« Bad Luck banging or loony porn » est ce film décapant qui a obtenu l’Ours d’Or à Berlin. Radu Jude est apprécié à Berlinà l’égal de Cristian Mungiu à Cannes. Il avait déjà obtenu l’ours d’argent pour Aferim. Mais dit-il : « Je pense que l’essence du cinéma, c’est du sérieux » et pas « le tapis rouge, les robes clinquantes, les costumes et le glamour… J’aimerais m’en débarrasser, le cinéma n’a rien à voir avec ce genre de clowneries« . Ce qui est assez facile à dire lorsqu’on est récompensé et que… les producteurs seront contents pour cette fois-ci et pour celle d’après !
Par ses choix formels, et son punch, on peut dire que c’est un film beau et qui a du souffle. Et nous savons que Berlin choisit des films créatifs, c’est un festival qui prend des risques.
Ceux qui ont lu l’article de Laurence savent que ça commence hard. Bad Luck banging c’est l’intrusion brutale de la vie privée dans la vie publique. Les technologies actuelles, et les réseaux sociaux facilitent cette porosité. De quoi s’agit-il ?
Le film est composé en 3 parties, présentées ironiquement par des tableaux roses sur fond musical de Bobby Lapointe et le final du film comporte 3 fins possibles et nécessaires !
Au début, un gentil couple s’offre des ébats sexuels fantasmatiques et se filme. Or l’enregistrement se retrouve sur le Net, vaste poubelle. Et là, après cette mise en bouche si l’on peut dire, commence le film. En nous faisant voir « la pièce à conviction » Radu Jude nous transforme en voyeurs malgré nous. Mais justement de quoi est fait ce voyeur ? Quels sont les événements dont il s’est nourri avant que de le devenir ?
Comment exprimer le désarroi d’Emi (Katia Pascariu) celle dont on a vu les ébats sexuels ? Comment alors rendre compte, sans commentaire aucun, de la solitude d’une femme, professeur de lettre, dont l’intimité a été violée, livrée aux yeux anonymes de personnes malveillantes ?
Dans un long travelling qui l’enferme dans le cadre, l’isole, elle marche d’un pas décidé le long d’un trottoir à Bucarest, il y a les bruits de la ville, pulsatiles, vrombissants, celui de toutes les grandes cités… et certainement que ça pue l’essence. Seule dans la multitude anonyme. Cette première partie ressemble à l’arrestation dans le Procès de Kafka, « On avait bien dû calomnier Joseph K car un matin… »
(Notons qu’Emi, comme tous les acteurs du film, porte un masque. On est en plein confinement. Radu Jude s’autorise à nous faire toutes la gamme des plans classiques avec masque pour tous ses acteurs et sans que ça nuise au film. Car nous qui sommes contemporains de la Covid, n’en sommes pas dérangés. Mais il est vrai que selon l’étymologie (per sona), les personnages sont des masques.)
La deuxième partie expose sous une forme documentaire le contexte de l’accusation, et c’est un portrait de société que Jude nous dessine, il y a bien quelques fleurs, Hannah Arendt ou Isaac Babel, mais ce qui domine dans la description, c’est la pornographie ambiante de la société marchande. Et cette société, c’est un peu celle des Viennois vue par Thomas Bernhard (la veulerie) ou encore la monumentale collection de bêtise et méchanceté du journal Hara-Kiri puis Charlie des années 60 à fin 1970 (qui d’aucune manière ne pourrait exister tel quel de nos jours, compte tenu de la néo-pruderie ambiante.)
Bref, ces images documentaires que mobilise Radu Jude, sont délibérément énormes et de triste mémoire. Il ne cherche même pas à y introduire de nuances. Ce patchwork documentaire rappelle de quels événements nous avons été nourris, ce que nous avons digéré comme si de rien n’était.
Le final se compose de trois versions de l’accusation et là, Radu Jude un peu comme Tarantino, grossit le trait avec délectation. La question est la suivante, une professeure dont la fonction est d’éduquer, donc d’être exemplaire peut-elle, alors que son corps jouissant s’exhibe partout, enseigner à nos enfants ?
Radu Jude nous montre Emi qui dignement fait face à une accusation présentée d’une manière clownesque, d’enseignants et de redoutables parents d’élèves. Il nous montre de quoi les prétendues valeurs morales de l’accusation sont faites, leur tartufferie essentielle. Cette accusation pétrie de conventions bourgeoises, qui sommes toutes traverse les siècles avec une « fraîcheur » renouvelée. Elle est désormais computérisée.
Mais le clou du film m’apparaît alors que je termine ces lignes, Radu Jude réussit comme par magie à escamoter le partenaire homme de cette affaire. Où est-il ? Nous ignorions le sexe des anges, nous voici désormais avec un sexe dont on ne connait pas l’homme…Il compte pour du beurre, il n’est pas concerné…Nous vivons une époque formidable ! disait Reiser.