Le potager de mon Grand-Père

 DOCUMENTAIRE DU MOIS

Semaine du 7 au 13 décembre 2016 Soirée-débat lundi 12 à 20h30

Présenté par Marie-Noëlle Vilain
Film français (avril 2016, 1h16) de Martin Esposito

« Le réel et son double * »

On est heureux d’avoir choisi cette projection à l’Alticiné…et tout autant ravi de la présentation débat de Marie-Noël qui observe que le Potager de mon grand-père est aussi un film sur le temps et la transmission… Et puis à l’amour des jardins s’ajoute un bel amour filial entre un petit fils et son grand-père. Il flotte au dessus de ce film une belle expression de la dignité humaine, et plus généralement de la dignité du vivant.

Pour le reste, un peu comme pour le scénario du documentaire Mondovino concernant les viticulteurs, il y a ici un médiocre jardinier, faire-valoir du bon. Le premier (Tonton) est un moderne, mais il a la modernité de son âge, une vieille modernité. Il est un peu « activiste », il veut un jardin ordonné, traite ses légumes sans nuance (à la bouillie bordelaise, ce qui est un moindre mal), utilise outre mesure son motoculteur, arrose sans raison, désherbe obsessionnellement. Bref, il a un peu la déraison des gens trop raisonnables et conventionnels, et ça le conduit à bien des déboires. Alors, que le second (Papy), s’appuie sur une expérience ancestrale et il observe. Sa pratique est contraire, il est adepte du non agir, il accorde confiance à son sol et à la nature, paille, combine les plantes, laisse son jardin dans une apparente anarchie. Tonton tente de maitriser, de dominer, un environnement qui l’entoure, Papy fait corps, compose avec un environnement qui le contient.

Mais en même temps, je me demande si ce monde là est bien celui où nous vivons? En effet dans le réel, il y a certes de beaux jardins et des sages jardiniers, et quelquefois de moins sage, mais il y a aussi, chaque année un tonnage constant de pesticides utilisés en France dans les cultures agricoles ou horticoles. Parmi eux, les pesticides organochlorés, modificateurs hormonaux, qui se répandent et qui selon une étude récente, se retrouvent désormais dans le corps des femmes enceintes.

Et dans nos villes et villages qu’en est-il ? Un marqueur, comme ont dit maintenant, un symbole visible de notre rapport à la vie,   c’est l’arbre. La dignité des vieux arbres. Dis moi comment vont les arbres de la ville où tu habites ?

Mutilés, massacrés à la tronçonneuses sur nos places publiques, réduits à l’état de simples et tristes troncs. Ce matin encore, je lisais les titres de l’Eclaireur du Gâtinais du 07.12 « des arbres disparaissent du paysage à Nogent sur Vernisson », Ce ne sont pas les arbres qui disparaissent du paysage, c’est le paysage qui disparait avec eux .

En revanche, à Sainte Geneviève des Bois, le conseil municipal a planté un arbre pour le climat.

Que peut un arbre ? Que peut un jardinier ? N’empêche, le potager de mon grand père est beau et la conscience du jardinier est comme une petite lumière dans la nuit.

Georges

 

* Titre emprunté à l’ouvrage de Clément Rosset

L’économie du couple

 

Du 27 octobre au 1er novembre 2016

Soirée-débat mardi 1er à 20h30

 Présenté par Martine Paroux

Film belge (août 2016,1h40) de Joachim Lafosse
Avec Bérénice Bejo, Cédric Kahn, Marthe Keller

On pourrait commencer comme ça : voici un film qui ne dit rien, ne prend pas parti, et n’a d’autre souci que de montrer les affres, les tensions d’un couple en route vers la rupture.

Mais on pourrait dire aussi, voici Marie qui ne veut plus vivre avec Boris, mais Boris n’arrive pas à finir cette relation, pour une raison matérielle évidente explicitée dans le synopsis,  et d’autres, on s’en doute.

Il y a différentes manières de voir ce film, ce que je souhaite faire c’est pointer un aspect de la crise du couple, m’arrêter sur quelques séquences du film et présenter ici une sorte de hors champ.

Que sait-on de chacun ? Quel cortège imaginaire accompagne leurs paroles et leurs actes  dans cette dissension ?

Le film révèle par bribes des indices sur « qui sont ces deux là », en dévoilant le comportement de Marie et de Boris, ce qu’ils disent et se disent, leurs rapports à leurs filles jumelles, à leurs parents, la situation sociale de l’un et de l’autre.

Martine P. nous signalait que les deux acteurs ne s’appréciaient pas. C’est un avantage, la tension était palpable. Elle nous signalait aussi que Joachim Lafosse avait conseillé à ses acteurs de revoir « Qui a peur de Virginia Woolf » de Mike Nichols. Nous nous souvenons de ce chef d’œuvre durant lequel les protagonistes se disent toutes sortes d’horreurs, et les conditions possibles de leur énonciation se révèlent en fin de film. (Une sorte de contrat tacite).

Dans les deux films, il y a un point commun, le secret ; quelque chose qui ne doit pas être prononcé. Là s’arrête l’analogie, car la circulation de la parole dans le couple Marie/Boris est moins sophistiquée, mais là aussi, ce qui est soustrait, non dit, est présent comme un fantôme…

Pour ce non dit,  un faisceau de quatre indices sont parsemés dans le film:

Première séquence, Boris descend dans son jardin où trois intrus semblent lui demander des comptes, il leur donne quelques billets…bousculade.

Deuxième séquence, Marie s’agace d’entendre Boris s’amuser avec son portable.

Troisième séquence, Boris revient le visage marqué, sans doute une rixe, il avoue à sa femme qu’il « leur » doit de l’argent.

Quatrième séquence, Marie remet à Boris 10 000 euros pour régler sa dette.

La deuxième séquence semble incongrue, mais elle s’éclaire si on admet que Boris est un joueur compulsif, le téléphone peut être alors au service de cette compulsion.

Donc Boris est un joueur compulsif ; sa maîtresse, c’est le jeu. Elle exige que son personnage soit attachant, séducteur par tous moyens, et un peu menteur. On sait aussi de lui qu’il se vit comme étant d’une famille plus modeste que celle de sa compagne. Qu’il est une sorte d’intermittent du travail, qu’il a des dons pour rendre les choses belles dans la maison (c’est un fameux bricoleur)…qu’il est attaché à sa mère. On voit aussi qu’il est bon papa, câlin, ludique, cool.

Pour Marie, c’est plus simple, elle est attachée à ses parents, à sa mère (Marthe Keller) qui vit non loin d’elle, elle a un côté structuré, contenant et réfléchi face à un monde qui ne demande qu’à lui échapper. Marie est fiable, sincère, engagée, travailleuse, responsable, bonne mère, etc. Elle a un idéal de sincérité, elle reproche à sa mère de s’être trop accommodée, d’avoir fait semblant.

Marie est froide, rude envers Boris, elle ne l’aime plus, ils vivent sous le même toit et ils partagent encore et surtout ceci : Les enfants ne doivent pas avoir à connaître que leur père est joueur, jamais le mot jeu ne sera prononcé en leur présence. L’un et l’autre sont d’accord pour protéger leurs enfants de cette connaissance. C’est le secret,  il constitue une analogie avec  « Qui a peur de V.W » c’est  leur point d’entente. (Ce socle à partir de quoi on peut ne pas s’entendre)

Cette entente tacite du couple permet toutes les autres mésententes. La question de la division des biens est conflictuelle. Boris veut 50% de la valeur de la maison qui ne lui appartient pas. Il allègue qu’il y a fait des travaux. Ses prétentions sont excessives, son argumentation ne tient pas la route et les spectateurs que nous sommes s’en étonnent. Que veut dire cette revendication ?

Ce que recherche Boris, ce n’est pas exactement l’argent, il a un trouble avec ça, c’est un joueur, il ne connaît même pas la valeur du bien dont il demande 50%. Non, ce qu’il recherche, c’est une sorte d’étrange réparation symbolique. Tout se passe dans l’esprit de Boris comme si la maison, c’était le couple. Marie ne peut être 66% du couple. Elle ne peut pas non plus être parent à 66%. L’égo de Boris n’a que faire des réalités concrètes, tout se joue dans le symbole…Et la réparation c’est : je suis ton égal.

Dernières images…on voit le couple enfin séparé, apaisé, attablé devant un verre…Flash back, le tribunal, la lecture du jugement, le partage selon les vœux de Boris. Marie a renoncé à faire valoir son droit. Son acceptation des conditions de Boris est un acte de bonté et d’intelligence. Les dignités sont sauves, une vie plus calme reprend son cours.

Georges

 

 

STEFAN ZWEIG, ADIEU L’EUROPE

STEFAN ZWEIG, 
ADIEU L’EUROPE

Nominé au Festival de Locarno
Soirée-débat mardi 18 à 20h30

Présenté par Laurence Guyon
Film allemand (vo, Août 2016,1h46) de Maria Schrader avec Josef Hader, Barbara Sukowa et Aenne Schwarz 
Titre original : Vor der Morgenröte 
Synopsis :En 1936, Stefan Zweig décide de quitter définitivement l’Europe. Le film raconte son exil, de Rio de Janeiro à Buenos Aires, de New York à Petrópolis.

Je n’ai pas aimé ce film… mais quoi donc ?

Il y a quasiment autant de lecteurs de Stefan Zweig que de spectateurs du film.  C’est un film qu’on souhaite voir après avoir peu ou prou lu Zweig.  Pour ma part, c’est plutôt peu, je l’avoue. J’ai fait sa connaissance avec « le joueur d’échecs » paru en feuilleton dans le journal Monde en 1972 à l’époque du match Fischer vs Spassky, j’ai souvenir d’une nouvelle peu vraisemblable et d’une  psychologie des personnages taillée à la hache. Les autres livres que j’ai pu lire de lui ne m’ont guère plus passionné, de sorte que je ne regrette pas mon aveux.

Le film m’est apparu classique (trop), bavard et lent, sans surprise. Bien sûr Joseph Hader est à la fois ressemblant, crédible, remarquable dans sa manière de réprimer ses sentiments, son embarras et sa détresse…tout en les rendant tout de même visibles en dépit de ce qu’il veut paraître. La manière furtive et délicate de nous montrer le couple mort est elle aussi parfaite. Mais, autant vous prévenir tout de suite, je suis au maximum du bien que je peux  dire de ce film.

Ce récit m’apparaît comme une théorie de mondanités exécrables, de discours véhéments et vains qui n’ont pour fonction que de contrebalancer les silences et prises de position éthiques neutralistes de Zweig. Le monde de Zweig qu’on nous présente est un monde de figurants.  On imagine que dans la vraie vie, cette contrainte éthique qu’il s’est imposé devait être mortifère.

Une spectatrice durant le débat faisait remarquer que les réfugiés politiques, s’ils sont des intellectuels connus, ont des devoirs vis à vis de ceux qui n’ont pas eu la chance de pouvoir fuir ou qui sont restés pour lutter. Mais on peut aussi imaginer que l’auteur « du monde d’hier » pressentait d’une manière péjorative le « monde de demain », ce monde de l’après nazisme, que nous les vivants, expérimentons désormais.

C’est le monde du présent qui semblait échapper à Zweig. Ses amis, à l’instar de Walter Benjamin s’étaient suicidés. Un autre  et génial ami, l’écrivain  Joseph Roth, qui si l’on en juge par leurs correspondances, avait des préventions plus fermes et une  anticipation plus aiguë  que celles de Sweig sur le national socialisme,  lui aussi s’est suicidé…d’une autre manière, plus lente, celle d’un pauvre et grand alcoolique, désespéré, mourant seul à Necker un jour de mai 39.

En dernier lieu, l’histoire et la littérature, le cinéma nous ont souvent montré des couples se suicidant. Chacun a  aussi en tête des cas concrets, des noms célèbres parmi les intellectuels du 20ème siècle. Et parmi les simples quidams, aujourd’hui encore, en Octobre 2016, un couple à Villejuif vient de se suicider parce qu’il ne pouvait plus payer son loyer.

Dans le suicide d’un couple, il peut y avoir des motifs et une volonté commune d’en finir, ça peut arriver. Ce que l’on voit aussi , c’est la mise à mort de l’un par l’autre, puis le suicide de l’autre, et parfois, au décours de ces tristes histoires, la mort d’un seul conjoint sur les deux. Enfin, on peut lire sur ces affaires, qu’il existe des mécanismes morbides où l’un tente de convaincre l’autre que la mort est la seule issue valable. (Un inducteur et un induit.) Les déprimés mélancoliques sont parfois de bonne foi, par désespoir, amenés à raisonner en ces termes. Ils veulent ainsi,  par la mort, protéger leur(s)  proche(s) d’une vie atroce dont le pire reste à venir.

Dans le cas de Zweig dont on sait qu’il était déprimé et de Lotte sa jeune épouse, nous avons un doute, celui là même exprimé dans un Figaro de  2010 « Cette femme qui s’était jurée de lui redonner goût à la vie était-elle aussi désespérée que son époux au foie noir ? (mélancolique) N’est-ce pas Stefan Zweig qui a voulu imiter Heinrich von Kleist, un écrivain qu’il avait célébré dans son essai « Le Combat avec le démon » en entraînant une compagne dans la mort ? ».

Dans ce film, Zweig est un homme seul qui meurt à deux.

…Et cette pensée pour Lotte à elle seule aurait suffit à me pourrir le film si d’aventure, le reste ne m’avait pas déjà semblé ennuyeux.

Georges

 

EL ACOMPAGNANTE

EL ACOMPAÑANTE
Prix du public aux festivals de Miami et de la Havanne
Semaine du 29 septembre au 4 octobre2016
Soirée-débat mardi 29 à 20h30

Présenté par Sylvie Braibant en présence du producteur Edgar Tenembaum
Film cubain (vo, août 2016,1h44) de Pavel Giroud avec Yotuel Romero, Armando Miguel Gómez et Camila Arteche
 

Aux cramés de la bobine, nous avons la chance de voir des films rares, les films cubains ne sont pas si courants, et souvent ils sont bons. C’est le cas de celui-ci -Notre gratitude à Edgar Tannenbaum son producteur –

J’espère que ce film sera commenté, il y a tant de choses à souligner. Nicole, une spectatrice faisait remarquer que ce film avait une analogie avec « Folles de joie », présenté il y a peu :  La rencontre de deux personnes que rien n’aurait dû mettre en contact, sauf la situation et le lieu dans lesquels ils se trouvent placés à leur corps défendant. Il y a de même chez les deux personnages, ce désir d’en sortir,  de se faire la belle, l’attrait des grandes largeurs.

Là s’arrête l’analogie, car la question de la mort qui rode est spécifique   à ce film. Elle est majeure quand ce  jeune homme naguère débordant d’énergie,   maintenant épuisé,  couvert de kaposi, s’autorise à perdre son match pour la vie,  lorsqu’il sait que son ami  boxeur va gagner le sien… sur le ring,  grâce à son conseil.

Ce film rend compte d’un système efficace de prévention de la transmission du SIDA dans les années 80, et en même temps décrit, exprime  une organisation totalitaire. Un système d’enfermement, où l’on passe de sujet à objet, où tous les besoins des sidéens sont déterminés de l’extérieur. Nous voyons là, la résurgence d’une forme  de soins, pas si rare dans l’histoire.  Une forme de soin qui n’a qu’un prix, celui de la liberté.

Pouvait-on imaginer un tel dispositif pour faire face au SIDA ailleurs qu’à Cuba ?  Cuba nous apparait comme un pays à la fois autoritaire et égalitaire. En même temps,  c’est une île,  doublement isolée à cause des rétorsions américaines.  Par ces côtés là, cet hôpital prison partage quelques traits avec son pays.

Dans ce contexte de prison, de soins, de mort, et de violence parfois,  au fur et à mesure, on a  l’impression que le cadre rigide du système s’efface pour laisser place à l’humain. Et  cette humanité là, dans cette société là exprime aussi la fraternité. A mauvaise fortune, bon coeur dit le proverbe. Quant à l’idéal de liberté, dans le coeur de tout homme, il l’est plus encore dans celui des prisonniers.

On ne peut s’empêcher de spéculer sur Cuba d’aujourd’hui. C’est le début  d’autre chose,   la fin de l’isolement, la liberté sans doute,  mais aussi  « les libertés », par exemple, celle  d’expulser – Cette autre forme de la violence et de  l’exclusion-  Mais ceci est une autre histoire.

Georges

 

 

 

Ce qu’il reste de la Folie

CE QU’IL RESTE DE LA FOLIE
Semaine du 8 au 13 septembre 2016
Soirée-débat lundi 12 à 20h30
Présenté par Georges Joniaux
Film franco-sénégalais (juin 2016, 1h30) de Joris Lachaise

 

Ami(e)s Cramé(e)s de la Bobine  Bonjour,

« Cette manière de filmer, de montrer, c’est aussi l’Afrique ! » disait une spectatrice.

Un documentaire qui suscite un bon débat est un bon documentaire, et c’est le cas de « Ce qu’il reste de la Folie », si l’on en juge par la  qualité, la variété et la multiplicité des interventions dans la salle. Il n’y a rien à ajouter, simplement je souhaite signaler 2  références qui précisent l’histoire l’hôpital psychiatrique de Thiaroye :

Le combat décolonisateur d’Henri Collomb-mémoire et société

memoire-et-societe.over-blog.com/2015/…/le-combat-decolonisateur-d-henricollomb.
-On peut aussi  re découvrir le remarquable témoignage du Docteur Michel BOUSSAT  document INA  entretien avec le DR ESCANDE -1980-
Amitiés
Georges

 

PS1 :- le documentaire à l’origine  de la démarche de  Joris Lachaise,  « les maitres fous » de Jean Rouch est visible à partir de votre ordinateur.

PS2 : -tous ceux qui, comme moi,  ont été séduits par  Khady Sylla peuvent regarder Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=DNCzF-MVvtY

Les habitants

Raymond Depardon

Présenté par Georges Joniaux
Film français (avril 2016, 1h24)

Synopsis : Raymond Depardon part à la rencontre des Français pour les écouter parler. De Charleville-Mézières à Nice, de Sète à Cherbourg, il invite des gens rencontrés dans la rue à poursuivre leur conversation devant nous, sans contraintes en toute liberté.

Digression sur Les Habitants.

Raymond Depardon est un cinéaste qui décrit volontiers son travail avec les termes d’un artisan. Ce qu’il nous en dit manifeste autant le souci de ce qu’il donne à voir, la manière de le montrer, que du public. Il y autre chose que je trouve frappant et que je souhaite rappeler : Raymond Depardon s’exprime avec lenteur, comme un paysan, chaque mot est pesé. Mais c’est aussi un intellectuel de notre temps, c’est à dire à la fois un témoin, un homme de réflexion et d’action ; quelqu’un qui intervient dans le réel par le fait même qu’il l’observe, qu’il sait débusquer et nous montrer ce que nous nous négligeons de voir.

J’ai d’abord pensé que j’étais simplement séduit, que c’était le choix de ses sujets de documentaires dans lequel l’Homme dans son quotidien tient une large place qui m’incitait à l’éloge. Mais ce n’est pas seulement cela. Lorsque Raymond Depardon filme un sujet qu’il n’a pas choisi, ce qu’il produit procure cette même impression de rigueur et de justesse.

Prenons par exemple son documentaire sur Ian Palach en 1969. Il est bref, dense, beau, tendu, tout est rendu, et surtout, rien du sens de la cérémonie ne nous échappe. Presque 50 ans après, ce film demeure saisissant et bouleversant. Donc il y a autre chose, cette autre chose c’est l’art – l’élégance et la fulgurance de l’art –

En dépit du temps, tout ce qu’il produit continue de s’imposer à nous, de s’actualiser, car nous sommes en présence d’une œuvre. J’enfonce une porte ouverte, mais c’est encore ce qui me vient à l’esprit lorsque je regarde son dernier film, Les Habitants.

Lorsqu’il filme la ville et ses habitants en général, il montre la turbulence, le chaos sous l’ordre apparent. Lui qui a choisi de s’exprimer lentement et qui aime la durée nous montre la vitesse des mots et des actes dans la vie, leur accélération vertigineuse.

Rappelons nous Urgences, Délit flagrant, 10ème chambre, et d’autres. Les bouleversements et leur ordonnancement.  Les Habitants appartient à ces films. Comme eux, il prend le public à rebrousse poil, le déconcerte. Je parie pourtant que ce film occupera une place importante dans l’œuvre de Raymond Depardon et je vais tenter de dire pourquoi.

Il nous dit en somme, qu’en dépit de notre imaginaire, de nos « idées écrans », le réel ne se congédie pas comme ça ; il fait intrusion dans notre vie, déborde notre idéal, le bouscule. Ici le réel c’est « les autres ». Ça ne nous plait pas toujours plus que ça ! On ne sait rien d’eux, alors on peut se construire un hors champ assez condescendant. Les habitants qu’il nous montre, ce sont « ces autres ». On n’était pas gêné avec « les paysans » : ils concernent nos vacances… Mais là, « les autres »  sont dans la rue, celle où l’on marche. Alors on se demande s’ils sont représentatifs, comme s’ils étaient tous contenus dans un grand sac, « les autres ». Mais les autres existent singulièrement et ne se laissent pas enfermer dans notre imaginaire. Ils sont « les habitants » et nous voyons, nous entendons de quoi leur quotidien est fait : il y a d’abord l’amitié qui unit deux personnes qui se parlent, s’écoutent et se regardent ; puis il y a les sujets qui les occupent, la famille, l’amour, la misère féminine, le machisme ordinaire, la difficulté à joindre les deux bouts, la précarité, la solitude,  la séparation et les orgueils blessés. On nous donne aussi à voir à quel prix parfois les habitants conservent leur prestance ou s’auto-illusionnent. Leur élan vital est aussi un élan sentimental. Ces habitants nous tendent un miroir dans lequel nous ne voulons pas nous regarder. Pourtant ils sont au même titre que nous les habitants, d’abord parce qu’ils s’habitent eux-mêmes, ensuite parce qu’ils habitent quelque part dans une de ces villes de France, quelque part où la vie les a menés parce qu’ils sont dans un système social que nous partageons tous, de manière très diverse. Ils sont dans leur altérité les porteurs des tensions et des espoirs d’aujourd’hui. Si Depardon nous avait montré 25 autres couples, nous aurions les mêmes résultats, car les préoccupations des habitants sont universelles, et leurs joies, petits bonheurs, frustrations, peines et illusions sont les nôtres. Depardon nous dit de quoi nous sommes faits. Georges

Les ogres

 

Film français (mars 2016,2h24) de Léa Fehner avec Adèle Haenel, Marc Barbé et François Fehner

Présenté par Marie-Annick Laperle

Article de Georges

Voyant ce film, on peut penser un instant à Enivrez-vous de Baudelaire :

« Il faut être toujours ivre, tout est là, c’est l’unique question. Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.

Mais de quoi? De vin, de poésie, ou de vertu à votre guise, mais enivrez-vous! ».

…Mais ça ne va pas tout à fait, tant ce film est foisonnant.

Nous étions prévenus, ce film s’appelle les ogres, et si les ogres s’enivrent, ils ont aussi toujours faim nous rappelle Marie-Annick dès sa présentation.

…Et on pourrait dire que les ogres sont d’abord Léa Fehner et son équipe, tous ceux qui ont contribué à créer ce film, avec son rythme, ses couleurs rutilantes, ses mouvements tournoyants, le contraste des plans, les costumes, les accessoires, la musique …

Cependant et presque paradoxalement, ce film est très équilibré et maitrisé dans la répartition des modes majeurs et mineurs, dans la distribution des rôles, dans le contraste de plans. Pour les rôles, on remarque aussi cet équilibre féminin, masculin, jeunes, vieux.

La réalisatrice et son équipe ont réalisé un film de l’excès et de la déraison, hors norme et superbe.

Quant aux scènes, elles sont un tissu de passages à l’acte débridés. C’est un film dont on pourrait dire qu’il relève d’un état maniaque collectif au sens clinique du terme, où prédominent l’excitation, l’euphorie, l’irritabilité et la colère, la perte de la pudeur, la fuite du temps. Cette troupe nous montre qu’elle n’hésite pas à se battre, à injurier, à mimer la vente d’une femme aux enchères, à passer d’un partenaire sexuel à l’autre, à donner des « cours de sodomie » aux enfants…

Et tout autant, il y a l’état d’âme profond de cette troupe, qu’on voit traversée de mille sentiments contradictoires, ou dominent la précarité, le doute, la tristesse, l’inquiétude, l’angoisse de ces gens qui vivent chaque jour au jour le jour et sont contraints à l’action et au mouvement.

Mais c’est Marc Barbé, Monsieur Deloyal qui apparaît le plus emblématique de l’expérience maniaco-dépressive de cette troupe. Personnage erratique, il porte le deuil de son enfant mort à 13 ans d’une Leucémie aigue lymphoblastique et la culpabilité qui va avec, il en accuse le « chef » qui est aussi probablement son meilleur et son seul ami et il n’arrive pas à être père de nouveau alors que sa compagne enceinte va mettre au monde un petit garçon. Il se bourre d’antidépresseurs et de tranquillisants. Il n’est jamais vraiment là où il est, va d’abattement en passage à l’acte, jusqu’à cette scène touchante de retrouvailles avec son ex-épouse, tous deux broyés par l’événement, comme une demande d’autorisation de reconstruire quelque chose, d’être père de nouveau, avec une autre femme.

Au total, ce film nous montre un groupe d’artistes, où le groupe est le réceptacle de tout, où l’intime et « l’extime » (comme disait Michel Tournier) se confondent. Où des personnages solidaires et pourtant solitaires, portent le masque de la comédie lorsqu’ils vivent une tragédie et inversement.

Ce film  est aussi une sorte un pied de nez à la dépression, à la précarité des choses, aux amours qui fichent le camp, au temps qui passe, aux drôles de gueules qu’ont peut avoir parfois, et à la mort qui rode, mais pas n’importe comment, comme dans un poème saturnien.

Georges

L’AVENIR

L’AVENIR
Ours d’Argent du Meilleur réalisateur
Film français (avril 2016,1h40) de Mia Hansen-Løve avec Isabelle Huppert, André Marcon, Roman Kolinka, Edith Scob, Elise Lhomeau et Sarah Le Picard

Quelques mots sur Mia Hansen Love, elle a 35 ans, elle doit son nom à un grand père Danois, et étrangement dit-elle, son prénom à sa mère, impressionnée par Mia Farrow dans Rosemary Baby.

Sa carrière commence comme actrice dans deux petits rôles dans les films d’Olivier Assayas :

-1998 Fin Août, début septembre, elle a un petit rôle, elle faisait du théâtre au Lycée, elle aurait été recrutée lors d’un casting sauvage.

-2000 destinées sentimentales, elle interprète le rôle de la fille d’Isabelle Huppert.

 Ces deux films ont aussi été pour elle l’occasion de jouer avec André Marcon.

 -2001 elle entre au conservatoire d’art dramatique, 2003, 2005, elle fait des critiques pour les cahiers du Cinéma et elle réalise 2 courts métrages : Après mûre réflexion et offre spéciale. 

Ensuite viennent 5 longs métrages, chaque fois elle est réalisatrice et scénariste de ses films.Ce sont des films très personnels, qui dialoguent entre eux. Ils transposent des choses de sa vie que transfigure le jeu de ses acteurs.

4 des films de l’œuvre de Mia Hansen Love concernent la perte et le deuil amoureux.

Et tous ses films sont une recherche sur la pensée, la vérité, la parole, l’effet du temps. (Comme en témoignent ses interviews) En ce sens,  au plan littéraire, elle est proche de Proust et de Modiano par exemple)

Dans son univers cinématographique, il y a Eric Rohmer auquel sa mère l’a initiée toute jeune. (Avec Rohmer,  la parole est un acte en soi la pensée en train de s’élaborer devient quelque chose de presque tangible).Tout comme chez Rohmer, il y a quelque chose de performatif  dans la parole des personnages de Mia Hansen Love. Ajoutons  Robert Bresson, François Truffaut, Philippe Garrel et Olivier Assayas qui est l’homme avec qui elle vit et dont elle a un enfant.

-En 2006 avec son premier long métrage, TOUT EST PARDONNE   a obtenu le prix Louis Delluc du 1er film, c’est un film touchant qui parle des retrouvailles entre un père, un temps « addict », et sa fille.

On remarque que ce premier film est dédié à Humbert Balsan un producteur qui compte pour elle.

 -En 2009 elle réalise LE PERE DE MES ENFANTS

Qui s’inspire de la vie d’Humbert Balsan, acteur et producteur, un homme qui prenait tous les risques pour produire… par amour des films et de ceux qui les font, et qui a fini par se pendre mettant ainsi fin à sa vie et… à ses difficultés.

 -En 2011, UN AMOUR DE JEUNESSE,Retrace les affres, la douleur d’un chagrin d’amour de jeunesse… dont en fait, elle est sortie gagnante, par le cinéma

-En 2014, EDEN, film qui s’inspire du parcours musical (musique électronique) de son grand frère.

-Quant à L’AVENIR, en voici le Pitch :

Nathalie est professeur de philosophie, elle aime par-dessus tout transmettre son goût de la pensée. Mariée, deux enfants, elle partage sa vie entre sa famille, ses anciens élèves et sa mère, très possessive. Un jour, son mari lui annonce qu’il part vivre avec une autre femme…

M.H.L connaît bien cette situation, ses parents sont philosophes et tous deux séparés. Mais son film est bien autre chose que ça. Il y a le scénario déjà complexe est sublimé par la subtilité du jeu  d’Isabelle Huppert qui incarne le rôle d’une manière qui lui appartient. (et qu’on aime!)

Les actrices et acteurs, une de sa constellation affective et artistique. 

Et, dans le casting, il y a une constante, elle dit : « Pour moi, le choix des comédiens, est une chose absolument capitale, et je ne pourrais pas choisir des acteurs – et c’est vrai du rôle principal jusqu’au plus petit rôle, pour lesquels je n’ai pas un désir, même un amour authentique. »

Faisons l’hypothèse que  l’avenir,  Mia Hansen Love, peut être vu comme un prolongement d’un amour de jeunesse, elle a certainement eu le désir de montrer ce que peut être une rupture à l’autre bout d’une vie.

Pour cela Isabelle Huppert est la bonne personne, non seulement parce que Mia Hansen Love connaît et aime cette actrice, que cette actrice joue avec d’autres qu’elle connait bien,  mais aussi probablement parce qu’elle a joué, au début de sa vie d’actrice, Pomme dans la Dentelière, une histoire de rupture amoureuse destructrice. (Or dans l’Avenir à la soixantaine, Nathalie, l’héroïne n’est pas détruite au contraire, elle devient libre.

Dans le même genre de spéculation, on peut se risquer à parler de la musique du film :

La musique de Schubert qu’on entend à plusieurs reprises, dont en Bretagne « « Auf dem Wasser zu singen » qui signifie quelque chose comme « chanter sur l’eau » est une métaphore sur l’eau et le temps qui passe. Cette chanson est en rapport avec la dernière chanson Unchained Melody. La première est interprétée par Dietrich Fischer-Dieskau. Ce choix doit aussi être en rapport avec Helena Fischer Dieskau, la petite fille pianiste qui joue dans le film « tout est pardonné ».

De même Unchained Melody écrite en 1955, il y a aussi une métaphore sur l’eau. « Toutes les rivières solitaires s’écoulent vers la mer, les grands bras solitaires de la mer ».

Le film Unchained pour laquelle a été composée cette belle mélodie est un film de 1955, année de naissance d’O.Assayas, mais là, je sur-interprète certainement.

On sera certainement frappé par la dimension spirituelle et le travail d’agencement des films   de Mia Hansen Love.

The assassin

THE ASSASSIN
Prix de la mise en scène au Festival de Cannes 2015
Soirée-débat mardi 3 à 20h30
 

 Présenté par Jean-Louis Rocca sinologue

FilmTaïwanais (vo, mars 2016,1h45) de Hou Hsiao-Hsien avec Shu Qi, Chang Chen et Yun Zhou

Bavardage du mercredi  :

Salle comble pour ce film  somptueux et curieux,  à la fois lent et fulgurant   dont la revue  7ème obsession de février mars, fait l’éloge dans un  article   « apprendre à devenir soi même »,  de Xavier Leherpeur.

Il  nous met vertement en garde avant de regarder ce film :

« …Ce n’est pas attendre qu’il soit ce que nous lui demandons d’être. mais au contraire, qu’il nous arrache à nos certitudes, à notre confort de spectateur repu de facilités. Non, le scénario de The assassin n’est pas confus. Bien au contraire » .

Cette considération n’est heureusement pas sa meilleure pour défendre un film dont au demeurant il  parle très bien. Et nous lui conseillerions bien volontiers de venir aux cramés pour vérifier si les spectateurs sont repus de facilités…

Ce que nous avons aimé chez Jean-Louis Rocca en plus de sa science, c’est qu’il dit  le contraire de cette mise en garde, il nous met à l’aise, nous dit que lui même n’a pas tout compris et que ce n’est pas bien grave.

A ce propos, pendant que nous prenions un verre, je discutais  avec Georges B,  et je lui demandais : A ton avis,  qui est cette femme au masque d’or avec qui combattait  l’assassin ? il me répond tout de go* (1): l’épouse du roi… femme aimante et jalouse ».

Merci Georges B de tes lumières, les cramés de la bobine c’est aussi ça, le bonheur de pouvoir se mettre à plusieurs pour s’expliquer un film.

G

 

*(1) Je ne vais pas me priver de cette facilité.

Nb : Dans la 7ème obsession, on peut lire aussi  « le combat intérieur » une interview de Hou Hsiao Hsien lui même.