Ariane, ce lumineux « objet » du désir.
Commençons par Gilles, brillant professeur de philosophie qui enseigne à l’université, il se distingue par une mise un peu austère, dépourvue de fantaisie, sauf peut-être lorsque dans sa chambre, il porte un pyjama vintage qui, Ariane ne dira pas le contraire, serait assez sexy. Son appartement désuet, pauvre, surchargé contraste avec son statut. Sa conversation, rigoureusement sobre ne valorise pas sa culture. Il partage avec Philippe Garrel cette aversion de l’esprit bourgeois. (Ces gens qui arrosent sans vergogne, tout à la fois, leurs géraniums et les passants).
Depuis peu, il a fait la connaissance d’Ariane. Ariane, dans la mythologie, c’est le fil mais c’est aussi l’abandonnée. Pour l’heure, c’est une belle jeune femme de 23 ans, au visage grêlé de taches de rousseur, aussi libre que l’air. C’est une séductrice, c’est elle qui l’a dragué à la faculté…Un peu plus que ça d’ailleurs, puisqu’ils ont passionnément, si l’on en croit les soupirs et râles d’Ariane, fait l’amour debouts dans les W.C réservés au personnel. Ce n’est pas d’un romantisme fou mais ça crée des liens. Ils vont décider de vivre ensemble.
Impromptue, arrive Jeanne chez son père. Elle rentre chez papa Gilles car son fiancé l’a quittée. Elle pleure et ses râles rappellent un peu ceux d’Ariane. Jouissance et douleur que deux plans rapprochent.
Lorsque Jeanne rencontre Ariane pour la première fois, au petit matin, dans la cuisine, elle lui dit : « tu es moins belle que ma mère » puis elle s’excuse. L’une et l’autre ont le même âge, elles vont devenir amies. C’est une amitié où l’une est rivale à son insu comme à l’insu de l’autre. Bref, Ariane est entière, Jeanne est ambivalente.
Ariane est joyeuse, Jeanne est triste. Ariane aime, cependant, elle ne se pose pas de questions sur l’amour et de la durée de sa grâce, elle aime ; de même elle n’assortit pas son désir sexuel du besoin d’aimer ou d’être aimée. Quant à Jeanne abandonnée et absolue, elle veut un homme et un seul pour la vie, pas n’importe lequel Matéo, celui qu’elle a perdu.
Tout est en place, il n’y plus qu’à laisser les choses aller… et les choses vont. Gilles produit une théorie soixanthuitarde sur la liberté sexuelle et la pérennité de l’amour. Ariane comprend alors qu’elle ne pourra pas rester avec lui. (Je me rends compte que pour ce film, il aurait fallu noter la voix off). Elle se lance dans les rencontres, les flirts et les amours d’un jour. Et alors ce sont les gémissements, les râles d’Ariane sans Gilles. Là encore des plans qui se répondent (aux deux sens du terme). Mais alors quel est le plan de Gilles ? Réussir à échouer. Parce que ce qui le marque, c’est l’abandon, quelque chose comme passer de 1 à 2 puis de 2 à 1 avec toute la souffrance qui va avec, jouissance et douleur. Mais pourquoi peut-on s’autoriser à dire cela ? C’est un peu sauvage non ? Pour deux raisons, la première est l’écart d’âge entre ces deux-là 23/50. La seconde, lorsqu’on a vu la trilogie, on observe qu’elle est entièrement traversée par cette question de l’abandon. Le sentiment d’abandon ce sentiment qui consiste parfois à anticiper, à voir dans autrui le lâcheur potentiel, celui qui va vous laisser seul… Et à tout faire pour rendre la situation conforme à la prédiction.
Mais revenons à Jeanne toute à son chagrin dans sa pureté amoureuse quoi qu’entachée de calculs. Par rivalité, elle met en place une stratégie d’élimination d’Ariane et en même temps de reconquête de Matéo. En fait, on découvre que Matéo ne l’a pas quittée, tout simplement, il n’a pas de projet avec elle, il ne se sent pas mur. D’où Jeanne déduit « il va me quitter, » donc « il m’a quittée »– Là encore abandon par anticipation — Avec un peu de manipulations d’Ariane, (photo d’une revue porno, faux appels téléphoniques, faux suicide, entremise) elle va obtenir de faire entrer Matéo et papa dans le droit fil de ses projets. Jeanne a aussi des désirs moins clairs, ellle aurait par exemple aimé faire des choses un peu moins sérieuses avec un jeune Don Juan de ses amis. (La voix off nous dit qu’elle décide de faire l’amour par procuration). Et c’est Ariane qui va s’y coller, si l’on peut dire.
Comme dans une sonate, réexposition du thème de la jouissance, Ariane et Don Juan, devant les WC. Je ne sais pas pourquoi les WC, mais chacun est libre. Gilles la voit. Ce sera la rupture pour Gilles qui se rend compte qu’il ne pourra pas vieillir avec Ariane… mais pourra compter sur sa fille et Matéo pour le consoler.
Alors Ariane abandonnée ? Ariane un nom, un destin et ce n’est pas forcément triste…Ariane, ce lumineux « objet » du désir, lire Marie-No.