France de Bruno Dumont (2)

France

« Un orage montait que nul ne voyait venir »
Inspiré par Un demi-clair matin de Péguy, c’est à l’orage qui monte que Bruno Dumont cherche à nous faire tendre l’oreille dans son magnifique film France, sorti en septembre, toujours à l’affiche de l’Alticiné et qu’il faut courir voir.
Dans une satire rutilante du monde du journalisme télévisuel, c’est l’irruption brutale de la réalité qui fait mouche et révèle la face cachée de France, Léa Seydoux, comme une évidence, actrice géniale habitée et si inquiétante.
France de Meurs, mortel, un nom pareil ! Péguy, Dumont, on pense à Jesus bleibet meine Freude, Jésus que ma joie demeure, Bach cantate BWV 147. Et si le prénom France choque d’entrée, toute charge symbolique tricolore est vite écartée pour laisser place à la « pure » France de la « pure » Jeanne de Péguy, de Dumont.
Les décors léchés des studios télé, les dorures de l’Elysée, les tenues Couture … le Pouvoir enivre France qui s’y vautre dans son narcissisme, boostée minute par minute par son assistante (géniale Blanche Gardin) qui lui cire les pompes non stop, sans répit, qui souffle sur elle les mots qui confortent, qui la flatte, lui disant ce qu’elle veut entendre, qui l’abreuve de ses certitudes, l’abrutit des nombres de like. Ne pas laisser retomber le soufflé ! Bravo, l’artiste, brava la Diva ! Connivence totale de tous ceux-là dans ce monde là.
Mais voilà, c’est le monde réel, la réalité de la vie, qui viennent catapulter tout son cirque. Un banal accident va changer la donne et c’est en renversant un livreur beur, Baptiste – prénom too much, clin d’œil à Über ? à une intégration voulue, forcée, empêchée ? – que le voile se lève sur une France ébranlée, décomposée et voilà que frémit son humanité, sa conscience, voilà qu’une culpabilité la dévore qu’elle va tenter de calmer en offrant sa présence qui vaut de l’or et qui décervelle, à grand renfort de chèques mais l’argent a-t-il jamais pu apaiser les âmes ?
Avec France, Bruno Dumont pointe du doigt le fabriqué des reportages authentiques mais toujours montés, donc ni vrais, ni faux, une représentation du réel et c’est le problème qu’il exacerbe ici en montrant sa France qui fait son show avec des combattants du djihad, leur demandant de prendre la pause, en réclamant les pleurs de migrants en gros plan, en fabriquant un débat politique et sa mise en scène d’altercations entre protagonistes qui copinent.
Pourvu que ce soit beau … France, frappée par le malheur, déchue pour s’être crue intouchable, hébétée, étonnée et étonnante de trouver beau un paysage de la Somme en hiver, forcera la porte pour revenir et retrouver cet empire du faux où elle s’oubliait si bien, déjà au taquet sur un reportage glauque sur une victime de fait divers porteur. Champ, contre-champ, plan de coupe. C’est sa vie.
Enrobé de notes bleues de Christophe, sa dernière musique de film, France est un film tragique, une satire magnifique, unique en son genre.

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