Les graines du figuier sauvage- Mohammad Rasoulof (2)

Comme la plupart des films iraniens, ce film qui fut annoncé comme une possible palme d’or, prix spécial du jury tout de même, remplit ses salles. L’Iran, ce pays tyrannique, malgré ses intentions d’abêtissement de toute une population ne réussit pas à tuer, comme le tente chaque pays totalitaire, ce qu’il déteste le plus, la pensée. Et non plus, il n’empêche ces cinéastes de faire leur métier et surtout d’y exceller. Ils sont nombreux et les persécutions bien réelles qu’on leur fait subir n’y peuvent rien, au contraire, elles dopent les talents et la créativité.

Le film se situe donc au moment des protestations consécutives à la mort d’une jeune femme kurde iranienne, Mahsa Jîna Amini, arrêtée et potentiellement maltraitée par la police des mœurs de l’Iran … mais dont la presse toutou dit qu’elle aurait fait un malaise. Les étudiants iraniens n’entendent pas la chose de cette oreille, et la contestation grandit, les jeunes femmes par milliers sortent sans  foulard. Dans ce climat, la police joue la pleine répression, en multipliant les arrestations, en utilisant des armes parfois mutilantes contre ce peuple en colère. Le décor est campé si l’on peut dire..

Les Figuiers…a pour arrière fond l’appareil répressif de l’Iran avec ses procès et ses prisons, ses exécutions capitales 853 en 2023, et sa répression des femmes. Au moment du film, les autorités iraniennes ont renforcé la répression des femmes qui ne portent pas le voile (ou le portent de manière inappropriée) dans les lieux publics en mettant en place une surveillance généralisée des femmes et des filles dans l’espace public et en procédant à des contrôles de police massifs, ciblant notamment les femmes qui conduisent, nous dit Amnesty Internationale.

Un homme, Iman (Mizach Zare) fonctionnaire, auxiliaire de justice, reçoit une promotion, il est nommé enquêteur. On lui remet une arme et des balles, il signe un reçu, c’est la première et magnifique image du film. Et c’est autour de ce personnage que le film s’articule. Qui est-t-il ? Allure costaude, élégante, il mène une vie de petit bourgeois de Téhéran, il a une jolie femme, soumise et parfaite et deux gentilles filles sérieuses, qui sont admises à l’université. Cette promotion professionnelle, c’est pour lui la promesse d’un logement de fonction plus grand et d’un meilleur revenu, tellement nécessaires pour que ces deux filles aient une chambre à elles et davantage de confort. Au plan narcissique, ce n’est pas rien non plus, sa nouvelle position hiérarchique c’est juste la marche qui le sépare du poste de Juge ! .

Iman est fier de lui-même, il s’estime intègre et travailleur et imagine a voir été choisi pour ces raisons. Il ne tarde pas à s’apercevoir qu’il est nommé contre d’autres, qu’il y avait des prétendants et qu’il ne doit cette place qu’à un appui, son ami Ghaderi (Reza Akhlaghirad, vous vous souvenez sans doute, il jouait dans un homme intègre). Il ne tarde pas à s’apercevoir également, qu’il n’est que l’agent d’une machinerie bureaucratique, il s’agit non pas d’y instruire des dossiers, mais de signer des condamnations,  le plus souvent à mort. Il en est d’abord déçu, mais bon gré, mal gré, il accepte, après tout, comme lui suggère sa femme, il n’est qu’un modeste rouage. Pendant ce temps, dehors la jeunesse est révoltée, la police mutile et tue, et dans les prisons d’Iran, avec le concours des enquêteurs, on exécute.

Il y a des grains de sable dans la machine cependant, sur internet, des listes circulent ouvertes à tous, celles des enquêteurs par exemple, avec leurs noms, adresses, véhicules .

L’écart entre l’opinion qu’Iman se fait de lui et la réalité, sa femme l’a toujours bien mesuré, elle sait subtilement canaliser les violences et les peurs de son époux, les désamorcer. Tout va bien, jusqu’au moment où Iman « égare » son arme de service, ça risque 3 ans de prison, le déshonneur, et le désaveux de son ami Ghaderi…Et là ça ne marche plus cette affaire ! Secrètement, il panique, et il en vient à soupçonner ses propres filles. Désormais, il n’y a plus d’épouse ou de filles, plus d’amour ou ce qui lui ressemble dans son histoire, il n’y a que des obstacles à son beau parcours et la suspicion.

Alors, ce petit bureaucrate, faible mu par la peur se fait violent, inquisitorial. Il n’a qu’un pas à faire, il connaît un spécialiste des interrogatoires psychologiques. Il diligente un interrogatoire de son épouse et de ses filles. Enfin, il tient ou croit tenir la coupable !

Mais son propre nom circule partout, sur internet, Gadheri lui conseille de se mettre au vert (si l’on peut dire !). A cette occasion, Iman conçoit alors un moyen pour faire avouer « l’une de ses femmes »… Ce projet en tête, sa mutation intérieure de loyal sujet à tyran implacable s’achève, il n’est plus un simple agent du pouvoir, il en est devenu à son échelle, l’acteur, l’incarnation même. Il est le pouvoir.

Ce qui était ancré, latent, non dit, chez Iman apparaît dans sa brutalité primitive. Le pouvoir politico-religieux existe aussi par la participation de la multitudes de ses fidèles serviteurs masculins. Iman apparaît  comme tous ces hommes par qui le pouvoir prospère,  qui ont avantage à la domination des femmes.

La fin du film, dans le dédale du village abandonné de son enfance, est à la fois symbolique et optimiste, elle suggère que cette violence très ancienne finira par se retourner, mais ça c’est une autre histoire.

Georges

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