It Must Be Heaven-Elia Suleiman(2)

Elia Suleiman, merci pour votre si beau regard triste et malicieux mais implacable sur le monde des Hommes .

En introduction au dossier de presse de « It must be heaven » Elia Suleiman a inscrit un vers du poète palestinien Mahmoud Darwich :

« Où s’envolent les oiseaux après le dernier ciel »

Ces mots résument bien la quête qui sous-tend le film, celle qui déchire un réalisateur qui est né en 1960 à Nazareth et qui se revendique palestinien de Palestine, comme l’affirme l’acteur Gael Garcia Bernal, présentant son ami Elia à une productrice américaine. Au fil des années, il a vécu dans sa ville natale Nazareth, à New-York, à Jérusalem et à Paris. Bien que n’ayant réalisé que quatre longs métrages en 23 ans, tous ses films ont été salués par la critique et projetés dans les plus grands festivals.

Son originalité artistique tient au fait que dans tous ses films c’est lui, son corps ( avec ce si beau regard !!) son beau visage, sa ville natale Nazareth et même sa maison avec la terrasse et son jardin planté de citronniers, ses parents, qu’il filme inlassablement comme s’il avait peur que cette réalité s’évanouisse ? D’ailleurs le temps est à l’oeuvre puisque après avoir vu les parents et leur fils Elia en 1996 dans  » Chronique d’une disparition » puis la maladie du père ainsi que son décès on voit dans  » Le temps qu’il reste » 2009 la maladie de la mère et dix ans plus tard nous voyons Elia trier les affaires de sa mère dans sa chambre, avec la Vierge sur la table de nuit, allusion à sa famille chrétienne et non musulmane et finalement se débarrasser du déambulateur et des affaires de la défunte mère.

Une page est donc tournée, il ne reste que la maison familiale qui ouvre et clôt le film, 23 ans ont passé, le cinéaste a bien tenté de résister à l’occupation toujours plus forte d’Israël, par ses images non violentes mais le constat est là, sa ville natale est arabe israélienne et le temps n’a fait apparaître aucune solution.

Reste le ciel, l’espace où l’on peut s’envoler vers un monde qu’il imagine plus paisible et humain loin des violences et de l’armée qui caractérisent le conflit israélo-palestinien. A Paris d’abord où il vit depuis quelques années et New-York où il a vécu plus de dix ans.

C’est ainsi que munit d’une paire d’ailes ( cf l’affiche du film de Floch) une série de saynètes aux images centrées sur la figure de clown-triste E.S nous promène de Paris à New-York. Ce personnage qui est le double de l’auteur et qui s’appelle E.S est interprété par le réalisateur. » Je ne peux pas envisager de ne pas jouer dans mes films. Car j’y mets toutes les facettes de ma personnalité : ma vision de réalisateur bien sûr, mais aussi mon jeu d’acteur, mon aspect tragique, mon côté comique et mon goût pour la rêverie. Je veux tout à la fois réaliser et jouer car je garde un réel espoir sur le pouvoir du cinéma ».

Pourquoi ce personnage est-il muet ? ( il ne prononce que les mots Nazareth et palestinien dans un taxi ce qui permet le jeu de mots sur Karafat/Arafat ). Muet car c’est l’expression d’un refoulement, d’un interdit de la parole, de la difficulté de s’exprimer ancrée dans son enfance ( par exemple l’occupation de la Palestine est un sujet tabou).

…Et dans tout son film les SONS remplacent les MOTS .

E.S est un observateur mutique, un témoin pensif avec son chapeau ( il en a toute une collection ) ses yeux écarquillés, rieurs, réprobateurs , ses sourcils levés etc.. quel visage et quel regard ( comparé souvent à Tati, Keaton) . Ses méthodes de travail et façons de filmer n’ont pas changé. Tout part de l’observation minutieuse du réel qu’il note dans des carnets. Ses films sont construits par une succession de tableaux de la vie quotidienne, le plus souvent en longs plans fixes, garnis de gags répétitifs ( ici les poursuites avec les policiers dans tous les lieux qui évoquent bien sûr l’occupation son pays, la présence récurrente des armes sous toutes ses formes et lieux, du cheval de la garde à Paris au bazooka new-yorkais..les chorégraphies).

Ses films sont caractérisés par l’ABSURDE. Le sens de l’absurde permet d’échapper au tragique, au pessimisme . Il utilise aussi la durée et la fixité des plans ainsi que la discontinuité de la narration. Par exemple, pour la mesure de la terrasse de café à Paris par les policiers la scène est coupée puis reprise. Idem à New-york pour la poursuite de l’ange Femen avec le drapeau peint et l’inscription  » Free Palestine « .

Sur l’HUMOUR qui est une règle mais surtout une ARME. Quant il claque la porte sur le pilote  » bienvenue à Paris » la scène avec le Samu 75 et le SDF  » Alors monsieur pour le déssert panacota ou tiramitsu au chocolat » ?. Et lorsqu’il quitte l’Amérique avant de rejoindre Nazareth, la trop drôle scène ( virtuelle ) du contrôle à l’aéroport où E.S confisque l’appareil de sécurité et nous donne des images de twirling. Mais c’est une référence à  » Intervention divine » où il se moque des checks points israéliens. Souvent il y a un deuxième degré de lisibilité du film ..

Elia Suleiman est vraiment un formidable cinéaste qui nous dit que le monde se palestinise ( mauvaise nouvelle ) que la Palestine n’existera pas de son vivant ( ce pourquoi les palestiniens boivent pour se souvenir) mais il nous dit aussi à la fin de son film, où de jeunes filles et garçons dansent avec énergie et enthousiasme sur le tube  » Arabi ana, Je suis arabe, moi » que l’espoir existe et que la vie continue… ( bonne nouvelle finale ).

Françoise

P.S : et…Merci à Marie-Odile pour son beau texte, ci-dessous, dans le Blog des Cramés de la Bobine.

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