W-E cinéma Roumain, par Laurence

« Que fais-tu ce week-end ? » « Je vais voir des films roumains contemporains. Veux-tu venir ? » « C’est une blague ? » Voici la réaction des quelques personnes à qui j’ai fait cette proposition. Ils ont bien eu tort et gageons que leur week-end a été bien moins réjouissant que le mien. Les Cramés de la bobine proposaient cinq films et une conférence à l’Alticiné de Montargis, animés par Raluca Lazar, une journaliste enseignante roumaine, vivant en France et ce fut très intéressant.

Tout d’abord « Au-delà des collines » de Cristian Mungiu, un réalisateur né en 1968, auteur des « Contes de l’âge d’or », emblématique du cinéma roumain, film dans lequel il oppose l’humour à la dictature avec de multiples anecdotes dont celle du policier qui se voit offrir un porc vivant. Rien de tel avec « Au-delà des collines », l’histoire bouleversante des retrouvailles de deux amies d’enfance orphelines : Voichita et Alina. Voichita vit maintenant dans un monastère dirigé par un prêtre se faisant appeler « Papa » et y fait toutes sortes de corvées. Alina compte bien l’emmener avec elle mais Voichita a rencontré l’amour de Dieu. Film terrible qui montre la difficulté à se libérer de ses chaines, le joug communiste remplacé par l’intégrisme religieux. Cette histoire est inspirée d’un fait divers survenu en 2005 à Tanacu près de Vaslui, situé en Moldavie roumaine où une jeune femme était venue visiter une des sœurs d’un couvent orthodoxe, décédée un peu plus tard après un supposé exorcisme.

Puis deux films de Cornéliu Porumboiu, né en 1974 : « Les siffleurs », un film noir brillamment mis en scène, un film élégant divisé en chapitres, chacun portant le nom d’un personnage. Un film virtuose qui joue avec les flash-back, les ellipses et qui nous propose de nombreuses citations :

l’héroïne se nomme Gilda, le réceptionniste se prend pour Norman Bates dans Psychose, la bande-son avec ses airs d’opéra nous emmène du côté de Kubrick et le scénario est alambiqué à souhait à la manière d’un film noir américain. On s’y perd un peu, surtout au début mais ce n’est pas grave. Le personnage principal ne croit plus à sa vocation de policier et passe du côté de la mafia : faut-il y voir une allusion au problème récurrent de corruption de la Roumanie ? Le second film de Porumboiu était « 12 h 08 à l’Est de Bucarest », très drôle. Nous avons pu vérifier la capacité d’autodérision des Roumains évoquée par Raluca Lazar, notre guide sur ce week-end. Il s’agit de savoir, 16 ans après la fuite de Caucescu en hélicoptère, si la population d’une petite ville à l’est de la capitale a, elle — aussi, été héroïque et a fait la révolution. Pour ce faire, le propriétaire d’une chaine de télévision va demander à deux invités d’évoquer leur attitude ce jour-là. Étaient-ils sur la place ou en train de se saouler comme le prétendent des téléspectateurs au téléphone ?

Le samedi soir, les Cramés ont proposé un film qu’ils n’avaient pas osé proposer à sa sortie, malgré son Ours d’Or à Berlin : « Bad Luck banging or loony porn » de Radu Jude, cinéaste né en 1977.

La scène inaugurale est très chaude et nous n’avons pas été déçus : en raison de problèmes techniques, nous l’avons vue deux fois. Personne, à ma connaissance, n’a perdu la vue. Plus sérieusement, ce film était très intéressant. En Roumanie comme chez nous, avec les nouvelles technologies et les réseaux sociaux, la vie privée devient parfois publique et ce qui choque le plus n’est pas toujours le plus obscène. La réunion des parents d’élèves et leur réquisitoire contre la professeure est l’occasion de libérer les opinions les plus viles, racistes et de mauvaise foi. En Roumanie comme chez nous, les enfants sont sur internet et regardent n’importe quoi et ce sont ceux qui devraient y veiller, les parents, qui s’en offusquent et accusent les autres d’en être responsables. La fin du film est à la carte. Le réalisateur propose plusieurs versions, dont l’une avec la prof en Superwoman qui enserre les parents, hommes et femmes et le prêtre dans son filet et les oblige à la fellation d’un sex-toy. Cette fin outrancière montre bien la situation désespérée dans laquelle se trouve cette enseignante brillante et estimée de ses collègues.

Le dimanche matin, Raluca nous a proposé une conférence très intéressante sur le cinéma roumain, son histoire, les principaux réalisateurs et les thèmes récurrents, tout en se référant à son enfance, à son expérience, aux traditions et nous avons vraiment fait connaissance avec le peuple roumain et son cinéma.

Pour clôturer le week-end, un film qui rassemblait tout ce que Raluca avait évoqué : « Sieranevada » de Cristi Piu, né en 1967. Quelque part à Bucarest, trois jours après l’attentat contre Charlie Hebdo et quarante jours après la mort de son père, Lary – 40 ans, docteur en médecine – va passer son samedi au sein de la famille réunie à l’occasion de la commémoration du défunt. Sont évoqués tous les thèmes abordés par Raluca : la famille, le poids de la tradition, l’emprise de l’église, la place de chacun au sein de la fratrie, le passé et ses répercussions, le huis clos, la ville de Bucarest encombrée, bruyante, les conducteurs qui s’insultent… Un film très intéressant mais franchement un peu long (2 h 53), j’ai un peu dormi mais cela n’a pas nuit à la compréhension.

Raluca Lazar

Encore un beau week-end de cinéma avec les Cramés.

Laurence

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