L’économie du couple

 

Du 27 octobre au 1er novembre 2016

Soirée-débat mardi 1er à 20h30

 Présenté par Martine Paroux

Film belge (août 2016,1h40) de Joachim Lafosse
Avec Bérénice Bejo, Cédric Kahn, Marthe Keller

On pourrait commencer comme ça : voici un film qui ne dit rien, ne prend pas parti, et n’a d’autre souci que de montrer les affres, les tensions d’un couple en route vers la rupture.

Mais on pourrait dire aussi, voici Marie qui ne veut plus vivre avec Boris, mais Boris n’arrive pas à finir cette relation, pour une raison matérielle évidente explicitée dans le synopsis,  et d’autres, on s’en doute.

Il y a différentes manières de voir ce film, ce que je souhaite faire c’est pointer un aspect de la crise du couple, m’arrêter sur quelques séquences du film et présenter ici une sorte de hors champ.

Que sait-on de chacun ? Quel cortège imaginaire accompagne leurs paroles et leurs actes  dans cette dissension ?

Le film révèle par bribes des indices sur « qui sont ces deux là », en dévoilant le comportement de Marie et de Boris, ce qu’ils disent et se disent, leurs rapports à leurs filles jumelles, à leurs parents, la situation sociale de l’un et de l’autre.

Martine P. nous signalait que les deux acteurs ne s’appréciaient pas. C’est un avantage, la tension était palpable. Elle nous signalait aussi que Joachim Lafosse avait conseillé à ses acteurs de revoir « Qui a peur de Virginia Woolf » de Mike Nichols. Nous nous souvenons de ce chef d’œuvre durant lequel les protagonistes se disent toutes sortes d’horreurs, et les conditions possibles de leur énonciation se révèlent en fin de film. (Une sorte de contrat tacite).

Dans les deux films, il y a un point commun, le secret ; quelque chose qui ne doit pas être prononcé. Là s’arrête l’analogie, car la circulation de la parole dans le couple Marie/Boris est moins sophistiquée, mais là aussi, ce qui est soustrait, non dit, est présent comme un fantôme…

Pour ce non dit,  un faisceau de quatre indices sont parsemés dans le film:

Première séquence, Boris descend dans son jardin où trois intrus semblent lui demander des comptes, il leur donne quelques billets…bousculade.

Deuxième séquence, Marie s’agace d’entendre Boris s’amuser avec son portable.

Troisième séquence, Boris revient le visage marqué, sans doute une rixe, il avoue à sa femme qu’il « leur » doit de l’argent.

Quatrième séquence, Marie remet à Boris 10 000 euros pour régler sa dette.

La deuxième séquence semble incongrue, mais elle s’éclaire si on admet que Boris est un joueur compulsif, le téléphone peut être alors au service de cette compulsion.

Donc Boris est un joueur compulsif ; sa maîtresse, c’est le jeu. Elle exige que son personnage soit attachant, séducteur par tous moyens, et un peu menteur. On sait aussi de lui qu’il se vit comme étant d’une famille plus modeste que celle de sa compagne. Qu’il est une sorte d’intermittent du travail, qu’il a des dons pour rendre les choses belles dans la maison (c’est un fameux bricoleur)…qu’il est attaché à sa mère. On voit aussi qu’il est bon papa, câlin, ludique, cool.

Pour Marie, c’est plus simple, elle est attachée à ses parents, à sa mère (Marthe Keller) qui vit non loin d’elle, elle a un côté structuré, contenant et réfléchi face à un monde qui ne demande qu’à lui échapper. Marie est fiable, sincère, engagée, travailleuse, responsable, bonne mère, etc. Elle a un idéal de sincérité, elle reproche à sa mère de s’être trop accommodée, d’avoir fait semblant.

Marie est froide, rude envers Boris, elle ne l’aime plus, ils vivent sous le même toit et ils partagent encore et surtout ceci : Les enfants ne doivent pas avoir à connaître que leur père est joueur, jamais le mot jeu ne sera prononcé en leur présence. L’un et l’autre sont d’accord pour protéger leurs enfants de cette connaissance. C’est le secret,  il constitue une analogie avec  « Qui a peur de V.W » c’est  leur point d’entente. (Ce socle à partir de quoi on peut ne pas s’entendre)

Cette entente tacite du couple permet toutes les autres mésententes. La question de la division des biens est conflictuelle. Boris veut 50% de la valeur de la maison qui ne lui appartient pas. Il allègue qu’il y a fait des travaux. Ses prétentions sont excessives, son argumentation ne tient pas la route et les spectateurs que nous sommes s’en étonnent. Que veut dire cette revendication ?

Ce que recherche Boris, ce n’est pas exactement l’argent, il a un trouble avec ça, c’est un joueur, il ne connaît même pas la valeur du bien dont il demande 50%. Non, ce qu’il recherche, c’est une sorte d’étrange réparation symbolique. Tout se passe dans l’esprit de Boris comme si la maison, c’était le couple. Marie ne peut être 66% du couple. Elle ne peut pas non plus être parent à 66%. L’égo de Boris n’a que faire des réalités concrètes, tout se joue dans le symbole…Et la réparation c’est : je suis ton égal.

Dernières images…on voit le couple enfin séparé, apaisé, attablé devant un verre…Flash back, le tribunal, la lecture du jugement, le partage selon les vœux de Boris. Marie a renoncé à faire valoir son droit. Son acceptation des conditions de Boris est un acte de bonté et d’intelligence. Les dignités sont sauves, une vie plus calme reprend son cours.

Georges

 

 

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