Fario – Lucie Prost 

Le film de Lucie Prost met en image, de manière générale, un mal-être générationnel : la ville est le symbole de ce mal être pascalien : la jeunesse se divertit parce que la civilisation se meurt dans ses contradictions. Travailler pour consommer, consommer pour oublier l’impasse écologique.

Dès lors, au début du film, le retour à la terre natale, un milieu essentiellement rural et forestier, déploie une métaphore dramatique. Un retour au source est-il encore possible? Ce retour au source est d’abord le noyau familial, mais on apprend que la cellule familiale elle-même a été atteinte, comme l’est également le site rural, mis en danger par forage minier. Si Léo est parti, c’est peut-être parce qu’il lui fallait faire le deuil de son père, loin du pays. Faire le deuil, c’est aussi l’expression de l’employé de mairie pour convaincre Léo de vendre les terrains familiaux. Faire le deuil et repartir de zéro. C’est un peu également le message de la mère, consciente du malaise de Léo à son retour au Pays: ton père ne t’aurait pas reproché de vendre ta part des terres. Elle-même est repartie dans une nouvelle aventure, différente, avec un compagnon qui est sans doute l’inverse du père de Léo: expressif là où le père était taiseux. C’est ce que fait remarquer Léo, quand il s’étonne du choix de sa mère de faire du théâtre, sous l’influence de son nouveau compagnon. Au moment de lui parler de sa nouvelle vie, en aparté lors d’un voyage en voiture, la mère de Léo se surprend elle-même à être capable de verbaliser ses sentiments. Il y a beaucoup de non-dits dans cette histoire familiale.

La pièce de Théâtre que joue la mère est tout un symbole de ce non-dit qui parvient à refaire surface : le Songe d’une Nuit d’été, de Shakespeare, pièce “écologique” avant la lettre, fait partie des pièces, comme la Tempête, où le dramaturge met en scène la nature comme le reflet des sentiments profonds qui torturent les âmes des hommes.

Comme dans une pièce de Shakespeare, ainsi, la nature dans la Vallée du Loue s’adresse directement au personnage principal. Les truites alertent Léo, jusqu’à l’agresser quand il plonge dans la rivière, du danger de l’exploitation minière, et de sa pollution masquée. Mais ce dialogue avec la nature n’est pas seulement une communion physique. C’est une communion spirituelle avec le père, grand connaisseur et amoureux des truites, sans doute avec ce même caractère sauvage et pudique que leur prête l’un des personnages du film. D’ailleurs, le père a demandé que ses cendres soient dispersées à la source de la rivière, là où Léo plongera de dépit, vers la fin du film, sans pouvoir comprendre d’où vient le malaise des truites, pour être sauvé in extremis par une mystérieuse main providentielle.

Cette sorte de renaissance, ou ce nouveau baptême, symbolise la dimension épiphanique du film, dans son dénouement. Cette épiphanie rappelle l’histoire biblique, elle est en quelque sorte la renaissance d’une communauté, autour de Léo, en proie aux doutes et aux interrogations de la nouvelle génération face aux défis de l’avenir. Les liens s’étaient brisés, jadis, parce que Camille lui a préféré Augustin, son cousin, alors qu’Augustin fera plus tard son “coming out”, parce que le père de Léo lui-même à choisi Augustin plutôt que Léo, comme confesseur de ses tourments intimes, au moment où Augustin a fait son “coming out”, parce que la mère était absente, encore, au moment de découvrir le corps du père, laissant Léo seule face à cette découverte macabre. Tout le monde a choisi Augustin, finira par dire Léo, de dépit amoureux, quand finalement, au lieu de vendre ses terres, il finit par démasquer les effets néfastes du forage minier, grâce à l’aide de Camille. Augustin, en effet, est celui qui ressoude la communauté, par ses imitations burlesques de l’autruche, mais aussi et surtout parce que c’est lui qui a décidé de préserver l’héritage rural de la famille, contre l’expropriation minière, en construisant laborieusement son projet d’un élevage de qualité. Léo voulait vendre, toucher la “caillasse” et repartir s’échapper à Berlin. Finalement, il se range dans le camp de son cousin, apaisé en lui-même, parce qu’il a finalement réussi à partager ses angoisses avec ses proches, et comprendre que chacun a connu le même chemin que lui face à l’adversité et les défis du monde futur, au lieu de s’évader pour mieux les oublier. Dans cet apaisement, il retrouve l’amour de Camille, qui l’a aidé dans sa quête de comprendre l’origine des mutations de la truite, et a finalement persévéré avec succès quand Léo était prêt à abandonner pour repartir à Berlin.

Le film de Lucie Prost, ainsi, associe dans une même trame un drame écologique, une histoire familiale et un mal-être générationnel, autour d’une truite “mutante”, dénaturée par les rejets toxiques d’une mine industrielle. Comme dans une pièce Shakespearienne, ces différents fils de trame se complètent, s’illustrent et s’enrichissent mutuellement de façon très poétique et harmonieuse pour celui qui sait se laisser séduire par la beauté symbolique des paysages et partager les angoisses d’une génération inquiète mais résiliente. Au début et à la fin du film, la musique joue un rôle important, car elle traduit un rite de passage, comme dans le film de Wim Wenders. De la ville à la campagne, au début du film, du tourment à la paix intérieure, à la fin du film, symboles du voyage d’une génération abandonnée à son sort, à la fois complice et victime d’une économie du smartphone et de la voiture électrique. Une économie qui court à sa perte…

Lucie Prost joue le rôle de médiatrice de cette génération et sa truite mutante chante une autre harmonie que celle de Schubert, mais avec toujours la même conviction: la prise de conscience viendra sûrement de l’Art, là où la science, la technologie ou bien la politique ont pour l’instant échoué…

Lucie Prost

Par Patrick R

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