Un vent de Liberté Benham Bezhadi,

Vu à  Fontainebleau : Voici un film rare, ne serai-ce que par sa durée, 1heure23. Aller voir ce film, c’est tout de suite se sentir dans l’atmosphère familière des Cramés de la Bobine, son cinéma du monde, la place faite au cinéma iranien qui est souvent un cinéma remarquable. Ce qui manque hélas, c’est le public des cramés. Peut être en avez-vous lu la présentation, peut-être avez vous lu dans Télérama un article de Frédéric Strauss qui commence ainsi :

 « Sous une cloche d’air pollué, Téhéran s’affaire, comme n’importe quelle métropole. La belle Niloofar, 35 ans, y vit heureuse, en femme urbaine d’aujourd’hui. Elle veille sur sa vieille mère, organise le travail des ouvrières de son atelier de couture, passe chez le garagiste pour faire réparer sa voiture et trouve le temps de flirter avec un homme charmant. Mais quand les médecins ordonnent à sa maman d’aller respirer le bon air de la campagne, tout change pour Niloofar. Son frère et sa soeur décident qu’elle partira, elle aussi ; son atelier sera vendu. Et elle n’a rien à dire ». 

La toile de fond du film c’est Téhéran, elle nous apparaît  voilée dans sa pollution, n’importe quel coup de vent serait un vent de liberté, ne serait-ce que celle des voies aériennes de ses habitants. Et ce voile-là, qui recouvre les grandes villes du monde, n’est pas islamique. Il sacrifie à un autre dieu sur un autre hôtel. Voici le temps du grand embouteillage de Comencini, à dimension planétaire. Partout, pour se transporter dans les grandes villes, tout est organisé d’une manière « rationnelle », pour que chacun se déplace muni d’une tonne et quelque de ferraille autour de lui et roule, dans le meilleur des cas, à la vitesse moyenne d’une bicyclette de facteur. Il y a eu le siècle des lumières qui fut celui des idées, comment appellera-t-on le nôtre ? C’est un mérite du cinéma et de ce film de ne pas craindre de montrer quelques secondes ce genre d’interrogation en toile de fond.

On ajoutera dans  «un  vent de liberté », l’omniprésence du téléphone portable. Finis les héros fumeurs, la fumée est partout désormais, alors voici venir celui des téléphoneurs, le temps de ceux qui sont sans cesse sonnés ou en attendent de l’être… Le temps des portables. Voici pour le décor, l’air du temps pourrait-on dire.

Demeure le film, à Prades, Jean Pierre Améris remarquait le rôle dévolu à certaines personnes dans les familles, celle qu’on peut railler et qui ne dit jamais rien, celle que l’on charge de tout et qui se sacrifie sans faire d’histoire. Bref,  le rôle et l’usage des bonnes pâtes .

Ajoutons aussi que partout dans le monde, des filles, souvent plus très jeunes, « se sacrifient » pour leur mères vieillissantes, c’est un fait sociologique documenté.

Alors, Benham Bezhadi,  nous montre un sujet universel. Et c’est à Niloofar, le rôle principal, interprété par la remarquable Sahar Dolatshahi, à qui était dévolu le rôle de sacrifiée d’office. Mais, elle a de la trempe et du panache. Alors, comment va souffler le vent de liberté ? C’est le sujet même du film. J’ajouterai que le rôle de Niloofar dépasse le sujet en nous faisant entrevoir  ce vent de liberté, qui souffle ici comme ailleurs, sur la société iranienne. Ce film aux contenus parfois dramatiques a quelque chose de résolument  optimiste et réjouissant. Au total, les bons films de juillet et d’août existent, j’en ai rencontré.

Lola Pater de Nadir Moknèche

Synopsis :  Fils d’immigrés algériens, Zino a grandi persuadé que Farid, son père, les a abandonnés, sa mère et lui. A la mort de cette dernière, il apprend par le notaire que Farid n’est pas retourné en Algérie, mais qu’il réside encore en France, quelque part en Camargue. En plus, contrairement à ce qu’il croyait, ses parents n’auraient jamais divorcé. Décidé à en savoir plus, Zino part en moto sur les traces de son père dans le Sud de la France. A l’adresse de celui-ci, il rencontre Lola, professeure de danse orientale. Cette dernière finit par lui avouer qu’elle est Farid. Zino a du mal à l’accepter.

Vu à Fontainebleau :  Ce drôle de film  Lola Pater qui doit déranger, qu’on prend avec des pincettes et qui suscite parfois des polémiques, par exemple, je tombe sur celle du « Causeur» . Il reproche à «Libération» de préférer pour ce rôle un « LGBT*  à une comédienne douée ».

Du coup, j’ai lu l’article de Jeremy Piette dans «Libération», il mérite mieux que ça, je vous le recommande. «Le Causeur» en a coupé beaucoup (sans mauvais jeu de mot).

Alors filons au «Monde» et lisons Thomas Sotinel : « Pour Fanny Ardant, la question se pose autrement. Son visage, son corps sont intimement liés à une série de portraits de femmes…nos souvenirs de cinéma lui ont construit une biographie imaginaire dans laquelle le passé masculin de Lola peine à trouver une place. Mais l’imagination (ou le manque de) est un trait individuel, et cette incapacité à croire à l’histoire de Lola n’affectera pas tous les spectateurs ».

Avec la question du sexe des transsexuels, nous avons la question du sexe des anges que nous pouvons ! Et c’est curieux de voir comment le cinéma s’est emparé du sujet, plus de 70 films lui sont consacrés, et tenez-vous bien, il y en a un qui date de 1954, mais attention, jusque dans les années 80, il s’agit souvent de travestis et non de transsexuels, ou alors de transsexuels à leur corps défendant, bourrés d’œstrogènes, ou opérés « à l’insu de leur plein gré », et le genre de ces films est souvent comédie ou film d’horreur. Or, la consécration, le sérieux, c’est le drame. Et pour ça, « les trente glorieuses » du film sur les transsexuels, ce sont les années 1990 à 2010, leur production/distribution en belle courbe de gauss …16-32-16… en atteste.

Et Lola Pater là-dedans, dans cette production, doit certainement être honorable. Regardons cette Lola, si Fanny Ardant ajoute à l’ambiguïté pour les raisons que donne Thomas Sotinel, son personnage en rajoute par construction. Il y a du sel, d’abord Lola est algérienne, artiste, elle vit avec une femme qui l’aime. Ensuite, elle est père d’un enfant dont elle a été tôt séparée, au moment où elle a choisi de devenir femme.  Elle est amenée à le revoir alors qu’il est devenu un beau grand jeune homme. Lola a cette souffrance des exilés, elle l’est à différents titres.  Fanny Ardant, subtile, sait nous faire sentir ça. Mais tout se passe  comme si la souffrance de cet être n’était que sociale, comme si la dimension psychique du transsexualisme ne tenait au fond qu’au regard des autres… et Lola, ce père qui renvoie le regard de son fils,  avec les doux yeux d’une mère fatiguée qui retrouve sa progéniture, ne nous cache-t-elle pas le regard qu’elle porte sur elle-même, sur cette souffrance essentielle, en son for intérieur (qui ne s’explique pas seulement par les autres, ici et maintenant).

Et je me demande si les« trente glorieuses » en question n’ajoutent au déni de la souffrance psychique avec cette manière de traiter du transsexualisme,  et si Lola Pater n’ajoute pas à ce déni.

Mais sinon, c’est un film qu’on peut voir, il est plutôt honnête et bien fait, on ne s’ennuie aucunement et puis… Il y a Fanny Ardant, très bien entourée.

 

*Si vous êtes ignorant comme moi, vous découvrirez cette catégorie fourre-tout, LGBT (Qui confond les questions d’identité et d’apparence avec les pratiques sexuelles) soit : Lesbienne, gay, bisexuel, et transgenre.

 

Dunkerque de Chritopher Nolan

“Dunkerque” : Christopher Nolan nous immerge au cœur de la bataille …

C’est le mois d’août, je suis allé voir ce film.
« www.telerama.fr/…/dunkerque-

19 juil. 2017 – Si le réalisateur britannique signe un film de guerre ultra efficace, il n’apporte rien de vraiment nouveau au genre ».

Mais de quel genre s’agit-il donc  ?   

Lettre de Prades 58ème ciné-rencontre 2017, suite et fin.

 

….

Après Rafi Pitts, difficile de changer de réalisateur. Or, la suite c’est Jean-Pierre Améris. Rien de comparable dans leur cinéma, ni le style, ni la démarche. C’est un homme de grande taille (2,05 mètres) qui se présente à nous, il est séduisant, d’une manière très différente de Pitts, mais séduisant. Il est d’un abord humble, disponible, sympathique, il est calme, convaincant.

Jean-Pierre Améris puise dans sa vie, dans son enfance et ses identifications, ses peines et joies, la matière de ses films. Ses personnages principaux sont remarquables et différents des autres, ils sont pêle-mêle, malade incurable, grand timide, autiste, sourd et aveugle, défiguré, solitaire… Ce sont des blessés, des stigmatisés, des boucs émissaires potentiels.. Nous avons pu voir 8 films, C’est la vie, les émotifs anonymes, Je m’appelle Elisabeth, Marie Heurtin, L’homme qui rit, Maman est folle, La joie de vivre, Famille à louer. La tonalité de ses films occupe toute la palette entre comédie et tragédie. Son dessein n’est jamais de montrer le poids du destin et la force des choses, mais l’être qui se déploie face à l’adversité et les heureuses conjonctions, les mains qui se tendent dans leur vie. – Alors, nul apitoiement chez Améris, juste la compassion et la dignité qu’il faut pour nous montrer des êtres que nous regardons peu habituellement – Parmi ces films, j’ai été plus particulièrement touché par Marie Heurtin, c’était la première fois que je le voyais. De quoi est faite la foi d’une religieuse qui décide de chercher à communiquer,  d’apprendre à parler à une enfant sourde et aveugle, quels sont ses mobiles ? Comment apprendre ? Par quelles méthodes et quelles voies? La rencontre de ces deux êtres est une expérience de la bonté. Au total, si je devais caractériser le cinéma de Jean-Pierre Améris, c’est l’idée de  « providence » qui me viendrait à l’esprit. Je crois que c’est cela qu’il montre le plus souvent.

Courts-métrages : Quel dommage cette disparition des courts-métrages de nos salles, qu’à peu près partout désormais, on préfère considérer que les spectateurs viennent 30 minutes avant la séance juste pour voir des publicités débiles et/ou vulgaires. Nous en avons vu 18, des  » brefs-métrages », parmi eux, des petits bijoux. Panthéon Discount a été élu meilleur d’entre eux, et il est excellent, mais objectivement, un réel départage est impossible. Pensons par exemple au dernier d’entre eux, une poignée de main historique, un « haïku » cinématographique à la fois  drôle, grave  et triste !

Le film surprise (judicieusement sélectionné par les jeunes) : West Side Story. Le revoir,  le revoir sur grand écran, merveille.

 Avant-premières : Marie-No a parlé dindivisibili, je ne vois rien à ajouter, c’est dit.

En revanche Djam de Tony Gatlif est de l’avis de beaucoup, un superbe film. Voici le synopsis : Djam, une jeune femme grecque, est envoyée à Istanbul par son oncle Kakourgos, un ancien marin passionné de Rébétiko, pour trouver la pièce rare qui réparera leur bateau. Elle y rencontre Avril, une française de dix-neuf ans, seule et sans argent, venue en Turquie pour être bénévole auprès des réfugiés. Djam, généreuse, insolente, imprévisible et libre la prend alors sous son aile sur le chemin vers Mytilène. Un voyage fait de rencontres, de musique, de partage et d’espoir. C’est l’art du synopsis de parler d’un film sans en parler vraiment. Ajoutons que Djam est un personnage lumineux et libre tout comme son oncle Kakourgos (qui signifie le malfaiteur en grec, et qui pourtant l’est moins que d’aucuns).

Si l’on veut bien mettre de côté le film sur Pablo Casals qui ouvre davantage le festival du même nom qu’il ne ferme les cinés-rencontres et dont on peut dire qu’il est honnête, mais dont on ne peut pas dire qu’il soit une révolution dans le cinéma, Makala d’Emmanuel Gras serait alors la clôture, et donc le bouquet. Voici le synopsis : Décidé à connaître un avenir meilleur, Kabwita entreprend, depuis son village reculé, un périlleux voyage jusqu’à Kinshasa. Le documentariste Emmanuel Gras le suit dans son périple, avec l’attention des grands maîtres italiens. Et une pudeur magnifique. Je n’avais jamais vu un film pareil, c’est un quasi documentaire qui serait tellement bien scénarisé qu’on est totalement gagné et qu’on devient captif de ce jeune homme que nous suivons pas à pas. C’est un film bouleversant au plein sens du terme. Après l’avoir vu, on ne revient jamais à la case départ.

…Et à propos de départ,  celui de Prades, avec un petit pincement.

 

Lettre de Prades 2017, 58ème Ciné-rencontre

Lettre de Prades 2017, 58ème Ciné-rencontres

Amis Cramés de la Bobine, bonjour,

Nous sommes à mi-parcours de ce voyage en première classe à Prades, un pays de cinéma, la salle de Prades s’appelle le Lido, elle est belle, confortable, peu de salles sont aussi chargées de souvenirs qu’elle, tant elle  a accueilli, de festival en festival, de grands noms du cinéma.

Pour l’instant nous en sommes à deux rétrospectives, à commencer par des films de G.W Pabst utilement présentés par P.Eisenreich de la revue Positif et Benoît Jacquot. C’est du ciné en noir et blanc et c’est pour l’essentiel du muet…en 7 films. Alors, lorsqu’on ne connaît pas, on va voir le premier par curiosité un peu condescendante (c’était pas mal pour l’époque), les autres parce qu’on se laisse gagner par ces films-là, ils sont inventifs et convaincants..

Voici ce que nous avons pu voir : La rue sans joie, Loulou, le journal d’une fille perdue, l’amour de Jeanne Ney, les mystères d’une âme, quatre de l’infanterie, le drame de Shanghai, la tragédie de la mine. Les cinéphiles avertis sauront apprécier le menu et ceux qui le sont moins, comme moi, ravis (aux deux sens du terme) s’ils ont la chance d’en voir un.

Nous sommes au moment Rafi Pitts, un cinéaste contemporain iranien, actuellement à Los-Angelès, aux Etats Unis, il aurait dû venir à Prades mais il est coincé, attendant les papiers qui lui permettront de rentrer aux USA s’il en sort. Mais c’est là  un scénario peu artistique imaginé par le Président Trump, dont il est question,  alors passons.

Heureusement Skype, heureusement Mamad Haghighat pour assurer le contact et les premières questions. Commençons par ce dernier. Il est critique, réalisateur, directeur de salle (le Champollion!) et promoteur du cinéma iranien en France et dans le monde. Authentiquement humble et direct,  il a le chic pour poser des questions facilitantes et de faire des remarques à la fois franches  et sympathiques. Quant à Rafi Pitts, il nous apparaît comme un homme doux, engageant, vérifiez vous-même sur internet, vous verrez un beau visage, avec il me semble, une oreille droite discrètement décollée, les « dents du bonheur », un  sourire lumineux. Dans son répertoire linguistique, il dispose d’au moins 3 langues courantes dont un français naturel, car il a vécu en France.

Pour ce qui me concerne, je ne connaissais pas Rafi Pitts, devait-on le situer aux côtés des Kiarostami, Farhadi, Panahi … ? En somme, parmi les grands noms du cinéma Iranien ? Oui, et sans l’ombre d’une hésitation. Et c’est tout le mérite du Festival de Prades de faire connaître en France un tel réalisateur par une sélection de 8 fictions et un documentaire.

Si vous deviez vous constituer à l’image des trousses de premiers secours, une trousse de films d’urgence, pourquoi ne pas y placer  un film de  Rafi Pitts ? En attendant, disons tout de suite que nous avons eu l’avantage de voir avant vous Soy Néro qui sera sur les écrans français en septembre. Gaëlle Vidalie a réalisé un documentaire  sur Rafi  (No return : Rafi Pitts) dont l’essentiel se déroule pendant qu’il dirige Soy Néro. On le voit le réalisateur en mouvement, on le voit être avec ses acteurs et l’équipe. Bien qu’exigeant, il sait accueillir l’émergence de l’imprévu, et la vérité de ses acteurs.

M’autoriseriez-vous un conseil ? Allez voir Soy Néro. Et si vous ne le pouvez, allez dans votre médiathèque préférée, empruntez Salandar, 5ème Saison ou encore Sanam. Ah! Sanam, nous en sortons, quelle émotion ! Des plans de toute beauté, dès les premières images on est saisi. Rien que le début, une colline dans la campagne, au loin, sur la crête une silhouette humaine apparaît, évanescente. Elle bouge, elle court, on la voit descendre  semblant décrire une courbe vers la gauche. Elle grandit. Pas assez. Derrière, un cavalier, puis deux, trois et quatre ; ils poursuivent cet homme ? C’est une image presque abstraite qui se précise un peu mais nous n’en verrons à peine davantage, un bruit sec et mat, le film commence. Qui voit cette scène ?  Nous.  Nous, par les yeux d’Issa, 10 ans. Un contre champs nous fera faire sa connaissance, quel visage lui aussi, et quel  acteur ! Ne lisez pas le synopsis, c’est inutile. Regardez les visages des hommes, des femmes, regardez les yeux et les mains celle (Roya Nonahali) la mère de Issa par exemple, regardez les paysages, regardez jouer ce jeune Ismail Amini qui interprète l’enfant Issa ;  n’en perdez rien. Laissez-vous aller à votre émotion, vous y réfléchirez après. Ça sera un autre moment riche.

Je termine en disant que Gaëlle Vidalie dont il était question tout à l’heure a assisté Rafi Pitts dans la réalisation d’un documentaire Abel Ferrara, (Abel Ferrara, Not Guilty)  dont curieusement, c’était aujourd’hui l’anniversaire. Je ne vais pas faire les louanges de ce documentaire dans ce billet ni d’Abel Ferrara et ça me frustre un peu mais il faut bien terminer un billet. D’abord, il est tard.

A une prochaine pour peut-être pour dire un mot d’Abel F et du reste…la  suite du programme promet.

Amitiés des Cramés à Prades.

Georges J

De toutes mes Forces- Chad Chenouga

3 prix au Festival de Valenciennes 2017

Du 29 juin au 4 juillet

En Présence du réalisateur Chad Chenouga

 Film français (mai 2017, 1h38) de Chad Chenouga avec Khaled Alouach, Yolande Moreau et Laurent Xu

Distributeur : Ad Vitam

 

Synopsis : Nassim est en première dans un grand lycée parisien et semble aussi insouciant que ses copains. Personne ne se doute qu’en réalité, il vient de perdre sa mère et rentre chaque soir dans un foyer. Malgré la bienveillance de la directrice, il refuse d’être assimilé aux jeunes de ce centre. Tel un funambule, Nassim navigue entre ses deux vies, qui ne doivent à aucun prix se rencontrer…

« Deux choses en préalable ».

-Merci à Françoise pour la présentation de Chad Chenouga, de nous avoir signalé 17 rue bleue, le premier film de Chad Chenouga novembre 2001. Comme nous avons aimé « De toutes mes forces » on cherchera à mieux connaître ce réalisateur en se procurant ce film coûte que coûte.

-Et puis, Chad Chenouga débattant sur son film a assuré la réussite de la clotûre de notre saison des Cramés de la Bobine, le public a été conquis par son authenticité, sa sympathie, la qualité de ses réponses à nos questions. Il y a des moments comme ça !

Maintenant, un mot sur le film, ou plutôt sur ce que j’en ai noté.

Nassim est orphelin, ce n’est pas un thème rare, cinétrafic en dénombre 186, des misérables en passant par Tarzan… et je me souviens de               « l’incompris » de Luigi Comencini, cet enfant auquel son père déniait tout chagrin. Ici, l’orphelin c’est Nassim (Khaled Alouach) dont la mère est morte d’une overdose. Il l’a vue gisante, couchée face contre sol, morte. C’est lui qui allait chercher ses médicaments psychotropes à la pharmacie. Il ne peut pas s’autoriser à exprimer ouvertement son chagrin, il lui faudrait alors parler d’elle aux autres, vous imaginez ? On se souvient fugacement de « Fais de beaux rêves » de Marco Bellocchio, la mort par suicide de la mère provoque chez Massimo un sentiment d’abandon, de culpabilité, de honte. Egale douleur pour Nassim et quant à la honte, c’est aussi celle de ne pas être recueilli par sa tante, de devenir une sorte de paria. Il est alors placé dans un foyer d’accueil. Ainsi commence le parcours de Nassim responsable de son présent et de son avenir. Le décor est planté, comment Nassim va-t-il s’y prendre ?

Parmi ce que Chad Chenouga nous donne à voir, j’ai remarqué la manière dont le jeune adolescent met rapidement en place des stratégies d’isolation de ses différentes situations de vie. Il y a son monde psychique marqué par son amour pour sa mère et de son deuil ; il y a aussi le monde du lycée qui représente l’idéal social de Nassim ; et enfin le monde du foyer d’accueil pour orphelin qui représente sa vie quotidienne et un stigmate. Trois entités, trois mondes qui de son point de vue, ne sont pas conciliables, ne doivent pas correspondre, ce serait dangereux. Cela exige habileté et subterfuges (voir la scène sur subterfuge)

Lorsque par inadvertance, ces mondes se recoupent, tout se dérègle pour Nassim, voici quelques illustrations parmi bien d’autres :

-Accepter de dormir chez les parents de sa petite amie au lieu de rentrer au foyer, transforme le carosse en citrouille, aboutit à des mesures de rétorsion de la directrice du foyer. (Sorties, téléphones, etc.)

-Offrir à sa petite amie les boucles d’oreilles de maman, induisent l’inhibition sexuelle de Nassim.

-Laisser un livre tamponné par le foyer chez sa petite amie aboutit à ce qu’elle découvre le « pot aux roses » et que leur relation en soit brisée.

Tout conforte donc Nassim dans son « système » protecteur d’évitement, de cloisonnement et de contrôle, où le souci de paraître prime. Cet exercice exige de l’habileté, du style. Et à propos de style, regardons Nassim, les vêtements de Nassim, il porte de belles chemises, ce n’est pas si fréquent à son âge en 2017. Il porte aussi un remarquable foulard bleu . (Notons en passant un très beau plan de Nassim sur fond bleu). La « vêture » de Nassim (comme on dit au Foyer) ne ressemble qu’à lui-même, elle est subtilement hors des codes vestimentaires des milieux qu’il fréquente. Il est élégant. Au demeurant, c’est un garçon comme les autres, bien de son âge, à l’aise avec ses nombreux potes et les filles.

Les personnages clés qui jalonnent sa vie sont principalement des femmes. Sa mère (petit rôle essentiel et  impeccable de Zineb Trici, pâle, maladive) ; Sa (trop curieuse) petite amie ;  Madame Cousin, la patiente Directrice à la tendresse rentrée, (Yolande Moreau) ;  la déterminée  Zawadi (Jisca Kalvanda, vous vous souvenez de « Divines » ?) ; ou encore  Mina pour son « don de soi », cette jeune fille « ensinte » qui n’est pas sans rappeler le personnage d’ Elodie Bouchez dans « la faute à Voltaire » d’Abdellatif Kechiche.

Singulièrement, en même temps qu’il nous livre le monde compartimenté et douloureux de Nassim, Chad Chenouga montre aussi la possibilité d’un monde ouvert et sa patte de réalisateur  nous fait sentir la tension, la volonté de « devenir » de Nassim. En ce sens, « De toutes mes forces » est un titre parfait.

Autres remarques : 

Chad Chenouga nous a expliqué comment il a fait travailler ses acteurs…au bout c’est une réussite. Bien sûr, nous sommes nombreux à aimer Yolande Moreau, ici elle est une directrice de foyer lucide et clémente, la femme qu’elle représente derrière sa fonction demeure sensible, empathique. Quant aux jeunes, nous leur souhaitons un bel avenir. Pour ma part, je suivrai plus particulièrement Khaled qui commence sa carrière avec ce rôle en or et qui promet, et Jisca cette jeune actrice énergique, débordante de vie et de spontanéité,   j’anticipe bien ce qu’ils nous réservent.

J’ajouterai que cette histoire, trois fois celle de Chad, puisqu’il l’a vécue, écrite et tournée nous apparaît sincère et émouvante. Et je suis d’accord avec Eliane pour noter ce que ce film doit à son cadrage, à ses plans qui parfois se resserrent sur Nassim marquant son enfermement, et à son montage rigoureux et rythmé.

Encore merci Monsieur Chad Chenouga,  et à bientôt pour  votre prochain film.

ADIEU MANDALAY de Midi Z

Grand Prix au Festival International du Film d’Amiens
Du 7 au 13 juin 2017
Soirée-débat mardi 13 à 20h30

Présenté par Laurence Guyon

Film birman (vo, mai 2017, 1h43) de Midi Z avec Kai Ko, Wu Ke-Xi, Wang Shin-Hong
Distributeur : Les Acacias

Synopsis : Avertissement : des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs
Liangqing et Guo, deux jeunes birmans, émigrent clandestinement en Thaïlande. Tandis que Liangqing trouve un emploi de plonge dans un restaurant de Bangkok, Guo est embauché dans une usine textile. Sans papiers, leur quotidien est plus que précaire et le jeune couple ne partage pas les mêmes ambitions : si Guo veut gagner assez d’argent pour retourner en Birmanie, Liangqing est prête à tout pour obtenir un visa de travail et échapper à sa condition.

« Aux objets répugnants nous trouvons des appas/Chaque jour vers l’Enfer nous descendons d’un pas ».  Charles Baudelaire.

C’est un truisme de dire que les cinéastes comme tous les auteurs ne sont que partiellement maîtres des significations qu’ils donnent à leur film. Il y a un film par spectateur et encore c’est un minimum ! En d’autres termes, chaque film est interprétable à l’infini. Ce préambule pour dire que si je prends le risque d’être pesant, d’exagérer, ma lecture sauvage « d’Adieu Mandalay », toute contradiction sera bienvenue.

Commençons par la fin, comme chacun je suppose, j’éprouve ce sentiment de répulsion pour les dernières images. De répulsion mais j’y repense, disons alors d’attraction /répulsion. Le jeune Guo armé d’un couteau pénètre dans la chambre de la jeune et belle Liangqing endormie, allongée sur son lit. Il s’agenouille, un genou de chaque côté du frêle corps de Liang, il la domine, la regarde, il aime cette femme-là, il pleure. Elle est sans défense mais se réveille, comprend, se débat, c’est inutile, du sang rougit déjà sa chemise, elle s’agite encore un peu, mais son corps lâche, sa vie l’abandonne. Guo s’allonge par terre, cette image rappelle  un peu une autre en début du film : il dort par terre, elle est dans son lit, il approche sa main pour frôler celle de Liang dormante. Tendresse furtive, une promesse qu’il se fait. Mais pour cette dernière scène, cette même main de Guo qui naguère rêvait de caresser, cette fois est armée du couteau, celui du meurtre et du suicide… Avec sa lame, Guo s’allonge au sol en dessous d’elle,  trouve en même temps que le courage, sa carotide – geyser d’hémoglobine- Un couteau comme une lame de fond     – Drôle d’hymen – Fin.

Cette image en évoque  aussi une autre, la sexualité violente, telle celle qu’à son corps défendant elle a choisie, figurée par la scène du gros et répugnant  lézard.

Leur vie à tous les deux ? Celle des pauvres, de misérables serfs, bêtes de somme, celle d’innombrables individus de par le monde, maintenant. La Thaïlande où ils arrivent, la Birmanie d’où ils viennent, c’est corruption et rançonnage, malheur aux pauvres ! De ce point de vue, le film nous montre des choses banales, nous les avons vu dans de nombreux films*nous sommes sans mauvais jeu de mot, des spectateurs repus.

Alors considérons la violence sociale, le parasitage des pauvres, comme une toile de fond habituelle, de règle, l’ordinaire. Regardons ces deux-là, dans le décor.

Elle et lui viennent du même village, ensemble ils seront voyageurs clandestins. Guo, secrètement amoureux, sera un peu l’ange gardien de Liang, son chevalier servant. Selon Lacan, la condition de l’amour c’est la pauvreté, le manque, celui qui aime offre son manque. Bref aimer c’est offrir ce qu’on n’a pas… Offrir ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui ne demande rien ! Et Liang ne demande rien. Il y a dans ce film mille attitudes de Liang qui nous la montre indifférente. Un instant pourtant, elle sera souriante, comme heureuse, lorsque Guo lui offrira un faux bijou en attendant le vrai. Une promesse. De Guo,  elle concède qu’il est son petit ami, tout cela est chaste. Au fond, Liang ne peut pas s’offrir une histoire d’amour, les histoires d’amour, c’est un truc de riches. D’abord ne plus être pauvre.

Quand Guo considère qu’ils vont faire route ensemble, Liang imagine certainement, être à une croisée de chemins. Il veut gagner assez pour retourner en Birmanie avec elle et elle de son côté, veut aller vivre à Bangkok, avec ou sans lui.

Pour avoir des papiers, de faux papiers, une fausse identité, elle travaille dur. A 18 000 bath soit environs 450 euros par mois, avec ça, quand on a envoyé de l’argent à ses parents, là-bas, on économise, juste assez pour se faire escroquer.

Liang est vierge, cela a son importance. Après ce fiasco, elle conçoit de mettre en vente sa virginité dans un hôtel de luxe. Cette pratique n’est pas spécialement locale, en Allemagne il y a quelques mois nous dit Libération, avec la participation d’une société d’escorte, Alexandra, une jeune femme mannequin roumaine, qui venait de passer 18 ans a mis aux enchères sa virginité et obtenu 2,3 millions d’Euros**. Dans Adieu Mandalay, ce sera 150 000 Baht soit environ 4 000 euros, pour cette virginité. Elle réussit à avoir 300 000 baht pour payer ses faux papiers… Alors, combien, le prix d’un rapport avec une femme non vierge ? Sachant qu’il lui faut 300 000 bath soit 150 000 de plus, que la virginité ne sert qu’une fois, quelle est l’inconnue ? Liang est-elle en voie de professionnalisation ? Ce métier est celui de 2 millions de femmes et 800 000 hommes en Thaïlande (en 2004 selon Wikipédia). Alors, mille fois un Varan sur le corps ou une fois ? Au fond quelle importance dans cette vie-là ? Bangkok, c’est tout.

Mais dis donc Georges, t’en fais un peu trop avec cette histoire, c’est délirant et sordide ces élucubrations. Garde tes fantasmes pour toi. On te présente un film où une pauvre jeune femme exploitée, broyée se fait poignarder durant son sommeil par un amoureux jaloux alors qu’elle allait peut-être s’en sortir avec sa fausse identité, et t’en fais une prostituée ?

 Ce n’est pas un film sur la prostitution, c’est un film sur la misère. L’usage du corps dans cette misère, celui de Guo, celui de Liang. J’objecte que ce n’est pas parce que Liang a fait des études, qu’elle est intelligente qu’elle ne peut pas être prostituée, ce n’est pas un sacrilège, c’est un malheur ordinaire, une condition. Une condition quand la précédente était déjà un numéro, le 369. Alors, ce que tuerait atrocement Guo serait le projet atroce de Liang.

Maintenant, il faudrait revoir la chambre de la scène ou Liang est assassinée, où dort-elle ? Revoir le décor, revoir la cheminée, peut être celle de l’usine ou Guo s’emploie comme bête humaine (lui aussi). Parfois, à  moins de 3 fois, on n’a pas vu un film!

Adieu Mandalay est un film qui vise à donner au spectateur faute d’un sentiment de révolte, dégoût et répulsion. Et je trouve qu’en cela, ce film ressemble à « on achève bien les chevaux », ou encore à « des souris et des hommes » soit la fatalité, le poids des choses, le drame. Quels que soient les mobiles de ces deux pauvres hères, au fond quelle importance ? Si l’on peut ressentir du dégoût, on peut, on doit aussi ressentir de la compassion, et les desseins de ces deux personnages sont sans importance devant leur malheur. Tu nous as présenté un film formidable Laurence.

*Les étudiants en cinéma qui voudraient faire leur thèse sur le thème de la bête humaine sur celui de la corruption  (le léviahtan actuel) où les deux réunis, dans le cinéma contemporain, auraient avantage à savoir classer leurs piles

** et « la petite » de Louis Malle 1978

Après Glory, considérations sur trois femmes managers de nos derniers films.

 

 « Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s’annonce comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation ». Guy Debord

 Ces derniers temps, on peut voir apparaître au ciné une nouvelle sorte de femmes, les managers cyniques. Cyniques et sans scrupule ?

Dans Glory, Margita Grosheva incarne Julia Staykova, la communicante du ministre des transports, dont le travail consiste à produire des écrans de fumée, c’est-à-dire de faire du spectacle autour de pas grand-chose pour cacher l’essentiel, en l’occurrence, la corruption.

Dans Toni Erdmann, c’est Sandra Hüller qui est à l’œuvre sous les traits d’Ines Conradi, une jeune et peu sympathique spécialiste de restructuration d’entreprise en mission à Bucarest à qui son père tente de rendre une certaine joie de vivre et humanité. C’est du boulot !

Dans Corporate, Céline Sallette devient Emilie Tesson-Hansen une cost killer, (et les coûts sont humains) persécutrice, qui utilise toutes formes de violences symboliques, dévalorisation, chantage, mensonge et autres manipulations.

Trois belles dames, bien adaptées au monde où elles vivent, à l’ambition illimitée et à l’éthique très limitée. C’est le mérite de notre temps de reconnaître aux femmes, les mêmes désirs narcissiques de puissance, les mêmes possibilités de nuisance que celles dévolues aux hommes. D’autant que ces femmes existent, de plus en plus et de mieux en mieux, c’est un mérite de ces films de leur rendre justice.

Pourtant à chaque fois, à la fin, il y a une petite lumière qui clignote, quelque chose qui leur dit qu’elles sont embarquées sur une drôle de voie.

Constatons qu’au cinéma le pas n’est pas franchi pour nous montrer des femmes absolument cyniques, jusqu’ici, dans chacun de ces films, l’héroïne s’ouvre à autre chose.

– Julia semble avoir un élan de remords et de sollicitude pour Tzanko, il est vrai, brutalement interrompu.

– Ines, retrouve un peu d’humour et de liberté dans ce monde-là, qui est ce qu’il est.

– Émilie reconsidère toute une vie sans vie et sans scrupule pour se mettre au service de la vérité et de la justice. À chacune son rachat.

Avec ces films, on ne peut pas reprocher aux cinéastes d’ignorer ces formes violentes du management. Comme on le voit, s’agissant de femmes managers, les cinéastes ont encore quelques timidités à nous en présenter d’absolument cyniques et sans scrupule. Encore un domaine où le cinéma marche vers la parité.

GLORY de Kristina Grozeva et Petar Valchavov


Présenté par Georges Joniaux

Film bulgare (vo, avril 2017, 1h41) de Kristina Grozeva et Petar Valchanov avec Margita Gosheva, Stefan Denolyubov et Kitodar Todorov

 

 

Glory, digression sur la Slava

 « Give me back the Berlin wall

Give me Stalin and Saint Paul »

-Léonard Cohen-

Glory est l’histoire d’un cantonnier qui trouve un tas de billets sur les rails et les remet à la police, et il reçoit en récompense une montre « Glory » qui ne fonctionne plus au bout de quelques jours. Pour cette remise de montre, Julia la responsable de communication, ôte celle qu’il possédait et la garde « provisoirement ».

Tsanko possédait pour plus grand bien, une bonne vieille montre Slava (Glory), offerte par son père. C’est un objet à la fois précieux et précis, elle provenait de son père et elle ne bougeait pas d’une minute. Si on ne sait rien en effet des relations de Tsanko à son père, qu’on devine aimantes, on sait que les montres Slava telles qu’elles étaient fabriquées avant 1990 en Russie étaient robustes et précises, dotées d’une technologie particulière, le double barillet. (Nous pouvons facilement en apercevoir dans google sur différents sites). Après 1990, Slava est vendue à une société de Hong Kong, et c’est une autre histoire qui commence, comme commence alors, une autre histoire de la Bulgarie.

Cette Slava versus la montre « technologique et moderne » offerte par le ministre, nous parle assez bien de la situation des gens modestes du peuple bulgare. Depuis qu’il n’y a plus d’union soviétique, pour ces gens-là, les gens pauvres et modestes, les Tsanko je veux dire, à l’image de la montre « technologique » et contrefaite, ce qui marchait bien ne marche plus et ce qui prétendument devrait mieux marcher, ne marche pas.

Mais du coup, cette montre nous parle aussi de la culture et du cinéma en Bulgarie. Depuis 1990, l’industrie du cinéma est pauvre, en Bulgarie où réaliser une fiction long-métrage est un exploit… Elle ne possède plus de réseau de distribution, la production s’est effondrée. Par exemple, The Lesson le précédent film de Grozeva et Valchanov a été réalisé sans un sou. Si le financement d’état n’existe guère, le financement privé, guère davantage. On devine que ce cinéma qui dénonce les turpitudes actuelles des pouvoirs n’est pas exactement l’image qu’aimeraient renvoyer les puissances financières et politiques actuelles.

De fait, la production cinématographique Bulgare se présente sous la forme de deux où trois longs-métrages de fiction chaque année, mieux qu’en 1999 où elle n’en avait produit aucun. Glory nous raconte donc trois histoires en une, celle d’un humble cheminot, celle d’une société particulièrement inégalitaire et corrompue, et celle du cinéma et de la culture bulgares dépourvues de tout.

Et c’est une « gloire » des réalisateurs de montrer la corruption, de dénoncer cette violence envers les humbles, et sur un autre plan, de résister par leurs œuvres à cet appauvrissement culturel institué.

G.

PS : digression pour digression, on aurait pu aussi commenter Julia et sa FIV qui fait en quelque sorte le pendant de la montre de Tsanko. Les montres « technologiques » ne fonctionnent pas, la maternité non plus. (taux de fécondité 1,46). On s’épargnera d’autres données de santé publique.

Une vie ailleurs – Olivier Peyon (2)

                                                       

                                                        Présenté par Laurence Guyon
Film français (mars 2017, 1h36) de Olivier Peyon avec Isabelle Carré, Ramzy Bedia et Maria Dupláa
Distributeur : Haut et Court

Soirée tonique et sympathique hier soir, n’est-ce pas Laurence ?  Je retiens ce bel échange entre ceux qui aimaient et ceux qui n’aimaient pas, on se serait cru un instant au « Masque et la plume ». L’un des spectateurs  exposant tout ce qu’il n’aimait pas dans le film, soit presque tout, sauf l’idée de départ, hélas si mal traitée. L’autre spectateur demandant si pour être estimé des cramés de la bobine, un film devait nécessairement  être incompréhensible…Et moi de regretter que ces beaux échanges ne se prolongent  pas de quelques lignes dans le blog.

Je fais partie de ceux qui ont aimé ce film. Sans doute  pouvait-on faire meilleur scénario, mais telle quelle « Une vie ailleurs » dit déjà beaucoup, d’une manière simple, d’une situation affective complexe et quant à la fin du film, elle me séduit, je dirai pourquoi tout à l’heure.

Ce que j’ai aimé dans ce film, c’est d’abord le jeu d’acteurs.  Isabelle Carré incarne une Sylvie impétueuse, avec son impatience irascible, sa bougeotte, avec sa revendication maternelle impérieuse,  ses exigences colériques, son activisme maladroit qui la rendent à la fois pathétique et insupportable. Ce premier rôle remplit pleinement sa fonction,  celui à partir de quoi se déploient et se distribuent ceux des autres, la compassion et l’empathie  de Mehdi l’assistant social , la grand mère que le deuil de son fils conduit à des arrangements avec les faits, la tante cette sacrifiée mère de substitution, Felipe, l’enfant heureux et inconsolable seront  autant de contrepoints remarquables.

Notons pour l’anecdote que la mère s’appelle Sylvie, tous ceux qui autrefois ont écouté Françoise Dolto à la radio se souviennent peut-être du sens qu’elle accordait à ce prénom. Elle y entendait conjointement « S’il vit? » soit une interrogation des parents sur l’identité sexuelle de l’enfant à naître. Or Sylvie à mis au monde le petit garçon, Felipe. Je vous laisse le soin d’interpréter, si le cœur vous en dit.

C’est un choix, les thèmes sont frôlés, suggérés plus qu’approfondis, il n’y a aucune volonté didactique dans ce film, mais au contraire une sorte de petite musique, un peu comme celle du film d’ailleurs. Jolie et sans pesanteur.  On y parle deuil, secret, mensonge, amour filial, attachement. Et pour ce thème majeur de l’attachement, le scénario est impeccable parce qu’il laisse libre chaque spectateur de faire son propre chemin.

Avec une clé toutefois, le final, qu’une spectatrice comparait au jugement du Roi Salomon. Rappelons nous :   » Partagez l’enfant vivant en deux et donnez une moitié à la première et l’autre moitié à la seconde. L’une des femmes déclara qu’elle préférait renoncer à l’enfant plutôt que de le voir mourir. En elle, Salomon reconnut la mère. Il lui fit remettre le nourrisson et sauva donc la vie à l’enfant. »

Dans ce film, la mère adoptive et la mère génitrice décident de s’allier pour elles mêmes, l’une pour l’autre, et pour l’enfant.  C’est une qualité de ce film de montrer une femme sûre de son amour exclusif et de ses droits, s’ouvrir à l’altérité. Sylvie comprend qu’il n’y a pas de vraies et de fausses mères ;  que sont mères celles qui se chargent intimement de l’être.

…Et le plan final un peu appuyé et symbolique montre mieux qu’en mille mots, que Sylvie a appris à comprendre que l’autre, Felipe n’est pas une chose ; qu’il faut s’apprivoiser l’un l’autre autant que soi même, qu’élever, c’est aussi s’élever.