« Aquarius » de Kléber Mendonca Filho

nominé au Festival de Cannes 2016Du 1er au 6 décembre 2016Soirée-débat mardi 6 à 20h30
En présence de Alberto Da Silva, maître de conférence à la Sorbonne, spécialiste du cinéma brésilien et présenté par Nancy Berthier
Film brésilien (vo, septembre 2016,2h25) de Kleber Mendonça Filho avec Sonia Braga, Maeve Jinkings et Irandhir Santos

 

Article de Marie Noël

D’entrée, on est scotché par la beauté et le charme de  Clara en 1980 (Barbara Colen, lumineuse) . La scène de voiture sur la plage sur fond de Queen est magnifique. De Clara émane une sérénité presque palpable. C’est pourtant pendant la dictature et elle sort d’un grave problème de santé. Mais sa nature a pris le dessus. Elle vivra sa vie individuellement. L’amour fusionnel c’est son mari qui le vivra. Pas elle. Ses enfants seront son entourage mais elle les tiendra à une distance raisonnable pour qu’ils n’entrent pas dans sa bulle, elle saura par exemple les  laisser deux ans pour aller vers d’autres horizons. Elle écrira des excuses mais ne les prononcera pas et sa fille lui en gardera rancoeur .

Clara passera toute sa vie en solo. Elle traverse les épreuves de sa vie avec un calme olympien. Impressionnant ! Comme si rien ne pouvait la faire vaciller. Elle a des recettes pour garder cet équilibre . D’abord « soigner » sa fidèle Ladjane. C’est essentiel . Elle est là pour la servir, elle, la déesse dans son hamac au milieu de sa musique, sa vie, bien rangée, serrée sur les étagères. Donc jouer la bienveillance avec Ladjane. Mais chacune à sa place quand même . Ladjane vouvoie Clara qui la tutoie. La peau de Ladjane est plus foncée que celle de Clara qui est plus foncee que celle de Diego . On verra que Clara prendra de plein fouet les réflexions d’un vulgaire Diego sur sa couleur de peau . Au Brésil et ailleurs il y a toujours un plus clair que l’autre. Et par conséquent un plus foncé. Le problème de couleur de peau sévira sans doute jusqu’à la fin des temps.
L’immeuble Aquarius m’a laissée un peu sur ma faim. J’aurais voulu m’y attacher davantage. On voit un peu que c’est un bel endroit mais pas assez à mon goût. J’aurais voulu l’aimer plus. Quant à la peur ambiante du quartier de Recife, je ne l’ai pas ressentie dans la peau de Clara. Les autres ont peur pour elle. Le lifeguard craint pour sa survie dans les vagues de l’atlantique. Ses enfants craignent pour sa sécurité dans ce quartier, encore que sa fille n’hésite pas à lui laisser son petit Pedro dans cet appartement, dans l’immeuble déserté. Les autres ont peur. Pas Clara qui semble avoir décidé depuis longtemps, ca 1980, que la peur ne passerait plus par elle. Jamais. Elle active ses pions autour d’elle : Ladjane, tout le temps, le sauveteur, comme joker, le journaliste, dans un but précis etc …
Et, elle, avance hiératique, superbe, magnétique et foncièrement égoïste.

J’ai en tête les 2 photos du fils de Ladjane, mortellement blessé dans un accident.
A son anniversaire chez elle de l’autre côté du « ruisseau » le grand portrait en 1,50×1,50 m déroulé à côté d’elle et qu’elle embrasse.
Et la photo qu’elle montre, aux enfants de Clara réunis : une toute petite photo format identité. Elle les oblige à regarder son fils. Ladjane si docile, invisible fait ici acte de rébellion. Et retourne en cuisine où personne ne la suit. On n’a pas la même taille des deux côtés du « ruisseau ».

Que dire des promoteurs ? Les mêmes méthodes sont employées partout. cf par exemple les rats propagés dans un immeuble convoité par des promoteurs véreux dans le film de J. Audiard « De battre mon cœur s’est arrêté » .

Le film est très fluide mais difficile de passer presque trois heures sans ressentir de l’empathie pour aucun des personnages. Sans aimer personne.

Tout est glauque. Ca pue trop la corruption dans cet immeuble, dans le quartier. Plus d’espoir. Clara devra partir et l’Aquarius sera détruit.

PS : « en vrai » on n’aurait pas laissé Clara arriver avec une valise jusque dans les bureaux des promoteurs… Et de toutes façons, ils n’ont rien à craindre : contre l’acier et le verre, les termites ne peuvent rien.

 

 

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