
Mon 1er est scénariste, mon 2ème metteur en scène, mon 3ème chef op, mon 4ème monteur, mon 5ème signe la musique et mon tout est un seul et même individu. Qui suis-je ? Quentin Dupieux qui livre avec L’Accident de piano son 14ème long métrage. 14 en 18 ans … Moins que Hong Sang-soo mais guère. A part cette « urgence », ce qu’on remarque et apprécie, entre autres, chez les deux c’est la volonté de ne pas verrouiller le sens des scènes, de laisser la place aux personnages pour donner au spectateur la liberté d’ouvrir des portes, de fouiller les interstices, de gratter les croûtes et de choisir de se poster entre réalité ou bouffonnerie. Ou de passer son tour.
Avec L’Accident de piano, son 3ème film sur la célébrité après Daaaaaali et Le Deuxième acte, Quentin Dupieux s’intéresse au monde des réseaux sociaux et des influenceurs. Un monde virtuel, aseptisé, éphémère, où pour les influenceurs le buzz c’est la vie, le nombre de likes jamais suffisant, où la menace des dislikes obsède, où on marche nuit et jour le long de l’oubli. On est loin d’une activité J4F, là c’est du lourd. Magalie/Magaloche (Adèle Exarchopoulos) en a fait son beurre et amassé déjà pas mal de pognon. Elle vit dans sa bulle avec son « assistant » Patrick (Jérome Commandeur) corvéable à merci, homme à tout faire, imprésario, secrétaire, infirmier, garde du corps, cantinier même si les repas se résument à un bol d’une mixture molle et blanche qui ressemble, au mieux, à du yaourt et qu’il assaisonne à l’occasion d’un crachat vengeur … Magaloche a, sur sa race, ceux qui ne ressentent rien, ni sentiment, ni empathie, l’avantage de ne ressentir aucune douleur, ayant le privilège d’être atteinte d’ICD (insensibilité congénitale à la douleur). Elle peut y aller franco faisant fi du danger, sa constitution robuste lui permettant une réparation fulgurante de son corps martyrisé. Seule la performance l’anime. Bien flippante, Magaloche ! et ce rire … Sauf qu’un jour, son inconséquence fait que c’est l’accident, L’Accident de piano et Magaloche bascule dans le monde réel où quand on est mort, on ne se relève jamais, et où, en principe, on doit répondre de ses actes … Parée de fragilité humaine, appareil dentaire, minerve, bras en écharpe elle essaie de se mettre au vert, de s’isoler, de se faire oublier.
Mission impossible. Harcelée par ses followers, traquée jusque dans sa planque par une journaliste (Sandrine Kiberlain) au langage châtié, tellement ridicule ! – mais qui parle comme ça en vrai ? – l’étau se resserre et elle a peur. Instinct de survie, elle dynamite, elle disperse, elle ventile ! Tente même de se suicider, empêchée par deux frères (Karim Leklou et Gabin Visona), total fans, qui, pour un selfie, la poursuivent, la traquent, se cachent, sortent des placards …
Quentin Dupieux nous parle de la culture du vide, plantant le décor de ce film virant au noir tendance thriller, dans un paysage de montagne d’un blanc immaculé où Magalie/Magaloche , dans un chalet grand luxe ambiance Anatomie d’une chute, est comme un lion en cage, étouffe, privée de son activité d’artiste. Artistes que Quentin Dupieux, provocateur, égratignent au passage « Je suis une artiste parce que mon activité consiste à faire quelque chose qui ne demande aucun effort »
Les influenceurs, les néo-artistes performers avec leurs corps comme oeuvre d’art, n’utilisant, eux, qu’un seul support : Internet ? Hélas …
Satire noire, fable absurde, L’Accident de piano : un fim percutant et cruel, un morceau de notre époque.
Vue par Quentin Dupieux. Unique et décoiffant !
Les acteurs sont excellents
A voir
Marie No