Une Affaire de Famille – Kore-Eda

Festival  du 16 au 22 janvier 2019
Palme d’or 2018
Du 17 au 22 janvier 2019
Soirée débat mardi 22 à 20h30
Autres séances jeudi et dimanche en fin d’après-midi et mardi après-midi

Film japonais (vo, décembre 2018, 2h01) de Hirokazu Kore-eda avec Lily Franky, Sakura Andô et Mayu Matsuoka

Titre original Manbiki kazoku
Distributeur : Le Pacte

Présenté par Marie-Annick Laperle

Synopsis : Au retour d’une nouvelle expédition de vol à l’étalage, Osamu et son fils recueillent dans la rue une petite fille qui semble livrée à elle-même. D’abord réticente à l’idée d’abriter l’enfant pour la nuit, la femme d’Osamu accepte de s’occuper d’elle lorsqu‘elle comprend que ses parents la maltraitent. En dépit de leur pauvreté, survivant de petites rapines qui complètent leurs maigres salaires, les membres de cette famille semblent vivre heureux – jusqu’à ce qu’un incident révèle brutalement leurs plus terribles secrets…

Ce film présenté par Marie-Annick a été bien et amplement débattu.Difficile famille en effet que cette famille-là, et c’est un tour de force que de reconstituer les liens qui en nouent les membres.

On apprend à la connaître au fur et à mesure. Et quand, dans le dernier quart du film, la police et les services sociaux se mêlent de leurs affaires, on en découvre encore, et ce ne sont pas de moindres détails.

L’histoire commence par  l’enlèvement d’une petite fille, Juri abandonnique et mal traitée, qui deviendra la petite sœur de Shota jeune adolescent, lui aussi « trouvé » dans une voiture.

Ces enfants  sont élevés par des « parents » Osamu (un petit voleur)  et Nabuyo (une repasseuse, ex-maltraitée, ex prostituée soft). Ces deux là, nous le saurons vers la fin du film,  sont unis par un assassinat. Au sommet de la famille, une grand-mère dont on ne sait pourquoi elle l’est, si ce n’est qu’elle a le mérite de recevoir mensuellement un « dédommagement » qui lui sert de pension. Dédommagement parce qu’elle assure la garde (en secret) d’Aki,   fille  du fils de la seconde épouse de son ex-mari. Fille qui travaille comme prostituée soft.

Une famille qui s’est reconstituée à partir d’intérêts matériels divers et d’affection élective.  Famille dont le mode de vie est  transgressif et marginal au sens plein du terme.

Une affaire de Famille est remarquablement filmée, les critiques soulignent les qualités de cadrage. Parmi toutes celles que j’ai pu lire, toutes ne sont pas élogieuses, tant s’en faut. C’est pourtant l’une de celles-ci  qui me le fait aimer davantage. Ainsi celle de l’excellente revue « Transfuge » dit qu’on est un peu piégé par le côté bonhomme, par la volonté de Kore-Eda d’adoucir la brutalité du monde, d’aseptiser, voire de stériliser la teneur dramatique du film et sa façon d’éviter le réel.  Quant aux enfants du film, ils seraient trop mignons. Le genre « mignon » serait d’ailleurs, le signe distinctif du film. Et je dois dire que je suis impressionné par ces arguments,  d’autant que leurs auteurs sont des gens brillants et qu’il y a bien un niveau où leur critique  est parfaite.

En même temps, je me dis que le réalisme n’est qu’une des figures de style du cinéma et que rien n’oblige un réalisateur à prendre cette voie pour dire ce qu’il a à dire. Et je pense qu’on oppose trop souvent cette revendication de réalisme pour des films qui ne veulent pas l’être. Je me souviens de nos dernières projections, Heureux comme Lazzaro ou encore de High Life ont pu faire l’objet de semblables remarques.

Kore-Eda prend en effet ce langage de la douceur « du mignon » pour reprendre les termes de Transfuge, pour  montrer des  figures violentes : enlèvements d’enfants, vols, destruction de véhicules, enterrement sauvage, prostitution, chantage etc. Chacun de ces forfaits habilement justifié est inséré dans un tissu relationnel fort qui le justifie- Il faut bien vivre-

On est avec eux.  En témoigne le débat d’hier soir où nous avons tous manifesté de l’empathie pour ces personnages. Je dirai même que nous les aimions. Nous étions  pris dans une sorte de « syndrome de Stockholm », on trouvait que la police et les services sociaux étaient de vilains moralisateurs, des empêcheurs de transgresser en rond !

C’est le premier tour de magie de Koré-Eda, de nous montrer que la fraternité est toujours possible, même pour un spectateur confortable dans son fauteuil. (Dans The Third Murder, il nous faisait aimer un probable assassin). Kore-Eda a ses thèmes, (chez lui les questions de filiation sont très marquées),  il a son langage, sa cohérence, et ses intentions. Par exemple, depuis qu’il fait du cinéma, Kore-Eda sait bien à qui il destine  ses films.

Qui les regarde en effet ?  Nous ! Il sait qu’il nous leurre avec ses partis pris, il sait aussi que nous le savons.

Il sait comme nous  que ce ne sont pas les pauvres africains qui viennent regarder Makala, les sans abris qui viennent en masse regarder Louise Wimmer etc.  C’est bien nous et nous pouvons parfois être nombreux. Nous les cinéphiles. Notre  point commun, être  disponibles pour la culture des autres et leur société.

Or, Kore-Eda soulève par son film beaucoup de questions, nous n’y reviendrons pas Marie-Annick les a très bien exposées. Et il  ne veut pas seulement nous raconter une histoire originale et gentille.

Ici, il   dénonce les travers de la société japonaise. Si l’on en croit les réactions des autorités japonaises, le message a été reçu. Si Koré-Eda était turc, il serait bani, Iranien ou Russe, il serait en prison, Israélien en proie à la vindicte étatique, Chinois, il n’aurait pas fait de film du tout et serait en prison …etc.

Koré-Eda est un lanceur d’alerte d’un genre spécial qui se distingue par les moyens qu’il utilise,  dans ce film il nous dit aussi qu’au Japon, une grande partie de la population est reléguée, rendue invisible et doit se débrouiller comme elle peut. Et nous lisons les journaux et apprenons comment sont traités les vieux travailleurs, les vieux tout court qui représentent 20% des prisonniers au Japon, ils commettent des larcins pour s’y faire enfermer, c’est le seul endroit où on peut s’occuper d’eux.

Alors, si ce film nous montre à la fois  une famille « ex nihilo », pour nous interroger sur la famille, il nous montre en creux    ce que seraient ces personnes sans famille. Il nous signifie que la solitude est souvent une réalité et plus particulièrement une réalité japonaise. Les institutions japonaises sont des machines à produire de la solitude.  Il nous parle aussi des travailleurs à trois sous, comme l’étaient ses parents. La misère des gens de peu,  ceux pour qui il n’y a pas d’état et qui vivent selon leurs lois faute de mieux.
Bref, il soulève les tapis, indispose, se rend détestable et politiquement incorrect…avec du mignon…

Et en outre, son film est beau et captivant

 

01:13:31   (ce lien ouvre sur les critiques de la revue Transfuge)

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