A l’abordage-Guillaume Brac (2)

Guillaume Brac vient nous aborder

Non, le film de Guillaume Brac ne met pas en scène des pirates, mais de jeunes acteurs très prometteurs du Centre National d’Art Dramatique.

L’abordage est « une manœuvre qui consiste à s’amarrer bord à bord avec un navire et monter à son bord pour s’en rendre maître. » peut-on lire dans le Robert. Tout le monde le sait. Alors pourquoi donner ce titre à un film dans lequel il n’y a ni mer, ni bateaux, ni pirates ?

Certes il y a l’eau, celle de la Seine et celle de la Drôme puisque l’essentiel du film se situe dans un camping du département éponyme, il y a quelques bateaux, mais ce sont des canoés ou des kayaks, et si ….. Félix était un pirate ? Pourquoi pas ?  N’est-il pas celui qui veut mener un assaut, ne veut-il pas aller à l’abordage de la jolie Alma rencontrée en bord de Seine, un soir de fête et avec laquelle il a dansé et passé la nuit dans un parc, jusqu’au matin où la belle courut pour ne pas rater le train qui l’emmènerait dans la Drôme, justement ….

Félix n’y tient plus, il veut voler vers sa belle et décide d’embarquer Chérif son pote qui travaille dans une superette de quartier, Chérif, aspect poupin, le pote qu’on a envie d’avoir à ses côtés, celui qui va vous réconcilier et vous aider en toute circonstances, Chérif, celui qui rend service, Chérif celui qui n’a pas de petite amie en ce moment…  

Et les voilà partis en covoiturage avec Edouard, un jeune homme un peu coincé qui s’attendait à covoiturer des jeunes filles et qui lui part dans la Drôme rejoindre maman dans sa belle maison avec piscine…. Félix à l’arrière, mangeant des chips ‘qui vont salir les sièges », Chérif à l’avant, sourire amusé, et maman au téléphone qui se demande avec qui est son ‘chaton’ et semble l’attendre avec impatience.

Voilà tout ce petit monde, embarqué dans une voiture, parti à la découverte, non seulement de lieux – magnifique petit village de Die aux rues si étroites que, ‘chaton’, ne parvenant pas à manœuvrer, recule sur un pot de fleurs, rendant ainsi la voiture de maman inutilisable pendant une bonne semaine… mais aussi à la découverte de l’autre, peut-être un autre moi-même (Félix/Martin, tous deux n’ayant d’yeux que pour Alma), l’autre celui qui n’est pas du même milieu que moi (Edouard & Alma / Félix & Chérif)  mais avec lequel je partage tout de même des choses, Chérif et Edouard sont plutôt prêts à aider – c’est finalement grâce à Edouard que Félix et Chérif rejoignent la Drôme ; c’est grâce à Chérif qu’Héléna peut se baigner et répondre au téléphone laissant sa petite fille aux bons soins de Chétif.

Bref un petit monde coloré et mixte, un microcosme de la société rêvée où tout le monde serait courtois et bienveillant, un petit monde où les tensions ne prennent pas le dessus sur l’amitié, où la compréhension (le patron de Chérif n’est-il pas compréhensif et complice ?), l’amitié, la tendresse et l’amour s’installent tour à tour,

On pourrait croire que tout n’est que légèreté, frivolité et marivaudage ; cependant une certaine ‘lutte des classes’ se profile : Alma est une « petite fille riche et capricieuse», Félix n’est pas tout à fait à sa place dans le monde d’Alma, – que penseraient les parents s’il franchissait le seuil de la maison de campagne- Edouard « un fils à maman au grand cœur » qui sourcille un peu lorsque Chérif lui explique que ceux qui sont dans une école de commerce vont faire acheter aux consommateurs des conserves qu’eux-mêmes n’achèteraient pas – il est peut-être lui-même dans une école de commerce…

À l’abordage, un titre intéressant qui colle aux personnages : tous vont à l’abordage de quelque chose ou quelqu’un, en particulier Félix, prêt à escalader le mur de la propriété des parents d’Alma, tel Romeo grimpant jusqu’au balcon de Juliet ; Martin éconduit par Alma va à l’abordage de Lucie ; et Edouard, peut-être à l’abordage de lui-même, ‘chaton’ sortant de son cocon sans retenue, enfin libéré dans une scène de karaoké où Héléna et Chérif vont à l’abordage l’un de l’autre.

C’est grâce à tous ces jeunes acteurs que le film doit sa fraîcheur, sa spontanéité, où l’on en vient à s’interroger sur nos propres souvenirs de jeunesse, ces moments fugaces inscrits dans un été : et si la vie se résumait à une parenthèse estivale dans un camping au bord de la Drôme ?

Un film d’aujourd’hui, un film où seul compte l’instant présent malgré la nostalgie qu’il est impossible de ne pas éprouver en entendant Aline en karaoké, un film délicat et touchant, à voir et revoir sans modération.

Chantal

 

Laisser un commentaire