« La Juste Route » de Ferenc Török

Du 29 mars au 3 avril 2018
Soirée débat mardi 3 avril à 20h30

Film hongrois (vostf, janvier 2018, 1h31) de Ferenc Török avec Péter Rudolf, Bence Tasnádi et Tamás Szabó KimmelDistributeur : Septième Factory 
Titre original : 1945Présenté par Georges Joniaux

Synopsis : En août 1945, au cœur de la Hongrie, un village s’apprête à célébrer le mariage du fils du secrétaire de mairie tandis que deux juifs orthodoxes arrivent, chargés de lourdes caisses. Un bruit circule qu’ils sont les héritiers de déportés et que d’autres, plus nombreux peuvent revenir réclamer leurs biens. Leur arrivée questionne la responsabilité de certains et bouleverse le destin des jeunes mariés.

 « Le nazisme était terminé et le communisme n’avait pas encore commencé. Nous avons essayé de capter l’atmosphère de cette époque ».  Ferenc Török

Le titre original de  ce film en Hongrois est 1945, ce titre est intéressant car il pointe un moment ou la Hongrie est encore en devenir. Le titre français ne l’est pas moins, la juste route, est-elle celle qui va d’un point à un autre, de la gare au cimetière ?

 L’originalité du film c’est son point de vue :  il y a deux juifs qui vont leur triste chemin, ils sont comme le disait Jean-Pierre « tels des ectoplasmes ». Ils portent des signes distinctifs des juifs traditionnels, ce qui éveille des interrogations, des  craintes et  réveille des mauvaises consciences chez les villageois.

J’admets bien volontiers avec Sylvie de considérer que les juifs hongrois traditionalistes sont une représentation inadéquate des juifs hongrois, je n’en persiste pas moins à  considérer qu’ils existent, et  que les choisir eux plutôt que d’autres était judicieux dans le scénario, pour la démonstration et pour le lieu ou se déroule l’action. Cette cérémonie où père et  fils  marchent dignement,  en misérable cortège, derrière de modestes reliques de morts dont les dépouilles sont parties en fumée est crédible parce que ce sont  des gens pieux et modestes qui exécutent ce rituel et que par ailleurs, ils devaient être familiers aux villageois.

Ces revenants sont des signes inducteurs du « retour du refoulé » dans le village.  Ils sont les révélateurs des choses cachées, encryptées* dans les âmes des villageois. Et au fond ce qui est essentiel dans le film, ce n’est pas tant eux mais ce qu’ils induisent. Ce qui se  passe  dans le village pendant que ces deux-là marchent.

Ce qui se passe : Peu avant, la Hongrie, alliée de l’Allemagne, a tenté de changer d’alliance et en mars 1944, elle est occupée par les Allemands.

Les villageois vont connaître la terreur pour certains, on le vérifie avec cette vieille dame qui a avoué qu’elle cachait des enfants juifs, les condamnant à une mort certaine. Il y a aussi  la collaboration et l’opportunisme pour d’autres. C’est le cas du secrétaire de Mairie qui a manipulé et soudoyé un pauvre bougre pour qu’il dénonce Pollak, son « meilleur ami » et ainsi s’approprier  ses biens.

Le cœur du film c’est d’une part  la spoliation, et le rachat à vil prix de ces biens et  c’est une des grandeurs de ce film de montrer que la spoliation concerne ce qui faisait la vie même de ces gens spoliés et pas seulement comme on le voit trop souvent des objets d’art, symboles de culture et de puissance. Ici était visée la modeste épicerie des Pollak,  là où ils seront, ils n’en auront plus besoin, devait penser le secrétaire de mairie…Comme à la fin du film, le rappelle allégoriquement  la  fumée du train de 15 heures, dans lequel les deux juifs repartent.

Et d’autre part, c’est la souffrance des gens du village complices qui par leur silence  partagent l’indignité du vol.  Comme ça va bien avec le sujet du film, je m’autorise cette citation du livre d’Ezekiel :

« Les pères ont mangé des raisins verts, et les dents des enfants en ont été agacées ».

On peut appeler enfants, le fils qui à la révélation de la turpitude de son père et quitte tout, y compris sa belle,volage et cupide fiancée. Enfant, ce pauvre homme alcoolique qui a obtenu une modeste maison en guise de remerciements pour sa collaboration… Et finit par se pendre. Enfant, la femme délaissée de ce secrétaire de mairie, qui se shoote à l’éther pour ne pas voir l’homme avec qui elle vit. Enfants tous ces passifs villageois qui se rendent au cimetière pour savoir ce qui se passe et « contribuer à n’en pas douter, à régler l’éventuel désordre ».

La liste des enfants aux dents agacées est bien longue car les  « secrétaires de mairie », assassin et voleur, et leurs frères embarquent tout le monde dans leur indignité.

Ferenc Torok contribue à  rendre la question de la spoliation des juifs  claire en la situant là où elle est, au cœur de la vie même des spoliés comme des spoliateurs et des silencieux complices, et en montrant que les crimes cachés ne cessent de faire vagues et traversent les générations.

J’imagine par extension,  que F.Torok nous dit  aussi que la pensée réactionnaire de Orban et  les siens, repose sur l’assentiment d’une population « aux dents agacées », qui refuse de considérer que la juste route c’est celle qui va à la vérité.

*J’emprunte  le terme  crypte   à  Marie Torok et Nicolas Abraham, psychanalystes  qui ont consacré des articles originaux et  convaincants à cette question des secrets familiaux.

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