STEFAN ZWEIG, ADIEU L’EUROPE

STEFAN ZWEIG, 
ADIEU L’EUROPE

Nominé au Festival de Locarno
Soirée-débat mardi 18 à 20h30

Présenté par Laurence Guyon
Film allemand (vo, Août 2016,1h46) de Maria Schrader avec Josef Hader, Barbara Sukowa et Aenne Schwarz 
Titre original : Vor der Morgenröte 
Synopsis :En 1936, Stefan Zweig décide de quitter définitivement l’Europe. Le film raconte son exil, de Rio de Janeiro à Buenos Aires, de New York à Petrópolis.

Je n’ai pas aimé ce film… mais quoi donc ?

Il y a quasiment autant de lecteurs de Stefan Zweig que de spectateurs du film.  C’est un film qu’on souhaite voir après avoir peu ou prou lu Zweig.  Pour ma part, c’est plutôt peu, je l’avoue. J’ai fait sa connaissance avec « le joueur d’échecs » paru en feuilleton dans le journal Monde en 1972 à l’époque du match Fischer vs Spassky, j’ai souvenir d’une nouvelle peu vraisemblable et d’une  psychologie des personnages taillée à la hache. Les autres livres que j’ai pu lire de lui ne m’ont guère plus passionné, de sorte que je ne regrette pas mon aveux.

Le film m’est apparu classique (trop), bavard et lent, sans surprise. Bien sûr Joseph Hader est à la fois ressemblant, crédible, remarquable dans sa manière de réprimer ses sentiments, son embarras et sa détresse…tout en les rendant tout de même visibles en dépit de ce qu’il veut paraître. La manière furtive et délicate de nous montrer le couple mort est elle aussi parfaite. Mais, autant vous prévenir tout de suite, je suis au maximum du bien que je peux  dire de ce film.

Ce récit m’apparaît comme une théorie de mondanités exécrables, de discours véhéments et vains qui n’ont pour fonction que de contrebalancer les silences et prises de position éthiques neutralistes de Zweig. Le monde de Zweig qu’on nous présente est un monde de figurants.  On imagine que dans la vraie vie, cette contrainte éthique qu’il s’est imposé devait être mortifère.

Une spectatrice durant le débat faisait remarquer que les réfugiés politiques, s’ils sont des intellectuels connus, ont des devoirs vis à vis de ceux qui n’ont pas eu la chance de pouvoir fuir ou qui sont restés pour lutter. Mais on peut aussi imaginer que l’auteur « du monde d’hier » pressentait d’une manière péjorative le « monde de demain », ce monde de l’après nazisme, que nous les vivants, expérimentons désormais.

C’est le monde du présent qui semblait échapper à Zweig. Ses amis, à l’instar de Walter Benjamin s’étaient suicidés. Un autre  et génial ami, l’écrivain  Joseph Roth, qui si l’on en juge par leurs correspondances, avait des préventions plus fermes et une  anticipation plus aiguë  que celles de Sweig sur le national socialisme,  lui aussi s’est suicidé…d’une autre manière, plus lente, celle d’un pauvre et grand alcoolique, désespéré, mourant seul à Necker un jour de mai 39.

En dernier lieu, l’histoire et la littérature, le cinéma nous ont souvent montré des couples se suicidant. Chacun a  aussi en tête des cas concrets, des noms célèbres parmi les intellectuels du 20ème siècle. Et parmi les simples quidams, aujourd’hui encore, en Octobre 2016, un couple à Villejuif vient de se suicider parce qu’il ne pouvait plus payer son loyer.

Dans le suicide d’un couple, il peut y avoir des motifs et une volonté commune d’en finir, ça peut arriver. Ce que l’on voit aussi , c’est la mise à mort de l’un par l’autre, puis le suicide de l’autre, et parfois, au décours de ces tristes histoires, la mort d’un seul conjoint sur les deux. Enfin, on peut lire sur ces affaires, qu’il existe des mécanismes morbides où l’un tente de convaincre l’autre que la mort est la seule issue valable. (Un inducteur et un induit.) Les déprimés mélancoliques sont parfois de bonne foi, par désespoir, amenés à raisonner en ces termes. Ils veulent ainsi,  par la mort, protéger leur(s)  proche(s) d’une vie atroce dont le pire reste à venir.

Dans le cas de Zweig dont on sait qu’il était déprimé et de Lotte sa jeune épouse, nous avons un doute, celui là même exprimé dans un Figaro de  2010 « Cette femme qui s’était jurée de lui redonner goût à la vie était-elle aussi désespérée que son époux au foie noir ? (mélancolique) N’est-ce pas Stefan Zweig qui a voulu imiter Heinrich von Kleist, un écrivain qu’il avait célébré dans son essai « Le Combat avec le démon » en entraînant une compagne dans la mort ? ».

Dans ce film, Zweig est un homme seul qui meurt à deux.

…Et cette pensée pour Lotte à elle seule aurait suffit à me pourrir le film si d’aventure, le reste ne m’avait pas déjà semblé ennuyeux.

Georges

 

Celui qu’on attendait

CELUI QU’ON ATTENDAIT

Soirée-débat mardi 11 à 20h30

Présenté par Françoise Fouillé en présence du réalisateur Serge Avédikian
Film français (vo, juin 2016,1h30) de Serge Avédikian avec Patrick Chesnais, Arsinée Khanjian et Robert Harutyunyan

Nous espérons que vous avez passé une bonne soirée. Il y a d’abord le film qui mérite bien vos commentaires, ensuite la présence de Serge Avedikian, et le mot présence s’agissant de Serge Avedikian a ici son plein sens….

Nous profitons de cette invitation à commenter pour vous signaler dans Youtube, le dessin animé Chienne d’Histoire du même Serge Avedikian.  17 minutes bouleversantes ;  un film tellement actuel.

Bonne journée

LE SECRET DE VERONIKA VOSS

 

Cycle Rainer Werner Fassbinder 
LE SECRET DE VERONIKA VOSS
 

Article de Michel Grob

La nostalgie (die sehnsucht) de Véronika Voss

1955, Munich.
 Dans une Allemagne blafarde encore sévèrement défaite, des personnages incertains d’eux-mêmes semblent à la recherche d’un rôle à tenir.
D’où le choix du noir et blanc qui renvoie à un passé mythifié : Marlène Dietrich sera plusieurs fois évoquée à travers le chant et les postures de Véronika  Voss. La blancheur répétée des scènes chez Mme Katz, psychiatre bourgeoise, souligne le blanc, le trou de mémoire, l’amnésie généralisée qui gouverne les corps et les esprits. L’alcool, la morphine tentent d’endormir les corps souffrants dans un somnambulisme
nocturne…
Douloureux et tragique, le passé surgit avec le vieux couple des déportés juifs dont l’élégance, l’humanité, et la dignité surprennent. Un beau vase précieux est offert, puis brisé, et  enfin remplacé à l’identique comme une transmission presque impossible …
 L’omniprésence muette d’un GI noir est le réel fil d’Ariane du film.
A la fin du film, un plan fixe parodie les producteurs, les réalisateurs et les acteurs de la Métro Goldwin Meyer.
Epuisé, vieillot, le son des cloches est parasité puis subvertit par l’arrivée du rock and roll, énergique et revigorant ! Humour …
A la Prusse impériale défunte succèdera la République impériale (R. Aron) des Etats-Unis comme influence déterminante. Plus précisément encore, la République Fédérale d’Allemagne Unie intégrera le songe du territoire communiste en le dissipant. D’où le vagueà l’âme (die sehnsucht) des marxistes ! Humour …
Michel Grob

EL ACOMPAGNANTE

EL ACOMPAÑANTE
Prix du public aux festivals de Miami et de la Havanne
Semaine du 29 septembre au 4 octobre2016
Soirée-débat mardi 29 à 20h30

Présenté par Sylvie Braibant en présence du producteur Edgar Tenembaum
Film cubain (vo, août 2016,1h44) de Pavel Giroud avec Yotuel Romero, Armando Miguel Gómez et Camila Arteche
 

Aux cramés de la bobine, nous avons la chance de voir des films rares, les films cubains ne sont pas si courants, et souvent ils sont bons. C’est le cas de celui-ci -Notre gratitude à Edgar Tannenbaum son producteur –

J’espère que ce film sera commenté, il y a tant de choses à souligner. Nicole, une spectatrice faisait remarquer que ce film avait une analogie avec « Folles de joie », présenté il y a peu :  La rencontre de deux personnes que rien n’aurait dû mettre en contact, sauf la situation et le lieu dans lesquels ils se trouvent placés à leur corps défendant. Il y a de même chez les deux personnages, ce désir d’en sortir,  de se faire la belle, l’attrait des grandes largeurs.

Là s’arrête l’analogie, car la question de la mort qui rode est spécifique   à ce film. Elle est majeure quand ce  jeune homme naguère débordant d’énergie,   maintenant épuisé,  couvert de kaposi, s’autorise à perdre son match pour la vie,  lorsqu’il sait que son ami  boxeur va gagner le sien… sur le ring,  grâce à son conseil.

Ce film rend compte d’un système efficace de prévention de la transmission du SIDA dans les années 80, et en même temps décrit, exprime  une organisation totalitaire. Un système d’enfermement, où l’on passe de sujet à objet, où tous les besoins des sidéens sont déterminés de l’extérieur. Nous voyons là, la résurgence d’une forme  de soins, pas si rare dans l’histoire.  Une forme de soin qui n’a qu’un prix, celui de la liberté.

Pouvait-on imaginer un tel dispositif pour faire face au SIDA ailleurs qu’à Cuba ?  Cuba nous apparait comme un pays à la fois autoritaire et égalitaire. En même temps,  c’est une île,  doublement isolée à cause des rétorsions américaines.  Par ces côtés là, cet hôpital prison partage quelques traits avec son pays.

Dans ce contexte de prison, de soins, de mort, et de violence parfois,  au fur et à mesure, on a  l’impression que le cadre rigide du système s’efface pour laisser place à l’humain. Et  cette humanité là, dans cette société là exprime aussi la fraternité. A mauvaise fortune, bon coeur dit le proverbe. Quant à l’idéal de liberté, dans le coeur de tout homme, il l’est plus encore dans celui des prisonniers.

On ne peut s’empêcher de spéculer sur Cuba d’aujourd’hui. C’est le début  d’autre chose,   la fin de l’isolement, la liberté sans doute,  mais aussi  « les libertés », par exemple, celle  d’expulser – Cette autre forme de la violence et de  l’exclusion-  Mais ceci est une autre histoire.

Georges

 

 

 

Ce qu’il reste de la Folie

CE QU’IL RESTE DE LA FOLIE
Semaine du 8 au 13 septembre 2016
Soirée-débat lundi 12 à 20h30
Présenté par Georges Joniaux
Film franco-sénégalais (juin 2016, 1h30) de Joris Lachaise

 

Ami(e)s Cramé(e)s de la Bobine  Bonjour,

« Cette manière de filmer, de montrer, c’est aussi l’Afrique ! » disait une spectatrice.

Un documentaire qui suscite un bon débat est un bon documentaire, et c’est le cas de « Ce qu’il reste de la Folie », si l’on en juge par la  qualité, la variété et la multiplicité des interventions dans la salle. Il n’y a rien à ajouter, simplement je souhaite signaler 2  références qui précisent l’histoire l’hôpital psychiatrique de Thiaroye :

Le combat décolonisateur d’Henri Collomb-mémoire et société

memoire-et-societe.over-blog.com/2015/…/le-combat-decolonisateur-d-henricollomb.
-On peut aussi  re découvrir le remarquable témoignage du Docteur Michel BOUSSAT  document INA  entretien avec le DR ESCANDE -1980-
Amitiés
Georges

 

PS1 :- le documentaire à l’origine  de la démarche de  Joris Lachaise,  « les maitres fous » de Jean Rouch est visible à partir de votre ordinateur.

PS2 : -tous ceux qui, comme moi,  ont été séduits par  Khady Sylla peuvent regarder Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=DNCzF-MVvtY

L’EFFET AQUATIQUE

Prix SACD (1) à la Quinzaine des réalisateurs 2016
Semaine du 1er au 6 septembre 2016
Soirée-débat mardi 6 à 20h30

Présenté par Françoise Fouillé
Film français (juin 2016,1h23) de De Solveig Anspach avec Florence Loiret-Caille, Samir Guesmi et Didda Jonsdottir

Notes de présentation de Françoise

Comment les Cramés de la bobine ont rencontré S.Anspach ?

Beaucoup de fidèles spectateurs se souviennent de la soirée de clôture de juillet 2013 . Ce soir là, les Cramés avaient choisi un film drôle, fantaisiste “ Queen of Montreuil” de S. Anspach, que certains avaient découverts lors de la saison 2012 des Ciné-rencontres de Prades. Solveig a donc passé la soirée avec nous, accompagnée par l’actrice principale du film Florence Loiret-Caille.

Ce fût une belle séance, un film épatant et nos deux invitées, à l’écoute, répondant avec simplicité, et franchise à toutes nos questions.

Mais voilà, le destin funeste a fait que la maladie dont Solveig était atteinte et qu’elle avait exorcisée avec talent dans” Haut les coeurs” en 1999, est revenue et a fini par l’emporter le 7 août 2015.

Cependant le cinéma était sa vie, et elle s’est battue jusqu’au bout pour réaliser son dernier film “ L’effet aquatique” tout en luttant contre la maladie.

Solveig faisait partie de ces êtres humains qui ne lâchent pas, qui sont tenaces, son histoire personnelle en porte la marque.

Eléments biographiques

Solveig en islandais signifie “ chemin du soleil”…

Née en 1960, dans une petite île islandaise, d’une mère originaire de cette île et d’un père américain mais aux ancêtres allemands et roumains, Solveig a eu une enfance multiculturelle, parlant plusieurs langues, voyageant aux Etats-unis, en Europe, Islande.

Très tôt (à l’âge de 8 ans ) elle a voulu faire du cinéma, car son père l’emmenait toutes les semaines voir des films à la cinémathèque de Paris et semble-t-il le cinéma formait un lien puissant et unique qui les reliait.

Mais ayant formulé son intention à son père, ce dernier la dissuade de se lancer dans cette voie lui expliquant que c’est impossible de faire du cinéma pour une fille (on est en 1968) il n’y a selon lui qu’Agnès Varda capable d’être réalisatrice…Heureusement sa mère, qui a été la première femme architecte d’Islande lui explique qu’en tant que fille, elle peut tout faire à condition d’être tenace.

L’oeuvre de Solveig Anspach

C’est ainsi que Solveig sortira en 1989 de la première promotion de la Fémis, section réalisation et qu’elle tournera pendant dix ans de nombreux courts métrages avant , en 1999, de réaliser son premier long métrage, autobiographique, “ Haut les coeurs” qui sera un succès et fera connaître Karin Viard ( César de la meilleure actrice ).

Elle tourne ensuite sept longs métrages. En 2007 sort “ Back soon” tourné en Islande, début d’un projet de trois films avec des personnages construits par Solveig et son co-scénariste; Jean-Luc Gaget, qu’ils vont étoffer au fil des années.

Dans “Queen of Montreuil” tourné chez elle à Montreuil où elle partageait son temps avec l’islande, on trouve le personnage d’Agathe (Florence Loiret-Caille) veuve qui revient avec l’urne de son défunt mari, le grutier Samir (Samir Guesmi) et la poétesse déjantée ( Didda Jonsdottir, islandaise pure souche, poétesse, rockeuse et aussi éboueuse pour gagner sa vie !!)

L’origine et le tournage de “ L’effet aquatique” : un film qui parle d’amour et d’amitié.

Pour “ L’effet aquatique” on retrouve ces trois personnages, la veuve Agathe étant maître-nageuse à la piscine Maurice Thorez de Montreuil et Samir amoureux d’Agathe, toujours grutier. Ainsi que la poétesse islandaise, Didda ( Anna ) ici chefesse du 10éme congrès des maîtres-nageurs à Reykjavik.

Le film a été tourné en deux parties, en octobre 2015 pour la partie aquatique et montreuilloise et en mai-juin 2016 pour la partie islandaise .

Il ne faut pas chercher de continuité dans l’histoire mais dans celle des personnages . Par ailleurs l’idée première de ce film vient d’un réalisateur anglais Jerzy Skolimowski, qui est l’auteur de “Deep end“ traduit par “ Le grand bain” de 1970 et qui se déroule dans une piscine. C’est en voyant ensemble ce film (avec J-Luc Gaget) qu’ils furent enthousiamés et décidèrent de tourner dans une piscine, un lieu aquatique.

Quel sens donner à ce choix de l’eau toujours présente ? Le liquide amniotique ..? source de vie ?

Solveig explique qu’il s’agit du passage du domestique au sauvage soulignant le passage à l’état amoureux des deux héros. L’eau est ici la métaphore de tous les états amoureux .

La piscine étant un lieu particulier, hors du temps qui met avec des caractères spécifiques, en présence des populations diverses : moiteur,humidité, sols glissants, rituels. On y vient pour nager ou pour d’autres motifs ( sexe, détente..).

La piscine fait remarquer la réalisatrice est un lieu hautement démocratique car les signes d’appartenance sociale ou religieuse ont disparu sous les maillots de bain.
Elle a voulu aussi dresser le portrait d’une tribu étrange, familière et souvent drôle, celle des maîtres-nageurs.

L’objectif restant de marier le burlesque avec la comédie romantique ( mariage savant entre deux choses contradictoires) .

Quelle que soit l’interprétation faite de ce milieu aquatique, le résultat se sont de superbes images, comme dans la piscine où un véritable ballet avec bulles et gros plans, décrit l’élan d’amour de Samir pour Agathe. L’affiche du film reprend un des plus beaux plans, où Agathe et Samir sont enlacés sur le plongeoir surplombant l’eau bleutée..

Mais c’est aussi un film humoristique qui parle de l’humanité.

Dans la deuxième partie, nous participons avec nos héros au congrès des maîtres- nageurs à Reykjavik (dont au passage l’initiative revient à son fondateur au nom flamand mais incarné par Bouli Lanners). Et là Samir se fait passer pour le représentant de l’Etat d’ Israël, qui suggère le projet “Together” la construction en commun d’une piscine israélo-palestinienne, proposition accueillie par un tonnerre d’applaudissements.

La réalisatrice nous parle de la nécessité de la paix dans le conflit israélo-palestinien mais aussi de l’utopie comme moteur de l’imaginaire et de l’action des Hommes.

“L’effet aquatique” est son dernier film, que l’on peut considérer comme le plus beau, le plus accompli, tant sur le plan cinématographique ( beauté des images, des acteurs, des paysages ) que sur le plan humain.

A cet égard le dernier plan où Samir et Agathe s’embrassent dans cette eau chaude islandaise, nous submerge d’émotion et symbolise bien la personne et l’artiste formidables qu’était Solveig.

D’UNE PIERRE DEUX COUPS

D’UNE PIERRE DEUX COUPS
Prix du public au Festival Premiers Plans d’Angers
Semaine du 30 juin au 5 juillet 2016
Soirée-débat mardi 5 juillet à 20h30
En présence la réalisatrice Fejria Deliba, et des 2 acteurs Farid Bouzenad et Taidir Ouazine.

Film français (avril 2016,1h55) de Fejria Deliba avec Milouda Chaqiq, Brigitte Roüan, Claire Wauthion  

Synopsis : Zayane a 75 ans. Depuis son arrivée en France, elle n’a jamais dépassé les frontières de sa cité. Un jour elle reçoit une lettre lui annonçant
le décès d’un homme qu’elle a connu, autrefois, en Algérie. Le temps d’une journée, elle part récupérer une boite que le défunt lui a léguée. Pendant son absence, ses onze enfants se réunissent dans son appartement et découvrent un pan de la vie de leur mère jusque-là ignoré de tous…

Quelle soirée! Ami(e)s Cramé(e)s bonjour, notre film de clôture et aussi d’ouvertures… à vos plumes!

 

LE FILS DE JOSEPH

LE FILS DE JOSEPH
Semaine du 23 au 28 juin 2016
Soirée-débat Mardi 28 juin à 20h30

Présenté par Henri Fabre

Film français (avril 2016,1h55) de Eugène Green avec Victor Ezenfils, Natacha Regnier, Fabrizio Rongione, Mathieu Amalric, Maria de Medeiros et Jacques Bonnaffé 

Synopsis : Vincent, un adolescent, a été élevé avec amour par sa mère, Marie, mais elle a toujours refusé de lui révéler le nom de son père. Vincent découvre qu’il s’agit d’un éditeur parisien égoïste et cynique, Oscar Pormenor.
Le jeune homme met au point un projet de vengeance, mais sa rencontre avec Joseph va changer sa vie.

 

Voici  un film qui a suscité un beau débat et qui mérite certainement quelques commentaires. Les spectateurs qui veulent nous faire part de leurs impressions sont les bienvenus.
Amitiés du Blogcramés

Les habitants

Raymond Depardon

Présenté par Georges Joniaux
Film français (avril 2016, 1h24)

Synopsis : Raymond Depardon part à la rencontre des Français pour les écouter parler. De Charleville-Mézières à Nice, de Sète à Cherbourg, il invite des gens rencontrés dans la rue à poursuivre leur conversation devant nous, sans contraintes en toute liberté.

Digression sur Les Habitants.

Raymond Depardon est un cinéaste qui décrit volontiers son travail avec les termes d’un artisan. Ce qu’il nous en dit manifeste autant le souci de ce qu’il donne à voir, la manière de le montrer, que du public. Il y autre chose que je trouve frappant et que je souhaite rappeler : Raymond Depardon s’exprime avec lenteur, comme un paysan, chaque mot est pesé. Mais c’est aussi un intellectuel de notre temps, c’est à dire à la fois un témoin, un homme de réflexion et d’action ; quelqu’un qui intervient dans le réel par le fait même qu’il l’observe, qu’il sait débusquer et nous montrer ce que nous nous négligeons de voir.

J’ai d’abord pensé que j’étais simplement séduit, que c’était le choix de ses sujets de documentaires dans lequel l’Homme dans son quotidien tient une large place qui m’incitait à l’éloge. Mais ce n’est pas seulement cela. Lorsque Raymond Depardon filme un sujet qu’il n’a pas choisi, ce qu’il produit procure cette même impression de rigueur et de justesse.

Prenons par exemple son documentaire sur Ian Palach en 1969. Il est bref, dense, beau, tendu, tout est rendu, et surtout, rien du sens de la cérémonie ne nous échappe. Presque 50 ans après, ce film demeure saisissant et bouleversant. Donc il y a autre chose, cette autre chose c’est l’art – l’élégance et la fulgurance de l’art –

En dépit du temps, tout ce qu’il produit continue de s’imposer à nous, de s’actualiser, car nous sommes en présence d’une œuvre. J’enfonce une porte ouverte, mais c’est encore ce qui me vient à l’esprit lorsque je regarde son dernier film, Les Habitants.

Lorsqu’il filme la ville et ses habitants en général, il montre la turbulence, le chaos sous l’ordre apparent. Lui qui a choisi de s’exprimer lentement et qui aime la durée nous montre la vitesse des mots et des actes dans la vie, leur accélération vertigineuse.

Rappelons nous Urgences, Délit flagrant, 10ème chambre, et d’autres. Les bouleversements et leur ordonnancement.  Les Habitants appartient à ces films. Comme eux, il prend le public à rebrousse poil, le déconcerte. Je parie pourtant que ce film occupera une place importante dans l’œuvre de Raymond Depardon et je vais tenter de dire pourquoi.

Il nous dit en somme, qu’en dépit de notre imaginaire, de nos « idées écrans », le réel ne se congédie pas comme ça ; il fait intrusion dans notre vie, déborde notre idéal, le bouscule. Ici le réel c’est « les autres ». Ça ne nous plait pas toujours plus que ça ! On ne sait rien d’eux, alors on peut se construire un hors champ assez condescendant. Les habitants qu’il nous montre, ce sont « ces autres ». On n’était pas gêné avec « les paysans » : ils concernent nos vacances… Mais là, « les autres »  sont dans la rue, celle où l’on marche. Alors on se demande s’ils sont représentatifs, comme s’ils étaient tous contenus dans un grand sac, « les autres ». Mais les autres existent singulièrement et ne se laissent pas enfermer dans notre imaginaire. Ils sont « les habitants » et nous voyons, nous entendons de quoi leur quotidien est fait : il y a d’abord l’amitié qui unit deux personnes qui se parlent, s’écoutent et se regardent ; puis il y a les sujets qui les occupent, la famille, l’amour, la misère féminine, le machisme ordinaire, la difficulté à joindre les deux bouts, la précarité, la solitude,  la séparation et les orgueils blessés. On nous donne aussi à voir à quel prix parfois les habitants conservent leur prestance ou s’auto-illusionnent. Leur élan vital est aussi un élan sentimental. Ces habitants nous tendent un miroir dans lequel nous ne voulons pas nous regarder. Pourtant ils sont au même titre que nous les habitants, d’abord parce qu’ils s’habitent eux-mêmes, ensuite parce qu’ils habitent quelque part dans une de ces villes de France, quelque part où la vie les a menés parce qu’ils sont dans un système social que nous partageons tous, de manière très diverse. Ils sont dans leur altérité les porteurs des tensions et des espoirs d’aujourd’hui. Si Depardon nous avait montré 25 autres couples, nous aurions les mêmes résultats, car les préoccupations des habitants sont universelles, et leurs joies, petits bonheurs, frustrations, peines et illusions sont les nôtres. Depardon nous dit de quoi nous sommes faits. Georges

Chaînes conjugales

 

CINÉCULTECHAINES CONJUGALESOscar du Meilleur réalisateur en 1950Semaine du 16 au 20 juin 2016Soirée-débat dimanche 19 à 20h30
Présenté par Claude Sabatier
Film américain (vo, 1950, 1h43) de Joseph L. Mankiewicz avec Jeanne Crain, Linda Darnell et Ann Sothern

« Chaînes conjugales », le 6ème long métrage de Joseph Léo Mankiewicz, présenté en mai dernier dans sa version restaurée, et qui reçut en 1950, 1 an avant « All about Eve », 2 Oscars – meilleur réalisateur et meilleur scénario – est un film d’une grande richesse et subtilité : cette comédie dramatique de « l’homme le plus intelligent d’Hollywood », selon Jean-Luc Godard, se présente aussi comme un film à sketches, fondé sur 3 flash-back et une réflexion à la fois satirique et romantique sur trois thèmes essentiels : le couple et le rapport complexe entre l’amour et le mariage – autour également de la difficulté, de la nécessité de la parole amoureuse ; le désir d’ascension sociale et le complexe social au cœur du sentiment, voire en conflit avec celui-ci ; et la question de l’émancipation féminine dans cet opus précurseur de « Desperate Housewives », qui inspira à Alice Ferney son roman « Paradis conjugal ».

Le titre original « A letter to three wives », que sa traduction française semble infléchir, sinon trahir, vers une critique systématique d’un mariage-prison, rend mieux compte et du poids de la parole dans ses trois couples embarrassés par leurs sentiments, leurs craintes sociales ou leur maladresse verbale et du motif central de la lettre : trois femmes, Deborah Bishop, Rita Phipps et Laura May Hollingsway embarquent sur un bateau de croisière avec les enfants d’un orphelinat en laissant leurs maris respectifs retenus par leur golf ou leurs activités de week-end ; au moment de partir, elles reçoivent une lettre de leur amie commune, Addie Ross, qui, après les avoir assurées de sa fidèle amitié, les prévient qu’elle part avec le…mari de l’une d’entre elles. Lequel ? Elle se garde bien de le dire et on ne le saura qu’à la fin, non sans l’ambiguïté d’un faux départ, simulé ou fantasmé.

Substitut inversé de la lettre ou des mots d’amour que ces trois couples s’avèrent incapables d’écrire ou de se dire, la perfide ou traîtresse missive a au moins le mérite de libérer la parole des trois femmes, de les amener à la fois à une rétrospection et une introspection sur leur vie de couple, pour se demander quand celle-ci a pu déraper et sur quoi achopper. La perturbation et la révélation nécessaire qui en découle amusent et séduisent d’autant plus qu’on ne voit presque jamais la 4ème femme, Addie Ross – à peine un bras nu, un nuage de fumée lors d’une soirée – incarnée par une voix off un peu traînante et acidulée : figure de femme fatale ou trop parfaite envoyant à chaque mari le cadeau d’anniversaire idéal – disque, robe ou photographie ? mauvaise conscience des trois femmes ? ou double démiurgique du metteur en scène qui tire les ficelles de son personnage et se moque gentiment du spectateur ? Toutes les hypothèses sont possibles… On voit là se déployer le talent du réalisateur américain, d’origine juive allemande, ni prolifique (21 films seulement entre 1946 et 1972), ni révolté, mais brillant et caustique : il excelle dans les retours en arrière, la voix off et ces dialogues finement ciselés, qui dessinent, portent même la seule action qui vaille, psychologique et sentimentale, avec ses possibles, ses « bifurcations », selon le mot de Gilles Deleuze sur le cinéaste américain.

Les trois femmes, déstabilisées par la lettre d’Addie, incarnée par Céleste Holm, future héroïne d' »All about Eve », revivent le film de leur vie, annoncé par un travelling avant, une image floue, en surimpression, portée par une voix ironique répétant la dernière phrase prononcée mais semble-t-il en même temps issue de la psyché de l’héroïne. Deborah Bishop (jouée par Jeanne Crain), Rita Phipps (Ann Sothern) et Lora Mae (Linda Darnhell) illustrent chacune à sa manière la difficile conciliation entre la vie de couple et la vie professionnelle, la pureté du sentiment et l’ambition sociale qui le traverse, la spontanéité de la parole et les silences ou balbutiements de l’amour.

Deborah, d’origine paysanne, ne se sent jamais socialement à la hauteur de son mari et de ses fréquentations mondaines : elle fait de son habillement – la robe seyante et assez raffinée à mettre au club, pour la danse ou la réception de ses futurs amis – une douloureuse obsession, où se combattent l’amour pour son mari, qui devrait seul lui suffire, et l’amour-propre, qui vient gâcher tous ses plaisirs et enlever toute gratuité et spontanéité à ses relations sociales, pire, provoquer les maladresses ou déboires redoutés – par ce qu’Edgar Poe appelerait le « démon de la perversité ». Elle craint de paraître empruntée et ridicule avec sa robe passée – et de couleur et de mode ! – et ses fleurs décoratives et ne voilà-t-il pas qu’elle accroche et arrache la rose la plus visible, se découvrant le ventre : tout le monde le remarque et une amie compatissante doit se livrer à des travaux de couture au beau milieu de la soirée. Si M. Bishop apparaît comme une figure assez pâle, vaguement aimante et peu rassurante, Deborah, en tout cas, est l’incarnation de la mauvaise conscience, sociale qui plus est, par quoi l’on se complique inutilement la vie : car enfin, son mari l’aime pour ce qu’elle est et elle n’a sans doute rien à craindre ; et, à ne se croire qu’un être social, elle finit par vexer ses amis (qui le lui disent) en ne les estimant pas assez intelligents ni indulgents pour aller au-delà des apparences et l’apprécier pour sa richesse intérieure ! Deborah ou une parole faussement spontanée, compliquant à l’envi les situations les plus évidentes – une parole-écran.

Rita est sans doute des trois femmes la plus épanouie, et dans sa vie de couple et dans son ambition professionnelle puisqu’elle gagne – fait nouveau, osé au cinéma à l’époque – plus que son mari grâce aux feuilletons radiophoniques assez superficiels et convenus dont elle invite un soir la productrice et son époux. Le plus étonnant est qu’elle n’en tire aucun orgueil particulier, ni volonté de revanche sur la gent masculine en la personne de son mari, modeste mais brillant professeur mal payé, joué par un Kirk Douglas à la fois tout en retenue, en tendresse et plein de causticité – du côté duquel pourrait se manifester ici le complexe social ! George en effet se livre à une satire à la fois badine (pour son épouse) et virulente (pour ses patrons) de la publicité et de la société de consommation qui saupoudre dans des émissions de radio pour midinettes le mercantilisme le plus cynique d’un vernis culturel assez pitoyable. (Flirtant avec le code Hayes – Kirk Douglas parle de « laxatif », de « pénétration » et de « saturation » – le film se voit encore parfois amputé de cette scène lors de son passage à la télévision américaine !) La soirée a beau être finalement gâchée par cette diatribe, Rita n’en veut pas foncièrement à son mari qui a pourtant tout fait pour tout gâcher, même si sa culture et son exigence intellectuelle ne lui permettaient pas d’agir autrement : leur couple offre un bel exemple d’équilibre, ou plutôt d’équilibrisme où se côtoient et s’acceptent sans vraie friction deux visions du monde, de la relation sociale et de l’exigence personnelle. C’est sans doute cela l’amour : une parole franche et vraie, tendre et décapante.

Enfin, Lora – fascinante Linda Darnell, en femme aussi fatale que fragile (elle tombera amoureuse du cinéaste), ambitieuse et paumée – est sans doute la plus complexe, comme sa relation avec Porter – excellent Paul Douglas en patron impatient et séducteur bourru. Rien que de simple en apparence : la secrétaire aime son patron et voudrait l’épouser mais elle peine à démêler en elle sincérité du sentiment et désir d’ascension sociale ; lui, qui la désire, craint de n’être « aimé » que pour son argent et ne veut plus entendre parler de mariage. Alors ? Les deux se livrent à un étrange marivaudage, où la parole non seulement sonne faux – ou maladroit – mais s’évertue à ruiner d’avance un possible amour : ils rivalisent l’un d’impatience brusque, de désir outré, l’autre de minauderie effarouchée et aguicheuse – surjeu de la mauvaise conscience ?… C’est agaçant et amusant à souhait – mais Mankiewicz touche juste : sommes-nous aimés pour nous-mêmes, pour notre image sociale ? Aimons-nous même pour l’abandon à l’autre, l’inconnu de la rencontre ou la recherche d’une situation, d’un confort matériel ou sexuel ? Lora et Porter semblent tellement prisonniers de leur ego et de leur désir que non seulement ils ne croient pas l’autre sincère et aimant mais en viennent à douter d’eux-mêmes, à ne plus savoir lire dans leur propre cœur ! Lora et Porter ou la parole omniprésente et pourtant empêchée…

Et c’est pourtant par Porter que le happy end surgira : en se dénonçant autour de la table ronde réconciliatrice – à tort ou à raison, on ne sait – comme le pari volage qui serait parti avec Addie, il libère la parole et les sentiments des autres couples qui apprennent à s’aimer par-delà leurs différences ou complexes sociaux. Les Bishop le remercient pour sa « sincérité », et Rita se sent soulagée, sachant que George, son mari absent, n’était donc pas le coupable. Se déprendre de ses propres peurs (on est son propre ennemi !), prêcher le faux pour laisser surgir le vrai – telle est « l’épreuve » que propose cette comédie plus sentimentale que satirique, moins cruelle que les pièces d’un Marivaux mais refermant la même boucle, le mariage, assumé, et l’amour, réinventé.

Claude