller ni de droite, ni de gauche de peur de salir son blanc pelage. Mais selon Pierre Dac, « tout mène à tout à condition d’en sortir »

Massimo est invité par Eliza, et elle va le faire danser, au début, il sera gauche (je ne sais pas danser) ensuite, il va se défouler, avec jubilation. Comme dans une symphonie, cette scène est une réexposition de la première scène sur fond  « Surfin Bird ». (l’oiseau est un mot, dit la chanson).

Plus tard, il verra sauter Eliza d’un plongeoir. Cette scène peut sembler appuyée et M.Bellocchio ne peut l’ignorer, peut-être veut nous dire qu’aimer et être aimé ne fait pas mourir.

Enfin on soulignera le rôle d’Eliza (qui est à la fois aimée pour elle même et tout autant pour ses ressemblances réelles ou fantasmées à sa mère.) Elle offre à Massimo un ancrage solide dans sa vie affective  déserte. Ancrage qui va lui permettre de s’affranchir de l’interdit, du non dit familial et de son propre déni.

 

 

 

Baccalauréat Cristian Mungiu (2)

 

C’était vraiment un employé modèle, Monsieur William » R.Caussimon

On pourrait dire comme Cristian Mungiu, que Baccalauréat est une histoire du point de vue de Roméo. Pourtant, si presque tout ce que nous voyons dans ce film part ou arrive à lui, cette histoire n’est pas son point de vue. C’est celle qui lui arrive à son corps défendant.

Car c’est aussi l’histoire d’une rencontre : un événement (l’agression d’Eliza), une situation personnelle de Roméo, sa psychologie et sa morale, son environnement social, sa famille, son statut, ses connaissances et enfin la société roumaine qui surdétermine l’ensemble…

Quelques mots sur Roméo et les siens :

De Roméo nous savons beaucoup, sa constellation,  femme, fille, maitresse,  mère bien aimée, profession. Peut-être faudrait-il considérer quelques traits de sa psychologie, car Cristian Mungiu nous en montre beaucoup. Il est médecin fonctionnaire,  bon médecin, probe, ce qui l’amène à vivre modestement. Il a l’esprit fin, il parle peu mais juste, mais il a un petit côté ours et son physique le sert bien. Il aime la musique baroque, Haendel et Purcell qu’il écoute en boucle dans sa voiture, son travail, sa fille chérie, sa femme, sa maitresse, tout cela est bien cloisonné. Dernier trait, il ne lâche jamais prise dans la poursuite de ses buts. Ici son but va être déterminé par la culpabilité, sa fille s’est fait agresser parce qu’il ne l’a pas accompagnée jusqu’à la porte du lycée. Et il ne l’a pas accompagnée parce qu’il allait voir Sandra sa maîtresse. Avec cette transgression et cette « erreur », le sentiment de culpabilité fonctionne mieux, surtout pour lui. Bref, internet nous l’apprend toutes ces choses sont des traits névrotiques un peu obsessionnels. S’ils ne manquent pas de qualités, ils ont parfois leurs limites.

Au plan affectif, lui qui ne met pas tous ses œufs dans le même panier, (si l’on peut oser) partage avec sa femme un amour « surprotecteur » pour sa fille. Mais de quoi cette surprotection est elle faite ? Il paraît que Sigmund Freud disait plaisamment : « Parents, quoi que vous fassiez, vous le ferez mal ». Alors papa Roméo, qui fait de son mieux n’y échappe pas. En bon obsessionnel, il veut tout contrôler. Sa fille traumatisée par l’agression qu’elle a subie, risque de ne pas obtenir une bonne note à son bac, celle qui lui permettrait d’être boursière dans une bonne école en Angleterre. Alors lui le probe, se compromet avec « des gens serviables ». Les spectateurs que nous sommes n’en peuvent mais… ils sont témoins d’un système de combines qui s’articule, se met en place avec une souplesse, une rapidité qui fait la pige aux meilleures institutions sociales.

Mais je n’ai pas répondu à la question, de quoi serait faite cette surprotection ? Elle est faite d’un pacte tacite avec sa femme. Elisa doit tout ignorer de la liaison de son père. Cette cloison étanche, constitue pour Roméo comme pour Magda son épouse le point essentiel de cette protection. Magda partageait avec Roméo la probité et donc le style de vie qui va avec. Contre vents et marées, elle exerce le métier de bibliothécaire qui lui garantit une définitive condition modeste. Mais avant tout, pour ce couple un peu usé, Elisa doit bénéficier d’un sweet home (un sweet home sans carreaux cassés par des jets de pierre, de préférence). Lorsqu’Elisa découvre, par intrusion, cette liaison de son père avec Sandra, elle exige de son père qu’il en parle à sa mère.

Magda demande alors à son mari de quitter le domicile conjugal. Elle n’ignorait  pas cette liaison, mais la découverte de sa fille lui est insupportable, elle rompt le contrat. Lorsque la cloison tombe, il n’y a plus de raison de demeurer ensemble.
Et la mère dira : « Je vais partir avec ma fille, m’occuper d’elle, lui faire à manger là où elle ira ». Bien sûr qu’elle ne le ferait pas,  elle est intelligente, elle l’imagine tout haut c’est tout.  Elisa serait au plan symbolique, le lien qui ne veut pas mourir de ce couple.

Pour le couple, cette surprotection mutuelle et tacite est aussi forte pour sa cause explicite (le meilleur pour notre fille ) que pour sa cause implicite (ne pas renoncer s’aimer en tant que couple). En déclarant qu’elle veut protéger sa fille, (qui ne lui demande rien), elle dit aussi qu’elle la protègera pour deux,  comme cet amour d’autrefois, qu’ils ont eu tous les deux, l’un pour l’autre.

et un mot sur la société Roumaine un exemple parmi tant d’autres de la corruption ordinaire :

Roméo est pris dans une sorte de maelström. Dès que le fil de sa vie lui échappe, il perd les liens qui vont avec. Il perd donc sa femme, se déconsidère un peu avec sa fille,  et la tentative de trucage dont il était l’instigateur est découverte. Avec ce trucage, on découvre la mécanique de la compromission et de la corruption d’un système où tout le monde est serviable avec tout le monde. D’autant que les fonctionnaires qui représentent les institutions sont peu considérés.

On découvre alors une hiérarchie secrète et sub-mafieuse, avec ses valeurs propres et son système d’action concret. Cette manière de rendre service a quelque chose d’ancrée et d’archaïque, elle préexiste certainement au communisme. Mais elle a été particulièrement utile jusqu’en 1989 pour la débrouille ordinaire. Et après, l’ouverture des frontières, les perspectives de profit ont démultiplié le phénomène. La communauté européenne avait « exigé » un plan de lutte contre la corruption et le banditisme à tous les niveaux pour admettre la Roumanie en son sein. Mais peut`être avait-elle formulé naïvement cette demande…  à des corrompus. Le Parisien d’aujourd’hui n’écrit-il pas « des milliers de Roumains sont descendus dans la rue mardi soir pour manifester contre le gouvernement qui a décidé, par décret et après des jours de controverse, d’un allègement du code pénal pour des délits de corruption touchant la classe politique ». 

 Et pour finir :

La scène ou Roméo cherche dans la nuit, parmi les fougères, ce chien qui s’était fiché sous ses roues est symbolique. Il découvre avec sa torche le chien mort, nous ne verrons pas ce chien, mais nous voyons Roméo pleurer. Pleurer ce pauvre chien, pleurer ce pauvre Roméo. « Baccalauréat » montre comment des destins individuels sont percutés, comme des chiens paisibles au milieu d’une route, par des fonctionnements institutionnels pathologiques et des coutumes mafieuses. Et nous avons vérifié l’actualité, la permanence de la chose. Qu’imaginer pour soi  ou pour ses enfants dans un tel monde?

Roméo,  a cherché de tout son être le meilleur pour sa fille, et pour lui, il ne pouvait plus être en Roumanie. Il projetait qu’elle parte étudier en Angleterre. Avec son tempérament,  il a oublié que sa fille était un être pensant, qu’elle était intelligente, autonome, adaptée pour le monde de demain. Elle a montré à son père  qu’elle était assez grande. Mais, ne serions nous pas tous dans certaines conditions des Roméo ou des Magda ?

Henri me signale que la photo lumineuse des jeunes étudiants, souriants, avec Elisa au milieu  clos le film nous parle de leur monde de demain. Les films roumains, ne dénoncent pas pour dénoncer, ils sont aussi ça…puis générique, musique guillerette, l’ESPOIR. Souhaitons leur un avenir radieux.

PS : Nous avions précisé lors de la  discussion que la musique baroque n’était pas celle du film, mais celle de Roméo dans sa voiture. Mais il y a une exception, au moment de la rupture Magda/Roméo, on peut entendre le stabat mater de Vivaldi. Curieux!

Paterson de Jim Jarmusch (2)

 

Présenté par Jean-Pierre Robert

 Film américain (décembre 2016, 1h58) de Jim Jarmusch avec Adam Driver, Golshifteh Farahani et Kara Hayward

Synopsis : Paterson vit à Paterson, New Jersey, cette ville des poètes, de William Carlos Williams à Allen Ginsberg, aujourd’hui en décrépitude. Chauffeur de bus d’une trentaine d’années, il mène une vie réglée aux côtés de Laura, qui multiplie projets et expériences avec enthousiasme et de Marvin, bouledogue anglais. Chaque jour, Paterson écrit des poèmes sur un carnet secret qui ne le quitte pas…

 Avec Paterson, Jim Jarmusch réalise un exercice de style. De style minimaliste. Peu d’acteurs, peu de dialogue, une musique réduite à quelques sons…peu de tout.

Il nous présente un film dont l’originalité tient au fait que son histoire n’a aucune originalité, puisqu’il filme la banalité même d’une vie quotidienne, ritualisée, d’un couple ordinaire (pas tout à fait). Soit une femme au foyer et un chauffeur d’autocar, dans une ville ordinaire, pauvre où il ne se passe pas grand chose.

Elle, fait de la décoration d’intérieur, des expériences culinaires, et se rêve musicienne. Lui, écrit des poèmes, une poésie des choses ordinaires, des petites choses de la vie -La magie de ces petites choses qui lorsqu’elles se déploient, font entrevoir en un surgissement, l’Univers-

Et de même que lorsque l’autocar de Paterson tombe en panne, « il ne se transforme pas en boule de feu », en amour, on ne voit pas ce couple se désirer, s’étreindre ou s’embrasser furieusement. Jarmusch nous montre deux personnes  simplement heureuses de vivre ensemble, de se comprendre – De s’accorder- Paterson, fable poétique, est avant tout un film d’amour.

C’est  un film pour « les foules sentimentales d’Alain Souchon », un enchantement simple.

Mais peut-être en fin de compte préférions nous ceci ?

« S’asseoir au volant d’une BMW, toucher l’écran d’un iPad, entrer dans un magasin Sephora, acheter des chaussures sur Zappos : autant d’expériences uniques. Guy Kawasaki vous livre ses secrets pour parvenir au même degré d’enchantement que ces marques célèbres. »Robert Scoble, blogueur sur Rackspace.

J’ai la faiblesse de ne pas le croire.

Georges

 

 

 

Le Client d’Asghar Farhadi

 

Prix d’interprétation masculine et Prix du scénario au Festival de Cannes 2016
Du 22 au 27 décembre 2016
Soirée-débat mardi 27 à 20h30

Présenté par Eliane Bideau et Georges Joniaux
Film iranien (vo, novembre 2016, 2h03) de Asghar Farhadi avec Shahab Hosseini, Taraneh Alidoosti et Babak Karimi  
Synopsis : Contraints de quitter leur appartement du centre de Téhéran en raison d’importants travaux menaçant l’immeuble, Emad et Rana emménagent dans un nouveau logement. Un incident en rapport avec l’ancienne locataire va bouleverser la vie du jeune couple.

 

Le client, un jeu de miroir

 On observera que le titre international de ce film, The Salesman, fait écho à la pièce d’Arthur Miller*(1), Mort d’un commis voyageur. Cette citation est revendiquée.

Cette pièce est étudiée dans les Lycées à Téhéran, donc elle ne pose pas de difficulté a priori avec la censure.

Curieusement, cette pièce autorisée, lorsqu’on la met en scène, qu’on la joue, montre ironiquement la bêtise millénaire de la censure. Et A.Farhadi par une gentille ironie, pour symboliser la nudité d’une prostituée, fait jouer l’actrice habillée d’un ciré rouge et d’un chapeau noir. Ce qui fait franchement rire un acteur de la pièce lors d’une répétition.

Il lui faut aussi protéger celle qui figure la prostituée en lui donnant une vie décente, bien réglée. Car entre figurer et être, pour le censeur la marge est étroite.

Cette censure peut être plus insidieuse et tristement comique. Dans cette pièce, jouée quelque part à Téhéran, la femme de Willy Loman, le commis voyageur, au lieu de remailler des bas, reprise des chaussettes. La censure ne se contente pas de « cacher ce sein nu » elle réprime jusqu’aux éventuelles évocations érotiques contenues dans une paire de bas.

Pourtant, la mort d’un commis voyageur est le faux double du film d’A.Farhadi. C’est l’histoire d’un humble « colporteur » Newyorkais, vaincu, humilié qui n’a ni colère ni ressentiment, seulement du dépit et de l’incompréhension pour un monde qui n’est plus le sien. L’essor urbain, la masse humaine  et les bouleversements sociaux, les changements de rapport dans un travail où il a tant donné, au mépris de l’éducation de ses enfants, son licenciement sauvage, la misère qui vient sonneront son heure. Analogies en effet : l’essor urbain, ces masses humaines qui enflent la ville et qui changent tout, la misère du « client » qui n’est pas seulement sexuelle et qui ressemble bien à celle de Willy Loman (le commis) qui fréquente lui aussi occasionnellement une prostituée.

Remarquons en passant que dans les interviews, Farhadi évoque cette pièce pour parler d’une manière indirecte des bouleversements de la vie à Téhéran.

Mais là s’arrête peut-être l’analogie. Et la pièce ne doit pas faire écran à ce qui est sur l’écran. Ce qu’il nous donne à voir, c’est aussi la montée progressive d’une violence qui transforme l’homme en bête. Quelle bête ? Les bêtes sont-elles si méchantes ? Dans ce cas, on est sûr que non, car dans les citations du film, il est fait allusion au conte « la vache » qui est aussi un film. J’hasarde que la bête dont il est question est celle d’un bestiaire imaginaire des contes et légendes iraniennes. « Dans les vers du chef d’œuvre de Mowlavi, la vache symbolise l’immensité, la fortune, la richesse, mais aussi parfois la dimension animale de l’homme et sa sottise(*2) ».

L’homme qui veut « laver l’honneur souillé » de sa femme finit par montrer d’une réplique cinglante, que ce n’est pas tant la blessure de sa femme dont il veut obtenir réparation que sa propre blessure narcissique, quitte par ses agissements, à perdre l’amour et l’estime de sa femme. Une femme remarquable. Lui, l’intellectuel libéral des classes moyennes supérieures, en pleine force de l’âge, se venge contre un vieillard valétudinaire, sorte de commis voyageur, avec une  délectation colérique et froide. Donc avec sottise. Une sottise tragique qui humilie à faire mourir. Que ce serait-il passé si « le client » avait été son alter égo ?

Plus tard, Emad va reprendre son rôle dans la pièce d’A.Miller qu’il joue chaque soir, celui précisément du commis voyageur. Le paradoxe ne l’effleure pas, il ne regarde pas en lui même. Il n’est plus aimé de sa femme, mais sa conscience du devoir accompli envers et contre tout, lui ira bien pour la suite.

A.Farhadi nous montre la censure dans toute sa sottise et des personnages sots que rien ne censure. Un vieillard pauvre, licencieux et lâche, et un jeune « quadra » intellectuel orgueilleux, sans compassion. A.Farhadi traite d’un sujet universel,  une société civilisée qui pourtant refuse de se voir et des hommes cultivés qui refusent de se voir. On comprend qu’A.Farhadi ait dit lors d’une interview qu’il se sentait plus proche de Rana.

Comme son maître A.Kiarostami, A.Farhadi recherche une vérité. Et j’ai le sentiment que certaines critiques mitigées que j’ai pu lire sur ce film sont un peu celles de tous les Emad (qui voit bien de loin et moins bien de près).

Georges

 

*(1)Mort d’un commis voyageur : de cette pièce d’Arthur Miller, László Benedek  a fait un film avec notamment Dustin Hoffman et John Malkovitch. Chers cramés, Je vous le prête  sur demande.

*(2) Étude sur le symbolisme des animaux dans le Masnavi
Figures interprétables et leur capacité à signifier. Najmâ Tabâtabâee.

Les premiers, les Derniers, de Bouli Lanners

 

Les premiers, les derniers,  décors et paysages.

Dès les premières images, on est saisi par ce paysage de rase campagne, de « morne plaine » qui semble imaginaire. Pourtant, nous sommes bien dans le Loiret près d’Orléans. On aperçoit ce paysage de la départementale 2020, vers Saran et Artenay puis au delà de l’A19. On voit d’abord des rails en béton sur pilotis de l’aérotrain qui parcourt insolite sur plus de 20 km, plaines et bois. « C’est l’invention de l’ingénieur Jean Bertin  Polytechnicien qui, de 1963 à 1974, qui s’est consacré à la conception et aux essais de l’Aérotrain projet d’abord soutenu par les pouvoirs publics mais qui est finalement abandonné par l’État le 17 juillet 1974, il aurait dû relier Paris à Orléans en moins de vingt minutes, contre une heure aujourd’hui encore ».

C’est la Beauce pouilleuse que parcourt cette voie de béton, elle est ainsi nommée parce qu’elle est calcaire et sèche. Voici un florilège des termes des critiques pour exprimer le paysage de ce film : « Ruralité froide, un territoire monotone, la Beauce plate et gelée, une étendue vaste et glacée, un grand ciel où se déploie un horizon sans fin, des plans vides à perte de vue, infinis, Un monde à l’agonie, balayé de vents glaciaux…et à la verticale, des entrepôts et pavillons usés, silos à grain et gares céréalières, abandonnés ».

Ajoutons, que paradoxalement, lorsqu’on a vu chemin faisant, l’urbanisation des bords de la départementale 2020 entre Saran et Artenay, on éprouve un réel réconfort en apercevant ce décor de fin du monde !

C’est d’une manière fortuite que Bouli Lanners a découvert le lieu du tournage. Il nous dit qu’à l’occasion d’un voyage à Toulouse, par peur phobique de monter en avion, il a pris le train et aperçu ce rail. Après repérage, c’est décidé, il y fera son film et le paysage va dicter le scénario. Il sera vite écrit. Mais pourquoi ce paysage plutôt qu’un autre ?

Bouli Lanners est belge et il aime la Belgique, celle Jacques Brel. Mais cette Belgique de Brel, du plat pays, n’existe plus. « Plus de plaines sans ronds-points. Partout…des ronds points. » nous dit-il.

Or, Bouli Lanners est peintre de formation, ses préférences vont à la peinture flamande, pas difficile d’imaginer que Bosch et Bruegel doivent compter pour lui. Tous deux témoignent de l’attente apocalyptique. Hieronymus Bosch avec Le jugement dernier ou de Pieter Bruegel  avec Le triomphe de la mort. Tout autant, il aime Constable le peintre Anglais, pour ses paysages, ses horizons. Donc il compose les paysages qu’il filme comme on peindrait des tableaux, avec des lignes d’horizon basses, (encore que pour ce que j’ai observé, la ligne d’horizon est souvent à 50% de l’image),  et il parle des couleurs comme un peintre de sa palette :   bleu, brun, terre de sienne, et du bleu outre-mer… … et pour la verticalité il utilise des silos, gares, et hangars désaffectés. La désolation des lieux donne une idée de fin du monde.

Bouli Lanners aime aussi les Westerns, avant de tourner Les premiers, les derniers, il a revu une centaine de westerns, son gout remonte à l’enfance, il est sans exclusive, il en connaît les genres, les codes, les décors. C’est la forme de cinéma qui a nourri son enfance, il prétend connaître le Montana sans y être jamais allé. On a tendance à le croire. Comme réalisateur, il a plaisir à filmer des plans extérieurs infinis et des intérieurs de western, bistrot aménagé comme un saloon, maison de Clara ressemblant à un Ranch.

Sa préférence pour les grandes largeurs façonne sa technique. Son format c’est le scope dont il loue la beauté, il n’aime pas les images carrées. Il aime l’alternance des plans larges et serrés. Durant le tournage il recherche toujours la liberté de mouvement des caméras. Dans ce décor, ses caméras peuvent tourner à 360°, sans contrainte.

 Au point où nous en sommes, on en sait déjà beaucoup, il est Belge, peintre, il a un gout prononcé pour les westerns, il recherche la liberté de mouvement pour ses personnages. Son choix esthétique tout comme celui du scenario nous dit quelque chose de ses gouts, de ce qui l’a nourrit, mais aussi de l’état du monde, de l’humanité et de l’existence ; la sienne, la notre.

On a souvent dit de ce film qu’il est aussi un road-movie, mais dans ce cas, si les personnages se déplacent d’un point à un autre, ils ne savent pas toujours exactement où ils vont, ni ce qu’ils cherchent. Esther et Willie vont voir la fille d’Esther sans trop savoir où elle est, ni son âge. Gilou et Cochise cherchent un téléphone un peu comme des chasseurs un gibier au gré des signes. Quant à Jésus, il sait où il va ! Normal, il doit être providentiel, mais tout de même ses déplacements sont inattendus, faits de retour en arrière et de chemins latéraux (les voies du seigneur !) Comme dans tous les films de Bouli Lanners, c’est davantage l’errance qui caractérise les personnages. Leur chemin se fait en marchant. Errer n’est pas se tromper nous dit-on…errer est une démarche réfléchie et spirituelle, une quête.

 Le paysage, avec son esthétique de la fin du monde annoncée, lieu d’errance aux formes inquiétantes, aux teintes sombres, fait écho au questionnement existentiel angoissé des personnages, et plus loin de Bouli Lanners lui même, encore plus loin, du « reste du monde ».

En ce qui concerne le reste du monde, Bouli Lanners aime passer des heures dans les bistrots à écouter parler les gens, il rapporte que les sujets sur la fin des temps sont courants. Avec les guerres à forme religieuse, la cop 21, « nous sommes loin de l’optimisme d’il y a 50 ans » nous dit-il. Sans doute, la peinture flamande qu’il a tant étudiée l’aide à percevoir dans la population ce surgissement de l’apocalypse.

Il n’est pas rare de voir un décor nous parler comme un personnage et parfois mieux que les personnages eux mêmes. Quand tout va mieux, les cieux s’éclaircissent, les arbres prennent des feuilles, etc. Ici encore, lieu et situation se répondent et se justifient mutuellement, ils forment un parfait agencement. Agencement qui fourmille de craintes obscures, de tensions et de désirs…mais ce n’est pas la fin du monde, nous sommes dans le « comme si », il ne faut pas s’y méprendre,  « le téléphone fonctionne, et ça prouve que la société fonctionne » nous fait remarquer Bouli Lanners.

En voyant Les premiers, les derniers, on comprend pourquoi à l’occasion d’une interview Bouli Lanners s’est déclaré chrétien et… animiste. Par ce dernier terme, il reconnaît sa dette  au paysage, source d’inspiration poètique pour le scénario et l’image , et dans le film, il montre que le paysage n’est pas seulement autour des personnages, il les contient,  il est en eux, il les façonne ,  il porte une part de leur devenir.

Georges

 

A Propos du Week-End des Jeunes Réalisateurs

Parlons-en….  

Pour cette 5ème édition, nous avons été choyés. Dans les précédentes, il y avait des pépites, pour celle-ci aussi, mais j’ai l’impression que le niveau d’ensemble était encore meilleur que précédemment. Les spectateurs ne s’y sont pas trompés qui en dépit des autres activités culturelles du montargois, du printemps qui s’annonce, sont venus nombreux.

Comme chaque année, Alain Riou était avec nous pour présenter les films et animer les débats. Alain Riou, c’est le Nouvel Observateur, le Masque et la Plume et bien d’autres choses encore.

D’Alain Riou, on aime la verve, la capacité inouïe à mobiliser mille références par film et de  prendre parti. Mais ce qui me plait aussi, c’est l’atmosphère conviviale qu’il créé, on est à l’aise avec lui.  Du coup, il y a une discussion qui pour être souriante, tolérante et créative demeure un débat contradictoire, pour le plaisir de tous.

Dans ce public, celui des habitués de ces journées, et des autres, ceux juste venus pour le simple plaisir d’aller au ciné voir un bon film, il a toujours de bonnes interventions … et il y a des débats dans notre for intérieur… non moins bons, mais tus…

Je vous propose donc un petit jeu, le documentaire « Je suis le Peuple », mis de côté, voici 6 films notez ceux que vous avez vus de 1 à 10… commentez si le cœur vous en dit :

Préjudice, Keeper, La fille du Patron,Rosalie Blum, Gaz de France, La marcheuse

A vos claviers !

Georges

PS : Qu’avez-vous pensé de  « je suis le peuple »?