
Voici un film au sujet à la fois banal, une séparation et rare dans sa manière de la réaliser, rendu plus complexe par sa mise en abyme.
Rappelons le sujet, deux jeunes gens, Ale, réalisatrice et Alex comédien décident à brûle-pourpoint, d’un commun accord, sans raison précise, peut-être par usure affective, de se séparer au plus vite et de fêter leur séparation. Ce sera le 22 septembre du même mois. Ce sont bien des artistes, il veulent que ce soit original et festif..
…De se séparer pour, peut-être, « mieux se retrouver ».
Et nous assistons aux préparatifs de l’évènement, l’annonce aux amis et à la famille, la recherche d’un ailleurs pour chacun, aux préparatifs de la fête. Voilà un beau mélange salé sucré.
Le film est complexifié par sa mise en abyme, en effet, nous voyons Ale (réalisatrice) et son monteur travailler ensemble sur un film qui n’est autre que celui que nous sommes en train de voir. Ils découpent, réagencent, peaufinent, mettent en musique.
À certains moments encore, on ne sait plus vraiment si les acteurs jouent où s’ils jouent qu’ils jouent etc… Nous voyons simultanément un film qui nous parle de cinéma et un film qui nous raconte une histoire dont la banalité serait comme transfigurée par sa mise en œuvre.
Et comme tous les personnages sont sympathiques, de bonne composition, parfois déconcertants, on se laisse prendre dans le tournoiement des préparatifs.
Et je me souviens tout de même, presque au début du film, Ale disant à Alex : Une séparation, ce n’est pas comme un mariage, on n’est pas simultanément d’accord. Et de voir que très vite, c’est elle qui suscite le passage à l’acte. On ne saura jamais si c’est un don amoureux de sa part. On voit qu’ensuite, dans la mise en œuvre, il y a bien parfois des signes de malaise, ils re-fument, elle pleure, il se dévalorise, mais au total, « tout va bien », c’est comme s’ils dansaient ensemble.

Le message du film c’est celui des films hollywoodiens des années 30-40, se séparer pour mieux se retrouver dans une nouvelle relation. Et puisque dans tous les films de Jonas Trueba, il y a des personnages qui aiment les bons livres, qu’il convoque Stanley Cavell, Kierkergaard à l’appui de sa fiction, je ne résiste pas à citer largement la 4e de couverture d’un autre merveilleux livre d’ Eva Illouz : « Pourquoi l’amour fait mal » :
« Aimer quelqu’un qui ne veut pas s’engager, être déprimé après une séparation, revenir seul d’un rendez-vous galant, s’ennuyer avec celui ou celle qui nous faisait rêver, se disputer au quotidien : tout le monde a fait dans sa vie l’expérience de la souffrance amoureuse. Cette souffrance est trop souvent analysée dans des termes psychologiques qui font porter aux individus leur passé, leur famille, la responsabilité de leur misère amoureuse.
« Elle dresse le portrait de l’individu contemporain et de son rapport à l’amour, de son fantasme d’autonomie et d’épanouissement personnel, ainsi que des pathologies qui lui sont associées : incapacité à choisir, refus de s’engager, évaluation permanente de soi et du partenaire, psychologisation à l’extrême des rapports amoureux, tyrannie de l’industrie de la mode et de la beauté, marchandisation de la rencontre (Internet, sites de rencontre), etc. Tout cela dessine une économie émotionnelle et sexuelle propre à la modernité qui laisse l’individu désemparé, pris entre une hyperémotivité paralysante et un cadre social qui tend à standardiser, dépassionner et rationaliser les relations amoureuses ».
Alors je me dis que ce film sur l’art de se séparer, pour mieux se retrouver (ou non) est parfait côté Salle, peut être un peu moins net côté Cuisine !
Georges