Vendredi 18 juillet

En route pour Prades, en compagnie d’Annie. Dans le TGV Inoui terminus Perpignan. De retour du wagon bar où elle est partie nous prendre un café et un thé, je la vois toute fiérote.
Ah, je suis contente de moi, tu sais pas qui j’ai rencontré au bar,
Non,
Yann Tobin. Je lui dis, Vous êtes Yann Tobin,
Oui,
Et vous allez à Prades,
Oui
Et là il me demande comment nous rejoignons Prades, je lui dis, en taxi…
(Petit rappel. L’année dernière, nous devions déjà venir en train. Pour le retour, un sms nous avait avertis qu’ « en raison de contraintes de production, la gare de PRADES – MOLITG-LES-BAINS n’[était[ plus desservie ». En fait, une loco s’était plantée sous un pont et depuis elle y est toujours : pour la dégager il faut démolir le pont, chose que le maire de la localité où l’accident s’est produit refuse formellement, arguant que le pont est très emprunté et manquerait à ses usagers. Et donc en prenant nos billets de TGV nous avions demandé à la dame du guichet s’il y avait des cars de remplacement, Oui, ils vont à Molitg. Et après ?)
… alors il me propose de partager la voiture qui vient le chercher, ils seront trois mais il y a cinq places. Jamais je n’aurais osé le lui demander mais il est tellement gentil et quand il m’a annoncé que l’un des deux hommes était Jean-Pierre Abizanda…
(Délégué artistique, depuis toujours il loge comme elle à l’Hostalrich lors des Ciné-Rencontres et ils se feront la bise. Quant à moi, je le connaissais sans savoir son nom)
… je n’ai plus hésité.
Et voilà comment nous nous retrouvons à faire les 45 kms qui séparent Perpignan de Prades en automobile…
(Par bonheur, nous n’avons comme tout bagage qu’un sac à dos, Georges et Martine ayant pris nos valises -la mienne me sera livrée ce soir même villa Lafabrègue- dans leur voiture pour nous éviter d’avoir à les trimballer)
… en compagnie de N. T. Binh, trajet au cours duquel nos évoquons divers réalisateurs venus à Prades, parmi lesquels Stephen Frears bien sûr, mais aussi Atom Egoyan et Arsinée Khanjian qui était tombée amoureuse d’un mas à vendre dans le coin et voulait l’acheter (J.-P. Abizanda ne sait pas si ça s’est fait, probablement que non) et Joseph Losey à qui les Ciné-Rencontres avaient offert une chambre dans un hôtel 5 étoiles à Molitg où il avait laissé une ardoise carabinée de vodka, J. Losey était un grand monsieur sympathique mais il était alcoolique.
Merci monsieur Binh !
Samedi 19 juillet
Projection, à
14h, de Un Baiser s’il vous plaît…
(2007. « En déplacement pour un soir à Nantes, Emilie rencontre Gabriel. Séduits l’un par l’autre, mais ayant chacun une vie, ils savent qu’ils ne se reverront sans doute jamais. Il aimerait l’embrasser. Elle aussi, mais une histoire l’en empêche : celle d’une femme mariée et de son meilleur ami, surpris par les effets d’un baiser. Un baiser qui aurait dû être sans conséquences… »)
…d’Emmanuel Mouret, premier invité (je suis ravie) de ces 66è Ciné-Rencontres.
Brève présentation du film par Thierry Laurentin, « chroniqueur cinéma, programmateur, ex-directeur des ventes de Gaumont ».
Le cinéma d’Emmanuel Mouret = l’amour sous toutes ses facettes = les jeux de l’amour + la puissance de l’oralité.
Culture de l’indécision amoureuse. L’amour doit-il être fantasmé ou vécu ?
16h. Io e il Secco –Mon ami le tueur-…

(« Denni, 10 ans, décide d’engager un tueur pour éliminer le monstre, un père violent qui bat sa mère. Il jette son dévolu sur Secco, un petit voyou qui accepte la mission tout en sachant qu’il ne le fera pas. C’est sans compter sur l’incroyable détermination du jeune garçon. Un film drôle et tendre qui aborde avec pudeur et justesse le sujet des violences conjugales »)
… film italien (2024) de Gianluca Santoni, en compétition pour le prix Solveig Anspach. Note : 4 (très bon).
21 h. Je n’assisterai pas à l’arrivée d’Emmanuel Mouret : bien qu’aimant beaucoup beaucoup ce film…
(A propos duquel j’avais écrit en 2020, à l’occasion de sa sortie en salle :
« Fluidité de la réalisation.
Eblouissante construction en flashbacks, histoires qui s’emboitent dans le récit, tiroirs qu’on ouvre et qu’on referme pour éclairer le présent.
Remarquable choix des extraits musicaux qui accompagnent toujours à propos, sans surligner.
Justesse de l’analyse des sentiments amoureux. Jeux de l’amour et du hasard.
Qualité des dialogues, écrits, littéraires sans êtres châtiés, sonnant justes : ici, point de langage parlé, à la mode, familier pour faire, soi-disant, naturel.
Qualité de la diction : point d’acteurs qui marmonnent en mangeant les syllabes façon Vincent Lacoste. Ici on articule et je comprends sans effort tous les dialogues, c’est bien agréable et quand même pas compliqué.
Intelligence. Elégance. Délicatesse.
« C’est fin, La Fontaine », dit Fabrice Luchini. C’est fin, Emmanuel Mouret, ça, c’est moi qui le dis.
Emmanuel Mouret : le plus grand réalisateur français actuel ? »)
… je ne vais pas à la projection de Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait…
(Ces 66è Ciné-Rencontres sont dédiées à Emilie Dequenne qui reçut un César de la Meilleure actrice dans un second rôle pour son interprétation d’un personnage du film)
… parce que je l’ai revu récemment et que je veux me ménager. Je reste donc dans ma chambre Casals et me couche vers 23h pour me réveiller à 1h 10 et ne me rendormir qu’à 5h 30 passées. La nuit est courte et longue à la fois.
Dimanche 20 juillet
7h 15. Le réveil sonne.
8h. Petit déjeuner.
9h. Projection de Promène-toi donc tout nu…
(1999. « Tout pourrait aller très bien dans le couple que forment Stéphanie et Clément si ce dernier acceptait de se promener tout nu devant elle dans l’intimité ».)
…, moyen métrage (49 min), film de fin d’études à la Femis d’Emmanuel Mouret, dont l’inspiration s’inscrit, comme son titre l’indique, dans les pas de Feydeau.
L’action se passe à Marseille, où est né le réalisateur et où, après Paris, il est retourné vivre.
Le désir = fondateur de l’intrigue.
Le film est suivi du long métrage Chronique d’une liaison passagère que je ne revois pas (pas mon préféré)
14h. Tout le monde a raison…
(2017. « Catherine dit à son compagnon Adrien qu’elle possède comme un sixième sens : dès que son petit ami la trompe, elle le sent »)
… court métrage d’Emmanuel Mouret. Au contraire des autres cinéastes qui, une fois qu’ils ont fait des longs, abandonnent le court, il continue à en réaliser. Ses courts métrages n’ont jamais été projetés en salle, c’est donc une première et un grand privilège de pouvoir les voir.
Les comédiens : pas connus. Mènent des carrières hors cinéma.
Travail sur le piège : prémisses de Mademoiselle de Jonquières.
Le film est suivi de
L’art d’aimer…
(2011. « Au moment où l’on devient amoureux, à cet instant précis, il se produit en nous une musique particulière. Elle est pour chacun différente et peut survenir à des moments inattendus »)
… que j’ai beaucoup de plaisir à revoir : la rencontre des voisins de palier François Cluzet et Frédérique Bel et surtout l’histoire des rencontres amoureuses dans le noir d’une chambre d’hôtel m’enchantent de nouveau.
Sixième long métrage d’Emmanuel Mouret (je le vois, enfin ! lunettes et barbe de trois jours).

Film à la fois grave et drôle.
La voix off : elle prend le spectateur par la main. Elle et la musique permettent d’accélérer, de précipiter l’action.
Les dialogues : ne sachant se mettre à la place des autres, Emmanuel Mouret fait parler ses personnages comme lui, avec son propre langage.
Il existe deux sortes de films : ceux où on parle beaucoup et où le silence fait évènement, et ceux où domine le silence et où c’est la parole qui fait évènement.
Plaisir procuré par les voix : le cinéaste préfère le son à l’image…
(Mais je ne suis pas d’accord avec cette façon de concevoir les films : désolée, Emmanuel, mais le cinématographe, c’est d’abord l’image)
… le fait de parler révélant des choses.
Ses personnages : sont proches de la population urbaine qu’il côtoie (bourgeoisie).
Ses films : se situent dans la dimension du conte.
Il fait de la mise en scène mais pas de la direction d’acteurs : il demande juste à ses comédiens de savoir leur texte par cœur.
Sur l’improvisation : quand on fait plusieurs prises, il y a des détails qui changent, des subtilités, donc il y a de l’improvisation. Le présent est toujours improvisation.
17h. On vous croit…
(2025. « Aujourd’hui, Alice se retrouve devant un juge et n’a pas le droit à l’erreur. Elle doit défendre ses enfants, dont la garde est remise en cause. Pourra-t-elle les protéger de leur père avant qu’il ne soit trop tard ? »)
… film belge de Charlotte Devillers et Arnaud Dufeys, en compétition pour le prix Solveig Anspach. Personnages filmés le plus souvent frontalement. L’actrice principale, Myriem Akheddiou…
… mériterait un prix d’interprétation. Note : 4.
(Je découvrirai bientôt sur internet qu’elle est la femme de Fabrizio Rongione ; un joli couple)
… mériterait un prix d’interprétation. Note : 4.
21h. Trois amies
que j’ai vu au cinéma cette année. Malgré tout l’intérêt que je porte à Emmanuel Mouret, j’attendrai d’en avoir oublié les détails avant de le revoir.
Lundi 21 juillet
Je zappe la projection de La ruée vers l’or afin d’écrire et d’aller à la gare…
(Juste en face, le Centre de Formation Professionnelle, installé dans l’ancien ʺEntrepôt des Poudres Chefdebien Prévient et guérit les maladies de la vigne‶ a sa façade peinte en grisaille d’une scène de gare -voyageurs sur un quai et loco à vapeur conduite par Jean Gabin- et d’un paysage de vignes avec ouvriers poussant un tonneau et, en couleurs, un touriste sac au dos)
… me renseigner sur le car susceptible de nous emmener dimanche à Ille-sur-Têt prendre le train pour Perpignan.
14h. Première séance de courts métrages en compétition pour le prix Bernard Jubard.
17 h. Projection des trois courts métrages réalisés par Carmen Leroi, co-scénariste d’Emmanuel Mouret depuis Trois amies.
Sans regret…
(2023. « Pour une résidence organisée par l’Université, Miranda Ackerman, écrivaine, revient à Caen où elle a vécu une dizaine d’années auparavant. Elle découvre avec stupeur que l’Université l’héberge dans la maison même où elle habitait avec Richard, son compagnon de l’époque)
… dans lequel Emmanuel Mouret refait l’acteur (son dernier rôle : Caprice en 2015).
Fantaisie métaphysique. Vertige existentiel. Maison hantée qui ne fait pas peur, dans laquelle Miranda voit…
(D’abord le chat, puis Richard faisant du café dans la cuisine, enfin lui et Hélène, la fille qu’ils auraient eue si elle n’avait pas avorté)
… ce qu’aurait été sa vie si elle n’était pas partie. Acceptation : au tout dernier plan, Miranda rentre et appelle, Hélène.
La Réputation…
(2024. « Lina, réalisatrice, apprend par son amie Judith que Bastien, le très professionnel monteur-son avec qui elle travaille, serait une sorte de séducteur en série)
… co-réalisé avec Emmanuel Mouret avec qui elle partage la prévalence du son (le séducteur en série : monteur-son) sur l’image : nuances psychologiques…
(C’est d’accord Emmanuel, on peut écouter une histoire à la radio mais ça n’a rien à voir avec le cinéma)
… émotion provoquées par une voix.
Donne batterie…

(2025. « Lila accueille chez elle son amie Agathe qui vient vivre en colocation avec elle. Lila doit aussi se débarrasser d’une encombrante batterie laissée par son ex. La vendre ou la donner, la donner à qui et comment ? »)
… présenté cette année à Cannes dans la section Semaine de la critique.
Fable morale sur la question du don.
Rappelle Reinette et Mirabelle d’Eric Rohmer.
Les trois courts métrages sont remarquables. Carmen Leroi : une cinéaste à suivre.
Je ne retourne pas voir Mademoiselle de Jonquières,d’abord parce que je l’ai revu récemment, ensuite parce que la séance…
(D’abord prévue dans le jardin de la sous-préfecture, elle est rapatriée au Lido en raison de risque d’orage)
… est à 21h 30.
Mardi 22 juillet
8h 11. J’émerge. Panique quand je vois l’heure à mon téléphone : j’ai oublié de mettre le réveil et j’ai, dans trois quarts d’heure, une séance de trois films (dont deux courts que je ne connais pas) d’Emmanuel Mouret, ce n’est donc pas un acte manqué.
Je m’habille en vitesse sans faire de toilette, prend la moitié de mon petit déjeuner habituel et fonce au Lido.
9h. Le Consentement…
(2019. « Au XVIIIe siècle, un noble demande à une jeune fille de la bourgeoisie de lui offrir un baiser des plus doux. Celle-ci va alors lui démontrer que les femmes ne succombent pas aisément à ce genre de demande »)
… tourné dans la continuité de Mademoiselle de Jonquières.
Dialogues d’Emanuel Mouret à la manière de Diderot.
Tout est dans les points de suspension.
Un zombie dans mon lit (2019. « Un zombie rencontre une jeune femme lors de son jogging »)
Exercice de style.
Décalage avec ce qu’Emmanuel Mouret…
(Il retrouve Frédérique Bel avec qui il a eu moins envie de faire des films à partir d’un moment : personnalité qui accapare son rôle, souci qu’elle a de son image. Ainsi, à moins d’être nue, elle n’a pas voulu tourner une scène où elle devait refuser de faire l’amour parce qu’elle lisait un livre)
… a fait jusqu’à présent.
Changement d’adresse…
(2006. « David joue du cor, instrument pratique pour faire des lapsus auditifs. Anne lui propose de venir habiter chez elle mais lui interdit formellement de tomber amoureux. Julia voudrait bien apprécier David, mais c’est surtout Julien qui l’attire, avec sa grosse voiture, son restaurant à New York et sa fâcheuse tendance à ne pas la rappeler. L’amour qui vient et s’en va les rend tous un peu fragiles, un peu ahuris, mais ne les empêche pas de continuer à y croire »)
… premier film d’Emmanuel Mouret réalisé hors de ses terres marseillaises et premier film parisien.
Le producteur lui propose Frédérique Bel. Emmanuel Mouret lui donne la réplique pour les essais, ça marche et le producteur lui dit, C’est toi qui vas jouer le rôle masculin.
Film d’apparence légère, tourné pour 300 000 euros.
Rencontre avec le public.
11h 15. Table ronde avec Emmanuel Mouret.

Ce qui l’a amené au cinéma ? Il voyait, à la télévision chez son grand-père, des films avec des personnages maladroits…
(La maladresse = constitutive de notre condition humaine. Elle raconte quelque chose de très intime. C’est avec elle que ses personnages explorent leurs ressentis)
… → vers l’âge de 12-13 ans lui est venue la lubie de faire des films.
Tourne ses premiers à Marseille, dans les quartiers sud (les quartiers nord = territoire de Robert Guédiguian) qu’il découvre avec surprise (les calanques, pas encore filmées) quand il obtient son permis. Mais dès qu’il y a accent, on est moins libre, on pense à Pagnol, à Guédiguian → il monte à Paris (le monde entier connaît les capitales).
A la Femis, il rencontre Frédéric Niedermayer qui étudie la production. Ils font leurs premiers longs métrages chacun de leur côté, après quoi Niedermayer produit ses films. Ils en font deux avec peu d’argent. Rapport de confiance dans la difficulté.
L’accueil de Caprice ayant été aimable sans plus, il faut que le cinéaste rebondisse en faisant autre chose, en surprenant : ce sera Mademoiselle de Jonquières. A partir de ce film, apparaît quelque chose de plus sombre, avec la préméditation et même la mort (Trois amies). Emmanuel Mouret ne se trouve pas très bon comédien → il voulait faire rire. Ne plus jouer lui a permis de changer de registre et de donner dans la cruauté. Il s’est trouvé un alter ego en Vincent Macaigne.
Une question revient d’œuvre en œuvre : comment filmer la parole. Le champ/contre-champ = classique. Autre possibilité : en marchant, comme faisait Éric Rohmer.
Prévalence du son. Les films d’Emmanuel Mouret sont tournés dans le plus grand silence afin de pouvoir ajouter de l’ambiance. Il demande à son équipe une certaine forme de disponibilité et d’écoute afin que les choses soient apaisées.
14h. Seconde séance de courts métrages en compétition pour le prix Bernard Jubard.
16h. Rencontre avec Thierry Laurentin à laquelle, ayant fait des courses, je n’assiste qu’à la fin.
17h 15. Bagger drama…
(2024. « La location et la vente de pelleteuses dans l’entreprise familiale exigent toute l’attention. Lorsque la fille est victime d’un accident mortel, la famille cesse de fonctionner. Ils n’ont jamais appris à parler de leurs sentiments et doivent maintenant s’unir pour régler la succession de l’entreprise. Mais le chagrin conduit au mutisme. Les actions remplacent les conversations. La perplexité entraîne des malentendus. Les malentendus conduisent à la colère. Et la colère mène à la haine »)
… film suisse de Piet Baumgartner. Note 3, mais j’aurais pu lui donner 4 si j’avais mis 5 aux deux premiers.
21 h. Mademoiselle Chambon
de Stéphane Brizé, second invité des Ciné-Rencontres. Encore une fois j’ai revu le film récemment et, malgré tout le bien que j’en pense, je reste dans ma chambre afin de me reposer et pouvoir affronter les jours qui viennent sans trop de fatigue.