Notes Intempestives sur « Sans Filtre » aux cramés de la bobine



Souvent  je me sens l’esprit lent et je suis incapable de réagir à chaud devant certains films. Si bien que le blog me va bien, il permet un débat après le débat, aussi je m’autorise cette petite digression sur « Sans Filtre » ce mardi aux cramés de la Bobine et j’espère que je ne serai pas le seul à réagir.

Je commencerai par dire tout le bien que je pense de la présentation de Marie-Annick, qui comme d’habitude sans notes (ça m’épatera toujours) produit un commentaire riche et d’une grande clarté. Particulièrement, j’ai aimé sa présentation éclairante du cinéma de Ruben Östlund.

Ensuite, je dirai qu’un tel film a tout ce qu’il faut d’inconfort y compris pour les spectateurs confortablement assis que nous étions.

Au moment du débat, bien documenté par Marie-Annick, très rapidement, les commentaires dans la salle ont fusé sur la qualité du film : « Mal filmé, du déjà-vu, enfonçant des portes ouvertes, misogyne etc.. »

Oui, ce film a quelque chose de déjà-vu à commencer par son style et son rythme qui est celui de Ruben  Östlund lui-même, « Sans filtre » ressemble à « The Square ». Il y a aussi des ressemblances avec d’autres films par exemple, le sujet de la seconde et troisième partie du film, Ruben Östlund cite : « Vers un destin insolite sur les flots bleus de l’été » de Lina Wertmüller 1974, la relation entre riches capitalistes et un matelot communiste sur un yacht, puis sur une île.

Il y a tout de même quelque chose d’unique dans ce film, c’est son genre d’humour. Sur La marchandisation des corps, le casting puis le défilé des mannequins entre Balenciaga et H&M est parfaitement vu et illustratif, (bien que ce sujet du corps marchandise ait été traité d’une manière un peu différente dans « L’homme qui a vendu sa peau » de Kaouther ben Ania 2019)

En première partie, le rapport du couple de mannequins à l’argent est original particulièrement lorsqu’on considère la situation de leur discussion (ce qu’ils vendent, comment ils gagnent leur vie, et cette tentative d’éthique égalitaire un peu décalée). En Seconde partie, il y a cette galerie des personnages, du salaud vendeur de « merdes phytosanitaires » au couple marchand de mines et de grenades etc. Le repas par temps de tempête est aussi un grand moment de cinéma qui évoque, vu de loin, « la grande bouffe » de Marco Ferreri, avec la fulgurance en plus. Le jeu des citations entre le capitaine alcoolique et marxiste et un oligarque Russe lui-même alcoolique qui cite Nixon (dans le texte) est un régal et enfin après l’explosion du bateau sous le feu de terroristes, la troisième partie : aucun ne cherche à savoir où il se trouve et il y a la prise de pouvoir d’Abigail femme de ménage (et femme aux Bretzels ) qui inverse le rapport dominant/dominé en montrant qui sont les vrais assistés (changement de jungle!). L’humour est le plus habile et le plus joyeux raccourci pour dire les choses. Tout cela est jubilatoire, plein d’idées fulgurantes, drôles dans une période où l’humour devient de jour en jour, on ne peut que le remarquer, la chose au monde la moins bien partagée.

Mais sur le fond :

« A gauche, on présente les gens riches comme égoïstes et superficiels, et les gens pauvres comme généreux et authentiques, le film essaie d’ébranler cette conception simpliste de l’être humain en soulignant que notre position dans la structure dépend aussi de la façon dont nous agissons » dit le réalisateur.

Tout de même, le film montre des riches implacables qui exigent des choses insensées et placent le personnel sous les fourches caudines : « je veux que tout le personnel se baigne ». En regard de ça, le réalisateur cherche à démontrer que c’est la situation qui détermine le rôle, autrement dit : Un pauvre placé dans la situation du riche, reproduit immédiatement les mêmes rapports de domination. Il montre que ce nouveau dominant, comme l’ancien, est prêt à tout pour se maintenir au pouvoir (la pierre d’Abigail au dessus de la tête de Yaya). À cette « sociologie » pauvre et lapidaire, je n’adhère aucunement, il y a ce risque qu’elle justifie voire légitime l’existant et… avec complaisance !

Une chose me semble sûre, si ce ne sont pas  les démonstrations sociologico-politiques de Ruben Östlund qui me séduisent,  je les trouve confuses et ambigues, il demeure que son film est allègre, satirique, original (quoi qu’on en dise) et drôle que j’aurais regretté de ne pas l’avoir vu. J’espère que nous sommes nombreux dans ce cas…Au plaisir de vous lire!

Georges

2 réflexions au sujet de « Notes Intempestives sur « Sans Filtre » aux cramés de la bobine »

  1. L’article de Georges me donne le courage en cette journée très chargée de compléter rapidement ce que j’ai dit -rapidement aussi- lors du débat. Je rebondirai sur cette phrase du réalisateur que Georges cite : « A gauche, on présente les gens riches comme égoïstes et superficiels, et les gens pauvres comme généreux et authentiques, le film essaie d’ébranler cette conception simpliste de l’être humain en soulignant que notre position dans la structure dépend aussi de la façon dont nous agissons ». Eh bien, non c’est sa conception à lui qui est simpliste et essentialiste. Fortement misogyne. Et absolument réactionnaire : toute l’humanité est pourrie, les pauvres paraissent meilleurs parce qu’ils n’ont pas richesse et pouvoir. Ils n’ont pas su traverser la rue, en somme, et ils/elles ne proposeraient pas mieux que le système actuel. Eh bien non, il y a aussi des révoltes qui sont des révolutions, des opprimé.e.s qui ne chercheraient pas à prendre le pouvoir mais à le renverser et l’abolir. Le féminisme ce n’est pas chercher à remplacer le patriarcat par le matriarcat, en tout cas pas le mien ni celui de tant de personnes en lutte. Il n’y a pas des hommes, tous comme-ci, des femmes, toutes comme ça, en revanche il y a une discrimination millénaire et des violences faites aux femmes, qu’il le veuille ou non avec son personnage masculin dont il fait une victime à valeur universelle comme tout le reste dans son film. J’écris ces quelques lignes à la veille de la manifestation à Orléans et Montargis contre les violences faites aux femmes, dans le cadre de la Journée Internationale pour l’élimination des violences faites aux femmes du 26 novembre. Non aux catégories binaires de ce réalisateur dans sa vision du monde, on est soit marxiste soit capitaliste, les riches les pauvres, les hommes les femmes etc. Non à sa vision simpliste de l’anticapitalisme qui ne présente pas les pauvres comme « généreux et authenthiques » mais comme des exploité.e.s et des personnes aliénées, en souffrance. Et NON on n’est pas tous pourri.e.s, non, toute politique anticapitaliste n’est pas pourrie, non tout ne se vaut pas, c’est juste son discours facho et SA vision haineuse des autres et du monde, qu’il n’en fasse pas une généralité et qu’il ne nous l’impose pas comme une vérité. Vous vous êtes reconnu.e.s dans ces portraits ? Pas moi et je n’y ai pas reconnu toutes les belles personnes que je connais et qui, heureusement, échappent à ces schémas d’une pauvreté et une platitude vraiment affligeantes.

    Monica Jornet

  2. Et si à l’image des défilés de mannequins, tout n’était qu’image et artefact ?
    Les thématiques abordées dans ce film certes croisées dans d’autres, ne pourraient finalement n’être qu’un prétexte à un numéro de grand-guignol —au restaurant par temps de tempête—, de loufoquerie —la dispute au micro entre oligarque russe capitaliste et capitaine communiste que tout oppose, sauf l’ardeur dialectique—, et de slapsticks d’allers et venues vacuitaires sur une plage improbable…
    S’il fallait trouver un moyen de remplir les salles obscures pour les entendre s’esclaffer, nul doute que Ruben Östlund ferait partie de ceux qui seraient opportunément appelés à la rescousse. Pour prendre plaisir à voir ce film, il faut se laisser aller à ses fous rires, ne pas trop se poser de question sur les intentions du réalisateur, et continuer de se dire dire que le cinéma ce n’est pas ça OU ça, mais que c’est aussi ça ET ça. Je continuerai de voir ce cinéma là, celui des Buster Keaton qui tombent de leur échelle, des Monthy Python dans leurs fantasques clowneries ou même des S. Kubrick dans leur Dr. Strangelove… je n’y peux rien, je suis comme ça depuis que je suis tout petit

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