Grand Prix au Festival de Cannes en 2015 (+)
Soirée-débat vendredi 15 janvier à 20h30
Film hongrois (vo, septembre 2015, 1h47) de László Nemes avec Géza Röhrig, Levente Molnár et Urs Rechn
Lumineusement présenté et discuté par Annette Wieviorka, Le fils de Saul, est tout sauf un film intellectuel, c’est un film émotionnel, un film d’immersion, sonore et visuelle. Un film saisissant.
Il nous invite à suivre Saul équipier d’un sonderkommando et parfois à être Saul…à voir entendre, sentir ce que Saul voit entend et sent. Nous sommes dans une unité de mise à mort des juifs à Auschwitz Birkenau. Autrement dit, à suivre un homme contraint à travailler comme un forçat pour faire fonctionner ce qu’il est convenu d’appeler un peu trop vite, la machine de mort. Un peu trop vite, car le but ultime du système n’est pas seulement de tuer hommes, femmes et enfants en masse. C’est aussi de produire autant que possible, compte tenu des « impératifs de production », de la mise en poudre. C’est à dire en même temps qu’on tue, à faire disparaître les corps (pièces !) innombrables… et donc l’assassinat lui même. Qu’il n’en reste rien.
Il y a une histoire dans le film, il en fallait une. Ce n’est pas une histoire mineure, l’homme Saul, tel Don Quichotte tente d’éviter la mise en poudre d’un enfant. Il tente de créer un espace, un temps de dignité humaine en donnant un sacrement et en enterrant un enfant dont il allègue pour couper court, que c’est le sien. Le mouvement de résistance individuelle de l’homme Saul en intercepte un autre, une révolte collective.
En 1998, Imre Kertész dit : « pour que l’holocauste entre réellement dans la conscience collective européenne, -du moins celle de la conscience occidentale- il a fallu payer le prix exigé par le public. La stylisation de l’holocauste, qui a commencé pratiquement tout de suite, atteint aujourd’hui des proportions insupportables. Rien que le mot holocauste est une stylisation, une abstraction euphémique pour des mots à résonance plus brutale, comme « camp d’extermination », ou solution finale.
Sommes nous dans ce cas de stylisation ?… oui, il y a une esthétique, un style. Làszlo Nemes est un artiste, l’art est là pour nous faire ressentir. Mais pas au prix de n’importe quel moyen. Il y a une éthique chez Laszlo Nemes, regardons ses images, observons l’usage esthétique, subtil et nécessaire du flou.
Sommes nous devant une représentation euphémique, une abstraction, une construction intellectuelle ? Non. Le film de Nemes bien documenté, produit une forme émotionnelle de la connaissance, il participe, d’où il se tient, à la conscience occidentale, tout comme certains témoignages, ceux de Primo Levi, et de bien d’autres. Mais, plus particulièrement, je pense ici à « Je suis le dernier Juif », de Chil Rajchman, ex membre d’un sonderkommando, évadé à l’occasion d’une révolte en 1943 préfacé par la même Annette Wieviorka.
Pour ce Fils de Saul, grand premier film de Lazlo Nemes, comme une fenêtre sur le néant, la présence d’ Annette Wieviorka est une chance pour les spectateurs. Nous avons pu voir et discuter un film dur et infiniment discutable. Sa présence humble, calme, disponible, son propos à bonne distance, rigoureusement précis étaient en quelque sorte rassurants…mais peut-on dire ainsi?