Coupe Volpi de la meilleure interprétation féminine pour Ariane Ascaride à la Mostra de Venise 2019
Film français(novembre 2019, 1h47) de Robert Guédiguian avec Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, Anaîs Demoustier, Robinson Stevenin, Lola Naymark, Grégoire Leprince-Ringuet et Diouk Koma.
Présenté par Laurence Guyon le 28.01.2020
Synopsis : Daniel sort de prison où il était incarcéré depuis de longues années et retourne à Marseille. Sylvie, son ex-femme, l’a prévenu qu’il était grand-père : leur fille Mathilda vient de donner naissance à une petite Gloria.
Le temps a passé, chacun a fait ou refait sa vie…
En venant à la rencontre du bébé, Daniel découvre une famille recomposée qui lutte par tous les moyens pour rester debout. Quand un coup du sort fait voler en éclat ce fragile équilibre, Daniel, qui n’a plus rien à perdre, va tout tenter pour les aider.
Au centre de Gloria Mundi « Cash Service », qui nous dit quelque chose sur l’état du monde d’aujourd’hui. Aurore et Bruno sont les petits chefs d’une entreprise qui porte en elle le signe d’un changement économique, le signe d’une économie de récession. Economie de récession ? Oui, pour une partie croissante de la population, comme le disait l’un de nos Présidents, il existe une fracture sociale. Et c’est le choix de Robert Guédiguian de nous la montrer.
Ce magasin est donc emblématique de la société actuelle, qui ayant perdu une large part de son industrie, propose essentiellement du travail dans les secteurs de service, souvent de seconde main et quelquefois du travail au noir et pour une large part sous-payé et à durée déterminée. Dans ce film, Aurore (Lola Naymark, magnifique !) et Bruno (Grégoire Leprince Ringuet) les patrons sont chargés de bien cyniques et méchants rôles. Leur langage des affaires singe à s’y méprendre le sabir du management actuel, à moins que ce ne soit l’inverse.
À côté, il y a Sylvie (Ariane Ascaride) la mère, Richard, le père (Jean-Pierre Darroussin) et Mathilda (Anaïs Demoustier), la fille aînée. Comme 75% de la population française ces gens travaillent eux aussi dans le secteur tertiaire.
Et, dans ce secteur tertiaire, on rencontre forcément la précarisation des emplois. Elle explique la naissance prometteuse d’Uber dont Nicolas (Robinson Stevenin, bon sang ce qu’il ressemble à son père !) est le représentant dans le film. Nous verrons que c’est un travail qui pour ne pas être celui d’un bras cassé, peut le devenir.
Robert Guédiguian, montre la dynamique de déclassement/relégation des classes moyennes, mal payées, précarisées, à la merci de tous les coups, fragilisées sans rémission possible, dont même les lieux de vie sont progressivement détruits ou bouleversés.
Et au total, un monde où ces classes moyennes paupérisées sont désunies à tous les niveaux, familial (Mathilda/Aurore), professionnel (Sylvie /ses collègues de l’équipe de ménage) (Nicolas/les chauffeurs de taxi).
L’arrivée dans le film du ténébreux Daniel (Gérard Meylan qui n’a aucunement à forcer le jeu) donne au film la touche romanesque dont il avait besoin pour ne pas être seulement un inventaire de la misère du monde.
Avec ce film, Robert Guédiguian demeure dans sa veine réaliste, mais il semble que l’étau se resserre. Je me souviens par exemple, de Marius et Jeannette, le premier film que j’ai vu de lui (et en avant-première svp), les pauvres y étaient facécieux, parfois un peu roublards, ils avaient de l’humour et pouvaient se défendre. Ce n’est plus le cas.
Gloria Mundi m’apparaît d’abord comme la nostalgie d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Celui où tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Un monde qui tenait sur ses deux jambes. L’une, le profit et l’enrichissement continu par le travail. L’autre, la consommation avec pour seule limite, un « pouvoir d’achat » qui n’était pas immuable, compte tenu d’une croissance exceptionnelle. Une époque où commence une ferveur quasi religieuse pour le veau d’or de la consommation.
Tout cela s’accompagnant de solidarités humaines, de famille, de quartier de travail et de classe sociale … Bref, de lien social. La vision du Monde de Robert Guédiguian c’est un peu celle de la fin du bonheur des boomers. (Génération de nombreux Cramés de la Bobine, dont je suis)
Robert Guediguian comme son aîné Ken Loach réalise un cinéma de très bonne facture, mais qui est aussi celui d’une génération un peu aveugle sur elle-même, son mode de vie et qui voudrait tant que ça continue. Le film porte aussi la vision un peu masochique d’un peuple qui subit et ne peut que subir face à un « système » tout puissant.
Il serait intéressant que des gens de la nouvelle génération, tels Matthieu Barreyre (L’époque) ou d’autres, qui probablement ont un autre rapport au monde, nous parlent du même sujet avec le regard de leur âge.
Mais revenons à Gloria Mundi, pour notre bonheur Robert Guediguian fait jouer ses acteurs fétiches, qui sont à chacun de ses films, un peu les nôtres, ils sont bons et crédibles, et on est heureux de voir que sa famille s’agrandit.
Georges