(vostfr, 22 juin 2020, 1h58)
avec Helena Zengel, Albrecht Schuch, Gabriela Maria Schmeide
Soirée mardi 8 septembre 2020 à 20h30
Privée de l’amour de sa mère, comme dépossédée, en d’autres temps, autres lieux, on aurait soigné la petite Bernadette en crise à grand renfort d’eau bénite, d’ail et de mixtures. On l’aurait confiée à un exorciste, à un désenvouteur. Fût un temps où Satan était bien commode. Las, peine perdue, ni dieu, ni diable ne pouvaient rien à ce qu’on nommait alors simplement « hystérie ». Faute de soins et d’attention maternels, le vide se serait creusé et serait devenu abyssal. Pareil.
De nos jours, c’est autre chose. Nous sommes passés bien sûr à d’autres thérapies. On a construit des institutions pleines de lumières et de couleurs et Benni y est accueillie un temps et puis, les places étant comptées, envoyée un jour piquer ses crises ailleurs, des lieux où Benni est observée par des professionnels de l’âme, bienveillants mais qui ont leur vie, des horaires et qui doivent se protéger pour pouvoir revenir, où Benni doit prendre des cachets qui masquent sans colmater. Qu’est-ce que ça peut bien faire au fond sur une Benni, tout ça … La maintenir debout, vivante pour hurler sa détresse. Et en attendant qu’elle ait l’âge d’être internée pour de bon, l’envoyer au Kenya . « Benni in Afrika ! » se moque cet éducateur sceptique.
Pas mieux. Chacun fait ce qu’il peut.
Benni est sortie du cadre de la vie ordinaire, elle est hors champ, hors d’atteinte et on ne peut que constater qu’il semble que cela soit déjà trop tard pour la « recadrer », pour la rattraper, pour la calmer et arriver à pérenniser son calme. La mère n’ira jamais assez bien pour guérir ses blessures à elle et a fortiori celles de sa fille, enfant. La mère continue à creuser le sillon des tourments, ceux de Leo et après viendra Alicia et elle aura peur d’eux un jour comme elle a peur déjà de Benni.
Quel malheur ! quelle désespérance !
Ce film montre la souffrance de cette enfant de neuf ans qui ne peut que faire régner la terreur pour exprimer sa colère. Puisque sa mère ne la « calcule » pas, elle se fera remarquée par tous. Puisque sa mère ne l’aime pas, elle se fera détester par tous. Puisqu’on la « range » là, elle se sauvera.
Pour en avoir été privée, Benni cherchera sans doute toute sa vie, à se caler contre le sein de sa mère et pouvoir y rester jusqu’à l’apaisement.
Helena Zengel incarne Benni et y est remarquable. Bien préparée et accompagnée, il semblerait qu’elle n’ait pas souffert des scènes pourtant violentes qu’elle a eu à jouer. C’était par morceaux, par scène, sans succession et elle dit que, bien que mesurant la signification de chaque geste, de chaque cri, elle ne s’impliquait pas elle-même dans l’action. Forte personnalité, maturité impressionnante … bilingue.
Bientôt Tom Hanks pour partenaire … ça démarre fort pour Helena Zengel, 9 ans lors du tournage, 12 ans maintenant.
La réalisatrice, Nora Fingscheidt parvient à mettre l’accent aussi bien sur le travail remarquable du collectif que sur l’inadaptabilité de Benni à se mettre dans le moule qu’on lui propose : centre et famille d’accueil, école … et aussi sur l’impossibilité de la mère à être mère. Benni est imprévisible. Elle court et on la suit, on arrive encore à la suivre, à la retrouver.
Sur le qui-vive, jusqu’au bout du film.
A voir
Marie-No
https://www.facebook.com/cineplus.fr/videos/572730143434589/
Merci Marie-No de ce bel article. Ce que tu écris sur le sort de ces jeunes enfants autrefois est juste. Il faut ajouter que sous Hitler, en Allemagne, pour ces enfants, il y a eu l’action T4 qui n’était autre que l’euthanasie de milliers d’enfants handicapés mentaux, la France de son côté, durant la guerre a laissé mourir de faim des dizaines de milliers de malades mentaux, dans les années 50, on avait trouvé un traitement neurochirurgical miracle qui eut un succès mondial, la lobotomie qui a concerné elle aussi des milliers de jeunes.
Ensuite on a découvert les neuroleptiques puis des sédatifs puissants (dans le film on parle de Diprivan).
Mais revenons au film : On est écrasé par les passages à l’acte de l’enfant, et les ellipses, les non dits du film qui laissent voir par touches successives une mère insuffisamment aimante, immature et cas social. On se rappelle le livre d’Ezekiel : Les pères ont mangé des raisins verts, et les dents des enfants en ont été agacées et on transpose. Dans ce film, même si les soignants et éducateurs sont compréhensifs devant les insuffisances de cette mère, elles sont égrainées. Et l’on ne soulignera jamais assez la violence institutionnelle (même si elle peut-être légitime) qu’il y a à séparer un enfant de sa mère et à prendre la main. Le spectateur de son côté, avec cette carence, trouve là un élément confortable, « on a une cause et on est tranquille ». Mais quid du père? Quid de l’institution?
Concentré de passages à l’acte répétitifs qui vont crescendo, on est un peu étouffé, nos nerfs, nos affects sont mis à rude épreuve. Et je ne peux m’empêcher d’y voir un abus.
Ce film nous en rappelle un autre, Mommy , film réalisé par Xavier Dolan, particulièrement la fin ou l’enfant se jette sur une vitre renforcée. Si chez Dolan, le geste était dramatique et sans issu, dans Benni, il y a une sorte d’ambiguïté, une fuite presque joyeuse et toute puissante, qui laisse au spectateur de quoi se raconter la fin.
Bien heureux d’avoir vu ce film, je ne le classe certainement pas parmi mes préférés. J’ai l’impression d’être un peu embobiné et conduit à juger comme son réalisateur.
PS : aucun argument de bien traitance de l’enfant acteur ne saurait me convaincre tout à fait, il y a là une réalisation symbolique (par adulte interposé) de passage à l’acte que je ne puis trouver neutre.