Un Amor de Isabel Coixet

Un amor n’a aucun romantisme. Rugueux comme la vie, visqueux comme le temps qui passe, marquant les esprits, poisseux comme l’air du village, La Escapa, où Natalia (Laia Costa) s’englue chaque jour davantage. « Petit village, grand enfer » (proverbe cubain)
C’est là qu’elle a choisi de s’installer, dans la région de La Rioja, au pied d’une immense montagne.
Là ou ailleurs … Traductrice de déclarations de réfugiés politiques qui demandent l’asile en Europe, elle n’en pouvait plus d’entendre tous les jours les récits des atrocités subies. Il fallait qu’elle parte de sa vie d’avant, brisée. Elle a encore un âge où on pense pouvoir échapper à soi-même.
On voit d’abord une analyse désenchantée du rêve d’une néorurale « ils viennent tous voir les moutons bêler de joie ». La réalisatrice, en de somptueux plans qui percutent, met en lumière l’étroitesse du décor où Natalia va désormais évoluer : avec leurs médisances et mesquineries, les locaux cherchent à l’englober dans l’inter-dépendance dont ils sont eux-mêmes prisonniers, cherchent à tisser autour d’elle la toile de solidarité qui se paie le prix fort.« On est un petit village, ici tout le monde se connaît » Comprendre : « On est un petit village, ici tout le monde s’épie, juge, met à l’index ». Le tout baigné d’un machisme et d’un racisme abyssaux !
Très vite, au village, Natalia va s’avérer hors norme, ingérable. On la trouve distante, méfiante, grise, mutique.
Mais avec l’arrivée dans le cadre d’Andreas, « l’allemand », le film prend une autre tournure.
La pluie, élément majeur du décor -ça ruisselle, dehors, ça ruisselle dedans- va être à l’origine de la rencontre entre Andreas (Hovik Kochkerian) et Nat. Leur « marché conclu » déconcertant donne lieu à la première scène de sexe et c’est sordide, évidemment. Natalia se dédouble, se voit en train d’honorer le contrat et la caméra demeure sur ses yeux figés, témoins de sa sidération.
Pourtant, de là, Nat choisit d’amorcer une relation amoureuse. Inattendu… C’est charnel, physique, jouissif, pour les deux. Ambigü d’abord, mais elle se prend au jeu, se berçant bientôt d‘illusions, ronronnante au coin du feu près de son colosse, sourde aux remarques des mâles tout autour.
Le calme avant la tempête. L’ « Amor » part en vrille, l’amoureux, au demeurant plus arménien qu’allemand, ne donne pas dans la romance. Il prend. Il jette. Son physique (qui n’inspire pas l’amour, enfin pas tout de suite, genre le Walter de Miséricorde), son caractère bourru … un animal blessé, rejeté, abandonné ? Perdu ! c’est lui aux commandes ! Il prend ce qui vient, sans faire de sentiment, sans vergogne et quand Nat commence à lui raconter ses états d’âme, il la dégage. Point.
Finit-on par mordre ou devenir méchante quand on ploie sous les coups ?
Nat accuse ce coup, se terre, supplie, s’humilie, se relève, amorce sa rédemption dans une danse rituelle dont elle seule connait les pas. Flanquée de Sieso, le chien balafré qu’elle n’a pas choisi mais qu’elle a adopté, elle continue, plus forte, endurcie aussi. Incomprise et très seule, libre de tracer sa route.
Les personnages ne suscitant aucune empathie, le film gratte un peu et ça fait du bien.
Filmage, cadrage, lumière, mise en scène : magnifiques.
Indéniablement, Isabel Coixet a une signature.

Marie-No

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