Documentaire au caractère singulier que j’ai apprécié.
Le parti pris de la réalisatrice d’incarner la place de l’homme dans la société par le jeu d’un seul acteur (mari et amant d’Olfa, petit ami de la fille d’Olfa, policier…) dénote sa volonté de marquer la profonde césure entre les deux genres, et le caractère omnipotent de l’homme dans ces sociétés marquées du terrible retour en force de la religion survenant après une ère de liberté. Prédicateurs, bonimenteurs, s’approprient alors l’espace, auxquels s’ajoutent violeurs, incestueux, assassins (ce qui n’est d’ailleurs pas l’apanage des seules personnes empreintes de religiosité).
L’idée pour de nombreuses scènes de laisser en arrière-plan soit la doublure d’Olfa, soit Olfa elle-même, donne un relief particulier. Cela rappelle en permanence que l’histoire est véritable. Olfa est parfois directement actrice de ses actions passées, parfois spectatrice attentive à ce que le rôle de l’actrice représente bien son vécu.
Olfa victime ou bourreau ? Elle endosse les deux rôles !
Olfa a été une enfant victime de l’abandon du père et rapidement confrontée, à l’identique de certaines situations d’enfants orphelins, aux sollicitations de l’aîné auquel est souvent dévolu le rôle de chef, de soutien de famille. Dans le cas d’Olfa, il n’y a pas deuil mais intention délibérée du père d’abandonner femme et enfants.
Le manque d’éducation est prégnant dans la vie d’Olfa, liée à l’influence malsaine de préceptes religieux omniprésents. Pour exemple, la pression exercée par une de ses propres sœurs lors de la nuit de noces d’Olfa qui se traduit finalement par une bien inattendue maculation de ses draps… l’honneur a été sauf… sa virginité également !
Plus tard, Olfa a choisi de quitter le père de ses quatre filles. Le hasard lui fait rencontrer un autre homme (assassin et évadé de prison) qu’elle a aimé et auprès duquel elle avoue avoir été prête à tout, y compris du pire. En effet, elle précise qu’elle aurait volontiers participé à dissimuler un corps si elle avait été à ses côtés lors d’un meurtre perpétré par lui !!! Olfa est capable de violence envers ses filles. Elle déclare regretter ne pas avoir eu de garçons à leur place ! Elle évoque un différend au sujet du comportement de sa fille : elle va frapper cette dernière jusqu’à l’extrême limite puisqu’elle ne s’arrêtera, de son aveu, que lorsqu’elle l’a pensée morte…
La misère sociale, l’absence d’éducation sont sources de violences, d’autant plus marquées lorsque le fait religieux se superpose à cela en entretenant les individus dans l’ignorance et la crainte. Lorsque dans une société reviennent en force (ou perdurent) des coutumes d’un autre âge, peu ou pas de valeur n’est accordée à la vie d’autrui. Notre pays a lui aussi eu ses périodes sombres, concernant les violences faites aux femmes notamment. Du 16e au 18e, la femme célibataire ou veuve devait déclarer sa grossesse alors considérée comme illégitime. À défaut de cette déclaration et dans le cas du décès du nouveau-né, elle pouvait se voir condamnée pour présomption d’infanticide. La peine de mort était la sanction encourue. Au cours des messes, les curés devaient régulièrement rappeler les édits du roi concernant cette obligation.
Il nous a fallu des siècles pour trouver à nous défaire du carcan religieux, avec toutes les réserves que l’on peut porter à cela au regard des tentatives de gagner ou regagner de l’influence maintes fois répétées par tous les intégrismes depuis lors.
À nous, il reste encore du chemin à faire pour le social et pour l’éducation, tout en veillant à « éteindre » les multiples et régulières tentatives de retour des « obscurantismes » afin que l’on reste dans la lumière.
À Olfa, à ses filles, il reste tout à gagner.
Patrick GAUDILLAT