Convoi exceptionnel de Bertrand Blier

Convoi exceptionnel : Affiche

Le destin, qui l’écrit ? Quand ? à l’avance , du jour au lendemain ? à l’arrachée, là pour tout de suite ? Quand est-ce qu’on nous le distribue ? Faut-il pleurer pour l’avoir ? Faut-il attendre que ça tombe, ne rien faire et attendre ? Ne peut-on jamais l’écrire soi-même ?
Il y a Foster (Clavier) qui a son scénario avec lui, tout est écrit, plein de pages bien reliées, il sait où il va et y entraîne Taupin, Raoul Taupin (Depardieu) parce que c’est écrit, c’est comme ça, alors on y va. Et voilà nos deux énergumènes réunis pour accomplir leur morceau de destin commun. Taupin lui navigue à vue, n’a jamais son texte … Et, contre toute attente, ils se prennent d’amitié. Parce que c’est dans le scénario, c’est invraisemblable, c’est la vie. Les rencontres s’orchestrent, les sentiments se placent et se déplacent au fil des pages.
L’amitié entre potes, si c’est écrit, c’est écrit et pour toujours, les aléas de la vie n’y changent rien, les amis se retrouvent. Sauf que … dernière image du film, Blier est revenu de tout, « les copains d’abord » semble avoir fait naufrage …
De l’amour, il est revenu aussi et ça depuis longtemps ! Ah ! Les femmes chez Blier ! Pas des poèmes !
Ici, la boulangère, sorte d’ogresse, mère nourricière qui nourrit évidemment mais laisse dans la rue. Esther, vieillissante et perdue, qui s’accroche à ceux qui passent comme à autant de radeaux, qui attend d’être au bout de sa vie pour qu’enfin elle la chante sa chanson. Danse avec moi … C’est peut-être juste trop tard … L’occasion s’était présentée avant pourtant ! Ce n’était sans doute pas écrit dans le scénario qu’il fallait l’image et le son, ou alors c’est l’image qui ne collait pas alors le son … ou alors elle a sauté une ligne et faut pas sauter de ligne ! Jennifer, partie depuis longtemps, disparue et que Taupin, abandonné, a laissée envahir sa vie. Sabine, vénale, cruelle, si belle !
Sabine, debout, magistrale et dorée et Foster assis sur un banc, au clair de lune … Quelle scène !

Foster trompé, abandonné, déchu et Taupin, trompé, abandonné, relevé
Un duo d’artistes qu’on regarde déambuler, se cogner à la vie, essayer de comprendre toute cette histoire où ils ont été empêtres.

Même en rajoutant l’impro de Gégé, sur la recette du poulet truffé, rôti en cocotte, au four et du lapin au sang (faudra essayer le chocolat pour nacrer la sauce, vous, pas moi, jamais de lapin), le scénario est sans doute un peu court, il manque ce qui est écrit dans la marge, avec les ratures, à l’encre sympathique, pour que le film soit plus enlevé, plus fini.
Pour que l’ esquisse devienne eau forte.

N’empêche, un film intéressant sur le destin, et original , du Blier quoi !
On le reconnaît toujours, convoi exceptionnel !

Marie-No

« Nous les coyotes » de Hanna Ladoul et Marco La Via

 

Du 21 au 26 février 2019
Soirée débat mardi 26 à 20h30

Autres séances jeudi et dimanche en fin d’après-midi et mardi après-midi

Film américain ( décembre 2018, 1h27) de Hanna Ladoul et Marco La Via avec Morgan Saylor, McCaul Lombardi, Betsy Brandt

Distributeur : New Story

Présenté par Georges Joniaux

Synopsis : Amanda et Jake ont la vingtaine et veulent commencer une nouvelle vie ensemble à Los Angeles. Rien ne se passe comme prévu pour le jeune couple. Leur première journée dans la Cité des Anges va les emmener de déconvenues en surprises d’un bout à l’autre de la ville

 

Les coyotes sont des animaux sauvages à l’allure majestueuse qui coexistent avec les humains, parce que les humains ont envahi leur habitat naturel. Ils errent à la recherche de nourriture et d’un endroit où passer la nuit. Amanda et Jake, avec lesquels nous vivons les premières 24 heures de leur arrivée à L.A., sont des coyotes qui cherchent à se faire une petite place parmi les anges.
Lacher la rampe et se lancer sans filet dans ce nouveau monde et l’envers de son décor, est courageux et, respectueux de cette entreprise, nous nous attachons très vite à ces amoureux qui, s’ils ne savent pas encore exactement où ils vont et comment y aller, savent très bien ce qu’ils ne veulent pas devenir et à qui ils ne veulent pas ressembler.
Parce qu’ils partent sans rien et qu’elle ne peut pas faire part de son projet à ses parents, Amanda a emprunté de l’argent à son père, sans son accord.
C’est blâmable sans doute. Pourtant, malgré les apparences,  c’est une jeune femme bien sous tout rapport et son honnêteté la fait se dénoncer quand ses géniteurs attribuent le larcin à Jake,  évidemment, car chez ces gens-là, l’habit fait toujours le moine.
Jake est un peu débraillé, il n’a pas de « situation », mais il a la vie devant lui. On lui devine de belles qualités humaines et il connait Francis Ponge.

« L’huître
L’huître, de la grosseur d’un galet moyen, est d’une apparence plus rugueuse, d’une couleur moins unie, brillamment blanchâtre. C’est un monde opiniâtrement clos. Pourtant on peut l’ouvrir : il faut alors la tenir au creux d’un torchon, se servir d’un couteau ébréché et peu franc, s’y reprendre à plusieurs fois. Les doigts curieux s’y coupent, s’y cassent les ongles : c’est un travail grossier. Les coups qu’on lui porte marquent son enveloppe de ronds blancs, d’une sorte de halos.
A l’intérieur l’on trouve tout un monde, à boire et à manger : sous un firmament (à proprement parler) de nacre, les cieux d’en dessus s’affaissent sur les cieux d’en dessous, pour ne plus former qu’une mare, un sachet visqueux et verdâtre, qui flue et reflue à l’odeur et à la vue, frangé d’une dentelle noirâtre sur les bords.
Parfois très rare une formule perle à leur gosier de nacre, d’où l’on trouve aussitôt à s’orner. » 
Francis Ponge – Le parti pris des choses (1942)

 

Il est comme ça le monde.
Celui qu’ils ont choisi dans la cité des Anges, patiemment, avec la force de leur jeunesse (et un peu de chance aussi), Amanda et Jake le feront s’ouvrir pour y boire leurs jours.

L’american way of life, en mode today.
Joli film, jolis personnages qu’on prend le temps de bien regarder.

 

Marie-No

Claude Goretta 1929-2019

« J’ai toujours eu le souci constant de me faire l’interprète de gens ne disposant pas du pouvoir ou des capacités de s’exprimer. J’ai toujours regardé vers le bas. C’est sans doute lié à mon origine familiale modeste.
Claude Goretta, cinéaste

Claude Goretta est mort hier à l’âge de 89 ans. Scénariste, producteur (Groupe 5), réalisateur de très beaux documentaires (dont ceux pour Continents sans visa sur RTS) et d’une quarantaine de films de fictions, pour moitié pour la télévision. Il était l’ami d’Alain Tanner depuis leur jeunesse.
Le nom de Claude Goretta reste associé à « L’Invitation » et aussi, particulièrement, à « La Dentellière » (1976) film emblématique des années 70, qui le fit connaître du grand public et propulsa Isabelle Huppert dans une lumière restée sur elle..
De Claude Goretta, je me souviens aussi des épisodes de grande qualité de la série des Maigret/Bruno Kremer qu’il réalisa pour la télévision : « Maigret et la grande perche » (le tout premier de la série) avec Michael Lonsdale, « Maigret et les caves du Majestic » avec Jérome Deschamps, « Maigret a peur » avec Jean-Paul Roussillon.
Du bon cinéma

 

L’Homme fidèle de Louis Garrel

Du 7 au 12 février 2019Soirée débat mardi 12 à 20h30


Autres séances jeudi et dimanche en fin d’après-midi et mardi après-midi

Film français ( décembre 2018, 1h15) de Louis Garrel avec Laetitia Casta, Louis Garrel et Lily-Rose Depp

Distributeur : Ad Vitam

Présenté par Françoise Fouillé

Synopsis : Abel et Marianne sont séparés depuis 10 ans.
Alors qu’ils se retrouvent, Abel décide de reconquérir Marianne.
Mais les choses ont changé : Marianne a un fils, Joseph, et sa tante, la jeune Ève, a grandi.
Et ils ont des secrets à révéler….

Brigitte Sy et Philippe Garrel

Brigitte Sy in Les baisers de secours

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ont eu un fils, Louis

Image associée

Devenu grand,

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là, souffle coupé, on prend une grande inspiration …
Louis est à tomber ! Jamais vu ça
Même les plus grands ex. Trintignant, Piccoli, Depardieu, Dutronc ne sidèrent, stupéfient à ce point
Il est un film. Regarder l’acteur, le réalisateur,  les deux. Fascinant.
Il a fait deux films longs métrages épatants : Les deux amis et L’Homme fidèle. Vivement le troisième !

J’ai aimé L’Homme fidèle et tous ses personnages. J’ai aimé  les dialogues et l’image, le rythme soutenu et léger et les situations bien vues et enchaînées.
J’ai été captivée *

L’Homme fidèle éclaire l’infidélité subie, volontaire, occasionnelle, permanente, culpabilisante, libératrice. Marianne est fidèle à ses deux hommes, Abel est infidèle à Marianne et en même temps est fondamentalement fidèle à Marianne, la femme qu’il aime.
Marianne, maîtresse de cérémonie, qui orchestre, organise et distribue les cartes dans sa vie professionnelle et dans sa vie privée et qui relaie cette totale implication, son énergie vitale à son jeune fils, Joseph qui, pour ce qui le concerne et pour se rassurer, revisite la réalité pour trouver une explication, une cause et donner une suite aux injustices de la vie.
Et protéger sa mère dont il se veut le seul à savoir les grands secrets.
Joseph (formidable Joseph Engel !) est l’allié de sa mère, son chevalier, à vie.
Laetitia Casta est Marianne, une femme de 40 ans qui a vécu, souffert aussi, en a les marques et l’élégance de les faire paraître légères, qui s’applique à accueillir les sentiments simplement, sans faire un drame de rien. Elle fait des choix, elle marche sans se laisser envahir par les convenances, les habitudes, la peur. La meilleure défense c’est l’attaque alors vaillamment, elle va attaquer le noeud du problème. Ainsi, il n’y aura plus de doute. La situation sera comme elle : claire. Très beau personnage.
J’avais quelques réserves sur le choix de Lily Rose Depp parce que fille de et pourquoi ne pas choisir une jeune actrice qui a besoin de travailler .Mais il faut reconnaître qu’elle est parfaite dans le rôle de la très jeune Eve pour qui Abel est un fantasme d’enfant qu’elle croit devenu passion.
Marianne saura contrer les armes de cette chasseresse de vingt ans tout simplement en lui offrant sa proie désamorçant ainsi la relation qui se dégonfle comme un ballon de baudruche. Stratégie courageuse d’une femme fidèle.
Abel revient. Ils se sont accordés. C’est toujours elle qui donne le la.

Après …
Les instruments de musique toujours se désaccordent
Toujours, il faut les ré-accorder. Parfois changer une pièce devient inévitable.

Marie-No

PS : Louis Garrel filme beaucoup en gros plans.
* Cette interview de Jean Renoir illustre ce que le cinéma de Louis Garrel nous fait ressentir.

Michel Legrand (1932-2019)

Triste nouvelle
Michel Legrand n’est plus.

Formidable musicien, né dans la musique, souriant à la vie.

Aux Cramés, on l’avait « côtoyé » récemment, à nouveau, à l’occasion de notre cycle Jacques Demy et, lors de notre rétrospective Agnès Varda, on l’avait reconnu, tout jeune, dans Cléo de 5 à 7, une de ses deux seules apparitions sur grand écran.

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Les débuts d’une belle vie de créations ! Plus de 200 musiques de films pour les plus grand réalisateurs sur 7 décennies !

S’échappant du décor, sortant du cadre, ses musiques se sont envolées pour vivre leurs vies et continuer à rythmer nos années de leurs tempos intemporels.

 

Amanda (2) Mikhael Hers

 

Amanda : Affiche

Vous prendrez bien un peu de pathos ? Non, merci.
Et surtout pas en tisane.

C’est le premier film sur la vie post attentats, bien.
Mais, placés sans échappatoire possible parmi les gentils, qu’avec des gentils, on manque d’air sous les grosses ficelles du scénario : une petite orpheline grassouillette (surnommée « mon p’tit lardon » par son oncle et que sa mère laisse se gaver de paris-brest), une autre mère anglaise absente qui va immanquablement surgir (c’est amené à la truelle avec le coup des billets pour Wimbledon), la parabole autour de « Elvis has left the building » et le match de tennis qui sonne tellement faux quand elle débarque enfin, en bouquet final, c’en est presque gênant !
Tout se passe comme si les personnages, proches des survivants des attentats, et survivants en rôles secondaires, étaient dans du coton et la mise en scène et le jeu des acteurs, assez moyen, tentent de nous y envelopper. Trop peu de mal à ne pas se laisser faire, hélas et on reste à distance, peu ému par cette histoire de deuil et de reconstruction dans un décor où tout est amorti, lissé, normalisé.
Comme si toute la violence du monde était dans l’attentat et leurs auteurs, Mikhaël Hers nous impose la bonté incontestable de ses personnages, des gens simples, transparents, normaux, nous et en forçant l’émotion par leur sincérité mêlée de maladresse, subrepticement, il amène le pathos, sans en avoir l’air (mais en oubliant d’ôter ses gros sabots, mince !), dans un Paris qui n’existe pas, n’a jamais existé, mais ce n’est pas gênant puisque au contraire l’histoire s’insère parfaitement dans ces parcs ensoleillés, si verts. Forcément verts. Définitivement verts. Aseptisés.

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Marie-No

High life de Claire Denis

Nominé au Festival International du Film de Toronto 2018

Du 27 décembre 2018 au 1er janvier 2019

Soirée débat jeudi 27 à 20h30Autres séances jeudi et dimanche en fin d’après-midi et mardi après-midiFilm anglophone (vo, novembre 2018, 1h51) de Claire Denis avec Robert Pattinson, Juliette Binoche et André Benjamin

Distributeur : Wild Bunch

Présenté par Danièle Sainturel 

Synopsis : Interdit aux moins de 12 ans avec avertissement
Un groupe de criminels condamnés à mort accepte de commuer leur peine et de devenir les cobayes d’une mission spatiale en dehors du système solaire. Une mission hors normes…

Grand ! On n’est pas emporté dans cette dimension : on y est, dès le début !
Sans encore rien connaître de l’histoire, on sait avec la scène d’ouverture, avec la chute symbolique de l’outil, qu’il n’y a désormais plus moyen de réparer.
Il faudra que ça tienne.
Et ça tiendra. Le temps que Willow grandisse et qu’arrive la seule chance de rédemption.

On est en apesanteur, voyageant dans le temps, avant le début de l’aventure , au temps de la vie sur terre, cette terre dont des images continuent à apparaître sur les écrans du vaisseau spatial et font peur à Willow, au temps de la rage d’avoir été bernés, de la peur de ne plus pouvoir faire demi tour, au temps de la première vie de sang et de chaos, là-bas, au temps où ils étaient encore tous les 7.
7 pauvres hères regroupés à bord de ce vaisseau fantôme.

Leur salut ne peut être que devant, dans ce trou noir, destination ultime de la mission initiée il y a longtemps, et son immense lumière enfin approchée où s’engloutiront, enfin, Monte et sa fille, Willow, petit saule devenu solide, seuls survivants de cette odyssée.

Les images sont superbes de bout en bout, de la lumière bleue à la lumière orange, hypnotiques, fascinantes et, avec la musique ajoutée, on plane, à distance, au dessus des sujets abordés tels l’isolement provoqué, la recherche de la perfection par manipulation génétique interposée, la force de la nature, la terre qui lave et purifie, la violence inculquée indélébile ou remédiable … . On plane, conscients et détachés. Les cadavres cryogénises et l’image de ces corps martyrisés, enveloppés dans leurs cominaisons et casques devenus linceuls, lâchés dans le cosmos, formant un étrange bouquet, est d’une incroyable douceur.  On se sent délestés.

High Life : Photo Robert Pattinson

Bien sûr, on adore Monte ! Sa relation à son bébé fille, ses gestes lents, tendres, ses soins, ses paroles, blotti dans sa confiance en cette toute petite personne blottie contre lui, leur apprentissage de ce monde imposé dont il parvient à extraire suffisamment de sérénité pour qu’elle se lève et marche. Cet amour touche en plein cœur.

Evidemment on adore Robert Pattinson et la scène avec Dibbs abusant de lui dans son sommeil semble, ô combien, évidente. Monte, lui, rêvait de Boyse qui ressemble tant à sa jeune amie du bord de l’eau, Résultat de recherche d'images pour "high life"Boyse qui, sans qu’ils le sachent, va porter son enfant que Dibbs lui ravira, la laissant, elle aussi abusée, ruisselante de lait inutile.
Willow, l’enfant, ne ressemblera à personne jusqu’à la dernière porte et sa transfiguration dans la lumière couleur de feu.

Un film magnifique qui entre naturellement dans mon top 8 de l’année 2018

Marie-No