Je veux seulement que vous m’aimiez

Soirée-débat dimanche 20 novembre à 20h30
 

Présenté par Maïté Noël 
Film allemand (vo, 1976,1h50) de Rainer Werner Fassbinder avec Vitus Zeplichal, Elke Aberle et Alexander Allerson 
Titre original : Ich will doch nur, dass ihr mich liebt

 

Article de Maïté

Rainer Werner Fassbinder ou l’ art de la mise en scène des contrastes illustré dans le film.

Commençons par la musique.

Alors que l’histoire racontée est tragique, la musique accompagnant certaines scènes du film est plutôt entraînante, voire guillerette. Dans une scène, on voit par exemple Peter et Erika dans leur salon, discutant une énième fois de leurs soucis financiers et dans le même temps, Dalida chante à la télé: «Ne crains rien, je reviens, car je t’aimerai toujours, t’aimerai toujours, c’est bien toi mon unique amour» C’est une chanson optimiste dont le rythme enjoué contraste avec ce que vit ce couple accablé par ses soucis financiers. Vous aurez sans doute reconnu «muss i denn, muss i denn» chanson populaire allemande du 19è siècle où il est question d’un jeune homme qui doit quitter sa bien-aimée ; il lui jure de l’aimer toujours et de l’épouser à son retour. Cette chanson est encore jouée par la marine allemande lors du départ d’un bateau (sur You tube, on voit dailleurs Dalida chanter sur un bateau au son d’un orchestre genre Bagad de Lann-Bihoué sans les binious!)

Ce contraste ne se trouve pas seulement dans l’accompagnement musical mais aussi dans la mise en scène de certaines séquences.

Une demande en mariage se fait «normalement» dans un lieu romantique,  un parc au clair de lune, au bord d’une rivière etc. Ici, Peter et Erika se promènent dans ce qui semble être une carrière ; le sol est inégal et mouillé et lorsque Erika, tout heureuse à l’idée de se marier, se jette dans les bras de Peter, on voit leurs chaussures s’enfoncer dans le sol glaiseux , scène qui préfigure déjà les soucis financiers dans lesquels ils «s’enfonceront» par la suite. Lorsque par contre, ils se promènent dans un environnement romantique, une serre avec des orchidées et de hautes plantes exotiques, c’est pour se livrer à un calcul au Pfennig près de leurs recettes et de leurs crédits à rembourser.

La scène du petit-déjeuner chez les parents offre aussi ce contraste. La table est mise, sur une belle nappe blanche, on voit de la vaisselle en porcelaine, des œufs à la coque, de la confiture dans des ramequins en verre, des Brötchen. Tout cela est très «gemütlich» et invite à la convivialité, or que voyons nous : la mère, l’air mauvais, mange dans une autre pièce, le père lit son journal, Erika fait les cent pas car, contrairement à ce qu’il avait promis, Peter n’a toujours pas demandé d’argent à son père. Seul Peter s’assied, mais au lieu de manger, il «massacre» son Brötchen à coups de couteau, désespéré ou furieux contre lui-même d’être incapable de quémander de l’argent à son père.

Je termine par un dernier exemple. Cela se situe au tout début du film. On voit Peter qui se réveille dans un lit. La caméra nous montre une petite pièce, puis une fenêtre avec des barreaux. On comprend qu’il se trouve dans une prison. Suspendu devant la fenêtre, se trouve un mobile: ce sont des mains en carton avec un index tendu; en fait des indicateurs de direction à prendre pour la suite d’une visite de monument ou pour trouver la sortie d’un musée; mais nous sommes dans une cellule de prison!

Le mobile se met à bouger de plus en plus vite et les index s’agitent dans toutes les directions à la fois.

Ce mobile qui s’agite préfigure ce qui est démontré dans tout ce film, dans cette société cruelle, les humbles, les gentils, les serviables ne trouvent aucune échappatoire et ne doivent s’attendre à aucune reconnaissance. Par deux fois aussi apparaissent sur l’écran ces mots écrits en lettres majuscules : « Peter avait construit une maison à ses parents mais au bout de deux mois, ils n’éprouvaient déjà plus aucune gratitude à son égard» Nous l’avions bien sûr compris mais par cet écriteau, clin d’oeil aux panneaux explicatifs du cinéma muet, Fassbinder enfonce encore le clou. Même si Peter est profondément aimé par Erika, cela ne suffira pas à le sauver.

Face au matérialisme, au pouvoir de l’argent, l’amour n’est jamais le plus fort.

Cela correspond à la vision pessimiste de la société que l’on retrouve dans tous les films de Fassbinder, même si parfois, tout semble s’arranger, il n’y a jamais de happy end .

Maïté

Une réflexion sur « Je veux seulement que vous m’aimiez »

  1. Nous avons de la chance de voir ou revoir de tels films. Et merci à Maïté pour ses présentations du tonnerre. Comme elle nous le signale, il y a des transpositions biographiques dans ses films et celui-ci n’y échappe pas. Maïté nous dit que Fassbinder était un travailleur addictif et qui a bien du mal avait joindre les deux bouts.
    Une personne qui sait voir en elle même, et qui a comme le montre bien l’article de Maïté, une belle et saine ironie.
    Parlons de Peter :

    C’est le personnage principal du film, Peter fut un enfant mal aimé, peu reconnu, exploité par ses parents. (Un peu comme ces personnages de Maupassant.)
    Adulte, deux choses se dessinent chez Peter, son surinvestissement du travail de maçon, et son besoin irrépressible de donner. Pour pouvoir donner, il travaille. Il accepte un salaire inférieur à sa valeur professionnelle et…bref, comme avec ses parents, il accepte d’être exploité. il s’endette car le travail ne suffit pas. De sorte que du mot devoir, il expérimente deux sens, « faire son devoir » et « devoir quelque chose ».

    C’est à ce prix que Peter peut gagner un bref instant, l’estime de lui même (travailler et donner, donner jusqu’à s’endetter)

    Peter a des lunettes pour voir le monde, et nous avons les nôtres pour voir le monde de Peter et le monde en général… Pourtant, nous ne sommes pas si éloignés de ce pauvre Peter, au moment ou j’écris ces lignes, j’entends sur les ondes de drôles de choses : « travailler davantage, être moins bien payés, diminuer nos dépenses car nous avons vécu au dessus de nos moyens etc. ». Nous qui voulions seulement être aimés.

    PS : Comme ce film nous montre un couple qui n’arrive plus a joindre les deux bouts, j’en profite pour m’autoriser à signaler la réédition « des deux bouts » d’Henri Calet,un livre de 1954. Comment faisait-on alors pour joindre les deux bouts ? que nous disent la boulangère, le maçon, le menuisier, l’employé ?

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