Tesnota, une vie à l’étroit,Kantemir Balagov (2)

 

Interprétation fumeuse.

Comme nombre de films russes que nous avons vus ces derniers temps, à l’exemple d’ « une femme douce » et de quelques autres, Tesnota (une vie à l’étroit)  se caractérise par une esthétique glauque, sinistre. Dans Tesnota, format 1.33,  cadres et surcadrages contribuent au resserrement. Quant aux couleurs, elles sont souvent saturées, bistre, sépia, marron, caca d’oie etc.  Le réalisateur joue sur l’attraction/répulsion.

Cette esthétique  ajoute au sens du film, une sorte de sens/sensation, une exhibition expressionniste de la misère matérielle, sociale  et  morale assez décadente d’un pays. Elle est au service du sentiment dominant d’oppression qui est le seul sujet du film et qu’importent les entorses au réel.  Montrer l’enfermement  national, communautaire  familial et individuel est l’objet du film par métaphores interposées, c’est ce que je vais tenter de développer.

Ici deux communautés juive et kabarde à la fin des années 90. Des juifs qui ne vivent peut-être pas comme des juifs, et des musulmans itou.

Nous sommes dans une famille juive, tout semble aller pour le mieux, le père  et sa fille Ilana sont mécaniciens dans leur garage. On voit qu’ils sont complices, heureux de travailler ensemble. Et pour satisfaire la mère, il y a, en perspective, les fiançailles de David, le fils. Cependant tout se détraque quand survient le  kidnapping de David et de sa fiancée. Pour des raisons de préjugés antisémites, la mafia suppose qu’ils sont riches et peuvent payer. Mais cette famille est pauvre et la communauté ne peuvent payer cette rançon, en outre  l’état de faiblesse de cette famille éveille des convoitises. La famille va devoir tout envisager pour sauver David.

Alors qu’Ilana  a une liaison transgressive avec Nazim, un kabarde, un brave costaud, un peu rustre, franc buveur et petite tête, la mère se découvre un plan au service de son objectif de délivrer David : marier sa fille à un jeune homme d’une famille juive voisine, dont les parents pourront payer cette rançon. C’est l’occasion de nous montrer le portrait d’une mère dévorante. Le fils  délivré va aller son chemin sans se retourner et la fille va échapper au mariage arrangé, (tel que décrit par Claude) et  rentrer dans le rang après quelques provocations, tentatives de révolte. Mais revenons à cette mère dévorante, de quoi est-elle le nom ? Je réserve cette réponse pour la dernière ligne.

Pourquoi avoir choisi de montrer une communauté juive ? On peut-y voir plusieurs raisons, la première, c’est que comme les chrétiens, ils sont hyperminoritaires, la deuxième tient peut-être à l’illusion sociologique, « on sait faire la sociologie des autres ». Je fais l’hypothèse d’une troisième possibilité, ces juifs représentent autre chose de plus qu’eux-mêmes. Peut-être les Kabardes eux-mêmes. Les juifs seraient aux Kabardes ce que les kabardes seraient à leurs grands frères russes.

Ce film comporte un passage documentaire cruel, l’égorgement de soldats russes par des Tchétchènes, ils mettent en scène leur saloperie,  la terreur et la mort.  Cette scène a cristallisé l’ensemble de la discussion des Cramés de la bobine et cette discussion ne s’éteint pas avec le débat.

Elle appartient à ces images qui  prétendent condamner la violence, mais qui en réalité ont pour fonction de préparer ou de justifier la vengeance violente de l’autre camp.

Le réalisateur lui-même musulman, ne peut ignorer cela. Est-il tordu et ambigu ? Quelle est la fonction de ce passage ? Si l’hypothèse précédente fonctionne, (les juifs seraient une analogie des Kabardes) alors, il s’agirait du même système. Montrer les crimes tchétchènes, c’est aussi montrer les crimes russes sans passer par la case censure. Et j’imagine même ces censeurs séduits  par la scène.

Je sais ma tendance à surinterpréter, il est possible que je donne à l’auteur des intentions qu’il n’a pas. Peut-être appartient-il à ces partisans du « No Futur » esthétisants qui fleurissent partout, dans le cinéma et la littérature. Mais ça ne change rien, il donne à voir une   certaine Russie.

Cette Russie comme une longue liste de pays, Iran, Turquie etc.… A avec la censure et la terreur une relation privilégiée. Mais il me semble que si l’on veut montrer la mafia,  la violence, la corruption, l’alcoolisme, l’enfermement communautaire, familial et l’individualisme dans un pays décadent, on peut faire comme ça, le principe de la poupée russe en quelque sorte. Et, autre analogie,  cette Russie nationaliste ne serait-elle pas une mère dévorante ?

« La Juste Route » de Ferenc Török

Du 29 mars au 3 avril 2018
Soirée débat mardi 3 avril à 20h30

Film hongrois (vostf, janvier 2018, 1h31) de Ferenc Török avec Péter Rudolf, Bence Tasnádi et Tamás Szabó KimmelDistributeur : Septième Factory 
Titre original : 1945Présenté par Georges Joniaux

Synopsis : En août 1945, au cœur de la Hongrie, un village s’apprête à célébrer le mariage du fils du secrétaire de mairie tandis que deux juifs orthodoxes arrivent, chargés de lourdes caisses. Un bruit circule qu’ils sont les héritiers de déportés et que d’autres, plus nombreux peuvent revenir réclamer leurs biens. Leur arrivée questionne la responsabilité de certains et bouleverse le destin des jeunes mariés.

 « Le nazisme était terminé et le communisme n’avait pas encore commencé. Nous avons essayé de capter l’atmosphère de cette époque ».  Ferenc Török

Le titre original de  ce film en Hongrois est 1945, ce titre est intéressant car il pointe un moment ou la Hongrie est encore en devenir. Le titre français ne l’est pas moins, la juste route, est-elle celle qui va d’un point à un autre, de la gare au cimetière ?

 L’originalité du film c’est son point de vue :  il y a deux juifs qui vont leur triste chemin, ils sont comme le disait Jean-Pierre « tels des ectoplasmes ». Ils portent des signes distinctifs des juifs traditionnels, ce qui éveille des interrogations, des  craintes et  réveille des mauvaises consciences chez les villageois.

J’admets bien volontiers avec Sylvie de considérer que les juifs hongrois traditionalistes sont une représentation inadéquate des juifs hongrois, je n’en persiste pas moins à  considérer qu’ils existent, et  que les choisir eux plutôt que d’autres était judicieux dans le scénario, pour la démonstration et pour le lieu ou se déroule l’action. Cette cérémonie où père et  fils  marchent dignement,  en misérable cortège, derrière de modestes reliques de morts dont les dépouilles sont parties en fumée est crédible parce que ce sont  des gens pieux et modestes qui exécutent ce rituel et que par ailleurs, ils devaient être familiers aux villageois.

Ces revenants sont des signes inducteurs du « retour du refoulé » dans le village.  Ils sont les révélateurs des choses cachées, encryptées* dans les âmes des villageois. Et au fond ce qui est essentiel dans le film, ce n’est pas tant eux mais ce qu’ils induisent. Ce qui se  passe  dans le village pendant que ces deux-là marchent.

Ce qui se passe : Peu avant, la Hongrie, alliée de l’Allemagne, a tenté de changer d’alliance et en mars 1944, elle est occupée par les Allemands.

Les villageois vont connaître la terreur pour certains, on le vérifie avec cette vieille dame qui a avoué qu’elle cachait des enfants juifs, les condamnant à une mort certaine. Il y a aussi  la collaboration et l’opportunisme pour d’autres. C’est le cas du secrétaire de Mairie qui a manipulé et soudoyé un pauvre bougre pour qu’il dénonce Pollak, son « meilleur ami » et ainsi s’approprier  ses biens.

Le cœur du film c’est d’une part  la spoliation, et le rachat à vil prix de ces biens et  c’est une des grandeurs de ce film de montrer que la spoliation concerne ce qui faisait la vie même de ces gens spoliés et pas seulement comme on le voit trop souvent des objets d’art, symboles de culture et de puissance. Ici était visée la modeste épicerie des Pollak,  là où ils seront, ils n’en auront plus besoin, devait penser le secrétaire de mairie…Comme à la fin du film, le rappelle allégoriquement  la  fumée du train de 15 heures, dans lequel les deux juifs repartent.

Et d’autre part, c’est la souffrance des gens du village complices qui par leur silence  partagent l’indignité du vol.  Comme ça va bien avec le sujet du film, je m’autorise cette citation du livre d’Ezekiel :

« Les pères ont mangé des raisins verts, et les dents des enfants en ont été agacées ».

On peut appeler enfants, le fils qui à la révélation de la turpitude de son père et quitte tout, y compris sa belle,volage et cupide fiancée. Enfant, ce pauvre homme alcoolique qui a obtenu une modeste maison en guise de remerciements pour sa collaboration… Et finit par se pendre. Enfant, la femme délaissée de ce secrétaire de mairie, qui se shoote à l’éther pour ne pas voir l’homme avec qui elle vit. Enfants tous ces passifs villageois qui se rendent au cimetière pour savoir ce qui se passe et « contribuer à n’en pas douter, à régler l’éventuel désordre ».

La liste des enfants aux dents agacées est bien longue car les  « secrétaires de mairie », assassin et voleur, et leurs frères embarquent tout le monde dans leur indignité.

Ferenc Torok contribue à  rendre la question de la spoliation des juifs  claire en la situant là où elle est, au cœur de la vie même des spoliés comme des spoliateurs et des silencieux complices, et en montrant que les crimes cachés ne cessent de faire vagues et traversent les générations.

J’imagine par extension,  que F.Torok nous dit  aussi que la pensée réactionnaire de Orban et  les siens, repose sur l’assentiment d’une population « aux dents agacées », qui refuse de considérer que la juste route c’est celle qui va à la vérité.

*J’emprunte  le terme  crypte   à  Marie Torok et Nicolas Abraham, psychanalystes  qui ont consacré des articles originaux et  convaincants à cette question des secrets familiaux.

Cinéma d’ailleurs, « Viva Il Cinéma » 5ème festival de Tours

 

 

Du 14 au 18 Mars, 4 cramés de la bobine se sont rendus à la 5ème édition des journées de Viva il Cinéma de tours où 24  fictions et documentaires ont été présentés. Nous nous y sommes rendus.

 

 

 

Il y a quelques années nous pensions que ce cinéma était mal en point, il marque les signes d’un bon rétablissement. Il y a dans le cinéma que nous avons vu, une créativité, un bonheur de filmer qui rappelle les grandes années du cinéma italien. Nous avons pu voir 13 d’entre eux, inédits et avant-premières.

Les inédits n’ont pas encore de distributeurs, peut-être n’en auront-ils jamais en France et donc n’y seront-ils jamais diffusés, nous vous en toucherons tout de même un mot parce que nous espérons qu’ils trouveront leurs diffuseurs et de nombreuses salles pour défendre ce cinéma-là.

Il y a eu deux prix attribués, celui de la Ville de Tours et celui du Jeune Jury, nous les signalerons au passage

 

Ammore e Malavita « à Naples on ne vit que deux fois » de Marco Manetti.

L’idée de départ, un mafieu essaie de disparaître de la circulation. Un film drôle, qui tient de la comédie, de la comédie musicale, avec des meurtres en série, une histoire d’amour, du suspens et de l’invention. A voir s’il arrive sur les écrans en France, si vous avez envie de vous distraire, et si le cœur vous en dit. Davantage Pop Corn qu’Art et essai. (***)

 

 

In Guerra per amore, de PierFrancesco Diliberto,

 

 

« NYC1943, Arturo souhaite épouser Flora, mais son oncle qui en a la charge veut la marier au fils d’un chef mafieux. Alors pour obtenir la main de sa belle, Arturo décide d’aller directement demander sa main au père de Flora qui vit en Sicile. Comme il n’a pas de quoi se payer le voyage, il s’engage dans l’armée qui va débarquer en Sicile ».

Alors là, c’est du cinéma ! Ça a l’allure d’une comédie, il y a des passages drôles et jamais vus, et ça gagne en gravité sans jamais perdre l’humour. On imagine que le réalisateur a été séduit par la Vie est belle. Le sujet qu’il traite est grave : Comment les Etats Unis ont installé durablement la mafia en Sicile. Un film drôle et intelligent qui n’est pas sans rappeler une histoire fraîche. Nous espérons que ce film aura tout le succès qu’il mérite. (*****)

 

I Figli della Note (les fils de la nuit) d’Andréa de Sicca. ( le petit-fils de Victorio !). Ce film a obtenu le prix du Jury des Jeunes.

« Issu d’un milieu aisé, Giulio est envoyé dans un pensionnat strict qui forme les dirigeants de demain. Et tout est permis pour former l’Elite de la société »…Il y a non loin, un lieu d’évasion, un « lieu de plaisir nocturne » si on peut appeler ça comme ça. Giulio tombe « amoureux » d’une jeune femme qui s’y prostitue. C’est un film sur les étudiants, et les étudiants de Tours ont aimé voir des étudiants transformés en jouet par un monde adulte dominateur et dévoyé, ils ont aimé le climat complotiste manipulatoire et glauque qui nimbe le film. Film au demeurant peu inventif. (**)

 

Il Padre d’Italia (le père d’Italie)  de Fabio Mollo.

Inédit. Espérons que ce film va être projeté en France. C’est un film original : « Paolo est trentenaire, il ne se remet pas de la séparation d’avec l’homme avec qui il a vécu durant 8 ans. Une nuit, il rencontre Mia, une jeune femme exubérante et fantasque, enceinte de quelques mois. Elle lui demande de l’aide. Alors commence un voyage plein de rebondissements à travers l’Italie ». C’est aussi un film sur l’attachement, qui interroge la nature de l’attachement. Les acteurs sont Luca Marinelli (nous l’avons vu dans 3 films, cet acteur est un vrai caméléon)et Isabella Ragonese. Retenons bien ces noms et ne loupons surtout pas ce film! (*****)

 

Una Questione Privata un film de Paolo et Vittorio Taviani avec Luca Marinelli (voir ci-dessus).

En présence de Paolo Taviani. C’est bien leur patte. Voici un film qui commence par un triangle amoureux et chaste, (c’est l’affaire privée) la toile de fond devient le fascisme et la lutte des partisans. Les deux garçons deviennent des partisans. Quelle sera l’influence de cette affaire privée dans leur engagement ? Un film élégant, classique et beau. (****)

 

Easy d’Andréa Magnani

a obtenu le prix de la ville de Tours. 

« Easy (diminutif d’Isodoro), est ex-pilote de course, un gros monsieur déprimé, boulimique et solitaire qui ne fait plus rien. Son frère lui propose un job, transporter le cercueil d’un maçon décédé, en Ukraine- un voyage semé d’embuches-« . C’est énorme, drôle et grave, ça s’essouffle et se relance sans qu’on sache trop bien pourquoi.  Nous n’avons jamais vu un road movie avec cercueil.  Je n’aurai pas voté pour ce film, mais le burlesque (derrière lequel se cache un vécu)  à bien le droit d’être à l’honneur.(***)

 

Il più grande sogno (le plus grand rêve) de Michele Vannucci.

Reconstitution à la manière documentaire d’une histoire vraie : « Mirko est de retour chez lui après avoir passé 8 ans en prison. Il veut une seconde chance, un nouveau départ qui lui permettrait de tourner définitivement le dos à la violence et la criminalité. Il souhaite reconquérir le coeur de ses deux filles, reprendre son histoire avec sa femme et rendre sa propre vie plus positive. Une opportunité inespérée se présente lorsqu’il est élu président d’une association caritative de son quartier, une zone abandonnée de la banlieue de Rome. » On ne peut pas dire que le film jouit d’un bon scénario ni d’acteurs exceptionnels, ni qu’il soit bien filmé, mais ce film a réussi le miracle de se faire oublier au profit du débat de l’équipe de tournage et du coup tonnerre d’applaudissement. Le jour où vous irez voir ce film, tâchez que la fameuse équipe soit là.(**)

 

Sicilian Ghost Story d’Antonio Piazza. Un autre film sur la Sicile

dont voici le synopsis : « Dans un village sicilien aux confins d’une forêt, Giuseppe, 13 ans, disparaît. Luna, une camarade de classe, refuse la disparition du garçon dont elle est amoureuse et tente de rompre la loi du silence. Pour le retrouver, au risque de sa propre vie, elle tente de rejoindre le monde obscur où son ami est emprisonné et auquel le lac offre une mystérieuse voie d’accès ». Attention histoire vraie qui commence comme une histoire merveilleuse, joue avec le fantastique, pour mieux nous ramener à une histoire qui se termine tragiquement. Tout comme « In Guerra per amore, de PierFrancesco Diliberto » ce film est fort et bouleversant. Il dénonce les méthodes mafieuse et les silences coupables. Comme c’est une avant-première, il va passer dans les salles. Allez-y ! Vous ne le regretterez pas.(*****)

 

Si returno Ernest Pignon-Ernest et la figure de Pasolini, documentaire en sa présence ainsi qu’une représentante du collectif Zikozel :

« Qu’est-ce que nous avons fait de sa mort ? » Quarante ans après l’assassinat de Pasolini, Ernest Pignon-Ernest, l’un des pionniers de l’art urbain international, entreprend un voyage en Italie pour poser cette question sur les lieux de la vie, de l’œuvre et de la mort du poète. À Rome, Ostie, Matera et Naples, l’artiste interpelle les habitants et les passants en collant sur les murs une pietà laïque dans laquelle Pasolini, au regard sévère, porte son propre corps sans vie ».

C’est un artiste humble qui nous expose sa démarche. Celle d’un art éphémère,  celle d’un plasticien pour qui la rencontre du public et l’agencement de son œuvre comptent autant que l’œuvre. E.P.E bénéficiait d’une salle conquise et admirative.

 

La Tenerezza, (la tendresse) de Gianni Amelio, une avant-première, quelle chance ! il sera diffusé.

Encore un film remarquable. Le nouveau film du réalisateur calabrais aborde les relations familiales et le dédale de sentiments qui en découle et en même temps une rencontre de voisinage avec une gentille famille, une sorte d’ailleurs à domicile et c’est tellement autre chose ! Et pourtant! Encore un film remarquable, avec pour interpréte Elio Germano. Allez-y,  si vous en avez l’occasion, vous ne regretterez pas. (*****)

 

Tutto quello Che vuoi « tout ce que tu voudras » de Francesco Bruni, Inédit,

quand je pense que vous riquez de ne pas voir ce film ! J’en suis consterné. Une comédie, intelligente, sensible, émouvante, et drôle et infiniment sérieuse. Alessandro 22 ans « branleur » excède son père qui lui impose de prendre un petit boulot « s’occuper de Giorgio, poète Alzheimer ». Les italiens connaissent le tragicomique mieux que quiconque.

Une rencontre. C’est un bon moment de cinéma, vous savez ces films dont on sort avec le sourire !(****).

 

Encore un Inédit, on ne va quand même pas être obligés d’aller à Tours pour voir ce bon film !

La Stoffa dei sogni de GianFranco Cabiddu (l’étoffe des rêves est un morceau de citation de la tempête de W.Shakespaere : « Nous sommes de l’étoffe dont sont faits les rêves, et notre petite vie est entourée de sommeil »

je vous livre le synopsis : Un bateau chargé de prisonniers et d’une petite troupe de théâtre fait naufrage sur l’ile d’Asinara connue pour son pénitencier. Les gardiens de la prison recherchent les rescapés mais ne savent pas distinguer les mafieux qui doivent rejoindre la prison, des autres. Passionné de théâtre, le Directeur leur demande de jouer la Tempête de Shakespeare. Ça ne manque pas de sel ! (C’est le cas de le dire). (***)

 

Lasciati Andare (laisse-toi aller) Francesco Amato

Inédit encore un inédit, une gentille comédie. Un psychanalyste peu empathique fait un malaise, on lui prescrit de faire du sport, il rencontre une excentrique coach de sport…Avec le grand Toni Servillo. On rit, il y a de bons gags mais c’est un peu long tout de même. (***)

 

Les italiens savent manier le tragicomique. L’humour italien au cinéma a une finesse qu’on ne retrouve guère dans les films français. Sur 13 films que nous avons vu 8 ont un caractère humoristique et cependant véhiculent à profusion et  généreusement  inventions,  images étonnantes , humour sur des thèmes parfois  graves, dont on peut discuter en sortant de la salle.

4 jours de ciné, en sortant des salles, un instant, on s’étonnait de ne pas être en Italie. Bravo à Tours et Viva Il Cinéma !

Georges

« L’insulte » de Ziad Doueiri

1 Prix et 3 nominations à la Mostra de Venise 2017
Du 1er au 6 mars 2018
Soirée débat mardi 6 mars à 20h30

Film libanais (vostf, janvier 2018, 1h52) de Ziad Doueiri avec Adel Karam, Rita Hayek, Kamel et El BashaDistributeur : Diaphana 

Présenté par Jean-Pierre Robert

 

Synopsis : A Beyrouth, de nos jours, une insulte qui dégénère conduit Toni (chrétien libanais) et Yasser (réfugié palestinien) devant les tribunaux. De blessures secrètes en révélations, l’affrontement des avocats porte le Liban au bord de l’explosion sociale mais oblige ces deux hommes à se regarder en face.

Notes sur les avocats dans le film

J’ai aimé ce film, sa présentation et le débat qui soulignent à quel point la question libanaise est douloureuse et compliquée. Je souhaiterais m’attarder sur le rôle des avocats dans cette affaire.

Disons d’abord que la forme du film a quelques rapports avec les cercles produits par un caillou jeté dans l’eau. À partir d’une injure, d’un conflit interpersonnel, le cercle des personnes concernées s’étend. Celui des amis et des proches, celui des groupes de pression, celui de la foule et de l’opinion, celui de l’institution représentée par le Président en personne.

La toile de fond : Beyrouth, une ville particulièrement dense. Un patchwork de communautés et de religions enchâssées. Selon wikipédia « Le Liban compterait 54 % de musulmans (dont environ 27 % de chiites et 27 % de sunnites), 5 % de druzes, 41 % de chrétiens (23 % de maronites,etc… » et les guerres…regarder la chronologie du Liban, c’est se plonger dans « guerre, guerre civile, invasions, attentats, etc. » D’où la propagande permanente et le déploiement facile d’idéologies meurtrières.

Aussi, dans ce monde-là ou la différenciation est la règle, quand deux personnes entrent en conflit, s’injurient, qu’elles en viennent aux mains, elles portent en elles leur système religieux et communautaire, les blessures de la guerre, celles qui les ont souvent opposées. Sans oublier les discours idéologiques et propagandistes haineux (politico-militaro-religieux) dont ils se laissent bercer, et c’est le cas de Toni et peut-être Yasser. Ils expriment l’un et l’autre d’une manière emblématique, par leurs blessures et leurs souffrances profondes, les blessures de leur pays et en même temps, « le prêt à penser » des préjugés et de la propagande. Ce qui se joue dans l’insulte tient  à la fois du psychodrame et du sociodrame.

Toni poursuit Yasser en justice. Romanesque et intéressante, « l’invention » dans le scénario des avocats des deux protagonistes. L’avocat de Toni est un vieux monsieur, l’avocate de Yasser est une jeune femme. L’un est un défenseur des chrétiens, l’autre est défenseur de minorités opprimées, ici les Palestiniens. L’un est le père et l’autre la fille. L’un et l’autre ont été choisis ou conseillés par les entourages respectifs des deux protagonistes parce qu’ils sont les meilleurs. Un duel de champions en somme. On suspecte alors que ce choix de règlement du conflit, sera en même temps celui d’un conflit père/fille et qu’il risque de ne pas tendre vers l’apaisement, parce qu’il se jouera autre chose que le procès.

Et les interventions de ces deux personnages forment une sorte de récit dans le récit. On voit bien le double enjeu de ces deux avocats : S’opposer en dépit de leur parenté. Etre parents en dépit de leur opposition. Ça ne devrait pas être crédible, mais ça marche, on y croit. D’autant qu’ils démontrent par leur opposition tranchée que liberté de pensée existe encore dans ce pays. On imagine aussi que le concours de persuasion et de chamaillerie va commencer entre avocats que tout oppose et que tout réuni. Là encore on retrouve une métaphore du Liban, « être à la fois ensemble et séparés ».

Le fil conducteur du film revient pour une large part aux avocats puisqu’il permet des éclairages successifs sur Toni et Yasser. Le scénario réparti bien les billes, plus avance le procès, plus on découvre à quel point les torts sont  partagés, et que le match nul se profile. Et à chaque fois que l’un ou l’autre marque des points, la tension augmente d’un cran. Comment en sortir ? C’est le père qui découvre la voie étroite. Reformuler les termes de la plainte, la ramener à ses origines qui ne sont pas dans les passages à l’acte immédiat mais dans les vies et les actes passés. Et là on pense à « Carré 35 » de Caravaca ou à « en attendant les hirondelles » de Karim Massaoui. Soit le ressort comprimé d’un traumatisme, de la mort ou la guerre qui se dévoile à travers des passages à l’acte. Alors, le non-dit, le secret, s’incarne d’une manière sourde dans tous les actes de la vie de Toni et Yasser. Le présent sert d’alibi à un passé mal vécu qui cherche à s’exprimer par tous moyens. L’un et l’autre se pensent libres, ils ne sont que les jouets de leurs passés respectifs. Et les avocats, dans ce film, font advenir une vérité de ces personnages. Je ne m’en tiendrai qu’à ce seul aspect. Le film est bien plus riche que ça.

Alors, est-ce qu’être conscient d’un traumatisme aide à mieux vivre, à être plus heureux, à se sentir moins angoissé, moins peureux, moins coléreux ? Peut-être.

J’ajouterai que ce film a trouvé une manière de parler de simples quidams et en même temps de tout un peuple lui aussi si proche et si opposé. Lui aussi blessé, lui aussi baigné dans une propagande meurtrière. Et ce film dit à ce peuple : « Votre violence d’aujourd’hui, avant d’y céder, songez qu’elle s’est nourrie de l’écho lointain d’autres violences en partage…Remember. Ne la laissez pas gagner ». Il propose aux Libanais de vivre ensemble, ce qu’ils font déjà, disons alors de vivre ensemble lucides et vigilants,  et donc en paix…

Georges

 

 

 

 

 

 

 

« Ni Juge, ni soumise »de Jean Libon et Yves Hinant

Nominé à la Quinzaine des Réalisateurs
Soirée débat lundi 5 mars à 20h30


Film franco-belge (février 2018, 1h39) de Jean Libon et Yves Hinant

Ni Juge ni soumise est le premier long-métrage StripTease, émission culte de la télévision belge. Pendant 3 ans les réalisateurs ont suivi à Bruxelles la juge Anne Gruwez au cours d’enquêtes criminelles, d’auditions, de visites de scènes de crime. Ce n’est pas du cinéma, c’est pire

Nominé à la Quinzaine des Réalisateurs

Soirée débat lundi 5 mars à 20h30

Film franco-belge (février 2018, 1h39) de Jean Libon et Yves Hinant

Présenté par Marie Noël Vilain

Ni Juge ni soumise est le premier long-métrage StripTease, émission culte de la télévision belge. Pendant 3 ans les réalisateurs ont suivi à Bruxelles la juge Anne Gruwez au cours d’enquêtes criminelles, d’auditions, de visites de scènes de crime. Ce n’est pas du cinéma, c’est pire.

Comme je regrette de ne pas avoir assisté à la séance de ce lundi.

Je ne voudrais pourtant pas laisser passer l’occasion de dire tout le mal que je pense de ce film en forme de documentaire et qui ne documente rien, sauf à la rigueur, le cynisme, la bêtise et la méchanceté.

D’abord il y a cette juge, haute en couleurs pas seulement par 2 chevaux, maquillages et autres accessoires vestimentaires interposés mais aussi par son verbe, celui d’une histrionne. Cette dame joue avec ses « clients » (comme elle dit),   comme un chat avec une pelote de ficelle, où peut-être joue-t-elle au rat et à l’escargot sans discontinuer. A-t-on entendu dans ce film un  « client »  s’exprimer ? Oui, un seul (sur la consanguinité) parce que ce  qu’il a dit paraissait ridicule. Quant aux avocats, ce sont des éléments de décoration, sauf s’ils vont dans le sens du woman show de la juge. Alors bien sûr, demeure l’humour des situations, j’ai parfois ri ou souri,  mais je n’en suis pas fier. Je crois que je me suis laissé avoir par la forme du montage en pseudo-zapping qui court-circuite la réflexion.

Quant au scénario, un mot sur son fil d’ariane : Comment peut-on, à la suite d’une enquête déterrer un cadavre, le découper à la scie électrique pour faire du spectacle.  Et dans le casting, ce qui me sépare définitivement de ce spectacle c’est le choix de filmer cette femme délirante, qui a tenté d’étrangler son fils avant de le trainer dans la salle de bain et de l’égorger. Peut-on un instant imaginer ce que va être la vie de cette personne après son état délirant ? Abominable. Et cette fine équipe filme cette pauvre femme, et le juge qui lui fait relire le PV-Morbide-

Question :

le titre du film évoque « ni pute, ni soumise »… Curieuse association. A quel moment ont-ils trouvé ce titre?

Georges

« I am not a witch » de Rungano Nyoni

Nominé à la Quinzaine des Réalisateurs
Du 8 au 13 février 2018
Soirée débat mardi 13 février à 20h30
Film franco-anglo-zambien (vostf, décembre 2017, 1h34) de Rungano Nyoni
Avec Margaret Mulubwa, Henry B.J. Phiri et Nancy Mulilo

Distributeur : Pyramide

Présenté par Jean-Pierre Robert

Synopsis : Shula, 9 ans, est accusée de sorcellerie par les habitants de son village et envoyée dans un camp de sorcières. Entourée de femmes bienveillantes, condamnées comme elle par la superstition des hommes, la fillette se croit frappée d’un sortilège : si elle s’enfuit, elle sera maudite et se transformera en chèvre… Mais la petite Shula préfèrera-t-elle vivre prisonnière comme une sorcière ou libre comme une chèvre ? 

Rungano Nyoni à TV5 Monde *** Article de Jean-Pierre *** Dossier de presse *** Bande annonce ***Horaires
 

Jean-Pierre n’a pas manqué de signaler le côté original, curieux, inattendu, poétique et parfois drôle de ce film dramatique. Qui en effet a déjà vu quelque chose qui s’en rapproche ? « Je ne suis pas une sorcière » est un conte, celui de Shula, une petite fille venue de nulle part et désignée comme sorcière, promise à vivre comme telle, et ainsi stigmatisée, parmi elles. Du coup je vous livre une brève  et arbitraire incursion sur internet et dans mes souvenirs brumeux  autour de cette question.

Dans « médecins et sorciers »(1), Tobie Nathan et Isabelle Stengers ont écrit un essai sur cette question dont voici la 4ème de couverture : « Nous croyons savoir ce que font les guérisseurs : ils s’appuient sur les croyances (irrationnelles) des patients et agissent de manière « symbolique » ; s’ils obtiennent des résultats, c’est grâce à leur capacité d’écoute. Nous croyons aussi savoir ce qu’est la médecine moderne : une médecine très technique, rationnelle, mais trop peu à l’écoute des patients. Dans ce livre, Tobie Nathan et Isabelle Stengers montrent que cette opposition est trompeuse. Selon Tobie Nathan, les guérisseurs sont intéressants justement parce qu’ils n’écoutent pas les patients : les techniques de « divination » s’opposent à celles du « diagnostic ». En interrogeant l’invisible, en identifiant ses intentions, ceux-ci construisent de véritables stratégies thérapeutiques dont les guérisseurs africains sont des virtuoses. La médecine moderne se caractérise, elle, par son empirisme et non pas par sa rationalité. Le thème de la rationalité sert à combattre les autres techniques de soin ». 

S’il y a de bons guérisseurs il y a aussi de mauvaises sorcières (comme le souligne Marie-Annick, c’est son féminin) :

Le même Tobie Nathan, dans « L’Étranger ou le pari de l’autre »,(2) paru aux éditions Autrement, revient sur le phénomène des enfants sorciers apparu il y a moins d’une trentaine d’années. Faisant partie intégrante des sociétés africaines, la sorcellerie, qui vise aussi bien les albinos que les jumeaux, les enfants ou les handicapés, reste un élément indissociable du pouvoir ». Ça c’est pour le côté bon sorcier. Je crois me souvenir que dans un article, Tobie Nathan a ajouté que les accusations   portées aux enfants de sexe féminin d’être des sorcières apparaissait de manière nouvelle dans les familles recomposées immigrées africaines, souvent évangélistes. Ce serait un moyen, dans une situation économique donnée, de se débarrasser sans trop pêcher, des pièces rajoutées en les renvoyant dans leur pays d’origine. Il y aurait en quelque sorte un bon usage de la sorcellerie enfantine.

On voit bien que cette petite Shula est une figure du bouc émissaire, c’est une petite fille errante de 9 ans , au regard pénétrant, ce qui la désigne, dans la circonstance où elle se trouve. On attachera une importance au sexe de l’enfant. (idem Marie-Annick). La circonstance particulière, l’identification de la sorcière se produit dans une communauté pauvre, qui ne doit pas voir d’un bon œil une bouche à nourrir. La circonstance plus générale c’est aussi des institutions et leurs représentants véreux,  qui sont disposés à « accréditer » des sorcières pour des besoins divers, économico-touristiques.

Mais au fait,  qu’en est-il de la sorcellerie en Europe ?

« Des chasses aux sorciers ont eu lieu en Europe avec des hauts et des bas jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, principalement entre 1580 et 1630, faisant au total à travers les siècles un nombre considérable de victimes, qui reste cependant très difficile à estimer puisqu’on a peu de traces écrites des lynchages spontanés. Certains historiens l’évaluent entre 40 000 et 100 000. Ce qui représente en moyenne quelques individus par an, dans un pays comme la France, avec des flambées temporaires en Lorraine ou dans le Bordelais vers 1600 ».(3)

« À Bournel en France une femme accusée de sorcellerie fut brûlée par des paysans en 1826 et une autre sorcière jetée dans un four en 1856 à Camalès canton de Vic-en-Bigorre ».(4)

En 1977, (hier!) Jeanne Favret Saada  publie « les mots, la mort, les sorts ». (5) Jeanne Favret-Saada, ethnologue de culture psychanalytique, enquête sur les sorciers et les jeteurs de sort du bocage mayennais. « L’idée du sortilège s’impose quand le malheur se répète : « vache qui meurt, fausse couche, pain qui ne lève pas… Aucune interprétation raisonnable ne peut alors prétendre résoudre l’énigme de la série qui n’appelle qu’une seule question : qui a jeté le sort ? Les vecteurs des sortilèges sont les mots. La parole maléfique doit être renvoyée à l’expéditeur pour qu’il en meure ».

Proche de nous, dans la profusion des romans sur la sorcellerie certains ont aimé ceux  drôles, étranges, superbes  de Marie NDiaye (6),  «Loirétaine de naissance » par surcroît.

Tout ça pour dire que dans notre confort civilisé, la pensée magique et la sorcellerie (comme le furet qui coure de la chanson) ne sont jamais bien loin. Hier chez-nous, et curieusement aujourd’hui juste à côté de chez nous.

…Et dans la profusion des films sur la sorcellerie, demeure ce film qui comme l’a indiqué Jean-Pierre  est original,   beau, et profond. Et cette petite Shula est magnifique.

 

(1) Tobie Nathan et Isabelle Stengers « Médecins et sorciers » la découverte 2012

(2) Tobie Nathan, »l’étranger ou le pari de l’autre » Autrement 2014

(3)www. Wikipédia chasse aux sorcières

(4)www.lacauselitteraire.fr 

(5) Jeanne Favret Saada,  les mots la mort et les sorts Gallimard 1977

(6)Marie  Ndiaye, plaçons- nous dans les brumes « d’un temps de saison » par exemple, continuons par le suivant, « la sorcière » etc.

 

 

 

 

 

 

 

« Western » Valeska Grisebach

Du 1er au 6 février 2018
Soirée débat mardi 6 février à 20h30

Film allemand (vostf, novembre 2017, 2h01) de Valeska Grisebach avec Meinhard Neumann, Reinhardt Wetrek et Syuleyman Alilov LetifovDistributeur : Shellac
Présenté par Maïté Noël
Synopsis : Un groupe de travailleurs allemands débute un travail difficile de construction sur un site de la campagne bulgare. Cette terre étrangère éveille le sens de l’aventure de ces hommes, confrontés à leurs préjugés et à la méfiance des locaux à cause de la barrière de la langue et des différences culturelles. Les hommes vont alors tout faire pour tenter de gagner la confiance des habitants.
Dossier de presse *** Bande annonce *** Horaires

 

Voici un film qui présentait le double avantage  d’avoir un sujet original et d’être présenté par Maïté, elle nous a fait  bénéficier d’une brève histoire du Western, jusqu’au « spaghetti », harmonica compris… ce qui n’est pas si fréquent.

Western donc, comme s’appelait Western un sympathique film de Manuel Poirier, vu en 1997 avec Sergi Lopez, et dont l’action se déroulait en ..Bretagne. Ici, vous avez lu le synopsis, il s’agit des travailleurs détachés allemands en Bulgarie, il n’y a pas que préjugés et méfiance, il y a aussi la barrière de la langue et de la culture…

Il y a ce jeu de la sympathie et de l’antipathie, des malentendus et des connivences. Il y a quelques bagarres et une sorte de duel entre le chef de chantier et Meinhard un ouvrier, un cheval, quelques paysages en plans larges, quelques gros plans…Bref, des ingrédients du Western.

Meinhard c’est le nom du personnage, du rôle principal et premier film de l’acteur  Meinhard Neuman. Un personnage singulier, un ancien légionnaire, solitaire, revenu de tout, sans attache et sans toit. Il est allemand parce qu’on est toujours de quelque part, et qu’on en parle la langue. Légionnaire là-bas, travailleur mercenaire ici… Meinhard est étranger à tous, y compris à ses collègues, et il s’efforce de s’insérer parmi les gens de ce village bulgare, vivre, partager, quelque chose avec eux, qui ne serait pas simplement de circonstance. Et il semble y réussir parce qu’il est tenace et qu’il commence à compter pour eux. Une histoire simple celle d’un  double cheminement, celui d’une communauté, et celui d’un homme.

Et à la fois  western et anti-western puisque le héros  ne part pas à la fin, mais cherche au contraire à demeurer.

 

Notes sur 2 films que je viens de voir.

Ciné Paradis, vu 3 billboards de Martin Mcdonagh, avec Frances Mc Dormand, si vous vous demandez s’il faut voir ce film, dont les radios, les journaux ont parlé tant et plus,   empruntez le Télérama du 20 au 26 janvier, il raconte tout, vous ferez des économies, c’est encore mieux que le ciné à 3€50 du même journal. J’ai vu ce film au nouveau cinéma de Fontainebleau, dans une très belle et confortable salle…ça ne saurait consoler de la lourdeur et des grosses ficelles du film et aucun fauteuil n’est assez confortable pour quelqu’un qui s’ennuie.

Alticiné, vu hier, une femme douce de Sergei Loznitsa, je vous livre un extrait de la très belle critique de Jacques Mandelbaum pour « le monde » :

« Voyage infernal et dantesque, qui voit la pauvre femme, percluse dans une incompréhension et une douleur muettes, chercher à rencontrer l’emprisonné et se heurter, de scène en scène, à l’éventail complet des rétorsions d’un système oppressif qui réduit l a société à une geôle. Le bus rempli de mégères venimeuses. Le train occupé par des patriotes obtus. Les matons sadiques. Les flics corrompus. Les matrones perverses. Les alcooliques déments. La pègre partout, et les filles qui vont avec. Le tout dans un environnement sordide où la délégation pour les droits de l’homme, tenue par deux délégués tremblants, relève de la pure bouffonnerie».

L’univers du film serait un peu celui d’un peintre tel Lucian Freud, aucun détail sordide (mais réaliste en fin de compte) ne nous est épargné. Sauf qu’ici le réalisateur a une prédilection pour le sépia et les teintes obscures. Ses intérieurs sont des cloaques, ses extérieurs sont des zones décrépites,  « crapoteuses », ou des espèces de « non-lieux ».

Trop c’est trop, serait-on tenté de dire, mais contrairement au film du dessus, le réalisateur a l’outrance lucide et volontaire. Il a quelque chose à dire. Il y a une sorte de métaphore d’un gros proxénète dit à la femme quelque chose comme «  tu veux ton mari, tu n’en retrouveras que des morceaux… Et c’est ça que tu veux ?  » Et la métaphore plus générale du film dit quoi ?

 

 

« En attendant les Hirondelles » de Karim Massaoui

 

7 nominations au Festival de Cannes 2017
Du 11 au 16 janvier 2018
Soirée débat mardi 16 janvier à 20h30

Film franco-algérien (vo, novembre 2017, 1h53) de Karim Moussaoui avec Mohamed Djouhri, Sonia Mekkiou et Mehdi Ramdani

Distributeur : Ad Vitam

Présenté par Georges Joniaux

Synopsis : Aujourd’hui, en Algérie. Passé et présent s’entrechoquent dans les vies d’un riche promoteur immobilier, d’un neurologue ambitieux rattrapé par son passé, et d’une jeune femme tiraillée entre la voie de la raison et ses sentiments. Trois histoires qui nous plongent dans l’âme humaine de la société arabe contemporaine.

Hier, avec « En attendant les Hirondelles », nous avons vu du très bon cinéma.  Un film promesse, qui nous invite à voir le prochain film de Karim Massaoui, un film qui  donne également envie de voir d’autres films algériens.

Les cinéphiles comme les lecteurs, les amateurs d’art, de vin, ou que sais-je, sont avisés lorsqu’ils regardent ce qui se fait dans le monde. Nous avons cette chance aux Cramés de la Bobine d’avoir cette fenêtre ouverte. Et l’Algérie d’hier soir nous semblait comme un village, à la fois proche et lointain, nous avions l’impression de connaître ces gens. Lors du débat, il me semble que nous avons remarqué  l’intervention de Laurence sur la forme du film, qui expose sa manière d’avancer par touches légères, celle d’Henri sur cette faiblesse, défaillance des hommes dans l’histoire, argument repris par Françoise qui l’interprète comme l’instabilité, l’absence de fiabilité des institutions qui laisserait ces hommes seuls face à eux-mêmes.

C’est sur ce thème que je souhaite mettre mon grain de sel. Regardons ces hommes.

Regardons d’abord Mourad (Mohammed Djouhri), ce beau personnage naviguant entre son ex-femme, son fiston encore un peu immature, et sa jeune et belle ex-future femme. Vous avez vu le casting, Karim Massaoui a choisi un homme d’aspect solide et vieillissant. Un entrepreneur qui évoluait naguère dans une corruption ordinaire qui brutalement change de braquet et le dépasse. Tout va bien pour lui jusqu’à l’incident : Il fait nuit, on est dans un quartier neuf d’Alger, on entend un bruit sourd, comme un râle, en fait il y a derrière un mur, sur une place déserte, deux hommes qui en rossent un troisième. Mourad se cache, son téléphone sonne, il se cache davantage, il a peur. Sans doute ce bruit fait fuir les agresseurs. (Cette scène au moment  où la voiture des agresseurs démarre, fait penser à une scène de guerre).Alors Mourad s’approche à distance respectueuse, au sol, un homme git et râle. Comme dans la chute de Camus, il reprend son chemin. Ne pas voir va ensuite lui causer des soucis concrets, d’abord avec sa vieille femme puis sa jeune maîtresse et comme on le verra la séquence 3, sa  cataracte commence à lui poser question. Ne pas voir quand il le faut, lui trouble la vue… et le cerveau… qu’il pense cancéreux. La remarque de Françoise prend toute sa pertinence, à qui se fier ? Mais pas seulement. Revenons à cette fameuse séquence, il y a un plan où il boit un verre à côté d’un homme médecin neurologue Dahman, (Assan Kachach). Qu’est-ce qui unit ces deux hommes, pas grand-chose, une coïncidence . On sait à ce moment du film que Dahman a été concerné de près par le terrorisme. Ces deux hommes ont l’âge d’avoir pris de front la période des années 90. La question de Mourad, c’est que sa lâcheté du moment est composée d’une matière complexe, de mauvaises anticipations comme le  signale Françoise, et tout autant d’un passé où il a bien dû se cacher, avoir peur, refusé de voir. La « lâcheté de Mourad »semble construite plus qu’instinctive, la prudence et la peur reprennent la place d’autrefois, vous voyez, un peu comme quand on a fait une boule avec du papier cellophane de chez la fleuriste, qu’on la presse dans la main et qu’on la relâche.

Alors un mot sur Dahman, (Assan Kachach) le neurologue. Là encore, quel casting. Dommage, quand je vais le revoir, je ne me rappellerai plus son nom et je vais me dire, tiens ! C’est le neurologue ! Cet homme de belle allure est amené à se rendre dans un bidonville, dans les conditions que vous connaissez. Il y retrouve une petite dame réprouvée, au regard pénétrant, à l’allure résolue, en d’autres circonstances, elle aurait pu être à sa place. Elle lui propose de se souvenir d’elle. Ce qu’il refuse d’abord, par déni sans doute. Mais il devra admettre que dans le passé,  lui,  le médecin, otage d’un moment, l’a vue au moment ou les terroristes l’ont emmenée dans une cabane pour la violer. Et qu’il n’a rien fait.  Dahman n’est pas coupable, que pouvait-il ? Pas coupable mais concerné. Du moins, il aurait dû l’être. Mais tout dans sa vie autorisait la résilience. Ce passage montre que cet homme n’est aucunement résilient. Il a construit sa réussite sur une sorte de scotomisation*(1)  du passé(quelque chose qui est là mais qu’on ne voit pas) , et sa réussite sociale est comme une gomme à effacer. Mais à son tour cette réussite s’efface devant un passé à partager. Et l’occasion lui est donnée d’avoir à réparer quelque chose. Est-ce à lui de le faire, pas plus qu’il lui revenait de voir un viol. Mais on sent qu’il va le faire parce que ce passé est aussi   une possibilité de  partage. De faire un présent (aux deux sens du terme) acceptable après un passé qui ne l’était pas.

Du coup,  il nous reste Djalil (Mehdi Ramdani). Le jeune homme qui ne rit pas -Intense le garçon, vous avez vu? – Lui porte une liberté, il est comme cette musique du film, il est à la fois la musique de Rina Raï et parfois comme Mourad,  celle plus sombre plus résignée d’une messe de Bach interprétée par Alfred Deller. Peut-être est-il aussi  une promesse, celle du groupe musical « Kusturicien » qui clôt la 2ème partie. L’espoir et la résignation. À lui on peut dédier cet extrait d’une interview de Karim Massaoui : « En Algérie, les ancêtres sont encore sacralisés, ils sont très présents, avec leur base morale, leurs codes de conduite, ils sont là, ils nous surveillent et ils exercent une sorte de chantage occulte qui se rappelle sans cesse à nous : si on trahit leur mémoire, on sera bannis ».

Et terminer ce commentaire sur ce film rhizome par cet extrait musical.

Raina Rai, Ya Zina Diri Latay – راينا راي , يازينة – YouTube

 

 

*(1)Scotome : Le terme scotome désigne une lacune immobile dans le champ visuel (étendue perçue par le regard quand celui-ci reste immobile) due à l’absence de perception dans une zone de la rétine.

PS (et « repentir ») : Jamais musique de film n’est innocente. La prochaine fois je ferais très  attention, ici elle vaudrait à elle seule un article , et surtout aurait du être  davantage soulignée lors de la présentation du film, le choix de  la musique Raï doit nous rappeler que les extrémistes  religieux ont aussi assassiné  cet élan de création culturel universel, une musique de toute beauté… et physiquement, certains de ses représentants. Le choix de cette musique dans le film n’est donc pas innocent. Il faudrait-alors ré-écouter toute la bande musicale. 

 

« 12 jours » de Raymond Depardon

Soirée-débat lundi 15 à 20h30
Film français (novembre 2017, 1h27) de Raymond Depardon

Avant 12 jours, les personnes hospitalisées en psychiatrie sans leur consentement sont présentées en audience, d’un côté un juge, de l’autre un patient, entre eux naît un dialogue sur le sens du mot liberté et de la vie.
Présenté par Georges Joniaux

 

Notes de débat

Par une curieuse association, Raymond Depardon documentariste est pour moi ce que Georges Perec est à la littérature :  regard , pudeur, humilité, délicatesse,  précision, sobriété,   obsessionalisation du sujet-du sujet banal – qu’il décortique à mesure.

Qui nous montrerait ce que Raymond Depardon nous montre? Son film précédent s’appelait les habitants. En voici d’autres. D’autres, les malades mentaux, dont on ne parle pas trop mais c’est aussi vrai de n’importe quelle maladie, qui connaît le nombre de diabétique ou d’hypertendus ?

Éléments de contexte

Plus de 400 000 personnes chaque année ont recours à une hospitalisation plein-temps en psychiatrie — C’est-à-dire environ 6% de la population française — Parmi eux près de 90 000 font l’objet d’hospitalisation sous contrainte.

Un dispositif légal  pour protéger ces malades ou se protéger d’eux le cas échéant, existe depuis longtemps. En effet une loi en 1838 instituait les placements obligatoires, placements volontaires, placements libres, elle a vécu plus de 150 ans.

En 1990, voici la loi de remplacement, le terme placement est remplacé par Hospitalisation, les adjectifs demeurent les mêmes, sauf pour le placement volontaire (qui ne l’était guère) qui devient ce qu’il a toujours été en réalité : hospitalisation à la demande d’un tiers (HDT). Les droits et recours de ces malades mentaux sont mieux reconnus et renforcés.

2011, la France poursuit 3 objectifs, répondre aux directives européennes, répondre à des questions prioritaires de constitution(QPC), et satisfaire une politique sécuritaire plutôt en vogue. Elle présente l’avantage d’instituer 3 modalités d’hospitalisation :

Péril imminent, soins psychiatriques à la demande d’un tiers, soins psychiatriques à la demande d’un représentant de l’état. Les termes ont un sens, l’hospitalisation plein-temps n’est plus la seule modalité de prise en charge car il est désormais question de soins obligatoires.  Mais par démagogie sécuritaire, cette loi supprimait alors les permissions d’essais, transformant cette modalité en prison.

2013, améliore 2011, à peine en œuvre et concernée par une QPC, en rétablissant les sorties thérapeutiques et en raccourcissant le délai d’intervention du juge. Elle se propose aussi de suprimer les unités pour malades difficiles (dangereux). Ce qui n’est pas fait.

Question : Les psychiatres pour les malades mentaux, comme les juges pour les condamnés ont désormais le choix, enfermement ou non ? Peuvent-ils, pourront-ils s’en emparer ?  Un élément de réponse, les uns comme les autres auront  besoin de beaucoup de temps et de pédagogie (comme disent nos politiciens condescendants) pour obtenir l’assentiment de populations diverses depuis trop longtemps gavées de sécuritarisme et toujours prêtes à rouvrir de vieux dossiers.

Question : D’aucuns psychiatres contestent la présence d’un juge des libertés et de la détention arguant qu’un malade n’est pas un détenu… Cet argument qui ne tient compte que d’un terme du rôle du juge n’est-il pas spécieux ? Ils proposent que ce contrôle soit effectué  par une commission, cette procédure ne risquerait-elle pas de rendre le processus plus lourd et moins opérationnel ? (Seul un juge peut prononcer une main levée).

Mais venons-en à 12 jours.

Le dispositif du film est simple 3 caméras sans pieds (pour mieux se faire oublier), une pour le patient et son avocat, 1 pour le juge, une pour le cadre dans son ensemble. Le juge le plus souvent filmé de trois quarts, comme vu par l’avocat, le patient est plutôt filmé de face, le cadre est filmé en diagonal.

La prise de son toujours essentielle, petits micros pour tous, sauf pour le patient qui est « perché ». C’est donc une succession de gros plans alternés, qui après le montage, va constituer l’essentiel du film.

Il retrace le déroulement de l’audience, une audience où se joue la prolongation d’hospitalisation contraintes des patients,  et montre en même temps, la distance, l’espace dans une relation par nature asymétrique et l’enjeu. Hors la salle d’audience transportée à l’hôpital, il y a les lieux voisins, l’hôpital avec ses couloirs, ses chambres, ses grillages, ses lits de contention, parfois des patients qui marchent et  le temps qu’il fait. Ce changement de décor, comme un interlude est censé détendre le spectateur.

Je formulerais une critique mineure sur cette déambulation de caméra. Raymond Depardon dans les interviews qu’il a accordé ne manque jamais de souligner les progrès de la prise en charge des malades mentaux, et il est vrai que depuis « San Clémente » son premier film sur le sujet, et même depuis « Urgences » les choses ont bien changé. Or, que nous montre-t-il ? Des espaces propres, (l’hôpital le Vinatier est neuf), de longs couloirs blancs et déserts zoomés, puis pesamment, un lit de contention. L’imaginaire du lit de contention depuis que les États-Unis exécutent ses condamnés par injection létale a quelque chose de terrifiant. Idem les va-et-vient de ce pauvre homme édenté, (on pourrait commenter ce seul  détail) probablement rendu aussi chronique par sa maladie que par le système, dans son petit espace grillagé, qu’apportent-elles ? Comment peut-on se saisir de ces images ? Que peut-on en faire ? Ces séquences constituent une sorte de hors-champ artificiel qui empêche d’imaginer la vie même de ces malades hospitalisés. Vie qui ne comporte pas que solitude mais aussi promiscuité. Celle des autres patients, celle des soignants et en général, la cohorte de tous ceux qui passent et qui peuvent vous regarder ou pire encore, ne pas vous regarder, dans ce lieu là. En outre, je ne saurai l’affirmer, mais il me semble que l’essentiel a été tourné dans une Unité pour Malade Difficile (UMD), je n’imagine pas tant de grillages ailleurs. Ceux-ci ne représentent pas, et loin de là,  le lieu de vie de l’ensemble des malades soignés sous contrainte.

Avec Raymond Depardon, les images sont belles, elles nous montrent ce que nous ne voyons généralement pas, mais dans ce cas, le parti pris poétique et esthétique fait un peu écran. D’autant que cette déambulation, flânerie de la caméra est soulignée par la musique impressionniste d’Alexandre Desplat. Peut-être Raymond Depardon voulait-il avant tout transmettre une sensation, une sorte de mélancolie. Avec la tristesse, il nous donne la note juste, l’état d’esprit qu’il faut pour sentir le film. Et puis, c’est toujours une question de focale.

 Mais venons-en au sujet, ce que nous dit le film, ce qu’il a de remarquable : ce sont des malades, privés de liberté pour lesquels un juge, pas spécialement formé en psychopathologie doit valider ou invalider une hospitalisation contrainte. Et ça, c’est nouveau et intéressant au plan symbolique car l’article premier des droits des personnes hospitalisés en psychiatrie dit ceci : « Toute personne faisant l’objet de soins psychiatriques ou sa famille dispose du droit de s’adresser au praticien ou à l’équipe de santé mentale, publique ou privée, de son choix tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du secteur psychiatrique correspondant à son lieu de résidence. »

Ce principe fondamental  ne peut connaître aucune entrave. Et lorsque cette procédure aboutit à un pourcentage significatif de main-levée, ici 9% on se dit que cette mesure était parfaitement justifiée. Il est toujours possible qu’ un juge commette une erreur d’appréciation. Elle lui sera reprochée et le dispositif se renforcera. Primat de la liberté, cela constitue toujours un progrès humain et le juge  représente  celui qui protège  la liberté de l’individu.

Quant à l’enfermement, s’il est parfois nécessaire pour protéger le patient contre lui-même ou protéger la société, il n’en conserve pas moins dans l’absolu, un caractère de punition. Pour les justiciables de droit commun, il y a deux options, réparation et punition. Parmi les punitions il y a la privation de liberté. Je ne vois pas par quel miracle, une personne privée de liberté, ne pourrait pas se considérer comme punie. Et l’enfermement a toujours un caractère totalitaire. L’homme enfermé se voit dépersonnalisé, il ne décide plus rien, ni de son temps, ni de ce qu’il doit où peut faire. Il est soumis à l’organisation bureaucratique de l’institution qui le contient. Et pas seulement soumis, il y est infériorisé par l’asymétrie des relations. Sa vie privée lui échappe*(1). Raison de plus pour en user qu’en dernier recours.

Les malades que nous voyons dans 12 jours, portent en eux tous les conflits, toutes les folies de la société dans laquelle ils vivent, nous baignons dans le même jus. L’on y  voit apparaître des mots, kalachnikov, harcèlement, viol, etc. Depuis, toujours les malades mentaux se sont fait l’écho de nos violences* .Le documentaire ne s’arrête pas là, il montre la souffrance… La maladie mentale n’est pas une originalité , une esthétique filmique, elle est d’abord une douleur et parfois, la pire d’entre elles. Quant à l’enfermement, c’ est une violence, parfois nécessaire mais violence. Alors, l’introduction du juge dans un processus de décision, tout comme le raccourcissement des durées de séjour et des  soins alternatifs  qui se dessinent sont des progrès. L’un est scientifique, l’autre est juridique. Ce dont témoigne « 12 jours ».

Avec « 12 jours » Raymond Depardon filme la parole,  il filme  une  autre image des habitants. Raymond Depardon y   consacre son œuvre et quelle œuvre !

 

 

* (1) Voir  description des institutions totalitaires  dans « Asiles » de Erving Goffmann, éditions de minuit

*PS1 : j’ai oublié de répondre à l’un des cramés de la bobine sur la liberté de suicide. Le cas de la jeune femme suicidante, qui veut  sortir pour se suicider, mais veut aussi conserver son gentil  chat et vivre dans un appartement thérapeutique parce qu’elle n’aime pas être seule, questionne sur son illusion rétrospective d’avoir toujours eu envie de se suicider et de le vouloir sans cesse. Tant qu’il y a du désir… Je zappe sur la  part  philosophique de votre questionnement, ma réponse ne serait pas au niveau.  J’ajouterai  que l’envie de sauver des vies ou d’assister les malades est incorrigible  pour tous médecins et pour tous  soignants en général, ils ne savent pas penser autrement, mais faut-il s’en plaindre ?

*PS2 : Pauline posait un  regard sur les juges, je regrette que nous ne soyons pas allés plus loin. 

*PS3 : J’ai apprécié le »salon d’apaisement » d’où sortaient des cris. Ce nom donné à une chambre capitonnée  a quelque chose d’Orwellien,  tendance 1984, comme on sait de mieux en mieux faire..