Séjour dans les Monts Fuchun-Gu Xiaogang

Prix un certain regard, semaine Internationale de la Critique – Cannes 2019 

Film chinois, premier long métrage 2h30 de Gu Xiaogang avec Qian Youfa, Wang Fengjuan et Sun Zhangjian

Synopsis : Le destin d’une famille s’écoule au rythme de la nature, du cycle des saisons et de la vie d’un fleuve.

Présenté par Marie-Annick Laperle, le 11 février 2020

Le cinéma chinois d’auteur est très apprécié à l’étranger pour sa créativité. Le film «  Séjour dans les Monts Fuchun » qui a retenu de nombreux spectateurs au débat, en témoigne. Gu Xiaogang, jeune cinéaste autodidacte de 31 ans, est parvenu à réaliser un premier long-métrage ( le volet 1 d’une trilogie à venir ) d’une solide maîtrise, d’une parfaite fluidité et d’une grande poésie, sur un sujet qui n’en recèle a priori pas. La nature y impose sa présence bienfaisante et éternelle ; ses montagnes boisées, ses labyrinthes de verdure protègent du soleil ou se transforment en féeries enneigées, au gré des saisons. Le camphrier de 300 ans accueille encore les vœux traditionnels de respect et de fidélité des futurs époux. L’eau de la rivière Fuchun s’écoule inlassablement et accueille bateaux de pêcheurs et baigneurs en quête de fraîcheur. La caméra file en longs travellings, se déploie en plans séquences maîtrisés. Éternité et harmonie.

      Au cœur il y a une famille. Par touches intermittentes, Gu Xiaogang nous plonge dans le quotidien souvent difficile de chacun des membres de cette famille. Et nous sommes touchés par l’authenticité qui en émerge. Nous sommes touchés par la dure vie de pêcheurs sur le fleuve Fuchun, aujourd’hui pollué, et dont l’abondance d’hier assurait un salaire décent. Touchés par le courage du fils aîné, restaurateur chargé de responsabilités et partagé entre l’ambition de sa femme et le bonheur de sa fille. Touchés encore par la vie compliquée du troisième frère, joueur criblé de dettes, qui doit s’occuper seul de son fils trisomique. Touchés toujours par ces mères surchargées de travail, par la peine de cette jeune fille qui doit choisir entre sa famille ou l’homme qu’elle aime, par le chagrin de cette belle grand-mère, consciente de ce qui se joue autour d’elle malgré ses pertes de mémoire. Et que dire de ce quatrième frère, dont l’esprit simple ou tout simplement différent, ne lui permet pas de trouver sa place au sein de la fratrie, ni de femme comme on le lui conseille fortement. Ou encore de cette amie de Guxi qui a magnifiquement réussi sa vie professionnelle, a épousé l’homme de son choix mais ne s’est libéré de l’emprise familiale que pour se rendre prisonnière de la société pour laquelle elle travaille sans compter, sous peine d’être remplacée.

      Tout est montré des difficultés rencontrées par cette frange de population qui, selon le réalisateur, concernent soixante-six pour cent des Chinois. La vie n’est pas toujours facile mais ils gardent leur courage et leur dignité.

      Dans ce contexte, les personnages parlent beaucoup d’argent : argent gagné ou à gagner, perdu, prêté, emprunté, non remboursé. Source de soucis et parfois de conflit, s’il parvient à entamer l’unité de la cellule familiale, il ne parvient jamais à la casser. Quelque chose est plus important. Un sentiment profond de respect et d’amour semble la traverser et garder ses membres solidaires. Le cinéaste pose sur ses personnages, un regard bienveillant et sans jugement. Chacun a ses raisons et chacun les comprend. Les mutations urbaines et sociales bouleversent les traditions et les mentalités. Un mode de vie est en train de s’effondrer, à l’image de ces chantiers de démolition qui déchirent la ville et génèrent la spéculation. Ne restera de ce passé qu’un album photos sauvé par le quatrième frère. Trente ans de vie rasés en trois jours.

      Dans ces conditions, le citoyen chinois aurait un rêve : posséder un appartement neuf dans les quartiers rénovés et une voiture. Les mères chinoises ont une obsession : un bon mariage pour leur enfant unique, sujet et objet de préoccupation. Mais dans cette Chine instable, la jeune génération aura des choix à faire, semble dire Gu Xiaogang. Emboîter le pas de l’ascension sociale, de la modernisation, du consumérisme conduisant au bonheur standardisé, livré clés en main avec l’achat d’un appartement luxueux ? Ou bien décider de son chemin de vie, suivre son désir profond ?

      La question n’est pas chinoise mais universelle. C’est peut-être cette question que s’est posée le cinéaste. Diplômé en stylisme et marketing, sans formation cinématographique classique, il a pris la décision de réaliser ce film avec la seule force de son désir, de son courage et de sa volonté.

       C’est avec impatience que j’attendrai le volet 2 ; impatiente de retrouver cette famille à laquelle je me suis attachée, deux heures et demie durant, sans un seul instant de relâchement d’attention.

Marie-Annick

Laisser un commentaire